Entre fanfare et bras de fer, 10 000 manifestants à la Rochelle contre les méga-bassines

Comme à Sainte-Soline en mars 2023, la Ligue des droits de l’Homme a annoncé que des observateurs seraient présents lors de la mobilisation anti-bassines du 16 au 21 juillet en Poitou-Charentes. Ils étaient une cinquantaine, « membres des Observatoires des libertés publiques et des pratiques policières de Poitou-Charentes, Gironde, Toulouse, Angers, Nantes, Rennes, Paris, Seine-Saint-Denis, Strasbourg, Lille et Marseille », a détaillé la LDH dans un communiqué. Une fois de plus le gouvernement a choisi d’interdire toute manifestation et de réprimer violemment les milliers de manifestants présents. Ces violences ont été documentées par les observateurs.

Publié dans l’Humanité du 21 juillet 2024

En conclusion d’une semaine de mobilisation contre l’accaparement de l’eau, près de 10 000 manifestants se sont rassemblés à La Rochelle à l’appel des Soulèvements de la terre, samedi 20 juillet, pour exiger un moratoire sur les méga-bassines. En tentant de mêler esprit festif et confrontation directe.

La Rochelle (Charente-Maritime) et Migné-Auxances (Vienne), envoyés spéciaux

Ils sont venus en groupe, mais ne se parlent pas : ils observent. Lucas, Gaëtan et Loris, 23 ans chacun, sont alignés côte à côte à l’entrée du parc Charruyer, à l’orée du centre-ville de La Rochelle. L’un a les bras dans le dos, un autre les porte jointes sur sa tête, tous ont les yeux grands ouverts.

« On n’avait jamais vu un truc comme ça », lâche timidement le premier. Tout autour de ces trois étudiants en mathématiques de la région nantaise, une foule de manifestants (6 000 selon la préfecture, 10 000 d’après les Soulèvements de la Terre) venus dire non aux méga-bassines. Entre les arbres, se croisent vieux altermondialistes, jeunes autonomes, activistes écologistes urbains et paysans d’ici et d’ailleurs.

Au cœur de la foule, une fanfare rythme leur convergence. « Nous, on est un peu nouveaux », sourit Gaëtan. Ensemble, les trois copains se sont découverts une envie de s’engager à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale prononcée par Emmanuel Macron, le 9 juin dernier« Une urgence », disent-ils. D’abord autour d’opérations tractages pour plusieurs candidats du Nouveau Front populaire (NFP) de leur région, qui leur ont permis de constater « qu’il y avait encore des gens de gauche », leur famille. Mais aussi de se découvrir une certaine détermination. En particulier pour continuer à défendre le programme de la gauche.

« À l’intérieur, il y a la promesse d’adopter immédiatement un moratoire sur les méga-bassines, reprend Lucas. C’est ce qu’on est venu chercher aujourd’hui ». Une voix s’élève d’une sono portative accrochée, dans un porte-bébé, sur le dos d’une femme.

Deux cortèges sont annoncés, l’un doit prendre la route vers le Sud et l’autre vers le Nord. Avec un même objectif, celui de rejoindre le port industriel de La Pallice, « catalyseur d’un capitalisme fossile et de l’agro-industrie », selon les organisateurs, et y rejoindre les manifestants qui le bloquent depuis 6 heures. Loris s’interroge à voix haute : « Quel groupe est le moins risqué ? ». Il est loin d’être le seul à hésiter entre les deux stratégies proposées par chacun des cortèges : esprit festif et populaire ou confrontation avec les autorités ?

T-shirt « éco-terroriste » et traumatismes

Car, dans tous les esprits, on trouve la trace d’un même traumatisme. Le souvenir de Sainte-Soline (Deux-Sèvres) et de la mobilisation violemment réprimée, il y a un an et demi, par la gendarmerie à coups de LBD et de grenades de désencerclement. Au total, des centaines de blessés dont 200 chez les manifestants et 47 côté fonctionnaires. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, avait alors tenté d’utiliser ce bilan humain pour disqualifier le mouvement dans son ensemble, le traitant d’« éco-terroriste ». Jusqu’à prononcer, en Conseil des ministres, la dissolution des Soulèvements de la Terre (SLT) – finalement annulée par la justice.

