Par Maryvonne Blum et Rémy Dufaut
Les cas se multiplient de façon inquiétante en France de jeunes apprentis étrangers sans papiers menacés d’expulsion.
Laye Fodé Traoré, Guinéen de 18 ans visé par une obligation de quitter le territoire français (OQTF) en janvier dernier a pu poursuivre son apprentissage grâce à la ténacité de son patron qui s’était engagé dans une grève de la faim, ainsi qu’à de nombreux soutiens de pur bon sens. Sa situation a été régularisée.
Depuis, c’est chaque jour qu’une nouvelle OQTF est prononcée ici contre Ronaldo Mbumba, jeune aide-soignant congolais dans un Ehpad d’Aurillac, là contre Moctar, apprenti boulanger malien à Malakoff et des dizaines d’autres jeunes arrivant à l’âge de la majorité. Le Réseau d’éducation sans frontières (RESF) ferait état d’au moins 13 apprentis menacés d’expulsion dans le seul département des Hauts-de-Seine.
La loi prévoit la délivrance d’un titre de séjour aux majeurs entrés mineurs par le regroupement familial, aux jeunes majeurs entrés mineurs sur le territoire avant l’âge de 13 ans, aux jeunes majeurs nés en France et munis d’une carte de séjour, aux jeunes majeurs ayant été confiés mineurs au service de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Mais cela ne se fait pas sans quelques conditions parfois difficilement justifiables…
La situation dans notre département est révélatrice de cette forte accélération des procédures d’expulsion à l’encontre de jeunes majeurs scolarisés ou apprentis. Devant ce phénomène qui menace de nous submerger, nous avons rencontré plusieurs jeunes actuellement hébergés et suivis par le Centre Départemental de l’Enfance (CDE). Déterminés à ne pas lâcher prise, ils se trouvent néanmoins dans une situation inextricable.
Les courriers de la préfecture signifiant l’ obligation de quitter le territoire français (OQTF) leur parviennent, parfois le jour-même de leur anniversaire, au CDE.
Les recours contentieux devant le tribunal administratif sont rejetés de façon quasi systématique. Les motifs avancés par la préfecture de « présentation de faux documents », de « non conformité », de doutes sur l’authenticité »… de ceux-ci (notamment les actes de naissance ou jugements supplétifs délivrés par les autorités du pays d’origine) l’emportent sur toute autre considération.
Ce qui les mène parfois à Paris, où ils doivent se rendre seuls, lorsqu’ils ont dépassés l’âge de la majorité, munis de leurs documents, pour déposer une demande de passeport ou faire authentifier les actes d’état civil en leur possession par l’ambassade du pays de naissance. Souvent perdus dans les couloirs du métro, ils se retrouvent dans des situations pas très lointaines de celles qu’ils ont connues lors de leur long périple pour arriver en France quelques années auparavant. Tout cela pour voir finalement rejetée leur demande de régularisation, pour les mêmes motifs…
Lors des rencontres avec les bénévoles de la LDH, ils éprouvent beaucoup de mal à se livrer, manifestant, outre une immense angoisse face à leur avenir, une totale incompréhension. Mais au delà de cela, ce qu’ils expriment particulièrement, c’est de la honte, c’est l’ignominie de ne pas être en mesure de rendre au pays qui les a accueillis et formés ce qu’ils considèrent lui devoir. Pourquoi les avoir accompagnés durant des années pour les lâcher brutalement au seuil de la majorité ? Le découragement cède vite la place au désespoir, à la dépression et aux idées sombres…
Leurs employeurs sont souvent désemparés, réellement démoralisés, tout autant que les accompagnateurs. Après avoir formé un jeune durant deux ans, il leur est impossible de le voir se présenter au CAP, BEP ou Bac Pro, de lui proposer le CDI qu’ils s’étaient fixé pour objectif afin de lui permettre une véritable insertion.
Nous considérons la situation des jeunes majeurs étrangers comme l’un des axes principaux de notre action à venir. Nous sommes rattrapés par l’actualité qui nous confirme l’urgence d’agir. Nous avons l’intention de suivre de près ce durcissement très inquiétant des conditions de régularisation de ces jeunes, désireux de s’intégrer dans notre société qui les rejette avec une morgue intolérable.
… A SUIVRE