La Malédiction d’être fille

 

Les créateurs en France imaginaient être à l’abri des poursuites pour pédophilie sur les « filles » au nom de leur statut d’artiste , mais ce n’ est plus le cas, grâce au courage de leurs victimes qui désormais témoignent : Après Flavie Flament qui dénonce son viol à 13 ans par David Hamilton , dans son récit  « La consolation » ,  celui de Vanessa Springora, devenue à 13 ans égérie sexuelle de Gabriel Matzneff, ce qu’elle décrit dans « Le Consentement »,  voici qu’ Adèle Haenel vient aussi fracasser l’image de deux cinéastes accusés de viols sur mineurs : Christophe Ruggia dont elle est la victime directe et Roman Polanski que l’on vient de couronner aux César.

Les petites filles ont grandi et se rebiffent !

Mais hors du monde de l’art et des médias, ce n’est hélas pas facile de dénoncer la condition des  » filles » victimes de violence sexuelle en France comme l’enquête suivante nous le montre.

Contribution à la réflexion sur la condition féminine

MP Tournier (LDH Pertuis Sud Luberon) présente
de larges extraits de l’essai « La Malédiction d’être fille »
de Dominique Sigaud. Édition Albin Michel, 2019.

En publiant « La Malédiction d’être une fille », éditions Albin Michel, en 2019, Dominique Sigaud, femme grand reporteur et essayiste primée pour son travail sur le Rwanda en 1996 et l’ensemble de son œuvre par la Société des Gens de Lettres en 2018, ajoute une pierre à l’édifice de la dénonciation de crimes contre l’humanité en s’intéressant au sort des « filles » dans le monde et plus particulièrement en France. En effet nous sommes conscients des violences faites aux femmes, mais n’oublions pas qu’avant de devenir femmes, de nombreuses petites filles subissent des violences parfois extrêmes et ce depuis leur conception. Les récentes dénonciations de violences exercées sur des mineures dans la société française, et plus spécifiquement dans le monde intellectuel et artistique, à travers les affaires récemment médiatisées, nous y renvoient cruellement.

Je vous présente deux volets de l’enquête de Dominique Sigaud afin qu’on ne puisse plus dire « qu’on ne savait pas ». Que ce soit un encouragement à la lire et à  lutter contre cette criminalité qui touche les plus vulnérables d’entre nous .

Dans son long préambule expliquant sa démarche Dominique Sigaud présente un terrible constat constat sous le titre :

VIOLENCES FAITES AUX FILLES DANS LE MONDE

Elle rappelle, p 24, que « la violence faite aux filles est un invariant de l’histoire humaine et une réalité terriblement contemporaine. Ce sont des faits. Des actes. Tous les continents sont touchés, toutes les civilisations, cultures, religions, classes sociales. D’autant plus terribles qu’ils s’accompagnent de discours les justifiant. Qu’ils sont le fait d’adultes ayant autorité sur ces mineures et sont l’objet de dénis puissants. » (p 25)

Dans son préambule, Dominique Sigaud fait un rappel glaçant, en vrac, de la violence mondiale exercée contre les filles qu’annonce le sous-titre programmatique (p.15) :

« Foeticide, filiacide, inceste. Mutilation sexuelle. Mariage d’enfants. Viol. Traite. Esclavage domestique. Esclavage sexuel. Prostitution. Meurtre dit « d’honneur ».

« 1 Fille sur 5 dans le monde subit des violences sexuelles avant 18 ans, en Occident comme ailleurs.

Dans certains pays la proportion est de 1 sur 3, voire 1 sur 2.

Tous les ans, 1 fille sur 10 est victime de viol ou d’autres actes sexuels forcés.

En France, 40% des viols et tentatives de viol déclarés concerneraient des mineurs de moins de 15 ans.

Au Royaume-Uni, 21% des filles de moins de 16 ans (1 sur 5) ont été victimes d’abus sexuels.