Willy, 75 ans, agriculteur retraité et désormais membre du collectif Bassines Non Merci dans le Berry, y était. « Avec mon épouse, nous étions dans le cortège qui devait arriver le premier sur le site, se souvient-il. À 100 mètres, nous étions noyés sous les lacrymos, les gens pleuraient, on découvrait des blessés sous la fumée. On était pas venus pour la guerre, mais on l’a trouvée ».

Sous son t-shirt siglé d’un ironique « éco-terroriste », Benoît, 50 ans, assureur près de Niort, en parle avec la même émotion : « Une grenade avait explosé très près de moi. Alors, on revient aux manifs, mais avec de l’appréhension. Je suis dépité par l’énergie que met l’État pour nous réprimer »« Même après Sainte-Soline, et même à 70 ans, nous refusons d’avoir peur !, affirment pour leur part Muriel et Patrice. Il est hors de question de laisser gagner la violence policière. Même s’il est vrai que, cette fois, nous sommes venus sans les petits-enfants… »

Au petit matin, ce samedi 20 juillet, La Rochelle s’est pourtant réveillée barricadée. Comme assiégée. À chaque coin de rue du centre historique, des fourgons de police et des CRS en tenue de Robocop. Les touristes ont les yeux ronds, sans comprendre le pourquoi d’une telle agitation.

Pendant ce temps, au parc Charruyer, même si la manifestation a été interdite par la préfecture, on chante, on mange, on se marre. Avec les sandwichs et les biscuits vegan, garanti « sans cruauté animale », en libre-service. La police vient de confisquer la sono mais les manifestants l’ont décidé : rien ne gâchera la fête. « On va se débrouiller avec ce qu’on a », lance une organisatrice au mégaphone, tandis que le cortège Sud s’élance. Il suit quelques tracteurs et un camion-bar orné d’un drapeau de la Kanaky pour une « marche côtière tranquille ». Direction le port de la Pallice, sous le soleil de juillet.

« Eau armes citoyenne »

« Nous ne sommes pas dangereux », peut-on lire sur un panneau. Des manifestants jettent des bouées devant la foule. « Servez-vous ! », est-il annoncé alors que les premières bouches soufflent déjà pour arrondir un flamand rose ou un crocodile noir. Un carnaval que même un militant autonome ne parvient pas à saper, avec un tag sur le monument aux morts de l’allée du Mail. « Arrête ! On avait dit qu’on ne faisait pas ça ! », se fait-il engueuler.

« C’est un cortège joyeux, festif et créatif, décrit Marie, 55 ans. En janvier et février, la FNSEA a pu bloquer des autoroutes et dégrader des bâtiments publics et laisser la note à l’État, et nous serions les éco-terroristes ? Nous sommes des pacifistes. » Au loin, quelques kayaks des SLT, déployés pour tenter de gagner plus tard une partie du port par les eaux, sont ovationnés. Des chants, toujours des chants. « Et Marc Fesneau (le ministre de l’Agriculture, N.D.L.R.), il faut le foutre à l’eau ! Et Bardella dans l’océan ! », entonne l’une. « Ah non ! C’est déjà assez pollué comme ça », répond l’autre.

Bernard, 67 ans et ancien de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), pense qu’on peut protester « contre l’accaparement de l’eau par quelques-uns grâce à des fonds publics » sans se prendre trop au sérieux. Dans le dos, il porte un drôle de sac : un bidon sur lequel il est inscrit « Eau armes citoyenne » ou encore « FNS-EAu voleurs ! ».

