Synthèse du décryptage de ce projet, fait par la CIMADE
Le projet de loi Asile Immigration, s’il est adopté par le parlement, va considérablement dégrader la situation de nombreux étrangers en demande d’asile ou de titre de séjour.
Ce projet de loi instaure des mesures de contrôle et de tri pour empêcher l’entrée et favoriser l’expulsion.
Article 13 de la déclaration universelle des droits de l’homme illustré par Elpuentea
I- Réduire les délais d’instruction et multiplier les procédures accélérées- Articles 5 à 8
Le délai d’appel à la CNDA passerait de 30 à 15 jours.
Sous couvert d’efficacité administrative, il s’agit d’exclure les personnes les plus fragiles, les moins entourées.
A savoir : en 2017, 41 % des demandeurs d’asile étaient en procédure normale, 21 % en procédure accélérée et 38 % sous le règlement de Dublin.
II- Accueillir sous surveillance – Article 9
Le projet de loi prévoit de répartir et cantonner les demandeurs d’asile dans certaines régions pour mieux les contrôler.
L’allocation ADA serait conditionnée par la résidence dans cette région, sans pour autant garantir l’hébergement.
Les centres d’hébergement seraient obligés de fournir à l’OFII la liste des personnes qu’ils logent, liste qui pourrait servir aux expulsions.
A savoir au sujet de l’hébergement des demandeurs d’asile en 2017 :
47 % étaient hébergés dans le cadre du dispositif
45 % n’étaient pas hébergés mais percevaient l’ADA
8 % n’avaient rien
III-Porter la durée possible de rétention à 90 jours, voire à 135 jours – Article 16
La privation de liberté est inutile : elle génère de la souffrance, mais n’a pas d’incidence significative sur le nombre d’expulsion.
La rétention pour situation irrégulière sur le territoire est une atteinte aux droits fondamentaux des personnes.
A savoir que la France a déjà été condamnée à 6 reprises par la cour européenne des droits de l’homme pour rétention de mineurs.
IV- Expulser sans attendre la décision du juge des libertés et de la détention (JLD) – Article16
Le JLD contrôle la procédure de rétention dans les 48 premières heures de rétention.
Il est désormais question de revenir à l’intervention du JLD dans un délai de 5 jours, comme ce fut le cas avec la loi Besson.
Cela pourrait conduire à des expulsions sans audience préalable devant un juge.
V- Allonger la retenue dans un commissariat de police qui passerait de 16H à 24 H – Article 19
Lorsque la police soupçonne un séjour irrégulier, elle peut retenir la personne pour vérification du droit au séjour.
Aligner la durée de la retenue administrative sur celle de la garde à vue revient à assimiler le séjour irrégulier à un délit, ce qu’il n’est pas au regard de la cour de justice européenne.
VI- Contrôler en assignant à résidence – Articles 11 à 14
L’assignation à résidence est présentée comme une mesure alternative à la rétention.
Le projet de loi prévoit sa généralisation : toutes celles et ceux qui se voient refuser leur demande de titre de séjour ou d’asile pourraient être assignés à résidence, que ce soit chez eux ou dans un lieu d’hébergement.
Leur expulsion pourrait donc avoir lieu à tout moment.
VII- Bannir de l’espace Schengen- Articles 11 et 12
Si une personne sous le coup d’une OQTF se maintient en France, elle se verrait systématiquement appliquée une mesure d’interdiction de retour sur le territoire. Rester en France malgré le refus du dossier par l’administration signifiera une vie de clandestinité et cela pourrait concerner des milliers de personnes.
A cela s’ajoute une interdiction de circulation pour des personnes étrangères, mais qui sont en situation régulière en Europe. Cette interdiction peut être de trois ans, modulable en fonction de la situation de la personne.
VIII- Banaliser l’usage de la Visioconférence dans de multiples procédures- Articles 6-9-12-16
La Visioconférence pourra être utilisée sans le consentement de la personne devant la CNDA, devant le JLD, en centre de rétention…
L’avocat n’est plus tenu d’être aux côtés des personnes, mais pourrait rester avec le juge au tribunal ;
Autre mesure : le tribunal pourrait être délocalisé directement au centre de rétention.
De manière évidente, les personnes étrangères sont considérées comme des justiciables de seconde zone.
IX- Reconnaître et « en même temps » limiter le droit de déposer deux demandes en parallèle : titre de séjour et demande d’asile – Article 20
La demande de titre de séjour serait limitée par un délai fixé, qui ne pourra pas être dépassé sauf circonstances nouvelles.
De nombreuses personnes qui ont fait leur vie en France ne pourraient plus déposer de demande de titre de séjour, faute de circonstances nouvelles.
Par ailleurs, les Dublinés ne seraient plus concernés par ce droit de double demande.
X-Complexifier la procédure de reconnaissance d’enfants français – Article 27
Cela concerne les couples non mariés : le parent français devrait faire la preuve de sa contribution à l’éducation et à l’entretien de l’enfant pour que le parent étranger puisse déposer une demande de titre de séjour.
Les enfants dont le parent français est absent seraient doublement pénalisés, d’abord par l’absence du parent, puis par l’impossibilité de l’autre parent de régulariser sa situation.
Ce qui n’est pas abordé dans le projet de loi :
- Rien sur les réponses à apporter à des personnes qui ont subi des parcours migratoires traumatisants
- Rien sur la situation des personnes sans papiers ou aux « droits incomplets » qui vivent dans l’angoisse et la précarité, et dont l’expulsion est de toute évidence irréaliste et humainement inconcevable.
- Rien sur la situation des mineurs isolés devenant majeurs
- Rien sur la réponse à apporter aux réfugiés climatiques qui seront de plus en plus nombreux à frapper à notre porte dans les années à venir
- Rien sur la solidarité qui, au lieu d’être criminalisée, devrait plutôt être encouragée.
- Rien sur l’enfermement des enfants en centre de rétention (275 en 2017.)
- Rien sur la régularisation des travailleurs sans papiers, alors que le séjour des travailleurs riches ou diplômés est favorisé… Et pourtant, tout le monde sait que des secteurs entiers de l’économie vivent grâce aux « sans papiers » : bâtiment, sécurité, nettoyage, restauration.
La Ligue des Droits de l’Homme, aux côtés des associations humanitaires, attend de l’État des réponses dignes, humaines et respectueuses des droits.
Seule la mise en place d’une politique nationale de l’accueil peut faire en sorte que Blida n’existe plus en 2018 .
Hélène LECLERC