Mégabassines dans le Puy-de-Dôme : les opposants à la construction des « deux plus grands » projets de France se mobilisent

Entre 4 000 militants, selon la préfecture, et 6 500, d’après les organisateurs, sont mobilisés samedi pour dénoncer la construction de deux réserves d’eau destinées à irriguer 800 hectares dans la plaine de la Limagne.

Publié sur le Monde avec AFP le 11 mai 2024

Pour défendre l’eau comme un « bien commun », les opposants à la construction des « deux plus grandes mégabassines de France » organisent, samedi 11 mai, une grande « randonnée pédagogique, festive et artistique » au départ de Vertaizon, dans le Puy-de-Dôme.

Entre 4 000 participants, selon la préfecture, et 6 500, d’après les organisateurs, sont mobilisés pour dénoncer la construction de deux réserves d’eau – l’une de 14 hectares, l’autre de 18 hectares – destinées à irriguer 800 hectares dans la plaine de la Limagne, où est implanté Limagrain, le quatrième semencier mondial.

Les autorités ont déployé 400 fonctionnaires, assistés par un hélicoptère. Le cortège, qui fait l’objet de mesures de sécurité renforcées en raison de son caractère « sensible », après les violents affrontements survenus lors de la mobilisation de Sainte-Soline (Deux-Sèvres) en mars 2023, s’est élancé peu après 10 h 30. Un petit groupe de cyclistes est parti de la ville voisine de Clermont-Ferrand pour rejoindre les marcheurs.

Pour beaucoup habillés en bleu afin de « symboliser l’eau », à la demande des organisateurs – dont Extinction Rebellion et Les Soulèvements de la Terre –, les manifestants se sont rassemblés dans une ambiance bon enfant, avec deux tracteurs emmenés par la Confédération paysanne. « On est là pour dire qu’on ne veut absolument pas que les travaux commencent », a lancé depuis le parvis de la gare de Vertaizon, point de rendez-vous, Anton Deums, du collectif Bassines non merci (BNM) 63. La foule doit matérialiser dans l’espace le tracé d’une des deux retenues prévues, visant selon, le collectif, à « privatiser plus de 2,3 millions de mètres cubes d’eau pour trente-six exploitations, la plupart liées à Limagrain ».

« Robin des bois à l’envers »

« Dans ce pays, les agro-industriels, les gens qui font de l’argent, sont beaucoup plus entendus, (…) c’est Robin des bois à l’envers », a déclaré à l’Agence France-Presse (AFP) la secrétaire nationale des écologistes, Marine Tondelier, présente parmi les manifestants. « Sur ce genre de projet c’est exactement ça : il n’y a plus assez d’eau, réservons-la pour les plus riches, et laissons les autres se débrouiller », a ajouté Mme Tondelier.

La députée « insoumise » Clémence Guetté, qui a porté un projet de loi de moratoire sur les mégabassines, dénonce pour sa part « l’intention du gouvernement d’accompagner l’agrobusiness au détriment des petits agriculteurs ».

Pour Limagrain, « il est essentiel que les agriculteurs puissent continuer à produire des cultures de qualité en quantité suffisante » et donc « irriguer lorsque cela est nécessaire », au nom de la « sécurité alimentaire » en période de changement climatique.

Ces projets de mégabassines, portés par l’association syndicale libre des Turlurons – qui regroupe trente-six agriculteurs, dont le président de la coopérative Limagrain –, n’ont pas encore fait l’objet d’une demande formelle d’autorisation, et leurs opposants espèrent obtenir un moratoire. Les antibassines accusent Limagrain de vouloir « sécuriser sa production de maïs semence destinée à l’exportation ». Selon la coopérative agricole, les retenues seraient remplies par prélèvements dans l’Allier entre le 1er novembre et le 31 mars, en respectant le débit autorisé de 45,7 mètres cubes par seconde.

« Quand on a commencé les premières manifs, la majorité des gens ne savaient pas ce que c’était qu’une bassine. Aujourd’hui le rapport de force sur ce sujet-là contre la privatisation de l’eau a considérablement augmenté », a estimé auprès de l’AFP Adèle Planchard, des Soulèvements de la Terre.

Les prélèvements d’eau destinés à l’irrigation ont plus que doublé entre 2010 et 2020 en France, pour atteindre 3,42 milliards de mètres cubesen 2020, selon un rapport de la chambre régionale de la Cour des comptes de Nouvelle-Aquitaine, publié en juillet 2023.

Le projet de loi agricole actuellement examiné au Parlement, élaboré par le gouvernement en réponse à la crise de cet hiver et aux revendications des syndicats agricoles, prévoit de faciliter les constructions d’ouvrages d’irrigation comme les bassines. Le texte vise l’« accélération des contentieux » en cas de recours contre des projets de stockage d’eau.