La cale du Port neuf est même déclarée zone de baignade. Par grappe de dix, les manifestants se jettent à l’eau et accueillent, par des hourras, un catamaran et ses deux matelots au chapeau de pirate. La zone a presque des faux airs de spring break de gauche, quand ils sont des milliers à reprendre « Nous sommes des éco-terroristes » sur la mélodie de « Siamo tutti antifascisti ».

Mais ce cortège jovial finit tout de même par être rattrapé par l’imposant dispositif policier. Des blindés se mettent en place sur la route adjacente. Les fonctionnaires sortent casques et boucliers. Et les manifestants se retrouvent coincés entre la mer et un lac, sans trop pouvoir avancer.

La bonne ambiance laisse place à la tension lorsque les palets de lacrymogènes volent au-dessus des têtes, forçant le cortège à se disperser dans la panique. Un rendez-vous qui « démontre l’inventivité et les capacités de rebond du mouvement anti-bassines, et ce malgré la pression politique et policière sidérante », se félicitent les SLT dans un communiqué.

Violents affrontements en centre-ville

Une pression subie au Nord, Rue du général Leclerc, par l’autre cortège du jour. Un temps à l’arrêt pour laisser le temps à quelques-uns de « refaire la décoration » d’un monument colonial célébrant « trois conquérants pacifiques de la Côte d’Ivoire partis de La Rochelle », la foule – composée de très nombreux militants autonomes tout de noir vêtus – marche d’un pas décidé vers le port.

« Le kérosène, ce n’est pas pour les avions. C’est pour brûler des flics et des fachos », scandent-ils, décidés à « passer en force » en cas de barrage policier. Sur le chemin, des abribus sont totalement détruits, des banques saccagées et des voitures luxueuses vandalisées. Sur le capot d’une BMW décapotable, un message : « Mort aux riches ».

Reste qu’aux fenêtres des habitations de cette rue calme de la ville, des habitants les saluent, les applaudissent. Certains tentent même, à la demande des manifestants, de les arroser pour les rafraîchir – et les soutenir à leur façon. « La guerre de l’eau a commencé, on se battra pour la gagner ! », lance la nuée à l’unisson.

Sur le bas-côté, quelques militantes des SLT distribuent des tracts aux personnes âgées croisées sur le trottoir. « Vous savez pour quoi on se bat ? Je peux vous expliquer si vous le souhaitez ! », tente l’une d’elles dans un « effort de pédagogie » destiné à « convaincre le plus de monde possible ». « Non je connais, je vous suis vous savez ! », lui répond une dame sur son vélo, ravie… bien que rapidement coupée par un jeune homme portant un parapluie noir, « Faut y aller là, ils arrivent ! ».

Ils ? En queue de cortège, plusieurs dizaines de gendarmes pressent les manifestants. Un mouvement de foule se crée, poussant beaucoup à fuir par les rues adjacentes. À l’avant, un autre cordon de gendarmes auquel se heurte la tête de la manifestation. Plusieurs sommations sont effectuées par des agents pressés d’en finir, possiblement chauffés à blanc par les déclarations de Gérald Darmanin cette semaine, annonçant des « actes d’une très grande violence ». Des feux d’artifice et quelques pierres, gardées au chaud dans des paniers de supérettes, sont lancés en réponse par les autonomes. Des poubelles sont disposées en ligne pour former une barricade, puis enflammées. Rapidement, une dizaine de gendarmes chargent bille en tête, sans distinction.

Les coups de matraques pleuvent, puis de très nombreux tirs de gaz lacrymogènes suivent. Quelques minutes plus tard, les rues sont désertes. Ils n’atteindront jamais la Pallice. Au sol, de très nombreux débris de verre, quelques débuts d’incendies, et des restes de grenades de désencerclement. Au mur, une inscription : « Cette ville est trop calme ».

