Demander de déclarer le pays de naissance de nos parents est dangereux, inutile, inacceptable.
Une question dangereuse sur laquelle nous proposons de préconiser de ne pas répondre (question facultative).
Parce que c’est offrir une base pour des politiques qui divisent et discriminent.
Le premier rôle du recensement est d’établir les chiffres de la population des collectivités territoriales et de compter sur tout le territoire les groupes qui sont importants pour les politiques publiques. La question sur le pays de naissance des parents fera qu’on va compter séparément, d’une part, les personnes dont les parents sont nés en France et, d’autre part, ceux dont les parents sont nés ailleurs. Cette question est un pas pour traiter différemment dans les politiques publiques ceux que certains appellent les « français de souche » et tous les autres qu’ils excluent de leur « préférence nationale », comme ceux qu’ils qualifient de « français de papier », qui « remplaceraient » les premiers. Quoi qu’on soit à présent, devrions-nous être rattachés au passé familial avec ce critère, éternellement ? Récemment une mairie d’extrême droite a demandé à l’Insee de lui fournir le nombre de personnes d’origine étrangère bénéficiant de son parc de logement (incluant donc les personnes dont les parents sont d’origine étrangère). Le recensement ne collecte pas encore l’information, mais demain, si elle existait, est-ce qu’on la lui donnerait
Pendant la campagne des dernières législatives, le président du Rassemblement national a affirmé qu’aucune personne ayant une origine immigrée ne serait maltraitée par son parti… à condition de travailler et de ne pas enfreindre la loi. Il faisait donc comprendre qu’il traiterait différemment les personnes selon l’origine des parents. Pour sa part, l’actuel ministre de l’Intérieur a fait des déclarations indiquant qu’il veut aussi aller vers des traitements différents.
L’information sur le pays de naissance des parents, collectée auprès d’une part considérable de la
population, doit être vue dans ce contexte.
Parce que c’est ouvrir la voie à l’ajout du lieu de naissance de nos parents dans les fichiers administratifs. Les catégories qu’utilise le recensement s’imposent ensuite dans tous les fichiers, tous les raisonnements.
Les informations collectées par le recensement, dont le lieu de naissance de nos parents, pourront être croisées avec de nombreux fichiers administratifs : ceux de l’Éducation nationale, de la Justice, de France-Travail, de la Sécurité sociale, etc. Les outils techniques existent pour le faire et la loi le permet pour les services statistiques des ministères. Cette information sera intégrée dans les analyses des politiques publiques de leur ministère. Nous ne voulons pas que l’origine géographique de nos parents devienne une donnée de référence pour les politiques qui nous concernent.
L’égalité des droits, ce doit être pour toutes et tous.
Parce qu’il y a un risque de non-confidentialité des questionnaires remplis sur papier.
Si beaucoup de personnes répondent directement sur l’internet, un grand nombre (notamment d’origine étrangère) continuent à répondre sur des questionnaires qui transitent par des mairies avant d’être transmis à l’Insee. Peut-on garantir de façon certaine que certains ne seront pas tentés de prendre connaissance en cours de route des informations sur nos origines ?
Une question qui n’est pas utile pour mieux combattre les discriminations !
Parce que personne, même parmi ceux qui ont demandé que cette question soit posée, n’a dit pour quelles politiques ce serait nécessaire.
Qu’est-ce que ces comptages du lieu de naissance des parents permettraient de mieux faire, qu’on ne peut pas faire avec les statistiques déjà produites ? Rien n’est dit dans les documents déposés auprès de la Commission nationale informatique et libertés (Cnil). Aucune institution ayant demandé cette évolution n’a expliqué pourquoi le recensement collectera ainsi une information permettant de mieux combattre les discriminations. Quelles politiques publiques de lutte contre les discriminations réclament la collecte de cette information auprès de toute la population, dans tous les territoires ?
La question reste sans réponse. Les risques sont connus, les bénéfices attendus ne le sont pas.
Parce qu’il y a des méthodes plus pertinentes et mieux adaptées pour étudier les discriminations.
Disposer de bonnes données statistiques est indispensable pour connaître la situation des personnes d’origine étrangère et son évolution dans le temps, pour mesurer, génération après génération, la persistance de discriminations liées à leur origine, à leur couleur de peau, à leur religion présumée. Les enquêtes statistiques sont le bon instrument parce qu’elles collectent beaucoup d’informations dont l’origine sociale, l’origine géographique, les études faites, les professions exercées, les lieux d’habitation…
Les enquêtes spécialisées comme l’enquête Trajectoires et Origines de l’Insee et l’Ined ont réussi à bien mesurer les inégalités liées aux discriminations liées aux migrations. Ce travail d’enquête se développe depuis une vingtaine d’années seulement et doit s’approfondir pour développer la connaissance solide déjà disponible. Fondamentalement, aujourd’hui, le principal problème n’est plus le manque de données statistiques mais la faiblesse des politiques publiques, la pauvreté de moyens consacrés pour répondre aux effets des discriminations.
Parce que les plus concernés ne sont pas associés à la discussion sur les données à collecter.
Les chiffres nationaux disent clairement l’ampleur des inégalités dues aux discriminations. Maintenant, lorsqu’on veut mettre en place des politiques concrètes de terrain, les territoires qui avancent sont d’abord ceux où les élu-e-s, les administrations, les associations et syndicats, et bien évidemment les personnes concernées, discutent ensemble de quoi faire, comment le faire, puis suivent ensemble ce qui se met en place. Parmi les choses qui sont à discuter et décider ensemble, il y a le choix des données de terrain dont on a besoin pour ces politiques de terrain. C’est sur quoi il faut dorénavant avancer.
Sans avoir eu besoin du recensement pour cela, de nombreuses enquêtes montrent l’effet des
discriminations et leur persistance d’une génération à l’autre. Les chiffres sont là pour dire
l’actualité du combat pour faire reculer les discriminations, pour mener des actions effectives.
Parce que les questions facultatives sur le pays ou le département de naissance de nos parents,
introduites cette année dans le recensement, sont dangereuses et inutiles, il ne faut pas y répondre.