70ème anniversaire du massacre de Thiaroye (Sénégal) : la France responsable

André Bokar, un des prisonniers du camp de Trévé.

On commémore cette année le 70ème anniversaire du massacre des Tirailleurs sénégalais, à Thiaroye, près de Dakar (Sénégal).

Ces soldats, qui avaient combattu pour la France pendant la 2ème guerre mondiale, avaient, après la défaite de 1940, été faits prisonniers par les Allemands. Mais les nazis ne voulaient pas les interner chez eux : ils ont donc construit des camps en France. A la libération, la France les a renvoyés chez eux. Mais il y avait un problème : ils n’avaient pas reçu leurs soldes. Et ils ne l’ont pas admis. C’est la principale raison du massacre qui s’est déroulé Thiaroye : pour ne pas verser ces soldes, l’armée française a tiré, massacrant plusieurs centaines de ces soldats africains.

La région de Loudéac est concernée par ce drame, puis qu’une centaine de ces soldats ont été enfermé à Trévé, pendant trois mois. La section LDH Loudéac centre Bretagne a, en 2011, réalisé un travail important sur ce dossier, en collaboration avec l’historienne Armelle Mabon. Ce travail s’est terminé par l’édition d’un livre, « Nous n’avions jamais vu de Noirs » (éditions Récits), recueil de témoignages de Trévéens, et par l’érection, par la municipalité de Trévé, d’une stèle à la mémoire de ces soldats (voir le dossier des témoignages ici, et l’article sur l’inauguration de la stèle de Trévé là). Renseignements sur l’ouvrage « Nous n’avions jamais vu de Noirs » ici.

A l’occasion de ce 70ème anniversaire, la Ligue des droits de l’Homme a publié un communiqué, demandant à la France de reconnaître enfin sa responsabilité dans ce drame.

IL Y A SOIXANTE-DIX ANS, MASSACRE À THIAROYE (SÉNÉGAL) : LA FRANCE DOIT RECONNAÎTRE SES RESPONSABILITÉS

Il y a soixante-dix ans, à Thiaroye, près de Dakar, plusieurs centaines de tirailleurs africains démobilisés qui demandaient le paiement de leur solde de captivité, prévue par les textes en vigueur à leur départ de France, ont été qualifiés de « mutins ». La Ligue des droits de l’Homme demande à la France de reconnaître les faits et d’assumer ses responsabilités.

Ces faits sont établis. Des dizaines de soldats ont été tués et blessés, d’autres condamnés. Ils étaient de retour en Afrique après avoir été appelés en 1940, pour défendre la France, puis détenus sur son territoire par les nazis qui refusaient qu’ils le soient en Allemagne. Le 1erdécembre 1944, ils ont subi une répression brutale qui a fait plusieurs dizaines de morts, suivie d’un procès où trente-quatre d’entre eux ont été lourdement condamnés.

Le silence officiel sur cet événement a commencé à être levé en 2004 par les déclarations de l’ambassadeur spécial, Pierre-André Wiltzer, dépêché à Dakar par le président Chirac pour la première Journée du tirailleur. Puis, par celles du président Hollande qui, avant de se rendre au Sommet de la francophonie de Kinshasa, a regretté à Dakar, le 12 octobre 2012, cette « répression sanglante ». Les recherches récentes des historiens, notamment celles de l’universitaire Armelle Mabon, de l’université de Bretagne-Sud-Lorient, et d’un chercheur auteur d’une thèse à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, Martin Mourre, conduisent à une meilleure connaissance des faits et amènent la Ligue des droits de l’Homme à demander aux autorités françaises de reconnaître clairement les injustices commises.

Plus d’un millier de tirailleurs embarqués à Morlaix, le 5 novembre 1944, sur le « Circassia », et arrivés le 21 novembre, à Dakar, ont été spoliés des trois quarts de leur solde de captivité prévue par les textes officiels. Et quand, le 28 novembre, ils ont demandé à recevoir ce qui leur était dû, ils ont été considérés en état de rébellion. L’armée a ouvert le feu sur eux, et justifié cette répression en prétextant des tirs de leur part.

En réalité, à ces tirailleurs qui avaient passé plus de quatre années en France, lié connaissance avec des Français de métropole, et, pour certains, rejoint des groupes de Résistants après le débarquement de Normandie, il s’agissait de faire comprendre qu’ils devaient réintégrer en Afrique française leur statut d’indigènes. Pour cela, selon le mot du général commandant les troupes coloniales à Dakar, un « coup de bistouri » douloureux était nécessaire. Comme lors des massacres de Sétif et Guelma en Algérie, quelques mois plus tard, il s’agissait d’ôter à ces colonisés toute idée d’émancipation.

Soixante-dix ans après, la LDH estime que la France s’honorerait à reconnaître clairement les faits. A l’occasion du Sommet de la francophonie à Dakar, elle demande aux autorités françaises :

  • de rendre publique la liste nominale des tirailleurs à bord du navire « Circassia » parti de Morlaix, le 5 novembre, et arrivé à Dakar, le 21 novembre 1944 ;
  • de reconnaître la spoliation dont ont été victimes ces tirailleurs des trois quarts de la solde de captivité qui leur était due ;
  • d’exprimer les regrets officiels de la France pour la répression qui les a frappés à Thiaroye, le 1erdécembre 1944 ;
  • de rendre publics les noms des morts et des blessés qu’elle a faits parmi eux ;
  • de s’engager au paiement aux descendants de ces tirailleurs du complément de solde dont ils ont été spoliés ;
  • de transmettre à la Cour de cassation la demande d’annulation sans renvoi des condamnations prononcées en février 1944 par le tribunal de Dakar.

Paris, le 27 novembre 2014

 

Table ronde sur l’illettrisme : la vidéo est en ligne

La première table ronde des Droits en fête avait pour thème « la difficulté de la mise en oeuvre de l’égalité devant le droit à l’éducation », et elle s’est déclinée en deux volets. Le premier, qui est en ligne (cliquer sur la photo ci-dessous) était consacré à l’illettrisme en France. Ce thème a été introduit par le reportage de Cécile Tartakovsky, diffusé en avril 2012 dans l’émission « 12h15 le samedi », sur France 2, et que la réalisatrice nous a gracieusement prêté. « Tourner la page ». Ce reportage décrit le parcours de trois personnes en situation d’illettrisme. Gaëlla Belna, formatrice, et Manuela Charles, directrice, toutes deux de l’association Adalea, et Hélène Garnier-Marie, de l’association Atelier des savoirs fondamentaux ont apporté leurs regards sur ce problème grave. Le débat s’est achevé par la projection du « lip dub » réalisé par Adalea, « pour changer le regard sur l’exclusion », qu’on peut visionner à cette adresse : http://www.ldh-france.org/section/loudeac/2013/03/23/adalea-un-lip-dub-pour-modifier-le-regard-sur-lexclusion/. Un débat passionnant, suivi par un public passionné.

La seconde partie de cette table ronde était consacrée aux personnes handicapées, avec le président de l’Urapei, Claude Laurent, et à la situation des jeunes de milieux défavorisés, notamment en région parisienne, qui s’interdisent les « parcours d’excellence » dans l’enseignement supérieur, avec Françoise Le Goaziou, professeure en classe préparatoire. Elle sera rapidement mise en ligne.

httpv://youtu.be/P2ljvem0ugk

Adalea : un lip dub pour modifier le regard sur l’exclusion »

L’association Adalea, dont la directrice participera à la table ronde sur l’égalité face au droit à l’éducation, a quatre pôles d’activités : accueil, écoute et veille sociale, logement et hébergement (avec notamment la gestion du 115), emploi et formation, et ateliers d’insertion.

Au mois de janvier, les salariés de l’association et ses usagers ont réalisé un lip dub dont le titre expose clairement le but : « Un lip dub pour modifier le regard sur l’exclusion ». Il a été réalisé à partir du célèbre morceau de Zebda, « Motivés », qui reprend le « chant des partisans ».