« Ça prendra le temps qu’il faudra mais on gagnera »

La veille, autre manifestation, autre ambiance. Si la journée de vendredi a aussi commencé par quelques toisements entre gendarmes et anti-bassines, le décor n’est alors pas le même. Les SLT ont donné rendez-vous à Melle, dans les Deux-Sèvres, territoire symbole de la lutte pour l’eau, dans le Village de l’eau monté par leurs soins.

Depuis leur camp de base, ils entendaient cibler, via une grande « marche fleuve » vers Saint-Sauvant (Vienne), la méga-bassine qui doit y voir le jour. Mais le dispositif policier est tel que l’organisation se rabat sur la commune de Migné-Auxances, au nord-ouest de Poitiers. Mais la police harcèle et fouille différents convois, en bloquant certains de longues heures en plein cagnard.

Près de 10 000 personnes, d’après les organisateurs, convergent tout de même jusqu’au lieu-dit du Pré-Sec, dans un cadre champêtre, en bord de ruisseau. Julien Le Guet, porte-parole du collectif Bassines Non Merci, brandit une bouteille d’eau Intermarché Laqueuille : « Voici l’eau que boivent les forces de l’ordre qui nous ont gazé. Ils ne boivent pas l’eau de Poitiers car, à cause des pesticides, elle est impropre à la consommation. »

Daniel espère, lui, qu’une victoire est proche pour obtenir la fin des bassines, depuis qu’un tribunal a cassé les arrêtés préfectoraux portant sur les autorisations de prélèvements d’eau dans le Marais poitevin : « Ça prendra le temps qu’il faut mais on gagnera. Nous avons maintenant un nouvel allié, la justice. »

Police incendiaire

Un hélicoptère survole le rassemblement, qui se transforme en manifestation vers « le site d’un acteur emblématique du complexe agro-industriel », Terrena. « La lutte contre les méga-bassines est la suite du combat contre le libéralisme et la privatisation d’un bien commun, rappelle Kentin Plinguet, adjoint PCF à la mairie de Poitiers. Il faut accentuer la pression populaire. »

Cela passe par des actions inventives. Comme à Pamproux, à quelques kilomètres de là, où une équipée parvient à larguer un panier de lentilles, dans le dos de la police, grâce à un cerf-volant. Le but ? Que les légumineuses s’y développent et bouche la méga-bassine.

A Migné-Auxances, le cortège serpente au rythme des tubas et des tambours. Un riverain ravitaille les manifestants assoiffés, qui le gratifient d’un « Gilbert, allez, allez ! »« C’est une lutte qui fait converger des gens très différents autour du même objectif… », se réjouit Lisa. Elle n’aura pas le temps de terminer sa phrase. Dans le champ de paille où se trouvent les manifestants, la police met le feu, en envoyant deux grenades. L’incendie déclenché, la mobilisation fait demi-tour, avec la promesse que le lendemain sera « une autre partie ».

Plutôt que d’éteindre leur motivation, cet « acharnement policier », comme beaucoup le dénoncent, citant les « survols d’hélicoptères au-dessus du village de l’eau toute la nuit pour (les) empêcher de dormir » aux contrôles incessants sur l’ensemble de la semaine, pourrait toutefois gonfler leur détermination.

« On le sait bien : tout est fait pour nous dégoûter, nous décourager et nous faire peur, déplore Manon, 28 ans, masque de renard posé sur le haut de la tête. Mais quand ils nous tapent dessus, nous empêchent de porter nos projets, ou nous désignent comme illégitimes, ça nous donne encore plus envie de danser sur leur façon de voir le monde, d’en faire de l’histoire ancienne, et d’ouvrir un monde meilleur sans haine ou accaparement des ressources ». Le point d’arrivée est déterminé, la voie reste à tracer.

Mégabassines dans le Puy-de-Dôme : les opposants à la construction des « deux plus grands » projets de France se mobilisent

Entre 4 000 militants, selon la préfecture, et 6 500, d’après les organisateurs, sont mobilisés samedi pour dénoncer la construction de deux réserves d’eau destinées à irriguer 800 hectares dans la plaine de la Limagne.

