L’Assemblée nationale vote un texte qui assimile l’antisionisme à l’antisémitisme

Publié sur francetvinfo.fr

L’Assemblée vote un texte élargissant la définition de l’antisémitisme à l’antisionisme

Le texte, sans valeur contraignante, a été adopté par seulement 154 voix pour, 72 contre, et 43 abstentions.

Comment définir l’antisémitisme ? L’Assemblée nationale a adopté mardi 3 décembre une proposition de résolution LREM soutenue par le gouvernement, mais qui a entraîné un record d’oppositions au sein de la majorité, certains craignant qu’elle empêche toute critique de la politique d’Israël ou « hiérarchise les haines ».

Le texte, sans valeur contraignante, a été adopté par seulement 154 voix pour (LREM et LR principalement), 72 contre (à gauche), et 43 abstentions. Vingt-six députés LREM se sont prononcés contre –du jamais vu dans le groupe majoritaire depuis l’accord de libre échange Ceta (9 contre)–, 22 se sont abstenus, tandis que 84 l’ont validé.

Une définition décriée par des intellectuels juifs

« La haine n’a pas sa place en République, l’intolérance n’a pas sa place en France », a déclaré dans l’hémicycle le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, faisant notamment référence à la profanation le même jour de tombes juives dans un cimetière du Bas-Rhin. « Cette proposition de résolution est une avancée dans notre lutte contre l’intolérance », a ajouté le ministre, qui a aussi dénoncé dans son propos « les atteintes anti-chrétiennes » et « anti-musulmanes ».

Ce texte reprend la définition de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (Ihra), validée par plusieurs pays et appuyée par Emmanuel Macron en février devant le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif). Le président de la République avait alors affirmé vouloir élargir la définition de l’antisémitisme à l’antisionisme.

Une définition « hautement problématique », a estimé pour sa part un collectif de 127 intellectuels juifs du monde entier. « Nos opinions sur le sionisme peuvent être diverses, mais nous pensons tous, y compris ceux qui se considèrent comme sionistes, que cet amalgame est fondamentalement faux. Pour les nombreux juifs se considérant antisionistes, cet amalgame est profondément injurieux », ont-il écrit dans une tribune publiée dans Le Monde (édition abonnés).


« Nous vous prions de ne pas signer et de ne pas soutenir une résolution qui assimile à tort l’antisionisme à l’antisémitisme.

Appel de 125 universitaires juifs à l’Assemblée Nationale

Le 3 décembre sera présenté à l’Assemblée nationale une résolution LREM visant à assimiler la critique du sionisme à un acte antisémite. La Commission nationale des droits de l’homme a écrit à chaque député pour les enjoindre de ne pas le voter. Et un « appel de 125 universitaires juifs » s’est également adressé aux députés pour demander de ne signer ni voter ce texte

27 novembre 2019

Mesdames, Messieurs les députés,

Nous, universitaires et intellectuels juifs, d’Israël et d’ailleurs, dont beaucoup spécialistes de l’antisémitisme et de l’histoire du judaïsme et l’Holocauste, vous écrivons dans la perspective de la proposition de résolution visant à lutter contre l’antisémitisme que l’Assemblée Nationale a mise à l’ordre du jour des discussions pour débat et vote les 3 et 4 décembre prochains.

Nous souhaitons exprimer notre vive préoccupation concernant la montée de l’antisémitisme dans le monde, y compris en France. Nous considérons l’antisémitisme et toutes les autres formes de racisme et de xénophobie comme une menace réelle contre laquelle il convient de lutter avec la plus grande fermeté, et nous exhortons le gouvernement et le parlement français à le faire.

Tout en soulignant fermement cette préoccupation, nous nous opposons à la proposition de résolution sur l’antisémitisme pour deux raisons principales, et nous vous invitons à ne pas apposer votre signature et à ne pas lui accorder votre soutien.

Premièrement, l’exposé des motifs de la proposition de résolution associe l’antisionisme à l’antisémitisme. Il assimile même l’antisionisme à l’antisémitisme en précisant que « critiquer l’existence même d’Israël en ce qu’elle constitue une collectivité composée de citoyens juifs revient à exprimer une haine à l’égard de la communauté́ juive dans son ensemble ».

Avant de poursuivre notre argumentation, nous déplorons que l’exposé des motifs désigne Israël comme “une collectivité composée de citoyens juifs ». Environ 20 pour cent de la population d’Israël sont des citoyens palestiniens, dont la plupart sont musulmans et chrétiens. La désignation choisie occulte et nie leur existence. Nous considérons cette approche comme hautement problématique, compte tenu également de l’engagement de votre pays en faveur d’une définition de la citoyenneté française qui n’est pas basée sur l’ethnicité.

Nos opinions sur le sionisme peuvent être diverses, mais nous pensons tous, y compris ceux qui se considèrent comme sionistes, que l’association de l’antisionisme et de l’antisémitisme est fondamentalement faux. Pour les nombreux juifs se considérant antisionistes, cet amalgame est profondément injurieux.

L’antisionisme est un point de vue légitime dans l’histoire juive, et il a une longue tradition, y compris en Israël. Certains Juifs s’opposent au sionisme pour des raisons religieuses, d’autres pour des raisons politiques ou culturelles. De nombreuses victimes de l’Holocauste étaient antisionistes. Le projet de résolution les déshonore et offense leur mémoire, en les considérant rétroactivement comme antisémites.

