24 DÉCEMBRE 2024 – TRIBUNE COLLECTIVE “LOI IMMIGRATION : AYONS LE COURAGE D’OPPOSER À LA RESTRICTION DES LIBERTÉS, UN VÉRITABLE SURSAUT CITOYEN”, PUBLIÉE DANS LIBÉRATION

26.12.2023

Plus de 150 organisations, dont la LDH, appellent à une mobilisation citoyenne pour dénoncer la loi qui remet en cause des principes républicains fondamentaux

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Le 19 décembre dernier, le Sénat et l’Assemblée nationale ont adopté à la majorité le projet de loi immigration. Cette adoption va dans le sens d’une remise en question sans précédent des valeurs républicaines. Instauration de quotas migratoires, conditionnement d’aides sociales à cinq ans de séjour régulier, conditionnalité de l’aide publique au développement, durcissement des conditions d’accès à la nationalité, mise en place d’une caution pour les étudiants étrangers sont autant de lignes rouges qui sont franchies. Ironie du sort, le texte va jusqu’à conditionner l’obtention d’un titre de séjour au respect des principes républicains à l’heure où nous nous nous en éloignons.

Au-delà de s’en prendre drastiquement au droit des étrangers, cette loi vient compliquer encore davantage le travail mené par les salariés et les bénévoles de nombreuses associations et structures de l’économie sociale et solidaire qui interviennent en aide aux plus démunis. Ainsi, la loi prévoit des restrictions à l’hébergement d’urgence pour les personnes qui sont visées par une obligation de quitter le territoire, entravant plus encore la tâche pour les structures qui luttent contre la précarité. Ce n’est pas aux associations de cautionner la préférence nationale !

Les acteurs de terrain ont toujours été force de proposition pour renforcer l’intégration des immigrés, enjeu majeur pour une société à réconcilier et rendu plus difficile par la loi votée. Au lieu de se saisir de leur expertise pour apporter des solutions concrètes et utiles, les parlementaires ont fait le choix de céder aux sirènes d’une extrême droite – qui se gargarise aujourd’hui d’une «victoire idéologique» – quitte à remettre en cause des principes républicains fondamentaux.

L’immigration irrigue et enrichit la France

La situation n’est plus soutenable. Là où nous devrions combattre la xénophobie et le populisme, là où nous devrions donner à voir que l’immigration irrigue et enrichit la France, là où nous devrions chercher à réconcilier les Françaises et les Français, cette loi n’ajoute que de la division. Elle s’inscrit dans un contexte global où chaque jour nous tirons la sonnette d’alarme sur le déclin de nos libertés et sur le renoncement à nos principes fondamentaux.

Plus que jamais, il devient urgent de réinvestir le politique et d’opposer des solutions concrètes aux discours réactionnaires. Les associations offrent cette possibilité de traduire en actes des valeurs politiques mais elles ne sont pas seules. Partout autour de nous, il existe des espaces où se mobiliser. Alors, soyons intransigeants et surtout, ne nous résignons pas à perdre la bataille culturelle.

Le drame de cette loi est qu’elle continue à ajouter de la division et de l’autoritarisme là où nous devrions travailler au rassemblement et à la consolidation de notre démocratie. Ayons le courage d’opposer à la restriction des libertés, un véritable sursaut citoyen. Ayons le courage que la majorité des parlementaires n’a pas eu en ce 19 décembre.

Signataires : Le Mouvement associatif, Claire Thoury, présidente ; ATD Quart Monde, Marie-Aleth Grard, présidente ; Citoyens & Justice, Marielle Thuau, présidente ; CNAJEP, Arnaud Tiercelin, coprésident ; Coordination SUD, Olivier Bruyeron, président ; Emmaüs France, Antoine Sueur, président ; ESS France, Jérôme Saddier, président ; Féderation des acteurs de solidarité, Pascal Brice, président ; France terre d’asile, Najat Vallaud Belkacem, présidente ; La Cimade, Henri Masson, président ; Le Mouvement des Régies, Jacques Limouzin, président ; Ligue des Droits de l’Homme, Patrick Baudouin, président ; Médecins du Monde, Florence Rigal, présidente ; Réseau national des juniors associations, Stéphane Alexandre, coprésident ; UNAT, Michelle Demessine, présidente ; UNIOPSS, Daniel Goldberg, président. 

LA LISTE DE TOUS LES SIGNATAIRES.

