Poutine face au défi du contrôle de l’opinion russe dans la guerre

Publié sur franceinter.fr le 7 mars 2022

La LDH qui participe aux collectifs unitaires contre la guerre en Ukraine , soutien la lutte du peuple ukrainien face à la guerre de Poutine comme elle soutient les opposants russes qui osent braver la répression comme ci-dessous à Moscou.

4000 manifestants anti-guerre ont été arrêtés dimanche en Russie ; Poutine doit maîtriser le « narratif » de cette guerre s’il veut éviter les contestations à mesure que son coût réel se fera sentir, en vies humaines et sous l’effet des sanctions.

Manifestants russes à Moscou contre le guerre en Ukraine le 24 février 2022 – AFP

Il faut saluer le courage des quelques milliers de manifestants qui ont bravé hier les déploiements policiers et une répression certaine, pour défiler à Moscou et Saint Petersbourg, jusqu’à Novosibirsk en Sibérie. Ils exprimaient leur opposition à ce qu’on n’a plus le droit de qualifier de « guerre » en Russie, seulement d’« opération militaire spéciale ». Plus de 4.000 d’entre eux ont été interpelés, s’ajoutant à plus de 10.000 depuis le début de l’invasion.

Ces manifestants ne sont évidemment pas assez nombreux pour stopper l’aventure dans laquelle Vladimir Poutine a embarqué la Russie, au nom d’une vision héritée du XX° siècle, au risque de sacrifier l’avenir du pays au XXI° siècle.

Mais ces manifestants montrent au moins que derrière une façade maintenue intacte par un autoritarisme de plus en plus pesant, les craquements existent. 

La question se pose dès lors de savoir si Poutine parviendra à étouffer ces velléités d’opposition à son aventurisme militaire, et à se prémunir d’une résistance interne si le coût humain, économique et politique de cette guerre devient trop élevé ; ce à quoi s’emploient Ukrainiens et Occidentaux, car c’est l’un des clés de l’évolution de ce conflit.

Cela fait des années que Poutine restreint progressivement l’espace vital de la société civile, de l’information indépendante, et de l’opposition politique. Des ONG comme Mémorial, consacrée à la mémoire des crimes du stalinisme, ont été fermées ; les médias indépendants muselés, comme la radio Echo de Moscou qui a préféré cesser d’émettre il y a huit jours ; et l’opposition est à l’image d’Alexei Navalny, qui croupit dans un camp pénitentiaire.

Mais l’enjeu de cette guerre va au-delà de cette opposition constituée. Il porte sur le contrôle du « narratif » de cette guerre, sur le nombre de morts, sur l’impact des sanctions. Qui contrôle le récit peut espérer contrôler les émotions et les opinions !

La population russe n’est soumise aujourd’hui qu’à un seul discours, sur la « dénazification » de l’Ukraine, sur la menace de l’Otan, sur l’ « illégitimité » des autorités de Kiev. Seule une minorité a aujourd’hui les moyens de le contester.

Le « modèle chinois » montre qu’il est possible de verrouiller l’information. Mais ça deviendra plus compliqué lorsque le véritable bilan des morts de cette guerre commencera à arriver dans les familles. Les Comités de mères qui avaient joué un grand rôle dans les guerres d’Afghanistan et de Tchétchénie, se réveillent déjà.

Et il y va y avoir l’impact des sanctions économiques dont la Banque mondiale prédisait hier qu’elles feraient reculer le Produit intérieur brut russe de 15% cette année, c’est historique. Poutine parviendra-t-il à diriger la colère des Russes contre l’Occident, ou devra-t-il assumer une part du blâme pour cette guerre inutile qui ruine la Russie ?

Une partie de la guerre d’Ukraine se joue en Russie même, car si le rapport de force militaire est en faveur de l’armée russe, il en irait autrement si la population n’adhérait pas au récit de Poutine. Même en dictature, il est difficile d’entraîner éternellement un pays entier dans une telle aventure contre son gré.