Pour les Palestiniens, le sionisme représente la dépossession, le déplacement, l’occupation et les inégalités structurelles. Il est cynique de les stigmatiser comme antisémites parce qu’ils s’opposent au sionisme. Ils s’opposent au sionisme non par haine des Juifs, mais parce qu’ils vivent le sionisme comme un mouvement politique oppressif. Agir ainsi témoigne d’une grande insensibilité et d’une politique de deux poids, deux mesures, sachant qu’Israël nie le droit de la Palestine à exister et mine son existence même.

Il n’y a aucun doute qu’il existe des antisémites parmi les gens qui s’opposent au sionisme. Mais il y a également beaucoup d’antisémites qui soutiennent le sionisme. Il est donc inapproprié et totalement inexact d’identifier de manière générale antisémitisme et antisionisme. En confondant ces deux phénomènes, l’Assemblée nationale compromettrait les efforts vitaux de lutte contre le véritable antisémitisme, qui est multidimensionnel et provient de différents secteurs de la société française.

Notre seconde objection est que la résolution approuve la « définition opérationnelle » de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA). Cette définition est hautement problématique. La résolution prétend que la définition « permet de désigner le plus précisément possible ce qu’est l’antisémitisme contemporain ». En réalité cependant, la définition est peu claire et imprécise et, par conséquent, n’est pas un instrument efficace de lutte contre l’antisémitisme. D’autre part, une législation visant à lutter efficacement contre l’antisémitisme et à le poursuivre existe déjà en France.

L’exposé des motifs de la proposition de résolution indique que la définition de l’IHRA « ne reconnaît pas comme antisémite la critique des politiques de l’État d’Israël ». En réalité cependant, plusieurs « exemples contemporains d’antisémitisme » ont été joints à la définition, qui assimilent intentionnellement la critique et l’opposition aux politiques de l’État d’Israël à l’antisémitisme. Ces exemples sont présentés et considérés comme partie intégrante de la définition.

D’après les exemples et la manière dont ils sont appliqués, il suffit de critiquer Israël d’une manière perçue comme différente de ce qui se fait pour d’autres pays, pour être considéré antisémite. Il suffit d’être en faveur d’une solution binationale ou démocratique au conflit israélo-palestinien, pour être considéré comme antisémite. Il en va de même, quand on blâme Israël pour son racisme institutionnalisé. On peut certainement ne pas être d’accord avec ces énoncés. Mais ces opinions sont considérées comme légitimes et protégées par la liberté d’expression dans tout autre contexte politique. Ainsi, la résolution crée un double standard injustifiable en faveur d’Israël et contre les Palestiniens.

La définition de l’IHRA est déjà utilisée pour stigmatiser et réduire au silence les critiques de l’État d’Israël, notamment les organisations de défense des droits humains et des experts respectés. Cette situation a été condamnée par d’éminents spécialistes de l’antisémitisme. Kenneth Stern, l’un des rédacteurs originaux de la définition de l’IHRA, a également mis en garde contre l’utilisation de cette définition pour saper la liberté d’expression.

La question clé est la suivante: pourquoi tout cela se produit-il ? Nous ne pouvons pas considérer cela comme déconnecté de l’agenda politique principal du gouvernement israélien visant à enraciner son occupation et son annexion de la Palestine et à faire taire toute critique à l’égard de cet agenda.

Depuis des années, le gouvernement israélien du Premier ministre Benjamin Netanyahu dénonce comme antisémite toute opposition à sa politique. Netanyahu lui-même a défendu avec force l’équivalence de l’antisionisme et de l’antisémitisme, ainsi que la définition de l’IHRA. Cela illustre la manière dont la lutte contre l’antisémitisme a été instrumentalisée pour protéger le gouvernement israélien.

C’est avec inquiétude que nous constatons que ces efforts du gouvernement israélien trouvent un soutien politique, jusqu’en France. Le 28 mai 2019, le député Sylvain Maillard avait participé à une conférence aux côtés de Yossi Dagan, un leader militant des colons, qui préside une autorité de l’État Israélien en charge des colonies en Cisjordanie occupée. Comme vous le savez, le député Maillard a initié la résolution en présence sur l’antisémitisme, quelques jours avant cet événement.

Nous vous demandons donc de lutter contre l’antisémitisme et contre toutes les formes de racisme, mais sans aider le gouvernement israélien dans son programme d’occupation et d’annexion.

Cette proposition de résolution n’est pas un moyen crédible et efficace d’y parvenir. L’antisémitisme doit être combattu sur des bases universelles, au même titre que d’autres formes de racisme et de xénophobie, pour lutter contre la haine. L’abandon de cette approche universaliste conduira à une polarisation accrue en France, ce qui nuirait également à la lutte contre l’antisémitisme.

Dans ce contexte, nous notons que la proposition de résolution est également en contradiction avec la position de la CNCDH, la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Dans son rapport de 2018 sur la lutte contre le racisme, la CNCDH a averti que la définition de l’IHRA risque d’affaiblir l’approche universelle française de la lutte contre le racisme et a insisté « sur la vigilance pour ne pas confondre racisme et critique légitime d’un État et de sa politique ».

Nous vous prions de ne pas signer et de ne pas soutenir une résolution qui assimile à tort l’antisionisme à l’antisémitisme. Ne signez pas et ne soutenez pas une résolution qui approuve la définition politisé de l’antisémitisme de l’IHRA, d’autant plus si elle le fait sans se distancier des exemples problématiques de la définition qui concernent Israël.
Nous vous prions d’accepter, Mesdames, Messieurs les députés, l’expression de nos sentiments distingués.

