La nouvelle carte d’identité que le gouvernement entend introduire est une arme de guerre : elle contiendra des données biométriques, et son utilisation reviendra à créer un fichier de l’ensemble de la population française, accessible par la police et autres services. Tous les avertissements lancés par les spécialistes (voir ici l’article de Jean-Marc Manach, sur le « fichier des gens honnêtes), et par les partis d’opposition ont été vains : la vision sécuritaire et suspicieuse de la majorité l’a emporté.
Une pétition est en ligne en ce moment, pour tenter à nouveau d’empêcher cette opération. Intitulée « en 2012, sauvons la vie privée », elle a reçu le soutien de très nombreuses associations (dont la Ligue des droits de l’Homme) et de nombreuses personnalités. Il est urgent de la signer ici. En voici le texte.
Pétition : En 2012, sauvons la vie privée !
Pour un véritable droit d’opposition à l’informatisation de nos données personnelles.
Pour signer la pétition rendez-vous ici.
Notre vie privée est en danger ! Dans tous les domaines de la vie socio-économique – éducation, santé, protection sociale, administrations locales et centrales, instances financières et policières, etc. -, chacun d’entre nous se retrouve dépossédé arbitrairement de ses propres données personnelles, pour devenir l’objet d’une surveillance insidieuse échappant à tout contrôle légal réel.
Un contrôle informatique total
En ce début 2012, en dépit des apparences, nous voici passés sans coup férir d’une société démocratique à une société de suspicion généralisée, perturbant gravement notre relation aux autres et au monde. Sans parler de la prolifération des autres méthodes de « protection » électronique susceptibles de vérifier nos moindres faits et gestes (puces RFID d’identification par radiofréquence, géolocalisation par GPS, vidéosurveillance, biométrie, titres de transport, Internet, téléphones mobiles, etc.), l’informatisation de nos données personnelles s’effectue aujourd’hui de façon occulte et accélérée, sans réelle information, sans réel consentement. Ce fichage tentaculaire intéresse aussi bien l’Education nationale (Base élèves, fichier SCONET pour le secondaire, fichage des décrocheurs…), le travail social (action sociale des Conseils généraux, mairies et CCAS, allocataires de minima sociaux, SIAO pour les sans domicile…), les contribuables et les consommateurs, les clients des banques et des assurances, les personnes de nationalité étrangère (fichiers OSCAR de l’aide au retour, application de gestion AGDREF…), celles placées sous main de justice (gestion informatique des détenus GIDE, fichier FIJAIS des auteurs d’infractions sexuelles…), celles suivies en psychiatrie (RIMP, HOPSY)… Cependant que l’on dénombre environ 80 fichiers de police, catalogues présomptifs truffés d’erreurs concernant par dizaines de millions les simples suspects de délits commis ou à venir, et même les simples opposants politiques (fichiers STIC des infractions constatées, FNAEG des empreintes génétiques, PASP des atteintes à la sécurité publique, projet de fichier centralisé des données identitaires et biométriques, etc.).
C’est ainsi l’ensemble des populations susceptibles de poser problème à l’ordre en place qui sont fichées, et finalement nous tous, notamment avec le Livret personnel de compétences expérimental qui livrera bientôt notre parcours scolaire puis professionnel au bon vouloir des employeurs. Notre vie privée devient malgré nous d’autant plus dévoilée que l’interconnexion entre ces fichiers progresse à grands pas, autorisée par le répertoire de protection sociale RNCPS, le fichier du RSA ou les fichiers fiscaux pour la chasse aux fraudeurs et autres mauvais payeurs, par la LOPPSI II pour les fichiers de police, enfin par la loi Warsmann de « simplification du droit », qui permet désormais l’échange des données personnelles par toutes les administrations…
Comment sélectionner les populations en douceur
S’imposant à coups de lois, de simples arrêtés et de décrets incessants, on constate que ce fichage illimité s’effectue sous le couvert de la neutralité technique et comptable : « qualité » du service rendu, connaissance statistique et « traçabilité » des informations, « gestion » de telle ou telle catégorie (élèves, étrangers, pauvres, « vulnérables »…), « sécurité » publique et plus particulièrement lutte contre la fraude et contre la délinquance, ou encore « prévention » des comportements dangereux (enfants « à haut risque », détenus suicidaires, malades mentaux…). Mais en réalité, un tel « traitement » a pour principal résultat d’effectuer un tri des populations concernées, pour en assurer le contrôle socio-économique : tous ceux qui « ne rentrent pas dans les cases » des critères autorisés sont automatiquement repérés pour être pénalisés.
