LDH-66 – Pyrénées Orientales

RAPPORT D’AMNESTY INTERNATIONAL SUR LA TERRIBLE REPRESSION EN EGYPTE

Dans l’Egypte du président-général al Sissi, l’état d’urgence devient permanent et élargit la notion de terrorisme à tous les défenseurs des droits humains. Le procureur général de la sûreté de l’État multiplie les détentions provisoires qui peuvent durer plusieurs années incluant tortures et disparitions,…En France le gouvernement Macron s’est montré complice de la répression en Egypte par sa livraison d’armes au régime militaire, en violation du droit international et des engagements européens.

Voici le tout récent rapport d’Amnesty International.

Publié sur le site amnesty.be

ÉGYPTE, UN SINISTRE OUTIL DE RÉPRESSION

Dans un nouveau rapport, Amnesty International met au jour le recours abusif à la législation antiterroriste dont se rend régulièrement coupable le bureau égyptien du procureur général de la sûreté de l’État à dessein de poursuivre en justice des milliers de voix critiques pacifiques et de suspendre les garanties d’équité des procès.

Ce rapport, intitulé Permanent State of Exception (synthèse disponible en français), révèle que le bureau du procureur général de la sûreté de l’État, service spécial du parquet en charge des enquêtes sur les menaces pour la sécurité nationale, se rend complice de disparitions forcées, de privation arbitraire de liberté, de torture et d’autres mauvais traitements. Il est à l’origine du placement prolongé en détention de plusieurs milliers de personnes pour des motifs fallacieux, bafouant sans vergogne les droits des détenu·e·s à un procès équitable.

« Dans l’Égypte actuelle, le bureau du procureur général de la sûreté de l’État a élargi la définition du “terrorisme” pour l’étendre aux manifestations pacifiques, à la publication de messages sur les réseaux sociaux et aux activités politiques légitimes, les détracteurs du gouvernement étant de fait traités comme des ennemis de l’État alors qu’ils n’ont pas recouru à la violence ni prôner son usage. C’est devenu un outil de répression majeur, qui semble avoir pour principal objectif d’arrêter arbitrairement et d’intimider les personnes critiques, cela au nom de la lutte contre le terrorisme, a déclaré Philip Luther, directeur de la recherche et du plaidoyer pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.

« Parmi les personnes poursuivies en justice par ce bureau, beaucoup ont été placées en détention parce qu’elles ont exprimé leurs opinions ou défendues les droits humains de façon pacifique – ces personnes n’auraient jamais dû être arrêtées. »

Le rapport d’Amnesty International présente les cas de dizaines de personnes qui ont été déférées à ce bureau, parce qu’elles défendent les droits humains ou désapprouvent le gouvernement de façon pacifique.

Sont notamment décrits les cas de Zyad el Elaimy, avocat spécialiste des droits humains et membre du Parti social-démocrate égyptien, qui a été arrêté pour avoir tenté de cofonder une coalition parlementaire, la « Coalition de l’espoir », en vue des élections législatives de 2020, et d’Abeer el Safty, journaliste qui a été placée en détention après avoir refusé d’être contrainte par la police à participer au référendum de 2019.

L’ESSOR DU BUREAU DU PROCUREUR GÉNÉRAL DE LA SÛRETÉ DE L’ÉTAT

Depuis l’accession à la présidence d’Abdel Fattah al Sissi en 2013, le nombre de poursuites engagées par le bureau a quasiment triplé, passant de 529 environ en 2013 à 1 739 en 2018.

Cette augmentation fulgurante du nombre de poursuites a permis aux autorités de placer des suspects en détention provisoire, dans l’attente des conclusions des enquêtes. En réalité, nombre de ces personnes sont détenues pendant des mois, voire des années, en l’absence d’éléments à charge, sur la base d’investigations secrètes de la police et sans possibilité de recours effectif. Les autorités ont ainsi pu reproduire la procédure de détention administrative de longue durée, autorisée au titre de la législation d’urgence et caractéristique de l’ère Moubarak dans le pays jusqu’à ce que, en 2013, la Cour suprême constitutionnelle juge inconstitutionnelle les dispositions relatives à cette procédure.

