Violences

par Rémy Dufaut, 04/06/2020

Autant que l’on puisse tenter de prendre ses distances avec l’actualité, celle-ci n’étant pas vraiment de nature à nous apporter la sérénité dont nous aurions tellement besoin en ces temps troublés, elle ne peut nous échapper, à moins d’avoir opté pour une retraite sous le soleil de l’île caliente d’Ibiza ou dans un ancien monastère retiré des collines piémontaises, voire pour une déconnexion digitale totale dans la campagne british… ce qui ne nous sera vraisemblablement possible qu’à partir du 15 juin prochain.

En attendant, je ne peux m’empêcher d’établir un parallèle entre les violences faites aux femmes et les violences policières exercées envers les manifestants, en particulier lorsqu’ils affichent ouvertement leur pacifisme, et les habitants des banlieues, particulièrement défavorisés durant la crise sanitaire. Si la fréquence des unes semble avoir augmenté de 30 % durant la période de confinement, en ce qui concerne les autres un Français sur  trois ne se sentirait pas en sécurité face à la police.

Ce qui nous interroge sur la nature humaine, les conjoints ou ex-conjoints violents autant que les membres des forces de l’ordre demeurant, jusqu’à preuve du contraire, dotés de facultés intellectuelles au moins suffisantes pour considérer leurs victimes comme des êtres qui méritent de vivre au même titre qu’eux.

Le documentaire choc diffusé ce mardi 2 juin sur France 2, après une année d’enquête menée par la rédaction du Monde, démontre clairement que les auteurs de féminicides peuvent être doués d’une sensibilité comme tout le monde et que rien ne les prédispose a priori, même s’ils portent eux-mêmes une histoire parfois compliquée, à devenir des meurtriers.  « Le féminicide, c’est l’étape ultime de la domination masculine ». «Le féminicide n’est exercé ni par l’amour ni par la folie, c’est un crime de propriété».

*

Le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a jugé « faux et injustes » les propos de la chanteuse Camélia Jordana qui avaient beaucoup fait réagir, lorsqu’elle a déclaré : « Il y a des milliers de personnes qui ne se sentent pas en sécurité face à un flic, et j’en fais partie ». D’après le sondage IFOP pour l’Express, 43% seulement des Français auraient encore confiance en leur police et, ce qui semble plus grave encore, ils sont 20 % à faire part de leur « inquiétude » et 10 % de leur « hostilité » face aux forces de l’ordre. 

Après la mort à Minneapolis de George Floyd, afro-américain, asphyxié par un policier blanc le 25 mai dernier, et qui provoque depuis de vives émeutes Outre-atlantique, les 4 ans d’enquête sur la mort en juillet 2016 de Adama Traoré lors d’un contrôle de police musclé dans le Val d’Oise n’ont toujours pas établi les causes de son décès, les expertises ne cessant de se contredire. Christophe Castaner a beau promettre des « sanctions exemplaires » pour chaque « faute raciste » dans la police, les citoyens français font toujours les comptes des blessés, à l’issue des diverses manifestations, et des mauvais traitements infligés, lors des contrôles de police souvent effectués « au faciès ».

Le journaliste, écrivain et documentariste, David Dufresne annonce dès 2019, dans son réquisitoire publié sous forme de roman Dernière sommation que « la police a blessé en quelques mois autant de manifestants qu’en vingt ans ». Il a décompté 860 cas, vérifiés et documentés, de violences policières durant les mobilisations de « gilets jaunes » , entre les mois de décembre 2018 et juin 2019. Parmi les 4439 blessés (selon un décompte du ministère de l’Intérieur), (dont 1944 du côté des forces de l’ordre), il dénombre 25 personnes éborgnées, 5 ayant eu une main arrachée, 1 amputé d’un testicule, 1 ayant perdu l’odorat. L’Inspection générale de la Police nationale a initié 313 enquêtes pour soupçons de violences policières. 11 personnes ont perdu la vie en marge de ces manifestations.

Pendant le confinement, plusieurs plaintes ont été déposées pour des violences policières dans le cadre de « contrôles musclés » dans les banlieues, vidéos à l’appui. Fin mars, plusieurs associations, parmi lesquelles Human Rights Watch et la Ligue des Droits de l’Homme, ont alerté le ministère de l’Intérieur sur ces contrôles policiers « abusifs » et des « violences » pour faire respecter le confinement.