Prof. Howard Tzvi Adelman, Associate Professor of History and of Jewish History,
Queen’s University, Kingston, Ontario
Dr. Karin Adelman, physician
Prof. Ofer Aharony, Faculty of Physics, Weizmann Institute of Science
Prof. (emeritus) Mateo Alaluf, Institute of Sociology, Université Libre de Bruxelles
Prof. Gadi Algazi, Professor of Medieval History, Department of History, Tel Aviv University; associate fellow at Re:Work: International Research Center Work and Human Lifecycle in Global History at Humboldt University, Berlin
Dr. Hila Amit, writer, researcher
Prof. Gil Anidjar, Middle Eastern, South Asian, and African Studies Department, Columbia University
Dr. Seth Anziska, Department of Hebrew and Jewish Studies, University College London
Prof. Yonathan Anson, Department of Social Work, Ben-Gurion University of the Negev
Prof. Jean-Christophe Attias, Professor and Chair of Medieval Jewish Thought, École pratique des hautes études, Université PSL, Paris
Prof. (emerita) Elsa Auerbach, English Department, University of Massachusetts Boston (daughter of German Holocaust refugees)
Prof. (emeritus) Joel Beinin, Donald J. McLachlan Professor of History and Professor of Middle East History, Stanford University,
Prof. Avner Ben-Amos, Department of History, Tel Aviv University
Dr. Ayelet Ben-Yishai, Department of English Language, University of Haifa
Prof. Andrew Stuart Bergerson, History Department, University of Missouri-Kansas City
Prof. Michael Berkowitz, Professor of Modern Jewish History, Department of Hebrew and
Jewish Studies, University College London
Prof. Louise Bethlehem, English and Cultural Studies, Hebrew University of Jerusalem
Prof. David Blanc, Department of Mathematics, University of Haifa
Prof. Daniel D. Blatman, Head of Avraham Harman Research Institute of Contemporary Jewry, Max and Rita Haber Chair in Contemporary Jewry and Holocaust Studies, The Hebrew University Jerusalem
Prof. Hagit Borer, Fellow of the British Academy; Fellow of the Linguistics Society of America; Chair in Linguistics, SLLF, Queen Mary University of London
Prof. Daniel Boyarin, Taubman Professor of Talmudic Culture, University of California at Berkeley, Fellow American Academy of Arts and Sciences, Von Humboldt Senior Laureate
Dr. Rony Brauman, physician, Professor at University of Manchester
Prof. (emeritus) Jose Brunner, Cohn Institute for the History and Philosophy of Science and Ideas and Buchmann Faculty of Law, Director, Eva & Marc Besen Institute for the Study
of Historical Consciousness, co-founder of Israel’s first legal clinic for the rights of Holocaust survivors, Tel Aviv University
Prof. Judith Butler, Maxine Elliot Professor of Comparative Literature and Critical Theory,
University of California, Berkeley
Prof. (emerita) Jane Caplan, Professor of Modern European History, University of Oxford; Emeritus Fellow, St Antony’s College, Oxford; Marjorie Walter Goodhart Professor
Emeritus of European History, Bryn Mawr College; Visiting Professor, Birkbeck, University of London
Dr. Nina Caputo, Associate Professor, Department of History, University of Florida
Prof. Michael Chanan, Professor of Film and Video, University of Roehampton, London
Prof. Stephen Clingman, Distinguished University Professor, Department of English, University of Massachusetts, Amherst
Dr. Eyal Clyne, unaffiliated
Prof. James Cohen, Institut du monde anglophone, University of Sorbonne Nouvelle Paris 3
Prof. Alon Confino, Pen Tishkach Chair of Holocaust Studies, Director of The Institute for Holocaust, Genocide and Memory Studies, Department of History, University of Massachusetts
Mike Cushman, research fellow, London School of Economics and Political Science
Dr. Hilla Dayan, Department of Sociology, Amsterdam University College
Prof. (emerita) Sonia Dayan-Herzbrun, Faculty of Social Sciences, University Paris Diderot Paris 7
Prof. Sidra DeKoven Ezrahi, Professor of Comparative Literature, Hebrew University of
Jerusalem
Dr. Tal Dor, adjunct researcher, Experice, Université Paris 8
Prof. (emeritus) Tommy Dreyfus, Mathematics Education, School of Education, Tel Aviv University, Awardee of the Felix Klein Medal
Prof. David Enoch, Faculty of Law and Department of Philosophy, Hebrew University of
Jerusalem
Prof. (emerita) Judith Ferster, English Department, North Carolina State University
Dr. Cynthia Franklin, Department of English, University of Hawaii
Prof. (emeritus) Gideon Freudenthal, The Cohn Institute for the History and Philosophy of Science and Ideas, Tel Aviv University
Prof. (emeritus) Chaim Gans, Faculty of Law, Tel Aviv University
Prof. Amos Goldberg, Department of Jewish History and Contemporary Jewry, Hebrew University of Jerusalem
Katharina Galor, Hirschfeld Visiting Associate Professor, Program in Judaic Studies, Brown University
Prof. Shai Ginsburg, Department of Asian and Middle Eastern Studies, Duke University
Prof. Rachel Giora, Department of Linguistics, Tel Aviv University
Prof. (emeritus) Steve Golin, History Department, Bloomfield College
Prof. Neve Gordon, Department of Politics and Government, Ben-Gurion University of the Negev
Prof. Joel Gordon, The Department of History, University of Arkansas Fayetteville
Prof. Nir Gov, Department of Chemical and Biological Physics, Weizmann Institute of Science
Dr. Yann Guillaud, lecturer at Sciences Po and the Catholic University of Paris
Dr. Gérard Haddad, psychiatrist, psychoanalyst, writer
Dr. Ilana Hammerman, writer, winner of the Yeshayahu Leibowitz Prize (2015)
Prof. David Harel, Department of Computer Science and Applied Mathematics, The Weizmann Institute of Science; winner of the Israel Prize (2004) and of the EMET prize
Prof. Elizabeth Heineman, Department of History, University of Iowa
Dr. Shir Hever, Political Science, Free University of Berlin
Prof. Eva Jablonka, Cohn Institute for the History and Philosophy of Science and Ideas, Tel Aviv University
Michal Kaiser-Livne, psychoanalyst, Berlin Institute for Group Analysis
Dr. Brian Klug, senior research fellow and tutor in Philosophy, University of Oxford, honorary fellow of the Parkes Institute for the Study of Jewish/non-Jewish Relations, University of Southampton
Prof. (emeritus) Yehoshua Kolodny, Institute of Earth Sciences, Hebrew University of
Jerusalem, winner of the Israel Prize (2009)
Dr. Hubert Krivine, physician
Pascal Lederer, physician, honorary research director at the French National Centre for Scientific Research (CNRS)
Prof. (emeritus) Micah Leshem, Department of Psychology, University of Haifa
Dr. Les Levidow, Faculty of Arts and Social Sciences, The Open University, United Kingdom