Adalea présente ainsi cette réalisation : « Un projet initié et piloté par l’association ADALEA en partenariat avec la Fédération Nationale des Associations d’Accueil et de Réinsertion Sociale Bretagne (FNARS Bretagne), la Fondation MASSE-TREVIDY, l’association pour la Promotion de l’Enfance de l’Adolescence et de l’Adulte (APE2A). Avec l’appui technique de l’association du Cercle et du studio d’enregistrement RODES à Saint-Brieuc ».

Adalea sera présente également sur le site des Droits en fête sous la forme d’un atelier d’écriture, qu’elle animera le samedi après-midi.

Cliquer sur la touche lecture pour voir le lip dub.

 httpv://youtu.be/asrJCdXz0Kc

Festival BoléThiossane Kéraudy, du 8 au 14 juillet 2013 à Plumiliau et Loquémeau(22)

Anne Cousin, historienne, qui a travaillé sur le dossier des soldats africains enrôlés dans l’armée française pendant la deuxième guerre mondiale, et qui avait accompagné la section lorsque nous avons travaillé sur le camp des tirailleurs sénégalais de Trévé, revient d’un voyage à Dakar et Thiaroye. C’est à Thiaroye que l’armée française avait tiré sur des soldats africains fraîchement rapatriés, et qui réclamait le paiement de leur solde, faisant de nombreux morts. « Ce voyage à Dakar-Thiaroye a permis de belles rencontres », nous écrit-elle. Parmi ces rencontres, celle de Jean-Marie Mallet à Dakar, « qui a créé un spectacle solo de danse sur des textes de Senghor. Il est aussi percussionniste, très intéressé par cette sombre histoire coloniale ». Coïncidence, Jean-Marie Mallet connait  Stella , une Sénégalaise qui tient un café à Kéraudy, en Ploumilliau (22). C’est ainsi qu’est née l’idée de créer un festival : il aura lieu du 8 au 14 juillet, à Ploumilliau et Loquémeau. Parmi les manifestations prévues dans ce festival, figure un café littéraire, programé  le jeudi 11 juillet au café Théodore à Loquemeau vers 17h. Au programme de ce café : « Les troupes coloniales » avec Anne Cousin, Armelle Mabon, Roland Colin, Babacar Sall, témoins de Trévé (Editions Récits), projection du film « Oubliés et trahis ». Anne Cousin invite donc la section à participer notamment à ce café littéraire, où lestémoignages rassemblés dans le livre « Nous n’avions jamais vu de Noirs » aura bien entendu toute sa place : « Votre parole serait bien intéressante, car ce qui s’est fait à Trévé est assez remarquable », estime Anne Cousin.

Lorsque le programme définitif de ce festival sera arrêté, nous le publierons. D’ores et déjà sont prévus des ateliers de percussion et de danse africaines et des concerts.

 

Tirailleurs sénégalais : Armelle Mabon poursuit ses recherches sur le drame de Thiaroye

La section Loudéac centre Bretagne de la Ligue des droits de l’Homme a travaillé, en 2011, sur les tirailleurs sénégalais qui, ayant refusé, à la Libération, d’être rapatriés en Afrique tant qu’ils n’avaient pas touché leur solde, avaient été rassemblés dans un camp à Trévé (22) de novembre1944 à janvier 1945. Ce travail, mené en collaboration avec l’historienne Armelle Mabon, avait débouché sur une animation à Trévé, l’édition d’un livret intitulé « Nous n’avions jamais vu de Noirs » qui rassemble les témoignages de Trévéens sur cet épisode de l’histoire de la commune, et sur l’érection, par la municipalité de Trévé, d’une stèle à la mémoire de ces soldats (dossier à lire ici, et là. Voir également la déclaration d’Armel Mabon à Trévé, le 18 avril 2011.

Coïncidence ? Nous avons reçu, à quelques heures d’intervalle, deux messages : le premier, d’Anne Cousin, historienne, elle aussi, et qui avait participé à l’inauguration de la stèle de Trévé :

« Il y a un an maintenant nous étions devant cette magnifique stèle… Et c’est à Dakar, précisément à Thiaroye, que je vais parler de cette page d’histoire dans trois semaines, et bien sûr de Trévé. J’emporte les photos de cette belle journée. Il y aura un hommage aux tirailleurs Sénégalais et à Sembène Ousmane, cinéaste et écrivain. Je suis aussi invitée au lycée où il y aura une mise en scène théâtrale sur ce sujet et des échanges. C’est un vrai bonheur de retourner là-bas et j’emmène aussi un exemplaire de « Nous n’avions jamais vu de Noirs » que je remettrai. Je suis passée à Plestin prendre la réédition et j’ai vu Jérôme Lucas. Je n’ai pas l’adresse courriel de la mairie, alors si vous souhaitez transmettre ce sera avec plaisir. Bien cordialement à vous ».

Le second venait d’Armelle Mabon : aujourd’hui encore, elle poursuit ses recherches, et s’intéresse particulièrement au drame de Thiaroye au cours duquel l’armée française a provoqué la mort de nombreux de ces soldats qui réclamaient toujours leur dû. La récente visite du président de la République au Sénégal, où il a évoqué  « la part d’ombre de notre histoire » que constitue « la répression sanglante qui, en1944, au camp de Thiaroye, provoqua la mort de 35 soldats africains qui s’étaient pourtant battus pour la France », a été pour elle l’occasion de faire le point sur ses recherches dans une tribune qu’elle a publié sur le site Médiapart, et qu’elle a bien voulu nous confier.

Les archives et Thiaroye

Armelle Mabon,

historienne / maître de conférences à l’Université de Bretagne-Sud

Travaillant depuis plusieurs années sur les prisonniers de guerre « indigènes » de la Seconde Guerre mondiale internés en France et non en Allemagne, je m’intéresse forcément à Thiaroye,  sortie de guerre problématique comme l’a rappelé le Président de la République lors de son discours à Dakar du 12 octobre 2012 : « La part d’ombre de notre histoire, c’est aussi la répression sanglante qui en 1944 au camp de Thiaroye provoqua la mort de 35 soldats africains qui s’étaient pourtant battus pour la France. J’ai donc décidé de donner au Sénégal toutes les archives dont la France dispose sur ce drame afin qu’elles puissent être exposées au musée du mémorial ».

Les combattants coloniaux faits prisonniers par les Allemands en juin 1940, subirent quatre longues années de captivité. À la Libération, ils sont regroupés dans des centres de transition avant le retour dans leur terre natale. Le 3 novembre 1944, à Morlaix, 2000 tirailleurs sénégalais doivent embarquer pour le Sénégal mais 300 d’entre eux refusent de monter à bord du Circassia tant qu’ils n’ont pas perçu leur rappel de solde et sont envoyés à Trévé dans les Côtes d’Armor où ils seront gardés par des gendarmes et des FFI provocant un grand désarroi d’autant qu’ils ont été nombreux à rejoindre les rangs des FFI. À l’escale de Casablanca, 400 hommes refusent de poursuivre le voyage et c’est donc 1280 tirailleurs sénégalais qui débarquent à Dakar le 21 novembre 1944 pour être immédiatement transportés à la caserne de Thiaroye. Les autorités militaires veulent les ventiler rapidement vers leurs territoires mais les anciens prisonniers de guerre refusent de partir tant qu’ils ne percevront pas leur rappel de solde comme cela leur avait été promis avant l’embarquement à Morlaix. Considérant le détachement en état de rébellion, le général Dagnan, avec l’accord du général de Boisboissel, a alors décidé de faire une démonstration de force  le 1er décembre 1944. Jusqu’à aujourd’hui, la responsabilité de cet événement tragique incombe essentiellement aux anciens prisonniers de guerre qui ont enfreint la discipline militaire.

