« Les convictions politiques n’ont pas à être contrôlées » : le gendarme des écoutes s’oppose à Darmanin

[observatoiresldh] Rapports annuels d’activité de la CNCTR et de l’IGGN pour 2022 – Publié sur Mediapart –

En 2022, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement a émis 629 avis défavorables aux demandes d’écoute des services spéciaux, visant en partie la mouvance écologiste. L’autorité indépendante souligne que « les convictions politiques ou syndicales n’ont pas à être contrôlées ».

Le 15 juin 2023 – publié sur Mediapart –

En 2022, 629 personnes, pour certaines liées à la mouvance écologiste, ont failli être placées sous surveillance des services de renseignement sans motif valable. C’est l’une des révélations du rapport annuel de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), l’autorité indépendante qui veille à la régularité des écoutes administratives et autres surveillances par les services spéciaux.

L’instance de contrôle, qui délivre des avis favorables ou défavorables à cette surveillance aux services du premier ministre, a précisé que leurs préconisations de rejet, en hausse, ont concerné en majorité des demandes présentées au titre de « la prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique », l’un des motifs introduits par la loi sur la sécurité intérieure, en 2015, et visant, déjà, des foyers de mobilisation écologistes, à Notre-Dame-des-Landes et à Sivens.

Au siège de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), à Paris, en 2015. © Photo Martin Bureau / AFP

Alors que des écologistes liés aux mouvements Bassines non merci et Soulèvements de la Terre ont récemment révélé avoir découvert des dispositifs de surveillance sous leurs voitures (traceurs GPS) ou des caméras embusquées à proximité de lieux de réunion, le rapport de l’autorité de contrôle pointe un « risque d’interprétation extensive » du point « 5-C » de l’article L811-3, sur la prévention des violences et, « partant, d’éventuelles dérives ».

Il ne suffit pas par exemple de dire “cette personne était à Sainte-Soline”, mais il faut prouver qu’elle a participé à un groupement violent. Nous n’acceptons pas la simple levée de doute.

Serge Lasvigne, président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement

Selon les informations de La Lettre A, le rejet d’un certain nombre de demandes de surveillance visant la mouvance écologiste a récemment été l’occasion « d’un bras de fer » entre le ministère de l’intérieur et Matignon, qui a systématiquement suivi les avis défavorables de la CNCTR.

« Le CNCTR mène une bataille sur l’interprétation de ce 5-C, confirme un spécialiste de techniques de surveillance à Mediapart. L’enjeu du problème est chez Gérald Darmanin, qui en a une doctrine extensive et qui investit politiquement ces sujets-là. Or des militants n’ont pas à être surveillés à raison de leurs opinions politiques, pour faire de la mauvaise politique. »

Gérald Darmanin n’a pas caché qu’il faisait de la surveillance des mouvements écologistes radicaux l’une de ses priorités, sans hésiter à qualifier les membres d’« écoterroristes ». Après les affrontements survenus à Sainte-Soline, le ministre a annoncé que « plus aucune ZAD ne s’installera dans notre pays » et a engagé une procédure de dissolution des Soulèvements de la Terre, le 28 mars.

Jérôme Hourdeaux et Karl Laske

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