Face aux inondations, l’urgence de repenser l’aménagement du territoire

Publié sur Reporterre le 22-07-2021

Les récentes inondations en Allemagne, Belgique et dans le nord-est de la France questionnent notre capacité à s’en protéger. Pour cinq expertes interrogées par Reporterre, il est impératif de repenser l’aménagement du territoire. La preuve en sept points.

Dans la semaine du 14 juillet, l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, la France et la Suisse ont connu des cumuls de pluie exceptionnels. Des inondations meurtrières ont endeuillé l’Allemagne et la Belgique, où les habitants, une semaine après, sont encore sous le choc, comme nous le racontons. En France aussi, la question de l’adaptation aux inondations se pose : il est urgent de repenser l’aménagement du territoire.


«Cette inondation dépasse déjà notre imagination, quand nous voyons ses effets.» Tels ont été les mots de la chancelière allemande Angela Merkel, mardi 20 juillet, alors qu’elle venait soutenir les sinistrés et les secouristes à Bad Münstereifel, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Pendant ce temps, la Belgique rendait hommage aux victimes des inondations du 14 et 15 juillet, dans l’est du pays et la région de Liège; avec une minute de silence marquée par les larmes du roi Philippe.

Ces événements frappent par les images édifiantes qu’ils laissent derrière eux — habitations emportées par les flots, glissements de terrain, etc. — et un bilan humain déjà lourd : 169 morts décomptés en Allemagne et 31 en Belgique, portant à 200 le total de décès en Europe. Des chiffres encore très provisoires, des dizaines de personnes étant encore portées disparues dans les deux pays. Et ces catastrophes sont vouées à se reproduire : «Cela ne fait aucun doute, certifie à Reporterre Emma Haziza, hydrologue et fondatrice du centre de recherche Mayane. Des épisodes extrêmes se sont déjà produits par le passé et avec le changement climatique nous battons chaque année des records de chaleur, qui favorisent les masses d’air extrêmement chaudes pouvant contenir plus d’humidité.»

«Il est nécessaire de s’adapter très vite et autant que possible»

En Europe, les inondations intenses sont de moins en moins rares. Selon le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), celles-ci sont responsables des deux tiers des dommages et des coûts liés aux catastrophes naturelles, lesquelles «augmentent depuis 1980 en raison des activités humaines et de l’accroissement de la fréquence et de la gravité des inondations».

La France, dont le nord-est a aussi eu les pieds dans l’eau ces derniers jours, n’est et ne sera pas épargnée. L’inondation est le risque naturel le plus fréquent sur le territoire, avec 17,1 millions de personnes exposées aux inondations et 1,4 million de personnes exposées aux submersions. Il représente environ 55% des sinistres (hors automobiles), contre seulement 36% pour la sécheresse, d’après le bilan 1982-2019 de la Caisse centrale de réassurance.

Des épisodes récents restent gravés dans les mémoires. Dans le département des Alpes-Maritimes, les intempéries d’octobre 2020 ont englouti des ponts, des routes et des maisons, en laissant certains villages coupés du monde, comme Saint-Martin-Vésubie. Dans l’Aude, les crues du 15 octobre 2018 ont fait 15 morts et 99 blessés. Les inondations des 3 et 4 octobre 2015, dans les Alpes-Maritimes, ont causé vingt décès.

Au-delà du bilan humain, le coût des inondations est non négligeable. En 2019, les dommages assurés étaient estimés entre 530 et 690 millions d’euros, uniquement pour les inondations, selon la Caisse centrale de réassurance. Ce montant a dépassé à neuf reprises le seuil de 1 milliard d’euros, sans pour autant tenir compte les pertes agricoles — soumises au régime des calamités agricoles —, les pertes d’exploitation liées au tourisme, ni les infrastructures publiques, puisque l’État est son propre assureur.

«Les dernières inondations, et les gigantesques qui se dessinent, nous racontent un nouveau monde où les aléas climatiques ne sont pas maîtrisables, estime Emma Haziza. Il est nécessaire de s’adapter très vite et autant que possible, plutôt que de simplement décompter nos morts.»