Publié sur le Monde avec AFP le 11 mai 2024

Pour défendre l’eau comme un « bien commun », les opposants à la construction des « deux plus grandes mégabassines de France » organisent, samedi 11 mai, une grande « randonnée pédagogique, festive et artistique » au départ de Vertaizon, dans le Puy-de-Dôme.

Entre 4 000 participants, selon la préfecture, et 6 500, d’après les organisateurs, sont mobilisés pour dénoncer la construction de deux réserves d’eau – l’une de 14 hectares, l’autre de 18 hectares – destinées à irriguer 800 hectares dans la plaine de la Limagne, où est implanté Limagrain, le quatrième semencier mondial.

Les autorités ont déployé 400 fonctionnaires, assistés par un hélicoptère. Le cortège, qui fait l’objet de mesures de sécurité renforcées en raison de son caractère « sensible », après les violents affrontements survenus lors de la mobilisation de Sainte-Soline (Deux-Sèvres) en mars 2023, s’est élancé peu après 10 h 30. Un petit groupe de cyclistes est parti de la ville voisine de Clermont-Ferrand pour rejoindre les marcheurs.

Pour beaucoup habillés en bleu afin de « symboliser l’eau », à la demande des organisateurs – dont Extinction Rebellion et Les Soulèvements de la Terre –, les manifestants se sont rassemblés dans une ambiance bon enfant, avec deux tracteurs emmenés par la Confédération paysanne. « On est là pour dire qu’on ne veut absolument pas que les travaux commencent », a lancé depuis le parvis de la gare de Vertaizon, point de rendez-vous, Anton Deums, du collectif Bassines non merci (BNM) 63. La foule doit matérialiser dans l’espace le tracé d’une des deux retenues prévues, visant selon, le collectif, à « privatiser plus de 2,3 millions de mètres cubes d’eau pour trente-six exploitations, la plupart liées à Limagrain ».

« Robin des bois à l’envers »

« Dans ce pays, les agro-industriels, les gens qui font de l’argent, sont beaucoup plus entendus, (…) c’est Robin des bois à l’envers », a déclaré à l’Agence France-Presse (AFP) la secrétaire nationale des écologistes, Marine Tondelier, présente parmi les manifestants. « Sur ce genre de projet c’est exactement ça : il n’y a plus assez d’eau, réservons-la pour les plus riches, et laissons les autres se débrouiller », a ajouté Mme Tondelier.

La députée « insoumise » Clémence Guetté, qui a porté un projet de loi de moratoire sur les mégabassines, dénonce pour sa part « l’intention du gouvernement d’accompagner l’agrobusiness au détriment des petits agriculteurs ».

Pour Limagrain, « il est essentiel que les agriculteurs puissent continuer à produire des cultures de qualité en quantité suffisante » et donc « irriguer lorsque cela est nécessaire », au nom de la « sécurité alimentaire » en période de changement climatique.

Ces projets de mégabassines, portés par l’association syndicale libre des Turlurons – qui regroupe trente-six agriculteurs, dont le président de la coopérative Limagrain –, n’ont pas encore fait l’objet d’une demande formelle d’autorisation, et leurs opposants espèrent obtenir un moratoire. Les antibassines accusent Limagrain de vouloir « sécuriser sa production de maïs semence destinée à l’exportation ». Selon la coopérative agricole, les retenues seraient remplies par prélèvements dans l’Allier entre le 1er novembre et le 31 mars, en respectant le débit autorisé de 45,7 mètres cubes par seconde.

« Quand on a commencé les premières manifs, la majorité des gens ne savaient pas ce que c’était qu’une bassine. Aujourd’hui le rapport de force sur ce sujet-là contre la privatisation de l’eau a considérablement augmenté », a estimé auprès de l’AFP Adèle Planchard, des Soulèvements de la Terre.