Contrairement à ce que les instances officielles comme la CNIL mettent en avant, le respect de la confidentialité des données personnelles par la multitude d’agents sociaux qui y ont accès (agents dont le secret professionnel légalement garanti deviendrait « partagé »), n’est donc pas le seul problème soulevé par le fichage. Certes, des affaires de piratage ou de divulgation à grande échelle ont défrayé la chronique ces dernières années, révélant qu’il est facile de pénétrer ou de détourner les fichiers informatiques aussi étroitement « sécurisés » soient-ils. Mais un danger encore plus grand pour les libertés publiques réside dans l’existence d’une finalité discriminatoire qui sauterait aux yeux si elle n’était massivement niée : en fait, l’usage normatif de toute cette technologie de contrôle numérique est la sélection concurrentielle – écarter « en douceur » les incapables et les déviants, pour mieux convaincre la plupart de s’y soumettre aveuglément !
L’informatisation aurait-elle tous les droits ?
Pourtant, la vie privée est protégée par la loi : Code civil, Convention européenne des droits de l’Homme, Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 enfin : « Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée (…). Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions (…) » (article 12). Par ailleurs, « la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression », droits imprescriptibles de l’Homme inscrits dans la Constitution, constituent une norme légale supérieure à toute décision possiblement arbitraire de l’Etat. Enfin, le principe républicain d’égalité fait obstacle à toute entreprise de compétition ou de sélection à laquelle les citoyens seraient abusivement contraints de participer…
Force est cependant de constater que dans la révision de 2004 de la loi du 6 janvier 1978 dite « informatique et libertés », le législateur n’a pas respecté cette hiérarchie des normes essentielle à la protection des libertés fondamentales : la nécessité du consentement individuel est bien rappelée, autrement dit la légitimité du droit d’opposition à l’informatisation de ses données personnelles (articles 7, 8 et 38). Mais pour disparaître comme par enchantement « lorsque le traitement (informatique) répond à une obligation légale » ! Quant à la CNIL, elle a été vidée de tout rôle décisionnel : les rares réserves qu’elle émet quand elle est consultée ne pèsent pas lourd face au déferlement des dispositions gouvernementales ou législatives, la conduisant finalement à cautionner la finalité « loyale, déterminée, explicite et légitime » du fichage généralisé qui se met en place (article 6). Pourtant, le rôle de la CNIL devrait être de défendre sans relâche la loi en question : « L’informatique ne doit porter atteinte ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’Homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques » (article 1er). De fait, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne confirme clairement que les données personnelles doivent être traitées « sur la base du consentement de la personne concernée ou en vertu d’un autre fondement légitime prévu par la loi » (article 8). C’est pourquoi le Conseil d’Etat a reconnu en juillet 2010 la légitimité du droit d’opposition au fichier Base élèves, et plusieurs Conseils régionaux viennent de se prononcer comme en Midi-Pyrénées pour demander « le retrait de tous les outils de fichage numérique notamment dans l’Education nationale ». Jusqu’au Code pénal qui punit « le fait de procéder à un traitement de données à caractère personnel concernant une personne physique malgré l’opposition de cette personne » (article 226-18) !
Aux chiffons les fichiers !
En ce début 2012, contre un fichage informatique des données personnelles aussi profondément abusif, au point de se ficher de la loi elle-même, il est grand temps de rééquilibrer la balance ! Comme leur nom l’indique, nos données personnelles relèvent strictement de notre vie privée, et nulle autre instance n’est habilitée à se les approprier et en faire usage sans attenter gravement aux droits fondamentaux de chacun et de tous. Agissons sans tarder pour défendre notre vie privée et nos libertés individuelles et publiques :
- Que chaque usager, chaque citoyen concerné n’hésite pas à s’opposer par toute action en justice appropriée à l’atteinte illégale à la vie privée que représente l’informatisation contrainte et forcée de ses données personnelles ;
- Que chaque acteur du sanitaire et du social soumis au secret professionnel défende son respect le plus strict. En tout état de cause, hors usage administratif très étroitement encadré, l’informatisation devrait rester restreinte et facultative, pour ne pas risquer de trier les usagers et de déposséder les professionnels du sens de leur métier en les transformant en agents de contrôle social et comptable ;
- Que la CNIL fasse désormais preuve d’une réelle indépendance démocratique, pour devenir une « Commission nationale des libertés face à l’informatique » (CNLI), aux prérogatives judiciaires affirmées. En particulier, elle doit faire valoir son opposition la plus claire à toute extension et toute interconnexion des fichiers de contrôle et de sélection socio-économiques, réclamer la révision des lois abusives récentes qui ont rendus ces derniers possibles, et faire respecter en toute circonstance l’obligation légale supérieure de recourir au consentement des personnes concernées ;
- Enfin, que le Conseil constitutionnel établisse le consentement individuel, et partant le droit d’opposition à l’informatisation de ses données personnelles, pour toutes les raisons que nous avons évoquées, comme un droit constitutionnel imprescriptible.
Nous attendons que les candidats à l’élection présidentielle de mai 2012 prennent position et s’engagent sur ces différents points.
EN 2012, REFUSONS LE FICHAGE INFORMATIQUE !