C’est en 2000 que j’ai commencé à fouiller les archives sur Thiaroye, au Centre des Archives d’Outre-mer (CAOM), au Service Historique de l’Armée de Terre (SHAT) devenu Service Historique de la Défense (SHD) et au Sénégal. Très vite j’ai repéré et signalé dans des publications un problème dans les archives en France : les rapports officiels mentionnent un télégramme émis par la Direction des Troupes coloniales avant la mutinerie mais introuvable dans les fonds d’archives. Un document aussi important ne pouvait pas disparaître sans raison. Cette interrogation m’a amenée à regarder autrement ces archives pour déceler ce qui pouvait éventuellement manquer. L’historien, pour pouvoir interpréter et donner une dimension éthique à la mémoire réparatrice d’oublis a besoin de documents fiables. Outre ce télégramme daté du 18 novembre 1944, il m’a été impossible de retrouver les textes officiels qui précisent les mesures administratives concernant les anciens prisonniers coloniaux internés dans des frontstalags : circulaires n° 2080 du 21 octobre 1944, n° 3612 du 4 novembre 1944, n° 6350 du 4 décembre 1944, n° 7820 du 16 décembre 1944. La lecture de différents rapports m’a permis cependant de reconstituer le contenu de ces textes officiels. L’absence de ces documents dans les archives ne relève pas du hasard, d’une perte malencontreuse ou d’un mauvais classement. Nous sommes confrontés à une volonté de les soustraire à tout regard et cela depuis près de 70 ans.  La circulaire de la direction des Troupes coloniales n° 2080 du 21 octobre  1944 – soit un mois avant l’arrivée des soldats africains à Dakar – est particulièrement importante car elle précise que la solde de captivité des anciens prisonniers de guerre « indigènes » doit être entièrement liquidée, un quart du paiement devant intervenir en métropole et les trois-quarts au débarquement, afin d’éviter les vols durant la traversée.

Connaissant leurs droits, ces soldats ont exigé le paiement de ce rappel de solde à Thiaroye, mais cette réclamation majeure qui a cristallisé leur colère ne figure pas dans les rapports officiels où sont mentionnés, outre l’échange des francs en francs CFA et la possibilité de récupérer les sommes déposées sur les livrets d’épargne dans les frontstalags, le paiement de l’indemnité de combat de 500 francs, une prime de démobilisation, une prime de maintien sous les drapeaux. Les rapports s’attachent à prouver que la propagande nationaliste allemande, le contact avec les femmes blanches et avec la résistance dont les tirailleurs « n’étaient pas moralement, intellectuellement et socialement capables de comprendre la grandeur, la beauté et la nécessité de ce mouvement […] » sont les causes de la rébellion.

Les officiers stationnés à Dakar qui devaient aussi répondre de leur positionnement durant le conflit mondial n’ont pas appliqué la réglementation ce qui est contraire au principe de neutralité attendue dans l’Armée et qui peut constituer un abus de pouvoir et un refus d’obéissance aux ordres de la direction des Troupes coloniales. Si la difficulté d’application des textes était consécutive à l’absence ou l’insuffisance de liquidités, cet argument aurait été mentionné dans tous les rapports.

Le discours de François Hollande a ranimé chez moi le désir de consulter à nouveau les archives et notamment le rapport du général Dagnan, que j’avais partiellement recopié il y a plusieurs années. Le carton étant en mouvement interne au SHD et donc indisponible à la consultation, c’est le 13 novembre 2012 que j’ai pu récupérer l’intégralité du rapport grâce aux photos prises par un chercheur. Cette relecture de documents d’archive était revêtue d’une acuité particulière, une sorte d’urgence à trouver ce qui ne me permettait pas encore de définir ce fait historique qui a tant de mal à être nommé : massacre, tragédie, incident, carnage, drame, tuerie, mutinerie, rébellion… Je pressentais que ces hommes injustement oubliés et condamnés allaient enfin avoir droit à l’Histoire.

Le bilan officiel rappelé par François Hollande est de 35 tués. Dans son rapport du 5 décembre 1944, page 9, le général Dagnan indique : « 24 tués et 46 blessés transportés à l’hôpital et décédés par la suite» ce qui fait 70 morts. Le chiffre de 35 morts et 35 blessés repris jusqu’à ce jour comme le bilan officiel a été donné par le général de Périer dans son rapport du 6 février 1945. Ainsi, en deux mois, le bilan est passé de 70 morts à 35 morts, soit une dissimulation toujours présente de la moitié des décès, au moins.

Je souscris à la volonté du Président de la République de donner les archives au Sénégal mais pour que ce geste fort ait du sens et permette une réconciliation après tant de malentendus et  de mensonges, il faut impérativement :

  • restituer tous les documents officiels dans les archives ;
  • donner le bilan sincère du nombre de morts ;
  • révéler le lieu de leur sépulture ;
  • reconnaître la spoliation du rappel de solde et la responsabilité de l’Armée ;
  • nommer ces hommes qui ont été tués ;
  • amnistier ceux qui ont été condamnés, la grâce ne suffisant pas ;
  • réhabiliter ces tirailleurs en leur rendant un hommage solennel.

Alors peut-être que cessera aussi la rumeur qui réécrit cette histoire si peu connue comme quoi à Thiaroye ces hommes possédaient des marks et revenaient d’Allemagne. Ces prisonniers de guerre revenaient de métropole, s’étaient battus pour la France, avaient participé à la résistance, avaient eu des contacts avec la population locale le plus souvent solidaire et avaient été gardés par des cadres français notamment des officiers des troupes coloniales selon l’accord passé entre le gouvernement de Vichy et l’Allemagne.

Les archives finissent par nous prouver que l’oubli, les silences complices, les dissimulations ne se décrètent pas et ne sont pas définitifs.

Voir Armelle Mabon, Les prisonniers de guerre « indigènes », Visages oubliés de la France occupée, La Découverte, 2010.

Pour la réhabilitation des soldats « Fusillés pour l’exemple » pendant la première guerre mondiale

La fiche militaire de François Laurent, après sa réhabiltation.

Le 11 novembre prochain, la commune de Mellionnec rendra hommage, comme toutes les communes de France, aux victimes et aux soldats de la première guerre mondiale.

Mais elle ne se contentera pas de cela. Comme en 2011, Marie-José Fercoq, maire de Mellionnec, rendra aussi hommage à François Laurent. Un hommage particulier, puisque François Laurent a fait partie de ceux qu’on a appelés les « fusillés pour l’exemple », la plupart du temps victimes de l’arbitraire d’un Etat major incompétent. La Ligue des droits de l’Homme participera à cet hommage, aux côtés de la Libre pensée, l’Association des Anciens Combattants de la Résistance (ANACR), l’ Association Républicaine des Anciens Combattants (ARAC). Les associations se réuniront devant la mairie de Méllionnec à 11 heures ce 11 novembre 2012, pour descendre en cortège jusqu’au monument aux morts. Les prises de parole au nom de la Réhabilitation devraient se faire à partir de 11h20/11h25.

Il se trouve que le combat pour la réhabilitation des « fusillés pour l’exemple » est un des grands combats de la Ligue des droits de l’Homme, à tel point que, Gilles Manceron, historien spécialiste de la « grande guerre » et de la LDH, n’hésite pas à dire qu’il s’agit, avec l’affaire Dreyfus, de « son second grand combat fondateur ». Un combat qui a débuté dès après la guerre, et qui n’est pas terminé, puisque la réhabilitation officielle par la République de ces hommes n’a toujours pas eu lieu.

Yves Tréguer, de la section de la Ligue des droits de l’Homme de Rennes, s’est penché sur l’histoire de ces soldats, et plus précisément celle de deux soldats bretons, Lucien Lechat, et, justement, François Laurent. Voici le résultat de ses recherches, qui a également été publié dans le bulletin de la section de Rennes (novembre 2012).

Fusillés pour l’exemple, par Yves Tréguer, de la section LDH de Rennes.

Déjà la pierre pense, où votre nom s’inscrit
Déjà le souvenir de votre nom s’efface
Déjà vous n’êtes plus qu’un mot d’or sur nos places
Déjà vous n’êtes plus que pour avoir péri

Louis Aragon – « Tu n’en reviendras pas »

 

La proche célébration de l’armistice du 11 novembre 1918, le centième anniversaire à venir en 2014 du déclenchement de la première guerre mondiale vont faire ressurgir la cause des fusillés pour l’exemple, à laquelle la Ligue des droits de l’Homme est liée, à travers ses campagnes contre l’iniquité des décisions des tribunaux militaires et pour la réhabilitation des victimes.