Depuis cette décision, le bureau du procureur général de la sûreté de l’État a systématiquement abusé de ses prérogatives pour cibler les opposants au gouvernement. Son ascension intervient dans un contexte de répression sans précédent des droits humains dans le pays ces six dernières années. L’état d’urgence y est renouvelé systématiquement par le président Abdel Fattah al Sissi depuis 2017.

« Le bureau du procureur général de la sûreté de l’État, l’Agence nationale de sécurité (unité spéciale de la police) et les tribunaux antiterroristes forment un système judiciaire parallèle, dans le cadre duquel les dissidents pacifiques sont arrêtés, interrogés et jugés. La normalisation du rôle de ce bureau fait apparaître un état d’urgence permanent, où sont suspendus les droits à la liberté, d’être jugées équitablement et de ne pas être torturées des personnes accusées de “terrorisme” », a déclaré Philip Luther.

Dans son rapport, Amnesty International recense les cas de 138 personnes détenues par le bureau du procureur général de la sûreté de l’État entre 2013 et 2019, s’appuyant pour cela sur plus d’une centaine d’entretiens et l’examen de documents officiels de police et de justice, de dossiers médicaux, de vidéos et de rapports préparés par des ONG et des organismes des Nations unies.

Cinquante-six d’entre elles ont été arrêtées pour avoir participé à des manifestations ou diffusé certains messages sur les réseaux sociaux, 76 en raison de leurs activités ou antécédents dans les domaines de la politique ou de la défense des droits humains, les six dernières étant accusées de participation à des violences.

Elles ont pour la plupart fait l’objet d’enquêtes pour appartenance ou assistance à un groupe terroriste ou autrement illégal dans le but de troubler l’ordre public ou de porter atteinte à la sécurité. En réalité, beaucoup n’ont été placées en détention que sur la base d’investigations secrètes de la police qui, en vertu d’un arrêt rendu en 2015 par la Cour de cassation, ne peuvent constituer des preuves à elles seules, ou bien sur la base de critiques des autorités égyptiennes formulées en ligne mais ne constituant pas un acte d’incitation.

DÉTENTION ARBITRAIRE PROLONGÉE

Le rapport révèle que le bureau du procureur général de la sûreté de l’État abuse régulièrement des pouvoirs spéciaux qui lui sont conférés par la législation égyptienne – pouvoirs habituellement réservés aux juges –, en vertu desquels il est autorisé à ordonner la détention provisoire de suspects pour une période pouvant aller jusqu’à 150 jours. Les personnes visées peuvent interjeter appel de la décision, mais le choix des recours qui seront examinés par un juge et non par un procureur est laissé à la discrétion du bureau.

À l’issue de la période initiale de 150 jours, le bureau demande aux « tribunaux itinérants en charge des affaires de terrorisme » de renouveler la détention des suspects tous les 45 jours. Là encore, c’est ce bureau qui décide qui peut ou non interjeter appel des décisions rendues par les juges. Même quand la justice a ordonné la remise en liberté des détenus, il a contourné les décisions en émettant de nouvelles ordonnances de mise en détention en lien avec de nouvelles charges.

Le bureau du procureur général de la sûreté de l’État a ainsi été en mesure de détenir arbitrairement plusieurs milliers de personnes pendant des mois, voire des années, en se fondant sur de vagues accusations de « terrorisme ». D’après les recherches menées par Amnesty International, les personnes arrêtées ont été maintenues en détention provisoire pendant 345 jours en moyenne, et 1 263 jours dans un cas, avant d’être relâchées sans être déférées à la justice. Pendant leur détention, elles ont rarement été interrogées plus d’une fois.

Le journaliste d’Al Jazira, Mahmoud Hussein, accusé d’avoir diffusé de fausses informations, est détenu depuis le 23 décembre 2016. Son ordonnance de mise en détention a été prorogée à plusieurs reprises, d’abord par le bureau du procureur général de la sûreté de l’État, puis par un juge. En mai 2019, sa libération assortie d’une mise à l’épreuve a été prononcée, mais le bureau a passé outre à cette décision, ordonnant à nouveau sa détention sur la base de nouvelles accusations.