Dr. Mark Levene, emeritus fellow, Department of History, University of Southampton UK; Parkes Centre for Jewish/non-Jewish Relations; winner of the Institute for the Study of Genocide, New York; Lemkin prize (2015)
Prof. Joseph Levine, Professor of Philosophy, University of Massachusetts, Amherst
Dr. R. Ruth Linden, President Tree of Life Health Advocates, San Francisco; founder of the Holocaust Media Project
Adi Liraz, interdisciplinary artist, instructor relating to the history of Jews in Greece and in
Germany
Dr. Rachel Livne-Freudenthal, Leo Baeck Institute, Jerusalem
Prof. (emeritus) Moshé Machover, Professor of Philosophy, University of London
Joëlle Marelli, independent scholar, former program director at the College International de Philosophie, Paris
Dr. Anat Matar, Philosophy Department, Tel Aviv University
Dr. Yehoshua Mathias, senior lecturer, School of Education, Hebrew University of Jerusalem
Prof. David Mednicoff, Associate Professor of Middle Eastern Studies and Public Policy,
University of Massachusetts, Amherst
Dr. Oded Na’aman, The Martin Buber Society of Fellows, Hebrew University of Jerusalem
Dr. Sheryl Nestel, independent scholar
Prof. Isaac Nevo, Associate Professor, Philosophy
Prof. (emerita) Benita Parry, English and Comparative Literary Studies, Warwick
University
Hadas Pe’ery, lecturer at the The Buchmann Mehta School of Music, Tel Aviv University;
laureate of the Israeli Prime Minister’s Award for Composers
Prof. Nurit Peled-Elhanan, School of Education, Hebrew University of Jerusalem; The
David Yellin Academic College of Education; co-winner of the Sakharov Prize (2001)
Prof. (emeritus) Roland Pfefferkorn, Professor of Sociology, University of Strasbourg
Dr. Yael Politi, Center for Molecular and Cellular Bioengineering, Technische Universität Dresden
Dr. David Ranan, Birkbeck University, London
Prof. (emerita) Ada Rapoport-Albert, Professor of Hebrew and Jewish Studies, University College London
Ben Ratskoff, University of California, Los Angeles
Prof. (emerita) Shlomith Rimmon-Kenan, Departments of English Literature and Comparative Literature, Hebrew University of Jerusalem; member of the Israel Academy of
Sciences and Humanities
Dr. Noa Roei, Assistant Professor, Literary and Cultural Analysis, University of Amsterdam
Prof. (emerita) Lisa Rofel, University of California, Santa Cruz
Prof. Dana Ron, Faculty of Engineering, Tel Aviv University
Prof. (emeritus) Steven Rose, Professor of Biology and Neurobiology, The Open University, United Kingdom
Prof. (emeritus) Jonathan Rosenhead, Professor of Operational Research, Department of
Management, London School of Economics and Political Science
Prof. David M. Rosenthal, Cognitive Science Concentration Graduate Center, City
University of New York
Prof. Michael Rothberg, 1939 Society Samuel Goetz Chair in Holocaust Studies, Department of Comparative Literature, University of California; specializes in Holocaust studies
Dr. E. Natalie Rothman, Department of Historical and Cultural Studies, University of Toronto Scarborough
Prof. Catherine Rottenberg, Department of American and Canadian Studies, University of Nottingham
Dr. Sara Roy, Senior Research Scholar, Center for Middle Eastern Studies, Harvard University
Dr. Hannah Safran, Haifa Feminist Research Center
Dr. Ariel Salzmann, Department of History, Queen’s University, Ontario
Catherine Samary, economist (ret.), Paris Dauphine University
Prof. (emeritus) Donald Sassoon, Professor of Comparative European History, Queen Mary, University of London
Prof. (emerita) Naomi Scheman, Philosophy and Gender, Women, & Sexuality Studies,
University of Minnesota
Sir Stephen Sedley, former Lord Justice of Appeal, England and Wales; former UK Judge
ad hoc at European Court of Human Rights; former visiting professor of law, Oxford University
Prof. (emeritus) Graeme Segal, Mathematics, All Souls College
Prof. Gershon Shafir, Department of Sociology, University of California, San Diego
Prof. (emerita) Alice Shalvi, English Departments, Hebrew University Jerusalem and Ben- Gurion University of the Negev; former Rector Schechter Institute of Jewish Studies; winner of the Israel Prize (2007), co-winner of the Leibowitz Prize (2009), winner of the Bonei Zion Prize (2017)
Dr. Dimitry Shevchenko, Postdoctoral Research Fellow, Department of Asian Studies, The
Hebrew University, Jerusalem
Prof. (emeritus) Avi Shlaim, Department of Politics and International Relations, St.
Antony’s College and University of Oxford; Fellow of the British Academy
Prof. David Shulman, Department of Asian Studies, Hebrew University of Jerusalem, member Israel Academy of Sciences and Humanities, winner of the EMET Prize (2010) and of the Israel Prize (2016)
Dr. Dmitry Shumsky, Department of Jewish history and Head of the Cherrick Center for the Study of Zionism, The Hebrew University of Jerusalem
Robert Yerachmiel Sniderman, Simon Fraser University
Dr. Lisa Stampnitzky, lecturer in Politics, Department of Politics and International Relations, University of Sheffield
Prof. Marc Steinling, physician, biophysicist, honorary Professor of Universities (son of French resistants FTP-MOI)
Prof. Sacha Stern, Head of Department, Hebrew and Jewish Studies, University College London
Prof. (emeritus) Zeev Sternhell, Léon Blum Professor emeritus, Hebrew University of Jerusalem; Israel Prize Laureate in Political Science; Member of the Israel Academy of Sciences and Letters; International Honorary member American Academy of Arts and Sciences
Howard Rechavia Taylor, Columbia University
Prof. Barry Trachtenberg, Michael R. and Deborah K. Rubin Presidential Chair of Jewish History, Department of History, Wake Forest University
Prof. (emeritus) Rolf Verleger, psychologist, member of the Central Council of Jews in
Germany 2005-2009
Dominique Vidal, historian and journalists
Prof. Roy Wagner, Department of Humanities, Social and Political Sciences, ETH Zürich
Dr. Yair Wallach, Head of the Centre for Jewish Studies, Department of the Languages and Cultures of the Near and Middle East, SOAS, University of London
Daphna Westerman, MA Fine Arts Bauhaus-University, Weimar
Prof. Diane L. Wolf, Department of Sociology, University of California, Davis
Prof. (emeritus) Niza Yanay, Department of Sociology and Anthropology, Ben-Gurion University of the Negev,
Prof. (emeritus) Moshe Zimmermann, former director of the Richard Koebner Minerva Center for German History, Hebrew University of Jerusalem, Prof. (emeritus) Moshe Zuckermann, The Cohn Institute for the History and Philosophy of Science and Ideas, Tel Aviv University