Les prélèvements d’eau destinés à l’irrigation ont plus que doublé entre 2010 et 2020 en France, pour atteindre 3,42 milliards de mètres cubesen 2020, selon un rapport de la chambre régionale de la Cour des comptes de Nouvelle-Aquitaine, publié en juillet 2023.

Le projet de loi agricole actuellement examiné au Parlement, élaboré par le gouvernement en réponse à la crise de cet hiver et aux revendications des syndicats agricoles, prévoit de faciliter les constructions d’ouvrages d’irrigation comme les bassines. Le texte vise l’« accélération des contentieux » en cas de recours contre des projets de stockage d’eau.

Face aux inondations, l’urgence de repenser l’aménagement du territoire

Publié sur Reporterre le 22-07-2021

Les récentes inondations en Allemagne, Belgique et dans le nord-est de la France questionnent notre capacité à s’en protéger. Pour cinq expertes interrogées par Reporterre, il est impératif de repenser l’aménagement du territoire. La preuve en sept points.

Dans la semaine du 14 juillet, l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, la France et la Suisse ont connu des cumuls de pluie exceptionnels. Des inondations meurtrières ont endeuillé l’Allemagne et la Belgique, où les habitants, une semaine après, sont encore sous le choc, comme nous le racontons. En France aussi, la question de l’adaptation aux inondations se pose : il est urgent de repenser l’aménagement du territoire.


«Cette inondation dépasse déjà notre imagination, quand nous voyons ses effets.» Tels ont été les mots de la chancelière allemande Angela Merkel, mardi 20 juillet, alors qu’elle venait soutenir les sinistrés et les secouristes à Bad Münstereifel, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Pendant ce temps, la Belgique rendait hommage aux victimes des inondations du 14 et 15 juillet, dans l’est du pays et la région de Liège; avec une minute de silence marquée par les larmes du roi Philippe.

Ces événements frappent par les images édifiantes qu’ils laissent derrière eux — habitations emportées par les flots, glissements de terrain, etc. — et un bilan humain déjà lourd : 169 morts décomptés en Allemagne et 31 en Belgique, portant à 200 le total de décès en Europe. Des chiffres encore très provisoires, des dizaines de personnes étant encore portées disparues dans les deux pays. Et ces catastrophes sont vouées à se reproduire : «Cela ne fait aucun doute, certifie à Reporterre Emma Haziza, hydrologue et fondatrice du centre de recherche Mayane. Des épisodes extrêmes se sont déjà produits par le passé et avec le changement climatique nous battons chaque année des records de chaleur, qui favorisent les masses d’air extrêmement chaudes pouvant contenir plus d’humidité.»

«Il est nécessaire de s’adapter très vite et autant que possible»

En Europe, les inondations intenses sont de moins en moins rares. Selon le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), celles-ci sont responsables des deux tiers des dommages et des coûts liés aux catastrophes naturelles, lesquelles «augmentent depuis 1980 en raison des activités humaines et de l’accroissement de la fréquence et de la gravité des inondations».

La France, dont le nord-est a aussi eu les pieds dans l’eau ces derniers jours, n’est et ne sera pas épargnée. L’inondation est le risque naturel le plus fréquent sur le territoire, avec 17,1 millions de personnes exposées aux inondations et 1,4 million de personnes exposées aux submersions. Il représente environ 55% des sinistres (hors automobiles), contre seulement 36% pour la sécheresse, d’après le bilan 1982-2019 de la Caisse centrale de réassurance.

Des épisodes récents restent gravés dans les mémoires. Dans le département des Alpes-Maritimes, les intempéries d’octobre 2020 ont englouti des ponts, des routes et des maisons, en laissant certains villages coupés du monde, comme Saint-Martin-Vésubie. Dans l’Aude, les crues du 15 octobre 2018 ont fait 15 morts et 99 blessés. Les inondations des 3 et 4 octobre 2015, dans les Alpes-Maritimes, ont causé vingt décès.