Mais comment se protéger au mieux des inondations, désastre humain et financier, outre la nécessaire décarbonation de nos sociétés? C’est la question que Reporterre a posée à cinq expertes. Résultat : il faut repenser l’aménagement du territoire en prenant en compte l’éventualité d’événements critiques.

  • Ne plus construire en zones inondables

«Ces cinquante dernières années, nous n’avons pas du tout aménagé notre territoire en intégrant le risque d’inondation», déplore Emma Haziza. Selon une étude publiée en 2012 par le ministère de l’Écologie, plus de 17 millions d’habitants et 1 emploi sur 3 sont exposés aux différentes conséquences des inondations par débordement des cours d’eau. «Avec un quart des habitants français déjà exposés à ces risques, l’urgence est de ne pas aggraver la situation actuelle et d’arrêter de construire sur les zones d’expansion de crue», estime Stéphanie Bidault, directrice du Centre européen de prévention de risque d’inondation (Cepri). En France, des outils juridiques existent : les plans de prévention du risque inondation (PPRI) permettent d’évaluer les zones exposées aux inondations et proposent des mesures pour y faire face. «Dans les cas les plus extrêmes, l’État peut imposer l’inconstructibilité», dit Mathilde Gralepois, maîtresse de conférences en aménagement-urbanisme à l’université de Tours.

  • Délocaliser les personnes les plus exposées

En plus d’interdire de nouvelles constructions dans les zones inondables, si les aléas sont trop grands, il est parfois nécessaire de détruire un bien situé en zone rouge. «Ce travail est mené en France lorsque la vulnérabilité est importante et que l’on sait que les personnes risquent de ne pas survivre, explique Emma Haziza. Cela a été le cas après les inondations de 1988 à Nîmes, en 2002 dans le Gard, ou encore après la tempête Xynthia en 2010

Néanmoins, l’État «n’est pas en capacité d’indemniser partout et tout le monde, parce que beaucoup de gens sont exposés, et interdire toute vie dans tous les endroits inondables est impossible quand on voit l’ampleur des zones en prise avec ce risque», précise Céline Perherin, ingénieure au Cerema. Et des zones d’ombre persistent dans la cartographie des risques, compliquant ainsi l’identification des lieux exposés : «La France possède un chevelu hydrographique extrêmement dense, dit Stéphanie Bidault. Nous avons des connaissances assez précises sur les grands fleuves et les grandes rivières, mais moins sur les petits cours d’eau ou les rus. On peut donc vivre en zone inondable sans le savoir.»

  • Stopper l’imperméabilisation et l’appauvrissement des sols

Pour mieux se prémunir des inondations, «les objectifs de zéro artificialisation nette des sols doivent être pris à bras le corps», selon Florence Habets, hydroclimatologue et directrice de recherche au CNRS. «L’eau a en effet plus de mal à s’écouler dans les zones bétonnées, explique Mathilde Gralepois. Lorsqu’elle tombe sur des sols imperméables, elle s’écoule vers le point le plus bas. Son accumulation peut déstabiliser des ouvrages, des ponts ou des routes, inonder des quartiers, réduire à néant des systèmes de transport et de communication. Il est possible de revégétaliser la ville, mais ce n’est pas suffisant.»

(suite de l’article sur le site)

Les banques françaises, premières financeuses européennes des énergies fossiles en 2020

3800 milliards de dollars : c’est le montant accordé depuis 2016 par les plus grandes banques du monde aux entreprises liées au pétrole, au gaz et au charbon. 295 milliards de dollars de la part des banques françaises, à commencer par BNP Paribas, qui n’ont fait qu’augmenter leurs financements, particulièrement en 2020 (France Inter)

Publié sur lemonde.fr du 24 mars 2021

Entre 2016 et 2020, les financements des entreprises actives dans le pétrole et le gaz apportés par BNP Paribas, Société générale, Crédit agricole, Natixis et Crédit mutuel ont augmenté de 19 % par an en moyenne, dénoncent six ONG dans un rapport.