COMPLICITÉ DE TORTURE ET DE DISPARITIONS FORCÉES

Le rapport d’Amnesty International montre également que le bureau du procureur général de la sûreté de l’État est complice de disparitions forcées et de torture. Il n’enquête jamais sur les allégations faisant état de ce type d’atteintes aux droits humains et, pendant les procès, il retient systématiquement des « aveux » arrachés sous la torture à titre d’évidence. Certain·e·s accusé·e·s ont d’ailleurs été condamné·e·s à mort et exécuté·e·s sur la base de ces aveux.

Le rapport fait état de 112 personnes soumises à une disparition forcée, qui a duré pour certaines jusqu’à 183 jours, par les forces de sécurité, principalement l’Agence nationale de sécurité.

L’avocate spécialiste des droits humains, Hoda Abdelmoniem, a été soumise à une disparition forcée pendant trois mois. Pendant cette période, elle a comparu devant des magistrats du bureau du procureur général de la sûreté de l’État et leur a indiqué qu’elle était détenue par la police dans un lieu inconnu, sans pouvoir contacter son avocat ni sa famille, mais ceux-ci n’ont pas mené d’enquête et n’ont ordonné son transfert dans un lieu de détention officiel que 90 jours après sa disparition.

On apprend également que le bureau n’a pas enquêté sur 46 cas de torture ou d’autres mauvais traitements exposés dans le rapport d’Amnesty International.

La militante des droits humains Esraa Abdelfattah a expliqué aux magistrats du bureau que des membres de l’Agence nationale de sécurité l’avaient enlevée, frappée et torturée, et qu’elle avait notamment subi une tentative d’étranglement. Ceux-ci n’ont pas ouvert d’enquête sur ces allégations.

Le bureau du procureur général de la sûreté de l’État manque également de façon systématique à son obligation d’information des accusés au sujet de leurs droits. Ces derniers ne sont pas autorisés à consulter un avocat, sont maintenus dans des conditions inhumaines et sont interrogés sous la contrainte, certains ayant notamment les yeux bandés et étant menacés de renvoi aux mains de l’Agence nationale de sécurité pour y être torturés et interrogés.

« Il est révoltant de constater qu’une institution dont la mission est d’entamer des procédures judiciaires afin de rendre justice bafoue de façon si flagrante l’obligation qui lui incombe de garantir le droit à un procès équitable et se rend complice de disparitions forcées et de torture, a déclaré Philip Luther.

« Les autorités égyptiennes doivent créer une commission d’enquête, dont les travaux seront rendus publics, sur le rôle joué par le bureau du procureur général de la sûreté de l’État dans les détentions arbitraires prolongées, sur les violations du droit à un procès équitable dont ce bureau se rend coupable et sur sa complicité dans les violences policières. »

Les avocats et avocates représentant des personnes faisant l’objet de poursuites engagées par le bureau du procureur général de la sûreté de l’État ont de leur côté indiqué avoir été menacés, harcelés, arrêtés et placés en détention en raison de leurs activités. Mahienour el Masry, avocate qui milite en faveur des droits fondamentaux, a été détenue alors qu’elle assistait à un interrogatoire d’un client dans les locaux du bureau. Mohamed el Baqer, lui aussi avocat et défenseur des droits humains, a subi le même sort.

TENTATIVE DE LÉGITIMATION DE LA RÉPRESSION

Généralement rares en Égypte, des manifestations ont pourtant eu lieu il y a de cela deux mois, suivies d’une vague d’arrestations de grande ampleur : plus de 4 000 personnes ont été interpellées par les autorités égyptiennes en l’espace de quelques semaines, beaucoup sans raison. Les enquêtes ouvertes par le bureau du procureur général de la sûreté de l’État reposaient dans la grande majorité des cas sur la participation présumée des personnes aux manifestations et sur des accusations liées au « terrorisme ».

« Les autorités égyptiennes ont tenté de légitimer leurs opérations de répression de la liberté d’expression sur la scène internationale, en prétendant qu’elles sévissent contre les “terroristes”. En réalité, elles considèrent l’opposition pacifique et l’expression de ses opinions sans recourir à la violence ni prôner son usage comme des “actes terroristes”. La communauté internationale ne doit pas se laisser berner, a déclaré Philip Luther.