Personne ne sait combien de filles dans le monde sont soumises à l’inceste, on sait juste que jusqu’à 21% des femmes dans certains pays ont signalé avoir été victimes d’abus sexuels avant 15 ans, 1 sur 5 ; une grande partie de ces abus sont incestueux.

A force de foeticide (supprimer le fœtus) et de filiacide (tuer sa propre fille), 160 millions de filles manquent en Asie, ce qui en fait le continent le plus masculin du monde.

Pour la première fois en 2016, le Centre asiatique pour les droits de l’homme a évalué à environ 1,5 million les fœtus féminins éliminés chaque année en raison de leur genre.

Personne ne sait combien de mères sont forcées chaque année de tuer leur fille de leurs propres mains, personne n’a encore cherché à le savoir ; elles sont des centaines de milliers.

Il meurt chaque année de malnutrition et mauvais traitements plus de 1 million de bébés filles qui auraient survécu s’ils avaient été des garçons.

Plus de 200 millions de filles dans le monde sont victimes de mutilations sexuelles (clitoris et lèvres coupées), 66% des 12 millions de Soudanaises sont infibulées (vagin cousu).

60 millions de filles sont victimes de violences sexuelles à l’école et sur le chemin de l’école, 12% des filles (1 sur 9) sont mariées avant l’âge de 15 ans.

100 000 enfants sont victimes de traite sexuelle aux Etats-Unis.

Les mineures représentent plus de 20% des victimes d’exploitation sexuelle forcée. »

Dominique Sigaud commente plus loin, p.25, cet insupportable état des lieux : « Il faut parfois mettre bout à bout pour voir. Etre capable de tout regarder. Quand on met bout à bout les violences faites aux filles alors que naît le XXIe siècle et non le IIe, quand on les regarde sur tous les continents, dans les campagnes et les villes, chez les très pauvres et les riches, les noirs, jaunes, blanches, rouges, et toutes les autres, chrétiennes, musulmanes, bouddhistes, athées, on comprend qu’il se passe quelque chose. Qu’à la surface de la terre court une espèce de peste obligeant les filles à la prostitution, à l’humiliation, à la dépendance extrême, à l’impossibilité de se doter d’un corps, d’une voix, d’une existence à soi, pour soi, en son nom propre. C’est maintenant à Bombay et à Paris, au Texas et au Mexique, en Chine et en Arabie Saoudite, en Egypte et tout au long de l’Afrique. Ça empire dans certains pays, même si d’autres font leur possible pour que ça s’amenuise. Ça se compte en centaines de milliers de morts, de sexes brutalisés, de viols. C’est quotidien.

C’est tabou encore le plus souvent. Sous le manteau. Dans le secret. » (p.25)

 

Puis l’essai de Dominique Sigaud se divise en deux parties : la première est consacrée aux « violences le long de l’enfance » où elle passe en revue dans le monde les multiples manières d’exercer les violences sur les filles ; la seconde partie propose une présentation géographique : « Une géographie des violences » dans laquelle elle décrit les violences contre les filles dans certains pays : France, Etats-Unis, Inde, Egypte.

La situation en France est catastrophique :

« En France 40% des viols et tentatives de viols déclarés concerneraient des filles de moins de 15 ans. En France, il y aurait chaque année presque 150 000 viols et tentatives de viol sur mineures soit 300 à 400 par jour. Plus que sur des majeurs. En fait, on ne sait pas. » (p.169)

« La France est, après les Etats-Unis, et avec le Royaume- Uni, selon le dernier classement de l’UNICEF sur « les violences sexuelles subies avant 15 ans », le pays occidental le plus touché par les violences sexuelles sur mineures. La France, et non pas l’Italie ou la Grèce méridionales. Mais le pays des grands idéaux, trop idéal peut-être pour lancer des études qui permettraient d’en avoir le cœur net, n’a toujours pas mis en place , sur les questions de l’inceste, des viols, de la prostitution et des mutilations, les outils  des outils qui permettraient de savoir, d’établir des statistiques, et de là de former les réponses publiques utiles.(…)