Les banques nous entraînent-elles vers le « chaos climatique » ? La charge peut paraître violente, mais elle n’est pas totalement infondée. Selon le rapport « Banking on climate chaos », publié, mercredi 24 mars, par six ONG internationales, les soixante plus grandes banques du monde ont accordé 3 800 milliards de dollars (3 213 milliards d’euros) aux entreprises actives dans les énergies fossiles depuis l’accord de Paris sur le climat – le traité international scellé en 2015 après la COP21 pour limiter le réchauffement climatique bien en dessous de 2 °C, et si possible de 1,5 °C.

Parmi elles, les cinq principales banques françaises ont financé ce secteur à hauteur de 295 milliards de dollars. Avec des montants en hausse en 2020, elles sont devenues les plus grands financeurs européens de pétrole, gaz et charbon l’an passé.

A l’échelle mondiale, les banques américaines JPMorgan Chase, Citi, Wells Fargo et Bank of America restent les plus grands financeurs des 2 300 entreprises actives dans les énergies fossiles entre 2016 et 2020. Mais la France est remontée dans le classement, alors que les financements de ses principaux établissements – BNP Paribas, Société générale, Crédit agricole, Natixis et Crédit mutuel – ont presque doublé sur la période : ils sont passés de 45 milliards de dollars en 2016 à 86 milliards de dollars en 2020, soit une hausse de 19 % par an en moyenne, selon le rapport, qui agrège les prêts et les émissions d’actions et d’obligations des banques.

Surtout, les banques françaises – à l’exception de Crédit mutuel – ont accru leur soutien de 36 % en 2020, à rebours de la tendance internationale, à la baisse (− 9 %) du fait de la crise économique liée à la pandémie de Covid-19. Avec 41 milliards de dollars de financements aux énergies fossiles en 2020, BNP Paribas est la banque qui a le plus augmenté ses soutiens l’an dernier au niveau international. De sorte qu’elle s’est classée, en 2020, comme le plus grand financeur européen – dépassant la britannique Barclays – et quatrième mondial de l’industrie des énergies fossiles.

« Pas juste un accident de parcours »

« Alors que les banques françaises ont signé des tribunes et appels pour une relance verte, dans le même temps, elles faisaient des chèques de plusieurs milliards de dollars, sans conditions, aux entreprises qui portent une large responsabilité dans la catastrophe écologique », dénonce Lucie Pinson, la directrice exécutive de Reclaim Finance, ONG spécialisée dans la finance et le climat qui a participé à la rédaction du rapport.

Les SUV, deuxième cause du réchauffement climatique en France, selon WWF

Les SUV ces 4/4 urbains encombrent de plus en plus rues et parking dans les villes, bien plus polluants, plus lourds et plus grands sont une véritable aberration. Ils représentent aujourd’hui 40% des ventes de véhicules neufs et produisent 20% de pollution CO2 en plus… Il faudrait faire tout l’inverse: véhicules légers, sobres, moins polluants et surtout développer les transports en communs.

Publié sur www.wwf.fr

SUV : À CONTRESENS DE L’HISTOIRE

Appelons les décideurs politiques et le secteur automobile à faire reculer les ventes des véhicules surdimensionnés et à proposer des solutions de mobilité plus légères, moins dommageables au climat et plus favorables à notre pouvoir d’achat.

Le SUV, un fléau pour le climat et le porte-monnaie

La voiture moyenne des Français est de plus en plus grosse, coûteuse et polluante. Face à l’urgence climatique, le triomphe du SUV apparaît comme un non sens. Ensemble, faisons le choix d’une mobilité légère.

Le boom de la démesure

« Si rien n’est fait pour inverser la tendance, les SUV pourraient représenter 2/3 des ventes en 2030.