La position de Gilles Manceron sur le film « J’accuse » de Polanski

La position de Gilles Manceron, membre du comité central de la LDH, publiée sur son blog.

Publié sur  les blogs de MediapartLE BLOG DE GILLES MANCERON  – le 17 NOV. 2019   PAR =

«J’accuse»: une fiction réussie au récit imaginaire

Dommage qu’un film aux qualités cinématographiques indéniables, présenté comme un récit de l’affaire Dreyfus, s’inspire pour son personnage central d’un officier antisémite qui est resté ancré dans ses préjugés et, devenu ministre, obligea Dreyfus à quitter l’armée. Et écarte les dreyfusards qui, comme Victor Basch, furent à l’origine alors d’un engagement universaliste pour les droits de l’homme.

Quelles réflexions inspirent le film J’accuse de Polanski, si on se limite à parler du film lui-même ? Si on laisse de côté la question des raisons du cinéaste d’aborder le sujet de l’affaire Dreyfus à ce moment de sa vie et de sa carrière, de savoir si elles relèvent ou non d’une volonté d’assimiler les accusations dont il est l’objet dans sa vie personnelle aux persécutions qui ont frappé Dreyfus[1]. Indépendamment de ces interrogations, nous sommes confrontés à une œuvre cinématographique qui doit pouvoir être jugée en tant que telle.

Étant entendu, par ailleurs, que l’évocation par la presse des abus sexuels dont l’homme est accusé d’avoir été l’auteur est parfaitement légitime  et les réactions qui ont lieu à ce sujet à l’occasion de la sortie du film doivent pouvoir se développer librement dans le cadre de la liberté d’expression et de manifestation. Mais, comme l’a affirmé clairement l’Observatoire de la liberté de création, cela n’autorise personne à s’opposer à la diffusion d’une œuvre en empêchant le public d’y accéder et de la juger en toute liberté.

Le film est une fiction, en décalage avec l’histoire

En ne prenant en considération que le film, force est de constater que c’est à tort que le réalisateur affirme, comme il l’a fait, par exemple, lors de l’avant-première qui a eu lieu le lundi 11 novembre au cinéma Publicis des Champs-Elysées, que « tout est vrai dans ce film ». C’est une œuvre de fiction, inspirée d’un roman, et non un documentaire historique. Il ne dit pas l’histoire, il la transforme librement. Le scénario a été écrit à partir du roman de Robert Harris, reporter et réalisateur à la BBC puis auteur de « thrillers historiques », à qui, a-t-il écrit, Roman Polanski avait suggéré au début de 2012 d’aborder ce thème dans son prochain livre. D’abord publié en anglais en 2013 sous le titre, An Officer and a Spy, sa traduction française est parue chez Plon en 2014 dans la catégorie « Roman », sous le titre de D., puis en 2019 en collection de poche, avec l’affiche du film en couverture, sous le même titre que le film de Polanski, J’accuse. Son auteur a reconnu lui-même avoir « adapté les faits », expliquant qu’« un romancier peut imaginer les choses autrement » : « Je suis seul responsable de toutes les erreurs qui demeurent, factuelles ou stylistiques, ainsi que des tours de passe-passe dans la narration et la caractérisation des personnages nécessaires au passage des faits à la fiction ». On lui en donne acte aisément. Son choix a été d’écrire un récit dont le narrateur est un personnage, le colonel Picquart, pour lequel il a inventé un rôle que le réel Picquart n’a pas joué. C’est son droit comme romancier. Mais ce qui n’est pas admissible, c’est que le cinéaste présente son film comme fidèle à l’histoire, alors qu’il accentue encore le caractère fictionnel du roman en se concentrant encore plus sur ce personnage, et en écartant encore davantage que le livre ceux qui ont joué un rôle décisif dans l’Affaire, c’est-à-dire les dreyfusards.