Au moins 20 000 personnes, plutôt jeunes en majorité, se sont rassemblées malgré l’interdiction ce 2 juin devant le tribunal de grande instance de Paris, pour dénoncer les violences policières. Il n’y a pas qu’en France et aux États Unis que la colère gronde. Elle se propage également au Canada, en Irlande, au Brésil ou en Palestine.

« Derrière un homme qui tue sa femme, il y a l’échec de toute une société ». « Ces meurtres nous engagent tous. Nous, la société entière ». «L’idée est aussi de dire que derrière un homme qui tue sa femme, c’est toute la société qui n’a pas réussi à l’empêcher et qu’on est tous un peu responsables collectivement», souligne la réalisatrice du documentaire Féminicides.

« Le désir fleurit, la possession flétrit toute chose. » Marcel Proust

Les violences policières en nette progression, les violences tout court, ne sont-elles pas représentatives d’un monde qui va mal  et devant l’évolution duquel on se trouve impuissant ? Maurice Grimaud, préfet de police de Paris en 1968, disait « Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. » La violence d’aujourd’hui n’est-elle pas l’expression de l’impuissance, la marque de la faiblesse des pouvoirs ?

« La violence est le dernier refuge de l’incompétence. » Isaac Asimov

FÉMINICIDES


21:05Mardi 2 juinFRANCE 2

Programme TV sur FRANCE 2

Ce soir

Documentaire (France – 2020)

Féminicides -

Regardez ce mardi 2 juin sur FRANCE 2 à 21:05 le programme « Féminicides » produit en France en 2020. D’une durée de 100 min ce programme est déconseillé aux moins de 10 ans [C2].

En 2019, 150 femmes ont été tuées par leur conjoint ou leur ex-compagnon. Face à ce fléau, les journalistes du «Monde» ont créé une cellule d’investigation au sein de leur rédaction pour décrypter ces féminicides. Avec méthodologie, ils ont mis en évidence un schéma criminel récurrent. Ils ont caractérisé les signaux faibles et forts qui conduisent à ces meurtres de femmes. Ce documentaire analyse cinq cas emblématiques de féminicides. À travers les témoignages de l’entourage des victimes, mais aussi des institutions, il retrace l’évolution de la relation amoureuse de la rencontre jusqu’au meurtre. Ce film alerte ainsi sur l’aveuglement collectif de notre société


https://www.programme-tv.com/television/678412566/feminicides.html e

LA NÉCESSAIRE SOLIDARITÉ AVEC LES PERSONNES LGBT DU MONDE ENTIER

La nécessaire solidarité avec les personnes LGBT du monde entier

Droits LGBTQI+ : l’égalité et la solidarité contre les haines et les violences !

Le 17 mai – Tribune collective, signée par Malik Salemkour “Droits LGBTQI+ : l’égalité et la solidarité contre les haines et les violences !”, publiée sur Libération

PRENDRE SOIN, LE SOUCI DE L’AUTRE

par Jean CAMUS, Sainte Savine, le 6 mai 2020

Un organisme vivant, microscopique, a tout chamboulé de notre vie, dans le monde, au grand dam des dirigeants impuissants, qui n’avaient rien prévu, rien anticipé.

Tous les soirs à 20 heures, un hommage joyeux, festif salue toutes ces personnes médecins, infirmiers, aide-soignants, brancardiers, personnels d’entretien, de ménage qui sont là, au début sans grande sécurité pour eux-mêmes, pour assurer notre propre survie. Merci à elles.

Souvenez-vous, il y a quelques mois, les blouses blanches manifestaient, pour dénoncer la pénurie de matériel, le manque de personnels. Rien n’y a fait, l’exécutif a poursuivi son plan de démantèlement. A quelques jours du déconfinement, l’exécutif n’a toujours pas apporté de précisions concernant le «plan massif», dixit le ministre de la santé O. Véran, «il y aura un plan pour l’hôpital que je ne construirai pas seul», « il y aura un jour d’après pour l’hôpital» (O.Véran le 7 avril). Quelques craintes pointent ici et là. Une leçon à retenir. L’hôpital ne peut être géré comme une entreprise.

Ces métiers hier ignorés, méprisés font l’objet de toute notre reconnaissance; la crise nous a ouvert les yeux. Comme si cela allait de soi en temps ordinaire, on ne prêtait pas attention à ces personnes; il était acquis qu’elles soient là pour nous.