La défense de cette cause a été, on le sait, un des engagements majeurs de la Ligue et même, selon l’expression de Gilles Manceron, « après l’affaire Dreyfus, son second grand combat fondateur ».

Un long travail, avec des victoires sur le plan législatif et judiciaire, qui a permis de rendre justice à quelques dizaines de soldats : c’est le cas, intéressant la Bretagne, de deux soldats, François Laurent, de Mellionnec, exécuté en1914 et celui, plus connu, de Lucien Lechat, l‘un des caporaux de Souain, exécuté en 1915 dont nous allons évoquer la mémoire.

Pour autant, depuis les années 1930, le cas d’autres fusillés ou de victimes d’exécutions sommaires, reste à examiner, et le combat n‘est pas fini aujourd’hui…

Un bref rappel s’impose, pour comprendre le contexte des années 14-15 .C’est en effet dans ces années qu‘ont eu lieu la plupart des 600 exécutions de la Grande Guerre (430 environ), alors que la postérité a surtout retenu la répression des mutineries de 17.

Au début des opérations l’État-major se place dans la perspective d’une guerre courte et elle recherche avant tout une justice sévère et expéditive. Il s‘en donne les moyens en obtenant par les décrets du 2 aout et du 6 septembre 1914 les « conseils de guerre spéciaux» qui permettent de punir de façon exemplaire à l’aide d’une procédure simplifiée, avec des droits de la défense réduits. Pas de possibilité de grâce ou de révision, sentence de mort applicable dans les 24 heures.

On fusillera donc pour l’exemple c’est à dire qu’un soldat pourra être exécuté pour avoir commis un délit précis mais aussi « pour faire un exemple » susceptible de maintenir une obéissance stricte, qui est, on le sait, la force principale des armées.

Le souvenir de 1870 et de la débandade des armées françaises reste un souvenir cuisant. Un certain nombre de cas de peines de mort est prévu dans la réglementation : nous en retiendrons deux qui seront la cause de la condamnation de François Laurent et de Lucien Lechat, la mutilation volontaire et le refus d’obéissance. La condamnation est d’autant plus aisée que selon un historien, cité dans une thèse récente « il existe un décalage entre les théories du soldat-citoyen et les représentations communes des chefs militaires, cette conception des troupiers comme matériau obéissant, silencieux et consommable »(1).

François Laurent.

L’histoire du soldat de Mellionnec n’est pas très connue et n’a pas fait l’objet d’un culte mémoriel, comme celui des caporaux de Souain, que nous aurons l’occasion d’évoquer.

Elle a, en revanche, fourni le sujet d’un texte remarquable de Louis Guilloux, paru dans Vendredi, le 5 juin 1936, en plein triomphe électoral du Front populaire, et moins de 3 ans après la réhabilitation du soldat breton, le 6 décembre 1933. Le texte s’appelle « Douze balles montées en breloque ».On pourrait l‘appeler un texte de fiction documentée, tant, dans sa première partie, il reste proche des faits. Laissons-lui la parole : « Le Bihan était né dans un hameau où on ne  parlait que le breton. Il ne savait pas le français du tout. Le peu qu’il avait appris à l’école, il l’avait oublié entièrement. Il était aussi ignorant qu’on puisse l’être, ce qui ne fût pas arrivé si on l’avait instruit dans sa langue. Il le disait, et ne comprenait pas pourquoi on ne l’avait pas fait, puisque l’institutrice, bretonne comme lui, savait naturellement le breton. Mais il était interdit à l’institutrice de parler le breton à l’école…

Il partit dès le premier jour…

Un matin, le soldat Le Bihan tiraillait derrière un bosquet, quand vint l’ordre de se porter en avant. Comme il s’élançait, une balle lui traversa la main droite de part en part. Il n’en continua pas moins de courir. Mais quand, de nouveau couché par terre, il voulut recommencer à tirer, il ne le put, et le capitaine lui donna l’ordre de rejoindre le poste de secours le plus proche. Il se mit en route et après quelque temps arriva au poste ou il montra sa blessure à un major, qui parut extrêmement intéressé…

Le major lui posa diverses questions, auxquelles Le Bihan ne répondit pas, ne les ayant pas comprises. Le major n’insista pas. D‘une part, il n’avait pas de temps à perdre, et, d’autre part, il avait ses idées arrêtées sur la discipline aux armées, et la manière de la faire observer. Il griffonna quelque chose sur un bout de papier, qu’il remit à Le Bihan, et donna l‘ordre a un planton de le conduire plus loin à l’arrière, ce qui fut fait …. Le Bihan se laissa conduire où l’on voulut …. Or, aussitôt « remis aux autorités » et le billet du major déchiffré, le soldat Le Bihan fut conduit au poteau et fusillé. Accusation : « blessure volontaire à la main droite. »

Le fameux billet du major, qui conduisit à la mort François Laurent, nous l’avons à disposition (2). Il est disponible aux archives des services historiques de l‘armée de Terre (Dossier Laurent, série J, SHAT): il s’agit des célèbres certificats du Dr Buy ,en grande partie pré-rédigés, qui firent exécuter deux autres soldats, réhabilités en1925 et en 1934,ce qui fait dire à Nicolas Offenstadt (3) que « (ces certificats) ne contribuent pas à améliorer cette image de la médecinecmilitaire dans l‘entre-deux-guerres ».

A la suite de l’action d’anciens combattants, le conscrit de Mellionnec est réhabilité, sa famille reçoit la somme de 10.000 francs et la mairie de sa commune refait faire une plaque où le nom de François Laurent figure parmi les noms des morts au champ d’honneur.

Sa fiche consultable sur le site SGA, Mémoire des Hommes, mentionne : mort pour la France le 19 octobre 1914. Genre de mort: fusillé, puis : réhabilité par jugement le 3 décembre 1933.

Les nationalistes bretons font de François Laurent, mort de ne pas avoir pu se défendre en français « la victime de la domination française en Bretagne », et, en 1934 Breiz Atao proteste contre la présence du préfet à la cérémonie de réhabilitation. En 1982, un film bilingue sur « Frances Laorans »est tourné à Clohars-Carnoët que la famille du soldat désavoue.

Fiche militaire de Lucien Lechat.

Lucien Lechat.

Le cas de Lucien Lechat, né dans la commune de Le Ferré, Ille et Vilaine, est beaucoup plus connu, car il fait partie d’une affaire restée célèbre, celle des caporaux de Souain. Cette affaire a donné lieu à une médiatisation et à un culte mémoriel exceptionnels. (4)

Les faits sont bien connus. Le 10 mars 1915, les soldats de la 21ème compagnie du 336ème régiment d’infanterie reçoivent l’ordre de sortir des tranchées et d‘attaquer à la baïonnette. Les précédentes attaques avaient été des échecs sanglants.

La préparation d‘artillerie atteint (volontairement  ?) les tranchées françaises. Épuisés, démoralisés, les soldats refusent de quitter leurs abris.

Le général Réveilhac veut des sanctions pour refus d’obéissance: elles visent 6 caporaux et 18 soldats.

Finalement, le 16 mars, après un procès expéditif, sont condamnés à mort, d‘une façon arbitraire qui fait penser aux anciennes décimations en usage dans les légions romaines, 4 caporaux, dont le plus jeune est Lucien Lechat. Le 17 mars, ils sont fusillés, deux heures avant que les peines n’aient été commuées en travaux forcés. Le général Réveilhac ne sera pas inquiété. Une loi d’amnistie, votée en 1919 empêche même les sanctions contre les chefs responsables d`exécutions sommaires. Qui plus est, il sera fait plus tard grand officier de la Légion d’honneur.

La réhabilitation : le combat admirable de Blanche Maupas (à Sartilly, dans la Manche) pour la réhabilitation de son mari, l’un des 4 caporaux, est bien connu (5). Elle fut aidée par des groupes d’anciens combattants et par la Ligue des droits de l’Homme dont l’action en faveur des fusillés pour l’exemple fut l‘une des grandes causes dès la fin de la guerre.