Ainsi, le film ne fait aucune mention de personnalités, pourtant nommées dans le livre, dont le rôle a été essentiel, comme le publiciste anarchiste Bernard Lazare, le leader socialiste Jean Jaurès, ou le juriste Ludovic Trarieux, premier président de la Ligue des droits de l’Homme. Où d’autres fondateurs de cette association comme Séverine, Octave Mirbeau, Gabriel Monod ou Victor Basch, qui ont pris part à la grande bataille dreyfusarde lors du procès Zola puis du procès de révision de 1899 à Rennes. Le personnage qui occupe toute la place dans le film est un officier, un personnage de colonel Picquart à qui est attribué un rôle différent de celui qu’a joué son homonyme dans la réalité.

Dans son livre, Le faux ami du capitaine Dreyfus. Picquart, l’Affaire et ses mythes (Grasset, 2019), l’historien Philippe Oriol cite un mémoire inédit envoyé par Picquart à son avocat, Fernand Labori, à l’été 1898, soit six mois après la publication du « J’accuse ! » de Zola, qui parle des « manœuvres des juifs », en particulier de la famille Dreyfus, qu’il fait surveiller et dont il intercepte la correspondance. Il est vrai qu’en 1897, quand il a découvert qu’Esterhazy était probablement l’auteur des faits d’espionnage pour lesquels Dreyfus avait été condamné, il a rendu visite à l’avocat Louis Leblois, un ancien camarade du lycée de Strasbourg, et lui a confié des papiers indispensables pour sa défense, montrant que son enquête sur Esterhazy avait été faite avec l’accord de ses supérieurs et ne pouvait pas lui être reprochée. Il lui a fait savoir qu’il avait décidé de poursuivre son travail dans l’armée avec discipline sans s’occuper de l’affaire Dreyfus et lui a interdit de communiquer ces documents à la famille Dreyfus et à ceux qui l’aidaient à établir la vérité, bien qu’ils démontraient que l’état-major voulait étouffer l’affaire et qu’ils les auraient considérablement aidés. Ce à quoi Leblois, tenu au secret professionnel, a d’abord obéi, au désespoir de ses amis dreyfusards qui le suppliaient de leur en donner copie pour obtenir le retour de Dreyfus et la révision. Malgré ses demandes à Picquart de lever cet interdit, ce dernier a tenu bon et a mis fin alors à leur correspondance, la seule lettre que Leblois lui enverra par la suite, il la jettera au feu sans même l’ouvrir. Le vrai dreyfusard que fut Bernard Lazare dira que Picquart ne s’est préoccupé que de sa situation personnelle, qu’il « n’a pas marché pour le droit », il était le « type de militaire qui ne sait plus rien accomplir en dehors de sa règle et de sa discipline. Il est dans la vie et l’action, comme un infirme privé de ses béquilles habituelles ». Le film fantasme quand il montre un Picquart dreyfusard, qui suggère — invraisemblance totale ! — à Zola d’écrire son article « J’accuse ! ». Dans la réalité, c’est Bernard Lazare, quant à lui dreyfusard de la première heure, qui a partagé ce projet avec Zola et lui a suggéré la litanie des accusations finales qui donnera son titre à l’article.

Il est vrai que Picquart a témoigné au procès intenté à Zola, mais il s’est tenu à l’écart des témoins dreyfusards comme Jaurès, Ranc, Séailles, Anatole France, Duclaux, Quillard ou Guyot. Ou de Trarieux, qui, lors d’une suspension d’audience après l’évocation du « faux Henry », a invité dans la salle des témoins quelques uns d’entre eux à se retrouver à son domicile, le dimanche 20 février, veille du réquisitoire de l’avocat général et des plaidoiries des avocats, pour fonder, selon le mot d’Ernest Psichari, qui hébergeait alors Zola et qui deviendra le premier secrétaire général de l’association en vue, « de former un groupe ou une association, de fonder une ligue — le mot ne se précisait peut-être pas encore dans sa pensée — quelque chose qui serait la sauvegarde des droits individuels, la liberté des citoyens et leur égalité devant la loi ». C’est l’origine de la LDH. Picquart, au contraire, est resté silencieux lors du procès sur les preuves qu’il détenait de l’innocence de Dreyfus, se limitant au cadre précis que les autorités politiques et militaires lui avaient fixé. Ce qui n’empêche pas qu’il a été ensuite sanctionné par l’armée, mis en réforme et emprisonné « pour fautes graves dans le service ». Mais c’est Jaurès qui publiera Les Preuves, un livre qui sera ensuite la grande référence de Pierre Vidal-Naquet lors de sa publication, en 1958, de L’Affaire Audin, ouvrage emblématique de la pérennité de l’engagement dreyfusard contre les mensonges de l’armée et de l’Etat. Or, dans ce film qui prétend être une évocation historique de l’affaire Dreyfus, Jaurès est le grand absent.