Des chercheuses ont tenu à mettre en avant les valeurs morales des attitudes, des gestes du « service du soin’’, le care. Débats animés, approches sociétales de ce travail de la vie ordinaire, souvent assigné aux femmes et aux groupes souvent les plus défavorisés.

En 2010, M. Aubry a essuyé sarcasmes, moqueries, hostilité même au sein de sa famille politique quand elle a appelé à «une société du care»; une révolution des services publics, une évolution des rapports entre les individus. Il ne s’agit pas tant de «soigner» que de «prendre soin», donner à l’autre de l’attention, faire preuve de sollicitude, être là pour l’autre au quotidien dans le souci de son respect, de son bien-être. Mais la crise sanitaire a bousculé cette relation, le soignant peut tout à la fois être une aide mais aussi une menace potentielle à son corps défendant. Cela prend tout son sens quand la confiance cimente les rapports entre les individus. Dans d’autres situations, le trop de l’autre, l’excès de proximité dans le temps et l’espace génèrent des conflits «les gens ne se supportent plus avec le confinement». Il n’y a plus cet espace pour soi, ce temps pour soi.

Des travaux et des recherches montrent que ces critères sont souvent marqués par le genre. Mais selon des féministes, cette aptitude à la sollicitude n‘est pas innée, mais assignée dès la naissance pour le bien être des autres, même si bien souvent ce souci des autres est porté par les femmes, dans des activités sociales dévalorisées.

Ces fonctions sont dévalorisées, ignorées parce que la société s’est construite sur la négation et l’invisibilité de la dépendance au soin. C’est une limite à une vie libre et autonome. Mais l’autonomie revendiquée dépend de quantité de personnes qui prennent en charge une grande partie du quotidien. Ce n’est que confronté à un changement de vie radicale, maladie, handicap, que l’on prend conscience de cette dépendance.

Affirmer l’importance du «care» – de nombreux travaux -, c’est mettre l’accent sur les rapports de domination et les inégalités qui les accompagnent. A l’origine, les gestes et accompagnement nettement circonscrits à la vie domestique étaient l’apanage des femmes. Quand ces fonctions ont envahi l’espace public, les femmes y sont restées majoritaires. Surtout dans le domaine médical. «Les métiers soignants d’aujourd’hui sont les héritiers de l’économie charitable du soin et de l’assistance au XIX siècle, avec l’emploi gratuit ou peu rémunéré d’une majorité de femmes», un engagement valorisé à l’époque pour les jeunes filles «la notion de vocation» qui permettait de «justifier des conditions dégradées». (Mathilde Rossigneux-Méheust).

La professionnalisation s’est faite à bas bruit, dans une indifférence générale, ça n’était pas valorisant, valorisé de mettre en avant l’attention à autrui, l’altruisme, l’intérêt porté à l’autre dans le souci de son bien-être.

Dans les hôpitaux, les Ehpad, ce sont en majorité des femmes qui sont auprès des malades du Covid-19 ou autres personnes dépendantes. Dans les supermarchés, les caissières, les agents d’entretien sont des femmes. Les métiers de services à la personne, aides à domicile, aides ménagères, nounous…. sont occupés majoritairement par des femmes. Ces métiers, même quand ils sont occupés par des hommes, restent dévalorisés et peu payés, souvent assurés par des groupes défavorisés de la population, souvent maintenant des immigrés.

Cet engagement du souci quotidien d’autrui, cette attention portée uniquement pour le bien-être de l’autre ne peuvent s’inscrire dans une éthique libérale d’un modèle économique où dominent la concurrence, la compétition, l’individualisme, la valorisation de l’autonomie personnelle, la recherche de profits immédiats. Des initiatives individuelles, nombreuses, spontanées, novatrices émaillent le quotidien, de nouveaux rapports s’établissent, chacun comprenant qu’il a «besoin de l’autre»Les gens découvrent leurs voisins qu’ils ne connaissent pas vraiment. «Prenez soin de vous, prenons soin les uns des autres et nous tiendrons» les mots du care.

La crise aura peut-être cette vertu de nous ouvrir les yeux et nous donner l’envie de réenchanter le monde.

Références:

Pascale Molinier: Le care monde. Trois essais de psychologie morale (Lyon, ENS Editions 2018)

Sandra Laugier: Le souci des autres. Ethique et politique du care (Edition de l’EHESS, 2005)

Mathilde Rossigneux-Méheust: Vie d’hospices, Vieillir et mourir en institution au XIX siècle (Champ Vallon 2018)

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