Moins connus sont les efforts d’Eulalie Lechat, la sœur de Lucien, qui soutenue par la Ligue, obtint en mars 1934 que son frère soit réhabilité.

Le souvenir de l‘enfant du pays ne s’est jamais éteint.

Le 24 novembre 2004, a l’initiative du maire de Le Ferré, Monsieur Pautrel, a eu lieu une cérémonie religieuse et civile d‘une très grande ferveur. Une délégation venue de Sartilly associait une fois encore les deux noms de Lechat et de Maupas et ceux de Girard et Lefoulon dans un souvenir commun.

Notre section, à la demande de la mairie, était présente en la personne de son président. Le chant de Craonne et le chant des partisans résonnèrent au cimetière pour l’inauguration de la plaque du souvenir.

La journée se termina avec uneremarquable conférence de Nicolas Offenstadt, qui suivait l’hommage au cimetière.

Et maintenant ?

Comme le rappelle à juste titre Gilles Manceron, dans un article paru en 2008 dans « Hommes et Libertés», intitulé « La mémoire des fusillés de la Grande Guerre », des questions très importantes restent en suspens.

Chacun se souvient de la déclaration, faite le 5 novembre1998, de Lionel Jospin, premier ministre, à Craonne, haut lieu des souffrances des poilus : «  Certains des soldats, épuisés par des attaques condamnées a l’avance, glissant dans une boue trempée de sang plongés dans un désespoir sans fond, refusèrent d‘être des sacrifiés. Que ces soldats « fusillés pour l’exemple », au nom d‘une discipline dont la rigueur n’avait d’égale que la dureté des combats, réintègrent aujourd’hui, pleinement, notre mémoire collective nationale ».

Depuis, rien. Or il reste des cas graves, que recense l‘article d’« Hommes et Libertés », notamment dans les troupes coloniales.

Le combat des ligueurs pour défendre la mémoire des fusillés de 14-18, va revenir en force, en 2014, pour le centième anniversaire du début de la guerre pour lequel il faut nous mobiliser dès à présent. Ce combat n’est pas terminé.

(1) in André Loez: 14-18, Gallimard, Folio histoire. Les refus de la guerre 2010, p 61.

(2) Une photo de ce certificat du Dr Buy, figure à la page 41 du livre de Nicolas Offenstadt :Les fusillés de la grande guerre et la mémoire collective (1914-2009), Éditions Odile Jacob 2009.

(3) Offenstadt, op cité p 40.

(4)Essentiellement, le film de Stanley Kubrick, Les sentiers de la gloire, sorti en 1957 …. et  projeté en France en 1975,18 ans plus tard.

(5) Un film de Patrick Jarnain, Blanche Maupas, a été donné, en 2009, à la télévision.

Un détour par le cimetière permet de voir une plaque de commémoration des caporaux morts pour l’exemple à Souain pendant la 1ère Guerre mondiale. Parmi ces caporaux, le Caporal Lechat, originaire de Le Ferré, a été fusillé pour l'exemple le 17 mars 1915. En 1924, le Caporal Lechat est réinhumé a Le Ferré devant une grande affluence. Il fut réhabilité, ainsi que ses trois autres compagnons d'infortune, en 1934. En novembre 2004, la commune de le Ferré a organisé une cérémonie du souvenir pour les caporaux de Souain. Plus d`un millier de personnes ont participé à cette cérémonie, la même foule que lors des cérémonies de 1924 et 1934 !

Vidéo : Armelle Mabon explique sa démarche

Armelle Mabon, historienne, explique dans une vidéo la démarche qui l’a conduite à effectuer des recherches sur les prisonniers de guerre coloniaux de la seconde guerre mondiale, et le traitement dont ils ont été victimes à la libération. C’était le 16 avril à Trévé, en introduction à la projection du film qu’elle a écrit, « Oubliés et trahis, les prisonniers de guerre coloniaux et nord-africains ».

httpv://www.youtube.com/watch?v=ZHz9te54Jnw

Inauguration de la stèle à Trévé : l’intégralité de la cérémonie

Voici l’intégralité des interventions lors de l’inauguration de la stèle érigée vendredi 11 novembre à Trévé, à la mémoire des tirailleurs sénégalais. Cette cérémonie a été présidée par Joseph Collet, maire de la commune, qui a introduit chacune des différentes interventions, et détaillé l’historique des événements qui ont conduit à l’érection de la stèle.

Joseph Collet, maire de Trévé.

Joseph Collet, maire de Trévé (photo Anne Cousin)

La date du 11 novembre pour cette inauguration n’a pas été choisie au hasard. C’est le jour où les 300 tirailleurs sénégalais en provenance de Morlaix sont arrivés à Trévé en 1944. Je laisserais à Armelle MABON, Maitre de Conférences à l’Université de Bretagne Sud, le soin de préciser les raisons de leur venue à Trévé et de vous expliquer le texte que vous pourrez lire tout à l’heure sur la plaque. Sans elle, nous ne serions pas là. Elle est à l’origine de toutes les démarches, de toutes les recherches, de tous les entretiens que nos bénévoles locaux et de la Ligue des Droits de l’Homme ont pu entreprendre depuis un an.

Discours d’Armelle Mabon, historienne

Armelle Mabon (photo Anne Cousin)

Monsieur le Maire, Mesdames, Messieurs, Amis ligueurs,

Avant toute chose, je tiens à vous remercier pour ce bel hommage rendu à ces tirailleurs dits « sénégalais » faits prisonniers par les Allemands alors qu’ils sont venus de leur lointain pays combattre pour la liberté de la France. Internés dans des Fronststalags en France pendant 4 ans, libérés  durant l’été 1944, ils devaient rejoindre leur terre natale en novembre 1944. Les 300 tirailleurs ont été internés ici à Trévé après avoir refusé de monter à bord du  Circassia à Morlaix parce que l’administration, malgré les promesses, ne leur versait pas l’intégralité des soldes auxquelles ils avaient droit. Ceux qui ont quitté la France à bord du Circassia et qui ont réclamé à nouveau leur solde avant de rejoindre leur village ont été victimes, à la caserne de Thiaroye, près de Dakar, d’une démonstration de force de l’Armée française faisant 35 tués, 35 blessés et plusieurs condamnations pour faits de mutinerie ont été prononcées. Trévé et Thiaroye sont liés par un déni d’égalité des droits et une injustice dictée par la volonté de la France coloniale de maintenir ces hommes en sujets de l’Empire avec des droits moindres alors qu’ils avaient subi les mêmes souffrances que les Français de Métropole.

Mon travail d’historienne a contribué à faire surgir une mémoire collective. Cet acte mémoriel relayé par la Ligue des Droits de l’Homme section de Loudéac puis retranscrit  dans l’ouvrage « Nous n’avions jamais vu de Noirs » et gravé avec une force esthétique grâce au talent d’Annie Lagadec me conduit à reprendre ma posture d’historienne. Je voudrais retrouver la liste de ces 300 ex-prisonniers de guerre avec leur village d’origine et peut-être que les enfants de Trévé écriront à chaque village pour que là-bas ils sachent qu’en Bretagne, à Trévé, un bel hommage a été rendu à l’un des leurs. En combattant l’oubli, l’historienne que je suis s’associe à la commémoration et je vous suis redevable de vous être inscrit dans ce « devoir de mémoire » dans sa conception la plus noble. Un jour, les descendants de ces tirailleurs vous diront aussi Merci.

