En Pologne, une marée humaine contre la dérive liberticide du gouvernement

Publié sur Libération le 4 juin 2023

par Patrice Senécal, correspondant à Varsovie

A quelques mois de législatives cruciales, un demi-million de Polonais ont défilé ce dimanche à Varsovie contre la politique illibérale du parti Droit et Justice. Du jamais-vu depuis la chute du communisme en 1989.

«Etre ici, aujourd’hui, c’est une obligation si l’on veut maintenir notre démocratie. Ça n’a rien à voir avec la politique, c’est une question de liberté, d’Etat de droit.» Kuba Szadag, 61 ans, n’aurait manqué pour rien au monde l’immense rassemblement. Drapeau polonais à la main, le voilà entouré, en ce dimanche 4 juin, d’une marée humaine rassemblée sur la place Na Rozdrozu, dans le centre de Varsovie, pour s’opposer à la politique du parti Droit et Justice (PiS), qui multiplie les dérives antidémocratiques depuis 2015.*

Pas moins de 500 000 personnes ont pris part au cortège, d’après des estimations de la presse polonaise. Soit le plus imposant mouvement de contestation depuis la fin du communisme, il y a une trentaine d’années. Autre symbole, et pas des moindres : la date du rassemblement coïncidait d’ailleurs avec l’anniversaire des premières élections semi-libres en 1989, qui ont marqué l’ouverture démocratique de la Pologne. Tout un symbole, à l’approche d’un scrutin attendu à l’automne qui s’annonce aussi serré que crucial pour l’avenir de la démocratie polonaise.

Klaxons, drapeaux agités et slogans, scandés ou inscrits sur d’innombrables pancartes, rythmaient le défilé : «On en a assez !»«Le PiS, laissez-nous en paix»«Pologne libre»«La démocratie, c’était mieux»«Si je voulais habiter au Bélarus, je déménagerais», «Le PiS tombera avec les feuilles d’automne». Vu du ciel, cela ressemblait à une gigantesque marée humaine bleue et rouge, couverte d’étoffes polonaises et européennes, témoignant de l’europhilie de l’opposition démocratique.

Dans la foule immense, de nombreux Varsoviens, mais pas seulement : plus d’un millier d’autocars des quatre coins de la Pologne avaient été affrétés pour l’occasion. Des trains bondés ont également afflué vers Varsovie. Le profil des manifestants, très divers, s’est rajeuni par rapport aux précédentes manifestations pro-démocratie se tenant depuis huit ans, surtout prisées par la génération Solidanorsc. On reste loin, toutefois, des manifestations pro-choix de 2020 qui, dans la foulée du durcissement de la loi sur l’avortement, avaient détonné par le jeune âge des contestataires.

«Nous vaincrons ce mal»

«Nous avons brisé une certaine barrière d’indifférence, de scepticisme», se félicite un Donald Tusk combatif, chemise blanche retroussée, à l’issue de la manifestation conclue sur la place du château, dans la vieille ville de Varsovie. «Je veux vous dire : nous avons beaucoup de soucis à nous faire, nous allons nous en inquiéter. Nous vaincrons ce mal [lors du prochain scrutin]», clame le chef de la libérale Plateforme civique, principal parti d’opposition en Pologne.

La «marche» avait été soigneusement organisée quelques semaines plus tôt, à son initiative, et afin de protester contre «la vie chère, l’escroquerie et le mensonge, en faveur de la démocratie, des élections libres et de l’UE». Or, signe d’une contestation allant bien au-delà de sa simple personne – clivante jusque dans les milieux d’opposition –, tous les partis d’opposition s’y sont rendus. Une démonstration de force de l’opposition démocratique qui, en dépit de sa désunion, affiche sa vigueur à quelques mois des élections législatives cruciales de l’automne.

«Ce sera l’élection la plus importante depuis 1989», estime Kuba, qui peine à avancer dans le cortège bondé et hausse la voix pour se faire entendre. «Le PiS essaie désormais de mettre en place des stratagèmes pour nuire à l’opposition. Si on perd, il n’y aura peut-être pas de retour en arrière, on pourra dire au revoir à la démocratie et peut-être que dans dix ans, on deviendra un nouveau Bélarus», s’inquiète l’homme aux cheveux blancs, qui a pris part à la révolution Solidarnosc en Pologne, dans les années 1980.

Loi liberticide

La mobilisation a en outre été galvanisée par l’entrée en vigueur, mardi 30 mai, d’une législation mettant sur pied une «commission sur l’influence russe». Or, sous couvert de lutter contre les ingérences du Kremlin, il s’agirait en fait de disposer d’un instrument visant à réprimer l’opposition. La loi aux contours flous prévoit notamment de sanctionner quiconque ayant «agi au détriment des intérêts de la République de Pologne», en faveur de Moscou.

Ses détracteurs, qui l’ont baptisée «loi Tusk», y voient une manière détournée de disqualifier l’ennemi juré du PiS, l’ancien Premier ministre polonais et président du Conseil européen, Donald Tusk, aujourd’hui principale figure de l’opposition. Face aux vives critiques de Washington et Bruxelles, le président Andrzej Duda, qui l’a lui-même promulguée et défendue, a annoncé vendredi vouloir amender la loi. Des modifications en trompe-l’œil, qui n’altèrent en rien sa dimension liberticide, dénoncent les juristes et l’opposition.