« Il ne faut pas que les alliés internationaux de l’Égypte sacrifient les principes relatifs aux droits humains sur l’autel des intérêts commerciaux et en matière de sécurité. Ils doivent au contraire faire pression sur les autorités égyptiennes afin qu’elles réforment le bureau du procureur général de la sûreté de l’État et relâchent toutes les personnes détenues simplement pour avoir exprimé leurs opinions ou défendu les droits humains de façon pacifique. »

TRIBUNE DE MALIK SALEMKOUR ET DIMITRIS CHRISTOPOULOS « RÉPRESSION EN EGYPTE : COMMENT AL-SISSI ACHÈTE LE SILENCE FRANÇAIS »

Tribune de Malik Salemkour et Dimitris Christopoulos « répression en Egypte

–> Publié dans liberation.fr

Le président français est en visite au Caire pendant trois jours jusqu’à ce mardi. Les relations commerciales entre les deux pays sont florissantes, surtout pour les ventes d’armes. Ces dernières ont des conséquences directes sur la détérioration de la situation des droits humains en Egypte, à défaut d’avoir éradiqué le terrorisme dans la région.

Tribune. L’énorme gâteau offert par le président Al-Sissi au ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, à l’occasion de son anniversaire en juillet dernier, a été interprété par beaucoup comme un excellent signe pour les négociations en cours sur la vente par la France à l’Egypte de 24 nouveaux Rafales, ou de 30 nouveaux drones Patroller. La visite en Egypte du président Macron devrait encore confirmer que les relations commerciales entre Paris et Le Caire sont au beau fixe, particulièrement dans les ventes d’armes. Des liens qui font de l’Egypte le premier client de la France au niveau mondial dans ce domaine, hissant au passage l’Hexagone au troisième rang des pays exportateurs d’armes dans le monde.

Cet intérêt manifeste du président égyptien pour l’armement made inFrance est pour le moins suspect. Al-Sissi voudrait en effet acheter le silence de Paris qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Or jusqu’à aujourd’hui, tout tend à prouver que cette stratégie fonctionne. Lors de la dernière visite de son homologue égyptien à Paris, en octobre 2017, et alors que l’Egypte avait déjà passé des contrats pharaoniques dans le domaine de la défense, Emmanuel Macron avait bien pris soin de préciser qu’il n’avait «aucune leçon à donner» en matière de droits humains.

Renforcement de l’appareil répressif

Officiellement, ces ventes d’armes se font dans le cadre du «partenariat privilégié» entretenu par les deux pays au nom de la lutte antiterroriste. Un prétexte fallacieux pour quiconque s’intéresse un tant soit peu à la situation intérieure égyptienne, où la répression de toute opinion dissidente est devenue le seul axe politique clair d’un pouvoir de plus en plus totalitaire. Le soutien sans faille apporté par l’Elysée au président égyptien, a des conséquences directes sur la détérioration de la situation des droits humains en Egypte. Il cautionne une suppression sans précédent des libertés en Egypte, tandis que les exportations par la France d’armes et de technologies de surveillance, d’interception de masse, ou encore de contrôle des foules, servent vraisemblablement bien plus les objectifs d’une répression tous azimuts qu’une lutte efficace contre le terrorisme, loin de porter ses fruits en Egypte et dans les pays voisins. Parmi les firmes incriminées, on peut citer l’ex-Amesys devenue Nexa Technologies, MBDA, Arquus, Safran, Thales, ou encore Suneris et Idemia.

Autant de contrats juteux qui expliquent le silence des autorités françaises face à la dérive autoritaire du président égyptien. Plusieurs mesures liberticides ainsi ratifiées cette année sont venues renforcer encore davantage l’arsenal répressif égyptien. La loi sur la cybercriminalité permet, notamment, aux autorités égyptiennes de bloquer tout site internet qui constituerait une «menace à la sécurité nationale», et inflige jusqu’à deux ans d’emprisonnement aux personnes gérant ou créant ces sites internet.