Premières organisations signataires :
Advocacy France – Association nationale des assistants de service social (ANAS) – Appel des appels – Association suicides dépressions professionnels (ASD Pro) – Association pour la taxation des transactions et l’action citoyenne (ATTAC France) – Collectif contre la nuit sécuritaire (les 39) – Collectif contre la politique de la peur – Collectif « Mais c’est un homme » – Collectif national de résistance à Base élèves (CNRBE) – Convergence services publics – Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité – Droits et libertés face à l’informatisation de la société, santé mentale Rhônes-Alpes (DELIS smra) – Fondation Copernic – Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI) – Ligue des droits de l’Homme (LDH) – Mouvement antidélation – Nouveau parti anticapitaliste (NPA) – Observatoire international des prisons (OIP) – Parti de gauche (PG) – Parti communiste français (PCF) – Privacy France – Sud santé sociaux – Syndicat de la magistrature – Syndicat de la médecine générale (SMG) – Syndicat national unitaire des agents des collectivités locales, des ministères de l’intérieur, des affaires sociales et des finances (SNUCLIAS-FSU) – Union des familles laïques (UFAL) – Union syndicale de la psychiatrie (USP).
Premières personnes signataires :
- Michel Antony, responsable national associatif
- Mathieu Bellahsen, psychiatre de secteur, Paris
- Annelyse Benoît, directrice d’école, résistante au fichage des enfants par Base élèves
- Martine Billard, députée de Paris, co-présidente du Parti de Gauche
- Matthieu Bonduelle, président du Syndicat de la magistrature
- Philippe Borrel, réalisateur, Paris
- Martine Boudet, professeure de Lettres, responsable associative
- Christine Buzzini, directrice d’école, résistante au fichage des enfants par Base élèves
- Alain Chabert, psychiatre
- Mireille Charpy, militante SNUIPP et LDH, Grenoble
- Patrick Chemla, psychiatre
- Thomas Coutrot, économiste
- Nadia Doghramadjian, Secrétaire Générale adjointe de la Ligue des Droits de l’Homme
- Jean-Pierre Dubois, Président d’Honneur de la Ligue des Droits de l’Homme
- Françoise Dumont, Vice-Présidente de la Ligue des Droits de l’Homme
- Martine Dutoit
- Hélène Franco, membre du Conseil national de campagne du Front de Gauche, coordinatrice du Front de Gauche thématique « droits, justice, libertés »
- Véronique Gallais, co-fondatrice d’Action Consommation, membre du conseil scientifique d’ATTAC France
- Philippe Gasser, psychiatre
- Samuel Gautier, Observatoire international des prisons (OIP)
- Claire Gekière, psychiatre
- Roland Gori, professeur émérite de psychopathologie à l’université d’Aix Marseille, psychanalyste
- Odile Gormally, secrétaire DELIS SMRA, psychologue
- Catherine Grèze, députée européenne
- Catherine Jouanneau, secrétaire nationale du Parti de Gauche chargée de la santé
- Serge Klopp, responsable psychiatrie du PCF, collectif des 39 contre la nuit sécuritaire
- Olivier Labouret, psychiatre, président de l’USP
- Michel Lallier, représentant syndical CGT au sein du Haut Comité à la transparence nucléaire
- Christian Laval
- Christian Lehmann, médecin généraliste, écrivain
- Danièle Lochak, juriste-universitaire
- Claude Louzoun, collectif « Mais c’est un homme », Comité européen droit, éthique et psychiatrie
- Jean-Luc Mélenchon, candidat du Front de Gauche à l’élection présidentielle, député européen
- Jean-François Mignard, membre du Bureau National de la Ligue des Droits de l’Homme
- Odile Morvan, psychologue clinicienne, docteur en psychologie, psychanalyste (SPP)
- François Nadiras, militant LDH, Toulon
- Pierre Paresys, psychiatre, USP
- Bruno Percebois, Seine Saint Denis, Syndicat national des médecins de PMI
- Philippe Pineau, membre du Bureau National de la Ligue des Droits de l’Homme
- Anne-Marie Pons, directrice d’école, résistante au fichage des enfants par Base élèves
- Michel Poulet, secrétaire-adjoint du SDAS 67 cgt-FO
- Gislhaine Rivet, membre du Bureau National de la Ligue des Droits de l’Homme
- Didier Rod, médecin, ancien député européen
- Malik Salemkour, Vice-Président de la Ligue des Droits de l’Homme
- Evelyne Sire-Marin, magistrat, membre de la Fondation Copernic
- Mylène Stambouli, membre du Bureau National de la Ligue des Droits de l’Homme
- Pierre Tartakowsky, Président de la Ligue des Droits de l’Homme
- Jérôme Thorel, Privacy France
- Christine Tréguier, membre de Privacy France
- Michel Tubiana, Président d’Honneur de la Ligue des Droits de l’Homme
- Joseph Ulla, enseignant, Aveyron
- François Vaillant, rédacteur en chef
- Jean-Claude Vitran, militant des droits de l’homme
- Elisabeth Weissman, journaliste, essayiste
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