Joseph Collet, maire de Trévé

Lorsqu’Armelle MABON nous avait contactés en 2002 pour recueillir des témoignages auprès des témoins de l’époque, ce sujet n’avait réveillé aucun souvenir. En 2003, Violaine DEJOIE-ROBIN et Armelle MABON réalisent un documentaire « Oubliés et trahis, les prisonniers de guerre coloniaux et nord-africains ». En 2006, « Indigènes », le film de Rachid Bouchareb qui traite du même thème est honoré au Festival de Cannes. En 2010, c’est la sortie du livre d’Armelle MABON : « Prisonniers de guerre indigènes. Visages oubliés de la France occupée ». En fin d’année dernière, la Ligue des Droits de l’Homme veut travailler sur le thème des « Oubliés d’hier et Oubliés d’aujourd’hui ». Noël LAGADEC qui vient de lire le livre, propose de relancer la recherche de témoins en faisant publier un article dans le Courrier Indépendant sur le passage du livre qui concerne Trévé en l’illustrant avec une photo tirée du livre : André Bokar, un soldat africain posant devant un mur à Trévé. La lecture de cet article et encore plus, la photo éveillent des souvenirs et de témoin en témoin, ce sont près de 35 personnes qui vont livrer leurs souvenirs à Annie et Noël Lagadec, Jérôme LUCAS et à la caméra de Jacques PAUL. Si certains parlent bien du camp de Trévé, d’autres ont été en contact avec ceux qui ont été réquisitionnés par les allemands pour creuser les tranchées d’un futur réseau téléphonique souterrain reliant Saint Brieuc à Lorient.

Le 16 avril pour la sortie du livre « Nous n’avions jamais vu de noirs » qui rassemble tous les témoignages, la Ligue des Droits de L’Homme organise une réunion au cours de laquelle est projeté le film « Oubliés et trahis » et les témoins évoquent leurs souvenirs. Je propose alors d’ériger une stèle à l’emplacement des baraquements ayant servi à héberger les tirailleurs sénégalais en mémoire de cette période bien particulière de notre histoire locale.

Noël LAGADEC me parle également de la sortie d’un autre livre écrit sur le même sujet et qui décrit des évènements qui se sont déroulés à Morlaix, le port d’où devaient partir les 2000 tirailleurs sénégalais pour rejoindre le camp de Thiaroye près de Dakar. L’auteur de ce livre «Retour tragique des troupes coloniales : Morlaix – Dakar 1944 », c’est Anne COUSIN qui nous a fait le plaisir de venir jusqu’ici et nous l’en remercions. Avec celui d’Armelle MABON et le recueil de souvenirs de Trévé « Nous n’avions jamais vu de noirs », il n’y a pas d’autres livres qui traitent de ce sujet et qui parlent du séjour de ces soldats africains à Trévé.

Discours de Michelle Paul, présidente de la section Loudéac centre Bretagne de la Ligue des droits de l’Homme

Michelle Paul (photo Anne Cousin)

« L’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’Homme sont les seules causes des malheurs publics ». Cette phrase, qui date de 1789, figure dans le préambule de la déclaration des droits de l’Homme. Elle figure également dans le préambule de la déclaration Universelle des droits de l’Homme de 1948. Par cette cérémonie, la commune de Trévé et la Ligue des droits de l’Homme, jouent le rôle de passeurs de mémoire.

La Ligue des droits de l’Homme tient à rendre hommage à ces prisonniers coloniaux qui, après avoir servi la France pour défendre notre liberté, ont refusé l’injustice en défendant leurs droits et en réclamant l’égalité.

La Ligue des droits de l’Homme tient également à rendre hommage à la population de Trévé qui a su soutenir et aider les prisonniers du camp : les témoignages recueillis sont poignants. A Trévé, la fraternité n’était pas un vain mot.

Ce que Trévé a fait en 1944-1945, c’est une leçon pour les jeunes générations.

N’oublions pas l’article 1er de la déclaration des droits de l’Homme : « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ».

Pour la Ligue des droits de l’Homme, un étranger, aujourd’hui comme hier, n’est pas un homme qu’on utilise et qu’on rejette quand on n’en a plus besoin. Nous sommes tous l’étranger de quelqu’un.

Rien n’est acquis, et surtout pas les droits de l’Homme : protester quand ils sont bafoués, c’est faire vivre la démocratie. Résister, s’indigner, témoigner, parler, sont des outils pour les préserver.

Ayons toujours en mémoire ce poème du pasteur Martin Niemoller, écrit en camp de concentration :

« Quand ils sont venus chercher les juifs,
je n’ai rien dit,
je n’étais pas juif.
Quand ils sont venus chercher les catholiques,
je n’ai rien dit,
je n’étais pas catholique.
Quand ils sont venus chercher les communistes,
je n’ai rien dit,
je n’étais pas communiste.
Et puis ils sont venus me chercher :
et il ne restait plus personne pour protester ».

Je profite de la présence de Ronan Kerdraon, sénateur, pour rappeler que le Sénat a mis à son ordre du jour du 8 décembre prochain, une proposition de loi visant à donner le droit de vote aux étrangers hors communauté européenne pour les élections locales.

Merci à Annie Lagadec, membre de la section, qui a réalisé la plaque commémorative, pour son travail remarquable ;

Merci à Armelle Mabon, historienne, et membre de la Ligue des droits de l’Homme, qui, par son travail, a sorti de l’oubli l’histoire de ces hommes;

Merci à la population de Trévé, à sa municipalité et à son maire, pour ce travail de mémoire ;

Merci à ces Africains pour tout ce qu’ils ont fait pour nous.

N’oublions jamais.

Joseph Collet, maire de Trévé

La stèle qui a été dressée sur cet espace est une pierre d’ardoise qui nous vient de Maël-Carhaix. C’est Dominique MADORE, conseiller municipal qui nous a déniché cette pierre dans une carrière désaffectée propriété de Monsieur Yvon BARAZER, lui aussi présent ce matin. L’ardoise de Maël Carhaix, Mr BARAZER l’affirme en toute modestie, c’est la Rolls de l’ardoise ; elle n’a aucun défaut : pas de pyrite de fer, pas de chaux. La preuve : un grand groupe espagnol va en reprendre l’exploitation très prochainement. C’est Gilles CARRÉE de Loudéac qui a fait le transport et la mise en place.

Nous sollicitons Annie LAGADEC pour une plaque en bronze rappelant la présence sur notre sol des tirailleurs sénégalais. Elle a fait un moulage en terre de têtes d’africains et Armelle MABON nous a proposé un texte explicatif et une invitation à nous et aux générations futures à nous souvenir de ce qui s’est passé ici mais plus généralement de la place des soldats d’Afrique dans le conflit de 1939-1945 et du triste sort qui leur a été réservé à la fin de la guerre. Cette plaque en bronze a été coulée à la fonderie NIVET de Plérin

J’ai souhaité qu’une autre plaque soit fixée au dos de cette stèle relatant les constructions des baraquements, écuries, puits, routes… le séjour des réfugiés, l’occupation par les soldats allemands. Yann LAGADEC, auteur d’un livre sur la guerre 39-45 dans la région de Loudéac « Un canton dans la tourmente » m’a fourni la matière et aidé à rédiger le texte.

L’installation de la stèle, l’aménagement autour, la fixation des plaques commémoratives sont l’œuvre de Pascal DORE, notre employé communal, aidé d’Yvon et Frédéric. Nous le remercions pour son travail mais surtout pour ses propositions d’aménagement.

Pourquoi un tel intérêt depuis quelques années pour toutes ces questions liées à la place des africains dans les conflits, à leur combat pour être reconnus comme soldats français à part entière ? Livres et films se succèdent depuis 5-6 ans et montrent au grand jour les injustices dont ils ont été et sont encore victimes. Les épisodes dont nous ne sommes pas trop fiers finissent toujours par arriver en pleine lumière même si à Trévé, les témoins nous l’ont dit, les tirailleurs sénégalais ont toujours été bien considérés et se sont bien comportés. Ils constituaient une attraction : « des noirs, pensez donc » et les institutrices emmenaient les enfants des écoles en visite au camp. Quelques jeunes filles ont sans doute couru un peu plus vite que d’habitude pour échapper aux sollicitations de soldats un peu trop pressants. Mais, à part quelques petits incidents liés à la consommation un peu excessive de nos boissons locales, tout s’est bien passé. Trois semaines après le départ des tirailleurs sénégalais naissait à la maternité de Loudéac, Jean-Gilbert Béavogui fils de Martin Zézé, adjudant chef au Centre de transition des troupes indigènes, originaire de Guinée Française  et d’Eugénie LE BIHAN domiciliée à Vannes. C’est le premier noir à avoir fréquenté l’école de Trévé. Vers 1955, il est parti avec ses parents adoptifs dans la région parisienne. Il est revenu à Trévé, il y a quelques années, rendre visite aux personnes qu’il avait connues. Plusieurs s’en souviennent encore. Il est décédé le 4 novembre 2009 à Lorient.