Une autre loi sur les médias adoptée en 2018 criminalise la publication de contenus définis en des termes très larges et permet la censure par un Conseil suprême de la régulation des médias sur des critères flous. Au point que l’Egypte se place aujourd’hui au 161e rang sur 180 pays dans le classement de Reporters sans frontières sur la liberté de la presse, et compte plus de 30 journalistes derrière les barreaux. Les attaques contre les défenseurs des droits humains, tels que Malek Adly, Ibrahim Metwally ou encore Amal Fathy, ne font que s’accentuer. Le «coup de filet» de novembre dernier a inclus l’arrestation de 40 activistes des droits humains. Le secteur artistique n’est pas épargné, avec la publication du décret 1238 en juillet qui encadre drastiquement la liberté des artistes. Nulle réaction du Quai d’Orsay ou de l’Elysée face à cette censure généralisée à l’échelle nationale. Pas de «leçons à donner», on vous dit.

Fabrique de terroristes

Des arrestations contre plusieurs figures de l’opposition ont également eu lieu, au point que l’on évoque aujourd’hui près de 60 000 prisonniers politiques en Egypte. Les disparitions forcées sont également monnaie courante, avec 129 morts en détention en 2017. Les procès arbitraires et de masse des mois d’août et septembre derniers ont également démontré la parodie de justice qui se jouait dans le pays, où 739 personnes arrêtées (vraisemblablement avec l’appui de blindés français) lors des manifestations de Rabaa ont été jugées coupables par la cour pénale du Caire. Les condamnations à mort se sont également poursuivies : au moins 482 peines de mort ont été prononcées en première instance et au moins 74 exécutions effectives ont été conduites depuis juillet 2017.

Dans ce contexte, les inévitables erreurs judiciaires, mais aussi les innombrables bavures de l’armée, dans le Sinaï particulièrement, et les exécutions extrajudiciaires de «terroristes», créent une situation inverse à celle recherchée, avec la création d’un ressentiment d’une partie de la population, largement exploité par des groupes islamistes sans scrupule. La répression d’Al-Sissi est l’un de leurs meilleurs atouts, favorisant la mise en place d’une véritable fabrique de terroristes susceptibles de menacer l’Egypte, la sous-région, ou l’Europe. Avec là encore la participation discrète, mais très appréciée, de la France.

La France doit respecter ses obligations

Cette situation désastreuse ne peut continuer à laisser le président Macron indifférent. Sa visite doit être l’occasion d’interpeller Al-Sissi, et de demander des comptes sur sa politique «antiterroriste». Parallèlement, la France doit envisager une remise en question sérieuse de sa politique de soutien inconditionnel à Al-Sissi et se pencher sur la question des ventes d’armes. Le respect des obligations internationales de la France n’est en effet pas optionnel.

Les ventes de technologies de surveillance et d’armes doivent être suspendues aussi longtemps que seront rapportées de graves violations des droits humains, en application du Traité sur le commerce des armes, dont la France est signataire. Le Parlement français doit également jouer son rôle de contre-pouvoir et se saisir de cette question, en posant des questions à l’exécutif, en exigeant d’obtenir les informations aujourd’hui classées secret-défense qui permettront de débattre des ventes et de leur légalité, et enfin en créant une commission parlementaire permanente chargée du contrôle des exportations françaises de matériel militaire et de surveillance. La participation française au renforcement du projet totalitaire d’Al-Sissi, au mépris des souffrances du peuple égyptien, doit prendre fin.

Dimitris Christopoulos président de la FIDH Malik Salemkour Président de la Ligue des Droits de l’Homme.

RAPPORT : « EGYPTE, UNE RÉPRESSION MADE IN FRANCE » LA FRANCE ET SES ENTREPRISES PARTICIPENT À L’ÉCRASEMENT DU PEUPLE ÉGYPTIEN

TÉLÉCHARGER LE RAPPORT « EGYPTE, UNE RÉPRESSION MADE IN FRANCE »

SIGNEZ LA PÉTITION POUR DEMANDER UNE COMMISSION D’ENQUÊTE PARLEMENTAIRE SUR LES VENTES D’ARMES FRANÇAISES

 

UN NOUVEAU RAPPORT dévoile aujourd’hui comment l’État et plusieurs entreprises françaises ont participé à la sanglante répression égyptienne des cinq dernières années, en fournissant au régime d’Abdel Fattah al-Sissi du matériel militaire et de surveillance. Dotant les services de sécurité et de répression égyptiens de puissants outils numériques, elles ont participé à la mise en place d’une architecture de surveillance et de contrôle orwellienne, utilisée pour briser toute velléité de dissidence et de mobilisation. Face à ce nouveau scandale touchant les exportations d’armement et de « biens à double usage » français, nos organisations demandent la mise en place d’une enquête parlementaire et l’arrêt immédiat de ces exportations.