Ensuite, il est vrai aussi que, libéré, Picquart était à Rennes lors du procès en révision de juillet 1899, mais en se tenant, là encore, à l’écart des dreyfusards dont le quartier général était la maison de Victor Basch, un jeune universitaire juif germanophone né en Autriche-Hongrie et récemment naturalisé, président de la section locale de la LDH, où Picquart ne voulu pas résider, comme le faisaient Jaurès et d’autres dreyfusards ; c’est pourtant là, au Gros-Chêne, que Labori, après l’attentat qu’il a subi, passa ses huit jours de convalescence avant de reprendre sa place au procès. Et, quand Dreyfus a accepté la grâce présidentielle qui lui rendait la liberté, Picquart a eu pour lui des mots insultants, l’accusant de se satisfaire d’avoir « la peau sauve » et d’abandonner « pour des raisons pécuniaires » la cause de sa réhabilitation. Preuve de ce qu’il restait, malgré son rôle dans l’Affaire, profondément imprégné de préjugés antisémites. Non pas d’un antisémitisme forcené à la Drumont, mais d’un antisémitisme insidieux, d’une judéophobie tenace et diffuse qui est probablement encore plus redoutable.

Le film invente une amitié étroite entre Picquart et l’avocat Louis Leblois. Ils s’étaient connus comme lycéens à Strasbourg, puis l’un était devenu avocat et l’autre officier. C’est à lui que Picquart, en juin 1897, lorsqu’il s’est senti menacé en raison de son enquête sur le véritable traitre, Esterhazy, a confié des papiers en lui faisant promettre de ne rien révéler de leur contenu à ceux qui défendaient l’innocence de Dreyfus, sauf si lui-même venait à disparaître. Leblois, dreyfusard lui-même, en a parlé à ses amis qui l’ont supplié de leur en montrer le contenu, et il finit par rompre sa promesse à Picquart, et, au prix d’une violation du secret professionnel, leur communiqua les documents[2]. Ce dreyfusard engagé, avec qui Picquart se brouilla avant la publication de l’article « J’accuse ! » de Zola, devint en 1900 l’un des conseillers juridiques de la LDH dont il avait été l’un des fondateurs et il remplacera en 1903 Lucien Herr à son comité central. De retour en Alsace en 1918, il présida sa section de Strasbourg et travaillera à un livre sur l’Affaire qui paraitra au lendemain de sa mort en 1928. Une trajectoire bien différente de celle de Picquart, qui, devenu général puis ministre de la Guerre en 1907, sera, par exemple, attaqué violemment à la Chambre par Jaurès qui dénonçait le massacre délibéré de toute la population d’un village, quelque 150 personnes, y compris femmes et enfants, lors de la conquête du Maroc, massacre que Jaurès qualifiait d’« attentat contre l’humanité », pour avoir dissimulé un témoignage sur ce crime, reproduisant les pratiques de l’état-major lors de l’Affaire : « Voilà où en est celui qui fut le colonel Picquart », dit-il en avril 1908[3].

A quoi conduisent les inventions du film ?

En inventant ainsi un personnage nommé Picquart, qui serait, comme l’écrit l’éditeur de la traduction française du roman, celui qui, « contre les préjugés, contre l’Armée, contre un pays tout entier », aurait « fait surgir l’indicible vérité », le film construit une fiction. Il donne le beau rôle à un officier d’une armée qui avait pourtant de lourdes responsabilités dans l’affaire et qui est restée largement, pendant un siècle, dans le déni de l’injustice qu’elle avait commise. Il invente une belle histoire d’amitié entre un officier supérieur et un avocat dreyfusard, qui enjolive cet épisode de l’histoire. Et cette polarisation du film sur un tel personnage fictif, dont le rôle est enjolivé, est grave, puisqu’il s’agit de l’image donnée à nos concitoyens d’un épisode fondateur de notre République. Cela conduit à l’occultation de l’action des vrais dreyfusards qui, en réagissant à l’injustice commise, ont inauguré un engagement universaliste pour les droits de tous les hommes, dont on peut constater qu’il reste en 2019 une aspiration durable dans notre société, y compris lorsqu’il faut s’opposer à des décisions injustes des institutions de la République. Ce moment fondateur ne peut être réduit à des histoires d’espions, d’indics et d’experts en analyses graphologiques, qui font certes le charme d’un roman, ou à des conflits de personnes dans le milieu étroit des officiers de l’armée d’alors. L’« insurrection des consciences » qui a été celle des dreyfusards s’opposait à des forces politiques et idéologiques conservatrices qui avaient largement partie liée avec l’Eglise catholique d’alors, profondément antirépublicaine et imprégnée d’antisémitisme. Leur engagement a constitué un approfondissement de la notion de droits de l’homme formulée pendant la Révolution française et à laquelle les dreyfusards se référaient fortement. Ils y ont intégré la nécessité de refuser les discriminations raciales au même titre que toutes les injustices. On a affaire à un tournant important dans l’histoire contemporaine de la France. L’image qu’en donne un film qui lui est consacré n’est pas indifférente.