Dévoilement de la stèle (photo Anne Cousin)

Nous vous remercions tous, historiens, écrivains, témoins, éditeurs, fournisseurs, financeurs pour nous avoir rafraichis la mémoire et aidés à ce que les générations futures s’en souviennent.

Nous regrettons l’absence de réponse à notre invitation de l’ambassade du Sénégal que nous avions sollicitée au moins pour un petit message de solidarité avec tous ceux qui se sont mobilisés pour que cette commémoration ait lieu. J’espère bien qu’Armelle MABON réussira à retrouver des descendants d’africains ayant séjourné à Trévé et qu’il sera possible avec leurs enfants ou petits enfants de créer des liens d’amitié avec les enfants de nos écoles.

Quelques administrés s’interrogent sur l’utilité d’une telle stèle et surtout de dépenser un peu plus de 4000 € pour honorer la mémoire de ces 300 tirailleurs sénégalais détenus pendant un peu plus de deux mois là où nous sommes. Je pense que tout ce qui vient d’être dit, doit les rassurer et leur démontrer que ces soldats venus d’ailleurs défendre notre pays méritent une reconnaissance de la France en général et de notre commune en particulier. Enfin, ce ne sont pas uniquement les contribuables de Trévé qui vont financer cette stèle puisque notre sénateur Ronan Kerdraon nous a aidés avec la réserve parlementaire pour la moitié de la somme et nous l’en remercions vivement.

Discours de Ronan Kerdraon, sénateur des Côtes d’Armor

Ronan Kerdraon (photo Anne Cousin)

Monsieur le Maire, Mesdames, messieurs les élus, Mesdames, Messieurs les représentants de la Ligue des Droits de l’Homme, Mesdames, Messieurs,

C’est un honneur pour moi que d’être présent aujourd’hui, en ce jour de commémoration de l’armistice de la guerre 14-18, pour l’inauguration de cette stèle en hommage aux tirailleurs sénégalais qui séjournèrent à Trévé durant la deuxième Guerre Mondiale.

En tant qu’ancien professeur d’histoire, je mesure l’importance que revêt le devoir de mémoire, cette impérieuse nécessité de nous souvenir de l’histoire de France et, particulièrement, de ses périodes les plus sombres.

Aussi, permettez-moi de commencer mon propos en formulant le vœu que notre mémoire collective nous permette d’éviter les travers et les errements dans lesquels nous avons pu tomber par le passé.

Les tentations sont pourtant nombreuses et de plus en plus pressantes, en cette période de crise et de mal-être social, de nous retrancher derrière des théories réductrices, populistes et de courte vue.

Des théories qui, en d’autres temps, ont conduit l’humanité sur des voies que j’espère, nous n’aurons plus à connaître.

Il est de notre responsabilité d’élus de tout faire pour repousser ces tentations, pour éviter que nos concitoyens ne succombent à la démagogie en faisant œuvre incessante d’explication et de pédagogie.

C’est la raison pour laquelle je souhaite vous féliciter, Monsieur le Maire ainsi que tous les élus municipaux, d’avoir donné jour à cette belle initiative.

La pose de cette stèle va permettre aux habitants de Trévé et des environs de se rappeler que la commune accueillit, durant quelques mois, des hommes issus d’un autre continent, d’une autre culture, d’autres horizons.

« Nous n’avions jamais vu de Noirs », écrit Jérôme Lucas, à propos de la réaction des Trévéens qui découvraient, il y a plus de 60 ans, ces tirailleurs africains dans leur petite commune du centre Bretagne.

Et pourtant, à en croire les témoignages collectés dans son ouvrage, les frontières sont rapidement tombées et la solidarité a pris le dessus quand il s’est agi de leur venir en aide en fournissant vêtements et nourriture.

Car ces hommes, si différents en apparence, étaient des compatriotes et venaient de se battre en premières lignes pour défendre la France.

Ils en payèrent le prix lourd : la plupart des rescapés durent regagner leur pays sans un sou, souvent blessés ou frappés par la maladie, non sans avoir été exploités par les allemands dans des camps de travail et malmenés par l’Etat français qui refusait de leur verser leur solde.

Face à cette injustice, leurs revendications visant à être mieux reconnus se sont trop souvent confrontées au mépris et au mutisme du gouvernement français.

Pire : l’histoire des tirailleurs sénégalais a longtemps été passée sous silence.

Marginalisés dans les manuels scolaires, écartés des grandes commémorations nationales, invisibles dans le répertoire des monuments de la capitale française, leur rôle et leur mérite dans la défense et la libération de la France sont très insuffisamment mis en valeur…

Rendez-vous compte : la décristallisation totale des pensions militaires des anciens tirailleurs n’a été opérée qu’en janvier 2011, 66 ans après la fin de la guerre !

Il faut dire que cela ne coûtait plus très cher à l’Etat, le nombre de personnes concernées ayant fondu comme neige au soleil…

Enfin, comble de l’hypocrisie, nous voulons désormais cadenasser nos frontières aux enfants de ceux qui, un jour, nous ont aidés à les défendre.

Aujourd’hui, à Trévé, nous contribuons donc à réparer ces injustices répétées en inaugurant cette stèle à l’honneur des tirailleurs sénégalais mais aussi, en hommage à la population locale qui a su accueillir en toute fraternité ces hommes si différents en apparence.

C’est une initiative hautement symbolique et d’autant plus importante qu’elle est menée main dans la main avec la Ligue des Droits de l’Homme qui se bat, au quotidien, pour la défense des droits des personnes opprimées.

Je vous avoue donc ma fierté de participer à cette inauguration et espère que cette stèle permettra de faire vivre longtemps la mémoire des tirailleurs sénégalais.

Inauguration de la stèle à Trévé : une cérémonie émouvante

Joseph Collet, maire de Trévé (photo Anne Cousin)

L’inauguration de la stèle érigée à Trévé à la mémoire des tirailleurs sénégalais a donné lieu, vendredi 11 novembre, à une cérémonie très émouvante, qui a rassemblé plus d’une centaine de personnes. Joseph Collet, maire, avait invité Armelle Mabon, historienne, qui est à l’origine des recherches effectuées sur la commune, Annie Lagadec, qui a créé la plaque commémorative, et qui, avec Noël, son mari, et Jérôme Lucas, a collecté les témoignages de Trévéens qui ont été publiés dans un recueil intitulé « Nous n’avions jamais vu de Noirs ». Ronan Kerdraon, sénateur, était lui aussi invité : il a consacré une partie de sa « réserve parlementaire » au financement du monument. Et il s’en est dit « très fier » : en tant qu’ancien professeur d’histoire, il mesure l’importance du devoir de mémoire. Participaient également à la cérémonie, Anne Cousin, historienne, qui a elle aussi travaillé sur ce sujet, et Maryse Butel, de Lorient, membre du comité central de la Ligue des droits de l’Homme.

Joseph Collet a donné la parole à tous ces invités, en apportant son témoignage de maire, et en expliquant la valeur symbolique de ce monument et de cette cérémonie : il rappelle à la fois le sacrifice de ces soldats, et le comportement exemplaire de la population de Trévé pendant leur séjour dans la commune.

Armelle Mabon (photo Anne Cousin)

Michelle Paul (photo Anne Cousin)

Vous pourrez voir dans les jours qui viennent la vidéo de cette cérémonie. Dans l’immédiat, vous pouvez lire, ci-dessous, les discours prononcés par Armelle Mabon, Michelle Paul, présidente de la section Loudéac centre Bretagne de la Ligue des droits de l’Homme, et Ronan Kerdraon, sénateur des Côtes d’Armor.