En novembre 2018 la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), organisme indépendant, finit par s’en inquiéter publiquement : « Lutte contre les violences sexuelles : une urgence sociale et de santé publique, un enjeu pour les droits fondamentaux » ; «  il est à noter que les différentes enquêtes sous-estiment le nombre total de viols par an (…). La plupart des victimes de violences sexuelles déclarent ne pas avoir été protégée et ne pas non plus avoir  bénéficié d’une prise en charge adaptée, malgré le devoir de l’Etat d’agir avec la diligence nécessaire. »

Dominique Sigaud rappelle que la seule étude nationale fût lancée en 2011 suite à une préconisation insistante de l’Europe, or elle est incomplète. « Pourtant cette enquête « Violences et rapport de genre : contextes et conséquences des violences subies par les femmes et les hommes« , établit pourtant que 40% des viols et tentatives de viol subis par des femmes l’ont été avant leurs 15 ans et 16% d’entre eux entre 15 et 18 ans. Pire encore, le taux de viols et tentatives de viols est de 27% avant leurs 10 ans et 23,3% pour les autres agressions sexuelles. » (p170)

 

Plus loin elle souligne que « l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales » (ONDRP) estime que moins de 4% des viols sur mineurs font l’objet de plaintes ; 96% n’en font donc pas l’objet. Or en 2017, 8788 plaintes ou signalements pour viols sur mineures ont été enregistrés. S’ils représentent 4% des faits, cela signifie qu’il en reste 90 000 non enregistrés, soit environ 240 par jour ! (p 171)

Dominique Sigaud produit des statistiques plus qu’alarmantes :

« Selon l’étude menée en 2015 par l’association « Mémoire traumatique et victimologie » avec l’appui de L’UNICEF France, « Si l’on croise les données de l’enquête CSF (Contexte de la sexualité et France) avec celles de l’Observatoire national des violences faites aux femmes, on obtient les chiffres suivants : environ 123 756 filles de moins de 18 ans seraient victimes d’un viol ou d’une tentative de viol chaque année. »  Soit 340 par jour. Ces chiffres coïncident à peu près aussi avec d’autres, repris dans le rapport sur le viol remis à l’Assemblée Nationale en février 2018 : les forces de l’ordre ont enregistré en 2016, 19 700 plaintes de victimes mineures suite à des violences sexuelles, dont 7050 pour viol (et 12 650 pour harcèlement et agression sexuels). Or moins de 10% des faits font l’objet d’une plainte. Le chiffre noir, c’est-à-dire la part de faits criminels jamais passés par le crible de la justice, est de 90%, confirmé le CNCDH.

On retombe donc bien en effet sur un chiffre d’environ 120 000 viols et tentatives de viol sur mineures chaque année, soit, si je calcule bien, 328 par jour. Pas de quoi lancer de vraies enquêtes en effet. Sachant cela, qui plus est, le gouvernement continue à ne publier que des chiffres sur les viols après 18 ans, comme c’est le cas de la MIPROF. C’est-à-dire qu’il laisse de côté 56% des viols et tentatives de viol. C’est-à-dire qu’il laisse de côté les abus sexuels sur les enfants. » (p 171- 172).

En sachant qu’en France, contrairement à la législation de nombreux pays et des préconisations européennes l’inceste n’est pas réprimé en tant que tel…

Je vous laisse découvrir ce document extrêmement important de Dominique Sigaud qui doit contribuer à une prise de conscience du statut de la fille dans le monde et dans notre pays. Le manque de considération, de respect et surtout d’humanité à l’égard des jeunes victimes est tel qu’on doit admettre une démission collective, une lâcheté devant notre acceptation et, pire, notre collaboration avec le système patriarcal qui impose cette cruauté à l’égard de la femme.

La Ligue des Droits de l’Homme engagée dans la lutte contre les violences faites aux femmes, n’oublie pas que cela doit aussi impliquer les « filles victimes de violences », encore plus fragiles et « invisibles »   dont le statut n’est pas reconnu dans notre pays comme dans le monde.

Merci au livre de Dominique Sigaud !

 

 

Merci au livre de Dominique Sigaud !