Isabelle Autissier, Présidente du WWF France

SUV est l’acronyme de Sport utility vehicle, littéralement véhicule utilitaire à caractère sportif, en français. Un croisement entre 4×4 et berline, caractérisé par la carrosserie d’un tout-terrain mais destiné à un usage tout à fait ordinaire. Encore symbolique il y a à peine 10 ans, aujourd’hui, ce modèle encombrant est plébiscité dans le monde entier. Dans l’hexagone, les ventes de SUV ont été multipliées par 7 en dix ans et représentent aujourd’hui près de 40 % des ventes de voitures neuves. La tendance est donc à la démesure. 

Depuis 10 ans, nos voitures prennent 1 cm tous les deux ans et 10 kg par an. Nous sommes passés de 1,68 m de large en moyenne en 1996 à 1,78 m en 2016. Côté poids, en 50 ans les véhicules ont gagné 500 kilos. Et si l’on remonte encore un peu plus loin, on constate un alourdissement de plus de 62%. En 1960, nos voitures pesaient encore en moyenne 778 kg, contre plus de 1 262 kilos en 2017. 

En bref, un SUV par rapport à une voiture standard, c’est 200 kg, 25 cm de long et 10 cm de large en plus ! Quels bénéfices cette tendance à l’excès nous procure-t-elle au quotidien ?

Quand la voiture pèse sur le climat et le budget

408€ /an

Les projections montrent qu’en 2035, les SUV représenteront, pour les ménages modestes, un surcoût annuel de 408€ par an.

Un véhicule plus lourd pollue plus car il a besoin de plus de carburant pour déplacer sa masse. Un SUV consomme environ 15% de plus qu’une voiture standard. Ce surpoids combiné à une carrosserie souvent moins aérodynamique induit aussi un surplus de consommation. Du côté du climat, les SUV ont constitué, ces 10 dernières années, la 2ème source de croissance des émissions de CO2 françaises, derrière le secteur aérien. D’après nos projections, la progression des ventes de SUV, dans les prochaines années, est incompatible avec la réalisation des objectifs climatiques de la France pour 2030.

Le SUV pèse aussi sur le budget des ménages car son prix à l’achat est plus élevé que celui d’un véhicule classique. Les frais d’assurance d’un SUV et de ses pneus sont aussi souvent plus importants. La tendance du marché des véhicules neufs se répercute également sur le marché de l’occasion, que les SUV envahissent progressivement. Ainsi, même en seconde main, l’achat d’une voiture est de moins en moins accessible. En 2035, les SUV représenteront, pour les ménages modestes, un surcoût annuel de 408 € par an. Ces nouvelles dépenses contraintes représentent pour eux l’ensemble de leurs dépenses annuelles de santé.

Enfin, s’il procure un sentiment de sécurité parce que la position du conducteur est plus élevée que dans une voiture standard, être au volant d’un SUV s’avère en réalité plus dangereux pour soi… et pour les autres. Les chiffres en attestent. Un piéton a 2 fois plus de risques d’être tué en cas de collision avec un SUV par rapport à une voiture standard. Tandis qu’un conducteur a 10% de risques en plus d’avoir un accident à bord d’un SUV que d’une voiture classique.

Vers une mobilité plus légère

L’urgence climatique n’est plus à démontrer. Pourtant, le SUV roule à contresens.
C’est pourquoi nous appelons les décideurs politiques et le secteur automobile à faire reculer les ventes des véhicules surdimensionnés et à proposer des solutions de mobilité plus légères, moins dommageables au climat et plus favorables à notre pouvoir d’achat. Un premier pas consisterait à renforcer et refonder la fiscalité automobile autour d’un critère poids dans le cadre de l’examen en cours du projet de loi de finances au parlement.  
Plutôt que de pénaliser, demain, des consommateurs encombrés d’une voiture lourde et coûteuse, nous appelons les députés à prendre leurs responsabilités en instaurant un critère poids dans le dispositif de bonus-malus automobile
Le SUV est trop lourd. Il pèse sur le climat et le porte-monnaie des ménages. Le monde d’après a déjà commencé. Il tend vers la légèreté.