L’IMPASSE D’UN GOUVERNEMENT AUTORITAIRE DANS UNE DÉMOCRATIE

Communiqué de la LDH du 25.07.2023

En démocratie, il est exclu de gouverner par la peur. La confiance de la population dans sa police est donc une des clefs pour le « vivre ensemble ». Les révolutionnaires ont inscrit dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 l’interdiction de l’emploi de la force « non nécessaire ». Ils ont aussi exigé une force publique à même de faire respecter la loi, expression de la volonté générale, qui doit être « la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ».

En prônant le principe de ne pas placer en détention provisoire un policier, mis en examen pour des faits graves de violences aux personnes, le directeur général de la police nationale, le préfet de police et le ministre de l’Intérieur ont opté pour une fuite en avant vers un régime où la séparation des pouvoirs n’existe plus, où les forces de l’ordre ne seraient plus tenues de rendre des comptes et où l’indépendance de la justice n’est plus garantie en raison des pressions exercées sur les magistrats.

En démocratie, la liberté est un principe fondamental et placer un individu mis en examen en détention provisoire doit être dûment justifié, pour toute personne. En exempter par principe un policier qui est soupçonné de meurtre aggravé dans le cas de l’affaire Nahel à Nanterre ou de violences extrêmement graves à Marseille revient à le placer au-dessus de toutes et de tous.

Le président de la République a certes rappelé qu’un policier n’était pas au-dessus des lois, mais il n’a pas pour autant condamné les propos contraires qui ont été tenus.

Un tel silence constitue un mauvais signal d’encouragement donné aux forces de l’ordre pour utiliser, en toute impunité, des méthodes de répression violentes et disproportionnées.

La LDH (Ligue des droits de l’Homme) a dénoncé l’usage des armes lors de simples contrôles routiers, hors cas de légitime défense, et condamné l’usage des lanceurs de balles de défense en raison des dommages corporels très graves subis par les victimes.

Le gouvernement a choisi de s’en remettre à la police pour imposer sa politique, de préférence à la voie du dialogue démocratique. Il s’est placé lui-même dans une impasse, le contraignant à avaliser les risques d’interventions illégales des policiers et à s’enfoncer toujours plus dans une spirale répressive à un moment où une désescalade est plus que jamais nécessaire.

Afin d’enrayer cette dérive inquiétante, la LDH demande au président de la République de ramener la police au respect des valeurs républicaines, et de réaffirmer que celle-ci doit demeurer sous contrôle de la justice.

Paris, le 25 juillet 2023

TÉLÉCHARGER LE COMMUNIQUÉ “L’IMPASSE D’UN GOUVERNEMENT AUTORITAIRE DANS UNE DÉMOCRATIE” EN FORMAT PDF

En Pologne, une marée humaine contre la dérive liberticide du gouvernement

Publié sur Libération le 4 juin 2023

par Patrice Senécal, correspondant à Varsovie

A quelques mois de législatives cruciales, un demi-million de Polonais ont défilé ce dimanche à Varsovie contre la politique illibérale du parti Droit et Justice. Du jamais-vu depuis la chute du communisme en 1989.

«Etre ici, aujourd’hui, c’est une obligation si l’on veut maintenir notre démocratie. Ça n’a rien à voir avec la politique, c’est une question de liberté, d’Etat de droit.» Kuba Szadag, 61 ans, n’aurait manqué pour rien au monde l’immense rassemblement. Drapeau polonais à la main, le voilà entouré, en ce dimanche 4 juin, d’une marée humaine rassemblée sur la place Na Rozdrozu, dans le centre de Varsovie, pour s’opposer à la politique du parti Droit et Justice (PiS), qui multiplie les dérives antidémocratiques depuis 2015.*

Pas moins de 500 000 personnes ont pris part au cortège, d’après des estimations de la presse polonaise. Soit le plus imposant mouvement de contestation depuis la fin du communisme, il y a une trentaine d’années. Autre symbole, et pas des moindres : la date du rassemblement coïncidait d’ailleurs avec l’anniversaire des premières élections semi-libres en 1989, qui ont marqué l’ouverture démocratique de la Pologne. Tout un symbole, à l’approche d’un scrutin attendu à l’automne qui s’annonce aussi serré que crucial pour l’avenir de la démocratie polonaise.

Klaxons, drapeaux agités et slogans, scandés ou inscrits sur d’innombrables pancartes, rythmaient le défilé : «On en a assez !»«Le PiS, laissez-nous en paix»«Pologne libre»«La démocratie, c’était mieux»«Si je voulais habiter au Bélarus, je déménagerais», «Le PiS tombera avec les feuilles d’automne». Vu du ciel, cela ressemblait à une gigantesque marée humaine bleue et rouge, couverte d’étoffes polonaises et européennes, témoignant de l’europhilie de l’opposition démocratique.