Au-delà du bilan humain, le coût des inondations est non négligeable. En 2019, les dommages assurés étaient estimés entre 530 et 690 millions d’euros, uniquement pour les inondations, selon la Caisse centrale de réassurance. Ce montant a dépassé à neuf reprises le seuil de 1 milliard d’euros, sans pour autant tenir compte les pertes agricoles — soumises au régime des calamités agricoles —, les pertes d’exploitation liées au tourisme, ni les infrastructures publiques, puisque l’État est son propre assureur.

«Les dernières inondations, et les gigantesques qui se dessinent, nous racontent un nouveau monde où les aléas climatiques ne sont pas maîtrisables, estime Emma Haziza. Il est nécessaire de s’adapter très vite et autant que possible, plutôt que de simplement décompter nos morts.»

Mais comment se protéger au mieux des inondations, désastre humain et financier, outre la nécessaire décarbonation de nos sociétés? C’est la question que Reporterre a posée à cinq expertes. Résultat : il faut repenser l’aménagement du territoire en prenant en compte l’éventualité d’événements critiques.

  • Ne plus construire en zones inondables

«Ces cinquante dernières années, nous n’avons pas du tout aménagé notre territoire en intégrant le risque d’inondation», déplore Emma Haziza. Selon une étude publiée en 2012 par le ministère de l’Écologie, plus de 17 millions d’habitants et 1 emploi sur 3 sont exposés aux différentes conséquences des inondations par débordement des cours d’eau. «Avec un quart des habitants français déjà exposés à ces risques, l’urgence est de ne pas aggraver la situation actuelle et d’arrêter de construire sur les zones d’expansion de crue», estime Stéphanie Bidault, directrice du Centre européen de prévention de risque d’inondation (Cepri). En France, des outils juridiques existent : les plans de prévention du risque inondation (PPRI) permettent d’évaluer les zones exposées aux inondations et proposent des mesures pour y faire face. «Dans les cas les plus extrêmes, l’État peut imposer l’inconstructibilité», dit Mathilde Gralepois, maîtresse de conférences en aménagement-urbanisme à l’université de Tours.

  • Délocaliser les personnes les plus exposées

En plus d’interdire de nouvelles constructions dans les zones inondables, si les aléas sont trop grands, il est parfois nécessaire de détruire un bien situé en zone rouge. «Ce travail est mené en France lorsque la vulnérabilité est importante et que l’on sait que les personnes risquent de ne pas survivre, explique Emma Haziza. Cela a été le cas après les inondations de 1988 à Nîmes, en 2002 dans le Gard, ou encore après la tempête Xynthia en 2010

Néanmoins, l’État «n’est pas en capacité d’indemniser partout et tout le monde, parce que beaucoup de gens sont exposés, et interdire toute vie dans tous les endroits inondables est impossible quand on voit l’ampleur des zones en prise avec ce risque», précise Céline Perherin, ingénieure au Cerema. Et des zones d’ombre persistent dans la cartographie des risques, compliquant ainsi l’identification des lieux exposés : «La France possède un chevelu hydrographique extrêmement dense, dit Stéphanie Bidault. Nous avons des connaissances assez précises sur les grands fleuves et les grandes rivières, mais moins sur les petits cours d’eau ou les rus. On peut donc vivre en zone inondable sans le savoir.»

  • Stopper l’imperméabilisation et l’appauvrissement des sols

Pour mieux se prémunir des inondations, «les objectifs de zéro artificialisation nette des sols doivent être pris à bras le corps», selon Florence Habets, hydroclimatologue et directrice de recherche au CNRS. «L’eau a en effet plus de mal à s’écouler dans les zones bétonnées, explique Mathilde Gralepois. Lorsqu’elle tombe sur des sols imperméables, elle s’écoule vers le point le plus bas. Son accumulation peut déstabiliser des ouvrages, des ponts ou des routes, inonder des quartiers, réduire à néant des systèmes de transport et de communication. Il est possible de revégétaliser la ville, mais ce n’est pas suffisant.»

(suite de l’article sur le site)