«C’est la dernière chance pour défendre la liberté et les acquis pour lesquels nos aînés se sont battus. La Lex Tusk est scandaleuse, on n’aura aucune garantie d’avoir de décision de justice véritablement juste, car les tribunaux ne sont pas indépendants, regrette Marta, 33 ans, rencontrée dans le cortège. Ils utiliseront la commission comme bon leur semble et on est là pour leur montrer qu’on s’y oppose. Ça me donne espoir de nous savoir si nombreux, qu’on puisse choisir notre futur. Il y a quelques mois, je doutais qu’on puisse se mobiliser de cette manière.»

Le Premier ministre, Mateusz Morawiecki, lui, a préféré railler : «Les vieux renards organisent une marche antigouvernementale et la présentent comme une manifestation spontanée.» La télévision publique TVP, sur laquelle le PiS a fait main basse ces dernières années, n’a pipé mot sur la tenue de l’événement, inédit par son ampleur, préférant diffuser un défilé «des cercles de femmes au foyer rurales».

Pérou : le gouvernement doit mettre fin à la répression et garantir le droit de manifester

DÉCLARATION de la FIDH (Fédération Internationale des Droits Humains) et des organisations de défense des Droits humains en Amérique latine

le 26 janvier 2023

Amériques, 26 janvier 2023. La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et certaines de ses organisations membres condamnent la répression étatique au Pérou qui, après un mois de manifestations contre la présidente Dina Boluarte, a déjà provoqué 60 décès et des centaines de personnes blessées ou détenues dans des conditions arbitraires. Le droit de manifester est un droit humain et les organisations signataires réitèrent leur appel au gouvernement pour qu’il écoute et prenne en compte les demandes de la population et ne stigmatise pas, ni ne réprime ou criminalise la contestation sociale.

(Photo by ERNESTO BENAVIDES / AFP)

Les organisations signataires condamnent l’attaque de la police contre l’Université nationale de San Marcos, ainsi que l’expulsion et l’arrestation massive de ses presque 200 occupant⋅es, parmi lesquel⋅les des étudiant⋅es, des personnes âgées et une femme avec sa fille de huit ans. Cet acte grave, en plus de porter atteinte à l’inviolabilité de l’espace académique, viole les droits humains fondamentaux et les procédures régulières.

Les organisations membres de la FIDH sont solidaires des organisations péruviennes de défense des droits de humains qui ont été attaquées et stigmatisées pour avoir mené à bien leur travail de dénonciation des violations des droits humains dans le cadre des manifestations et appellent les autorités à enquêter et à punir les responsables de ces actes.

La réponse des forces armées a été disproportionnée et n’est pas conforme aux principes de finalité légitime, de proportionnalité et de nécessité absolue, qui sont indispensables pour justifier l’usage de la force en vertu du droit international des droits humains. Pour la seule journée du 9 janvier, 19 manifestant⋅es ont été tragiquement assassiné⋅es à Juliaca, dont des mineur⋅es. C’est également dans ce contexte qu’a eu lieu le meurtre inexcusable d’un policier.

Face à l’instabilité de la démocratie péruvienne, toutes les autorités ont le devoir de faire respecter l’état de droit, la Constitution et la garantie des droits de tous les citoyen⋅nes. Il est inadmissible que l’État, supposé les défendre et les protéger, dérive vers les pires formes d’autoritarisme.

Asociación Pro Derechos Humanos – APRODEH – Perou
Centro de Políticas Públicas y Derechos Humanos – EQUIDAD- Perou
Centro de Derechos y Desarrollo – CEDAL – Perou
Centro de Estudios Legales y Sociales – CELS – Argentine
Comité de Acción Jurídica – CAJ – Argentine
Asamblea Permanente de Derechos Humanos de Bolivia -APDHB – Bolive
Justica Global – Brésil
Movimento Nacional de Direitos Humanos – MNDH – Brésil
Observatorio Ciudadano – Chili
Instituto Latinoamericano para una Sociedad y un Derecho Alternativos – ILSA- Colombie
Colectivo de Abogados Jose Alvear Restrepo – CAJAR – Colombie
La Comisión de Derechos Humanos de El Salvador (CDHES) – El Salvador
Fundación Regional de Asesoría en Derechos Humanos – INREDH – Équateur
Comisión ecuménica de derechos humanos – CEDHU – Équateur
Acción Ecológica – Équateur
Center for Justice and Accountability – CJA- États Unis
Centro para la Acción Legal en Derechos Humanos – CALDH – Guatemala
Centro de Investigación y Promoción de los Derechos Humanos – CIPRODEH – Honduras
Idheas Litigio Estratégico en Derechos Humanos – Méxique
Comisión Mexicana de Defensa y Promoción de los Derechos Humanos – CMDPDH – Méxique
Liga mexicana por la defensa de los Derechos Humanos – LIMEDDH – México
Centro Nicaragüense de Derechos Humanos – CENIDH – Nicaragua
Comisión de los Derechos Humanos – CNDH-RD – República Dominicana
Programa Venezolano de Educación-Acción en Derechos Humanos (Provea) – Venezuela
Federación Internacional por los Derechos Humanos (FIDH)