Dans la foule immense, de nombreux Varsoviens, mais pas seulement : plus d’un millier d’autocars des quatre coins de la Pologne avaient été affrétés pour l’occasion. Des trains bondés ont également afflué vers Varsovie. Le profil des manifestants, très divers, s’est rajeuni par rapport aux précédentes manifestations pro-démocratie se tenant depuis huit ans, surtout prisées par la génération Solidanorsc. On reste loin, toutefois, des manifestations pro-choix de 2020 qui, dans la foulée du durcissement de la loi sur l’avortement, avaient détonné par le jeune âge des contestataires.

«Nous vaincrons ce mal»

«Nous avons brisé une certaine barrière d’indifférence, de scepticisme», se félicite un Donald Tusk combatif, chemise blanche retroussée, à l’issue de la manifestation conclue sur la place du château, dans la vieille ville de Varsovie. «Je veux vous dire : nous avons beaucoup de soucis à nous faire, nous allons nous en inquiéter. Nous vaincrons ce mal [lors du prochain scrutin]», clame le chef de la libérale Plateforme civique, principal parti d’opposition en Pologne.

La «marche» avait été soigneusement organisée quelques semaines plus tôt, à son initiative, et afin de protester contre «la vie chère, l’escroquerie et le mensonge, en faveur de la démocratie, des élections libres et de l’UE». Or, signe d’une contestation allant bien au-delà de sa simple personne – clivante jusque dans les milieux d’opposition –, tous les partis d’opposition s’y sont rendus. Une démonstration de force de l’opposition démocratique qui, en dépit de sa désunion, affiche sa vigueur à quelques mois des élections législatives cruciales de l’automne.

«Ce sera l’élection la plus importante depuis 1989», estime Kuba, qui peine à avancer dans le cortège bondé et hausse la voix pour se faire entendre. «Le PiS essaie désormais de mettre en place des stratagèmes pour nuire à l’opposition. Si on perd, il n’y aura peut-être pas de retour en arrière, on pourra dire au revoir à la démocratie et peut-être que dans dix ans, on deviendra un nouveau Bélarus», s’inquiète l’homme aux cheveux blancs, qui a pris part à la révolution Solidarnosc en Pologne, dans les années 1980.

Loi liberticide

La mobilisation a en outre été galvanisée par l’entrée en vigueur, mardi 30 mai, d’une législation mettant sur pied une «commission sur l’influence russe». Or, sous couvert de lutter contre les ingérences du Kremlin, il s’agirait en fait de disposer d’un instrument visant à réprimer l’opposition. La loi aux contours flous prévoit notamment de sanctionner quiconque ayant «agi au détriment des intérêts de la République de Pologne», en faveur de Moscou.

Ses détracteurs, qui l’ont baptisée «loi Tusk», y voient une manière détournée de disqualifier l’ennemi juré du PiS, l’ancien Premier ministre polonais et président du Conseil européen, Donald Tusk, aujourd’hui principale figure de l’opposition. Face aux vives critiques de Washington et Bruxelles, le président Andrzej Duda, qui l’a lui-même promulguée et défendue, a annoncé vendredi vouloir amender la loi. Des modifications en trompe-l’œil, qui n’altèrent en rien sa dimension liberticide, dénoncent les juristes et l’opposition.

«C’est la dernière chance pour défendre la liberté et les acquis pour lesquels nos aînés se sont battus. La Lex Tusk est scandaleuse, on n’aura aucune garantie d’avoir de décision de justice véritablement juste, car les tribunaux ne sont pas indépendants, regrette Marta, 33 ans, rencontrée dans le cortège. Ils utiliseront la commission comme bon leur semble et on est là pour leur montrer qu’on s’y oppose. Ça me donne espoir de nous savoir si nombreux, qu’on puisse choisir notre futur. Il y a quelques mois, je doutais qu’on puisse se mobiliser de cette manière.»

Le Premier ministre, Mateusz Morawiecki, lui, a préféré railler : «Les vieux renards organisent une marche antigouvernementale et la présentent comme une manifestation spontanée.» La télévision publique TVP, sur laquelle le PiS a fait main basse ces dernières années, n’a pipé mot sur la tenue de l’événement, inédit par son ampleur, préférant diffuser un défilé «des cercles de femmes au foyer rurales».