Révélations : voici la carte des armes françaises au Yémen, selon un rapport « confidentiel Défense »

par Benoît CollombatCellule investigation de Radio FranceDisclose publié le 15 avril 2019

Les révélations de Disclose, dont la cellule investigation de Radio France est partenaire, contredisent le discours officiel sur l’absence d’armes françaises dans la guerre au Yémen. Une note du renseignement français recense celles qui sont utilisées sur le terrain et leurs conséquences sur les populations civiles.

Des chars Leclerc fabriqués en France déployés près d'Aden (Yémen) le 3 août 2015, durant une opération militaire contre des rebelles chiites hutis et leurs alliés.
Des chars Leclerc fabriqués en France déployés près d’Aden (Yémen) le 3 août 2015, durant une opération militaire contre des rebelles chiites hutis et leurs alliés. © AFP / SALEH AL-OBEIDI

« Je n’ai pas connaissance du fait que des armes [françaises] soient utilisées directement au Yémen, affirmait la ministre des Armées, Florence Parly le 20 janvier 2019, sur France Inter (à partir de la cinquantième minute).

Et pourtant : elles sont présentes sur terre, sur mer et dans les airs, si l’on en croit un rapport de 15 pages classé « confidentiel Défense » de la Direction du renseignement militaire (DRM), daté du 25 septembre 2018, révélé par Disclose, en partenariat avec la cellule investigation de Radio France. Ce document précise que des armes françaises vendues à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, sont bien utilisées dans la guerre que mènent les deux pays au Yémen, contre les rebelles houthis, une minorité chiite soutenue par l’Iran.

Chars Leclerc, obus flèche, Mirage 2000-9, radar Cobra, blindés Aravis, hélicoptères Cougar et Dauphin, frégates de classe Makkah, corvette lance-missiles de classe Baynunah ou canons Caesar : dans cette note, le renseignement militaire français établit une liste détaillée de l’armement fourni aux Saoudiens et aux Émiriens qui serait impliqué dans le conflit.

« À ma connaissance, les armes qui ont été vendues récemment ne sont pas utilisées contre les populations civiles« , disait également la ministre le 30 octobre 2018 sur BFM TV. La DRM établit cependant une carte des zones à risques dans lesquels les civils yéménites sont susceptibles d’être touchés par les canons français. Or, 28 millions de Yéménites vivent toujours sous les bombardements. Depuis le début du conflit, plus de 8 300 civils ont été tués (dont 1 283 enfants), selon les chiffres publiés en mars 2019 par Yemen data project, une ONG qui collecte et recoupe les informations sur les frappes de la coalition.

Ce document confidentiel intitulé « Yémen – Situation sécuritaire » a été transmis au chef de l’État, Emmanuel Macron, à Matignon, mais aussi à la ministre des Armées, Florence Parly, et au ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, lors du conseil de défense restreint consacré à la guerre au Yémen, qui s’est tenu le 3 octobre 2018, à l’Élysée.

Il vient contredire la version des autorités françaises d’une situation « sous contrôle » et d’une utilisation uniquement « défensive » de l’armement français au Yémen.

Des civils à portée de canons français

Depuis le début de la guerre, une batterie de canons Caesar est déployée le long de la frontière saoudo-yéménite. Fabriqué à Roanne (Loire) par l’entreprise Nexter, détenue à 100 % par l’État français, le canon Caesar, monté sur un châssis de camion, peut tirer six obus par minute, dans un rayon de 42 kilomètres.

« À ma connaissance, ces canons [Caesar] ne sont pas déployés au Yémen mais occupent des positions défensives à la frontière sud de l’Arabie saoudite, face aux rebelles houthis qui cherchent à pénétrer sur le territoire saoudien, affirmait encore la ministre des Armées, Florence Parly, le 4 juillet 2018, devant la Commission de la Défense nationale et des forces armées. Dès lors, je pense qu’il n’y a rien à redire : c’est un État qui se protège et qui se défend. »

La réalité que décrit la note de la DRM est cependant différente.

La Direction du renseignement militaire y précise que ces canons Caesar déployés le long de la frontière avec le Yémen sont au nombre de « 48« , ajoutant qu’ils « appuient les troupes loyalistes, épaulées par les forces armées saoudienne, dans leur progression en territoire yéménite« . Autrement dit : les tirs de canons français ouvrent la voie pour les blindés et les chars déployés au Yémen. Donc pas uniquement dans le cadre d’une action défensive.

S’appuyant sur une carte baptisée « Population sous la menace des bombes », le renseignement militaire français estime par ailleurs que « 436 370 personnes » sont « potentiellement concernée par de possibles frappes d’artillerie. » Y compris donc par les tirs de canons français.

Extrait du document "confidentiel Défense" présentant la "population potentiellement concernée par de possibles frappes d’artillerie", soit "436 370 personnes".

–> Lire l’article complet sur www.franceinter.fr