Depuis le coup d’état militaire de juillet 2013 orchestré par Abdel Fattah Al Sissi, l’Égypte est en proie à une répression implacable. Le bilan est accablant pour ses services sécuritaires : dispersions de manifestations avec des moyens militaires (plus de 1 000 morts pour la seule dispersion du sit-in de Rabaa Al Adawiya, le 14 août 2013 au Caire) ; incarcération d’au moins 60 000 prisonniers politiques depuis 2013 ; milliers d’exécutions extra-judiciaires et disparitions forcées (entre juillet 2013 et juin 2016, 2 811 cas de disparition forcées aux mains des services de sécurité[1]) ; recours systématique à la torture ; augmentation des condamnations à mort.

Alors que le Conseil des Affaires Étrangères de l’Union Européenne affirmait le 21 août 2013 que : « Les États membres ont décidé de suspendre les licences d’exportation vers l’Égypte de tous les équipements qui pourraient être utilisés à des fins de répression interne », au moins huit entreprises françaises – encouragées par les gouvernements successifs – ont au contraire profité de cette répression pour engranger des profits records. Entre 2010 et 2016, les livraisons d’armes françaises vers l’Égypte passent de 39,6 millions à 1,3 milliards d’euros.

« Alors que le Conseil Européen annonçait la cessation des exportations de matériel militaire et de surveillance pour condamner la dérive dictatoriale en Égypte, la France gagnait des parts de marché et réalisait des exportations records ! » remarque ainsi Dimitris Christopoulos, Président de la FIDH.

Certaines entreprises ont vendu des armes conventionnelles à une armée responsable de la mort de centaines de civils au nom de la guerre contre le terrorisme, notamment dans le Sinaï : navires de guerre Mistral (DCNS) ; frégates Fremm (DCNS) ; corvettes (Gowind) ; avions de combat Rafale ; véhicules blindés (Arquus) ; missiles air-air Mica et de croisière SCALP (MBDA) ; missiles air-sol 2ASM (SAGEM).

D’autres entreprises françaises ont vendu des véhicules blindés (200 Renault Trucks Defense vendus entre 2012 et 2014) et des machines-outils à fabrication de cartouches (Manurhin) à des services de police qui n’hésitent plus à disperser des manifestations au fusil mitrailleur.

Enfin, des sociétés ont vendu aux services de sécurité des technologies de surveillance individuelle (AMESYS/NEXA/AM Systems) ; d’interception de masse (SUNERIS/ERCOM) ; de collecte des données individuelles (IDEMIA) et de contrôle des foules (drones Safran, satellite AIRBUS/THALES, blindés légers Arquus ex-RTD, adaptés au milieu urbain). Ce faisant, elles ont toutes participé à la construction d’une architecture de surveillance généralisée et de contrôle des foules, visant à empêcher toute dissidence ou mouvement social, et ayant conduit à l’arrestation de dizaines de milliers d’opposants et militants.

«  Si la révolution égyptienne de 2011 avait été portée par une « génération Facebook » ultra-connectée ayant su mobiliser les foules, la France participe aujourd’hui à l’écrasement de cette génération via la mise en place d’un système de surveillance et de contrôle orwellien, visant à écraser dans l’œuf toute expression de contestation. » déclare Bahey Eldin Hassan, Directeur du CIHRS.

Nos organisations demandent aux entreprises et aux autorités françaises la cessation immédiate de ces exportations mortifères. En outre, les autorités françaises doivent non seulement mettre en place une enquête parlementaire sur les livraisons d’armes à l’Égypte depuis 2013, mais s’atteler aussi à une totale refonte du système français de contrôle des exportations d’armes et de matériel de surveillance. Caractérisé par son opacité et sa trop grande dépendance au pouvoir exécutif, c’est ce système lacunaire qui permet aujourd’hui la livraison de matériel contribuant à de graves violations des droits humains en Égypte.

Paris, le 2 juillet 2018

 

Signataires :

Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH)

Cairo Institute for Human Rights Studies (CIHRS)

Ligue des droits de l’Homme (LDH)

L’Observatoire des Armements (OBSARM)