A partir de cet événement, la problématique de la défense des droits de l’homme a été affirmée dans la société française. Y compris en prenant en compte les droits sociaux. L’universitaire Victor Basch a écrit, par exemple : « Toujours je me souviendrai du soir où, le cœur un peu battant, je m’en allais vers la Bourse du travail de Rennes demander aux chefs ouvriers de nous venir en aide. Toujours je me souviendrai de l’accueil qu’ils me firent et du magnifique dévouement qu’ils déployèrent : durant trois semaines, ils vinrent nous chercher, Jaurès, Labori et moi, deux fois par jour, pour nous reconduire du Conseil de guerre au Gros-Chêne, dernière maison de la ville à l’orée de la banlieue, où j’habitais. C’est grâce au concours du peuple que nous fûmes victorieux. » Et la plupart des dreyfusards ont pris en compte dans leur combat pour les droits de l’homme les aspirations à la justice émanant des travailleurs qui demandaient la reconnaissance de leurs droits sociaux. En 1910, les dreyfusards se sont mobilisés pour défendre le « Dreyfus ouvrier », Jules Durand, charbonnier du Havre, fondateur d’un syndicat, qui avait été victime à son tour d’une machination judiciaire. On retrouve dans les pétitions en sa faveur les noms du président d’alors de la LDH, Francis de Pressensé, et aussi de Pierre Quillard, Anatole France, Emile Durkheim, Victor Basch, Lucien Herr et bien d’autres. Alfred Dreyfus lui-même s’est joint aux protestataires. Mais inutile de dire qu’on y chercherait en vain celui du général Georges Picard devenu ministre, acquis à une République pour qui les droits de l’homme ne s’étendent, dans les faits, ni aux ouvriers ni aux indigènes des colonies. Comme l’a écrit Jaurès, qui s’est aussitôt engagé pour ce « Dreyfus ouvrier », il est un combat plus dur encore à mener que celui contre « la raison d’Etat militariste » : c’est celui contre « la raison d’Etat capitaliste ».

Faut-il voir ce film, faut-il encourager le public à le voir ?

Chacun est libre de voir ce film qui, il est vrai, a d’indéniables qualités cinématographiques. Les décors et les images sont belles — malgré une utilisation de l’infographie parfois discernable —, les dialogues, ciselés et tranchants, tirent le meilleur parti du roman de Robert Harris, les personnages sont incarnés par des comédiens de valeur, à commencer par Jean Dujardin dans le rôle du colonel Picquart. Roman Polanski a apporté dans ce film une nouvelle preuve de son talent de cinéaste. Et son film a quoi qu’il en soit le mérite de transmettre quelques idées fortes sur l’affaire Dreyfus, sur la présence importante de l’antisémitisme autour de 1900 dans la société française et les résistances qui, grâce à Zola et à d’autres, lui ont été opposées. Les spectateurs peuvent en déduire aussi que l’affrontement est parfois nécessaire avec les institutions de la République quand leurs actes sont liberticides, qu’il peut être indispensable de les dénoncer, et que les combattre est parfois le meilleur moyen de les améliorer et de préparer l’avenir. Leçon utile en 2019 où nombre de politiques publiques suscitent l’indignation.

Faut-il encourager le public à le voir ? Ses défauts évoqués ci-dessus incitent cependant à en douter. Le projeter devant un public scolaire ou dans le cadre d’un ciné-débat implique de faire la critique historique sérieuse des trouvailles de son scénario. Or, tous les textes et tous les mots qui pourront l’entourer auront moins de poids que ce film habilement réalisé par un grand cinéaste, même si ses inventions fictionnelles risquent de renforcer des ignorances et des idées fausses. A chacun de choisir.

[1] Comme semble l’indiquer, dans le dossier de presse diffusé lors de la présentation du film à la Mostra de Venise, cet échange entre Pascal Bruckner et Roman Polanski : à la question « En tant que juif pourchassé pendant la guerre, que cinéaste persécuté par les staliniens en Pologne, survivrez-vous au maccarthysme néoféministe d’aujourd’hui ? », il a répondu : « Il y a des moments de l’histoire que j’ai vécus moi-même, j’ai subi la même détermination à dénigrer mes actions et à me condamner pour des choses que je n’ai pas faites. »

[2] Gilles Manceron, Emmanuel Naquet et Philippe Oriol, « Louis Leblois, l’avocat qui joua davantage qu’un second rôle », in Gilles Manceron et Emmanuel Naquet, Être dreyfusard hier et aujourd’hui, PUR, 2009.

[3] Jean Jaurès, Vers l’anticolonialisme. Du colonialisme à l’universalisme. Textes réunis par Gilles Manceron, Les Petits matins, 2015.

LA LDH APPELLE À MANIFESTER LE 10 NOVEMBRE CONTRE L’ISLAMOPHOBIE ET CONTRE TOUS LES RACISMES

Communiqué LDH

Depuis plusieurs dizaines d’années, les musulmans vivant en France sont victimes de manifestations de racisme, qu’elles concernent la pratique de leur foi, leur apparence ou leur origine.Assimilés au terrorisme, suspectés de ne pas adhérer aux principes de la République, les musulmans font l’objet de discriminations et de stigmatisations constantes.

Les discours de haine se répandent partout y compris au sein des responsables politiques de toute obédience qui n’hésitent plus à les attiser en instrumentalisant les principes de la République.

Ce qui s’est produit à Bayonne en est la conséquence et doit être dénoncé pour ce qu’il est : un acte raciste commis contre un édifice du culte et deux personnes parce que musulmans.

La Ligue des droits de l’Homme (LDH) appelle à rejeter cette haine et à manifester une solidarité sans réserve à l’égard de celles et ceux qui en sont les victimes.

Elle appelle à inscrire la lutte contre l’islamophobie dans la lutte contre toutes les formes de racisme.

Paris, le 4 novembre 2019

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Parcours parisien : rendez-vous à 13h gare du Nord, parcours en direction de place de la Nation