Discours prononcé par Armelle Mabon.

Monsieur le Maire, Mesdames, Messieurs, Amis ligueurs,

Avant toute chose, je tiens à vous remercier pour ce bel hommage rendu à ces tirailleurs dits « sénégalais » faits prisonniers par les Allemands alors qu’ils sont venus de leur lointain pays combattre pour la liberté de la France. Internés dans des Fronststalags en France pendant 4 ans, libérés  durant l’été 1944, ils devaient rejoindre leur terre natale en novembre 1944. Les 300 tirailleurs ont été internés ici à Trévé après avoir refusé de monter à bord du  Circassia à Morlaix parce que l’administration, malgré les promesses, ne leur versait pas l’intégralité des soldes auxquelles ils avaient droit. Ceux qui ont quitté la France à bord du Circassia et qui ont réclamé à nouveau leur solde avant de rejoindre leur village ont été victimes, à la caserne de Thiaroye, près de Dakar, d’une démonstration de force de l’Armée française faisant 35 tués, 35 blessés et plusieurs condamnations pour faits de mutinerie ont été prononcées. Trévé et Thiaroye sont liés par un déni d’égalité des droits et une injustice dictée par la volonté de la France coloniale de maintenir ces hommes en sujets de l’Empire avec des droits moindres alors qu’ils avaient subi les mêmes souffrances que les Français de Métropole.

Ronan Kerdraon (photo Anne Cousin)

Mon travail d’historienne a contribué à faire surgir une mémoire collective. Cet acte mémoriel relayé par la Ligue des Droits de l’Homme section de Loudéac puis retranscrit  dans l’ouvrage « Nous n’avions jamais vu de Noirs » et gravé avec une force esthétique grâce au talent d’Annie Lagadec me conduit à reprendre ma posture d’historienne. Je voudrais retrouver la liste de ces 300 ex-prisonniers de guerre avec leur village d’origine et peut-être que les enfants de Trévé écriront à chaque village pour que là-bas ils sachent qu’en Bretagne, à Trévé, un bel hommage a été rendu à l’un des leurs. En combattant l’oubli, l’historienne que je suis s’associe à la commémoration et je vous suis redevable de vous être inscrit dans ce « devoir de mémoire » dans sa conception la plus noble. Un jour, les descendants de ces tirailleurs vous diront aussi Merci.

Michelle Paul (photo Anne Cousin)

Discours prononcé par Michelle Paul, présidente de la section Loudéac centre Bretagne de la Ligue des droits de l’Homme

« L’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’Homme sont les seules causes des malheurs publics ». Cette phrase, qui date de 1789, figure dans le préambule de la déclaration des droits de l’Homme. Elle figure également dans le préambule de la déclaration Universelle des droits de l’Homme de 1948. Par cette cérémonie, la commune de Trévé et la Ligue des droits de l’Homme, jouent le rôle de passeurs de mémoire.

Dévoilement de la stèle (photo Anne Cousin)

La Ligue des droits de l’Homme tient à rendre hommage à ces prisonniers coloniaux qui, après avoir servi la France pour défendre notre liberté, ont refusé l’injustice en défendant leurs droits et en réclamant l’égalité.

La Ligue des droits de l’Homme tient également à rendre hommage à la population de Trévé qui a su soutenir et aider les prisonniers du camp : les témoignages recueillis sont poignants. A Trévé, la fraternité n’était pas un vain mot.

Ce que Trévé a fait en 1944-1945, c’est une leçon pour les jeunes générations.

N’oublions pas l’article 1er de la déclaration des droits de l’Homme : « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ».

Pour la Ligue des droits de l’Homme, un étranger, aujourd’hui comme hier, n’est pas un homme qu’on utilise et qu’on rejette quand on n’en a plus besoin. Nous sommes tous l’étranger de quelqu’un.

Rien n’est acquis, et surtout pas les droits de l’Homme : protester quand ils sont bafoués, c’est faire vivre la démocratie. Résister, s’indigner, témoigner, parler, sont des outils pour les préserver.

Ayons toujours en mémoire ce poème du pasteur Martin Niemoller, écrit en camp de concentration :

« Quand ils sont venus chercher les juifs,
je n’ai rien dit,
je n’étais pas juif.
Quand ils sont venus chercher les catholiques,
je n’ai rien dit,
je n’étais pas catholique.
Quand ils sont venus chercher les communistes,
je n’ai rien dit,
je n’étais pas communiste.
Et puis ils sont venus me chercher :
et il ne restait plus personne pour protester ».

Je profite de la présence de Ronan Kerdraon, sénateur, pour rappeler que le Sénat a mis à son ordre du jour du 8 décembre prochain, une proposition de loi visant à donner le droit de vote aux étrangers hors communauté européenne pour les élections locales.

Merci à Annie Lagadec, membre de la section, qui a réalisé la plaque commémorative, pour son travail remarquable ;

Merci à Armelle Mabon, historienne, et membre de la Ligue des droits de l’Homme, qui, par son travail, a sorti de l’oubli l’histoire de ces hommes;

Merci à la population de Trévé, à sa municipalité et à son maire, pour ce travail de mémoire ;

Merci à ces Africains pour tout ce qu’ils ont fait pour nous.

N’oublions jamais.

Discours prononcé par Ronan Kerdraon, sénateur des Côtes d’Armor

Monsieur le Maire,

Mesdames, messieurs les élus,

Mesdames, Messieurs les représentants de la Ligue des Droits de l’Homme,

Mesdames, Messieurs,

C’est un honneur pour moi que d’être présent aujourd’hui, en ce jour de commémoration de l’armistice de la guerre 14-18, pour l’inauguration de cette stèle en hommage aux tirailleurs sénégalais qui séjournèrent à Trévé durant la deuxième Guerre Mondiale.

En tant qu’ancien professeur d’histoire, je mesure l’importance que revêt le devoir de mémoire, cette impérieuse nécessité de nous souvenir de l’histoire de France et, particulièrement, de ses périodes les plus sombres.

Aussi, permettez-moi de commencer mon propos en formulant le vœu que notre mémoire collective nous permette d’éviter les travers et les errements dans lesquels nous avons pu tomber par le passé.

Les tentations sont pourtant nombreuses et de plus en plus pressantes, en cette période de crise et de mal-être social, de nous retrancher derrière des théories réductrices, populistes et de courte vue.

Des théories qui, en d’autres temps, ont conduit l’humanité sur des voies que j’espère, nous n’aurons plus à connaître.

Il est de notre responsabilité d’élus de tout faire pour repousser ces tentations, pour éviter que nos concitoyens ne succombent à la démagogie en faisant œuvre incessante d’explication et de pédagogie.

C’est la raison pour laquelle je souhaite vous féliciter, Monsieur le Maire ainsi que tous les élus municipaux, d’avoir donné jour à cette belle initiative.

La pose de cette stèle va permettre aux habitants de Trévé et des environs de se rappeler que la commune accueillit, durant quelques mois, des hommes issus d’un autre continent, d’une autre culture, d’autres horizons.

« Nous n’avions jamais vu de Noirs », écrit Jérôme Lucas, à propos de la réaction des Trévéens qui découvraient, il y a plus de 60 ans, ces tirailleurs africains dans leur petite commune du centre Bretagne.

Et pourtant, à en croire les témoignages collectés dans son ouvrage, les frontières sont rapidement tombées et la solidarité a pris le dessus quand il s’est agi de leur venir en aide en fournissant vêtements et nourriture.

Car ces hommes, si différents en apparence, étaient des compatriotes et venaient de se battre en premières lignes pour défendre la France.

Ils en payèrent le prix lourd : la plupart des rescapés durent regagner leur pays sans un sou, souvent blessés ou frappés par la maladie, non sans avoir été exploités par les allemands dans des camps de travail et malmenés par l’Etat français qui refusait de leur verser leur solde.

Face à cette injustice, leurs revendications visant à être mieux reconnus se sont trop souvent confrontées au mépris et au mutisme du gouvernement français.

Pire : l’histoire des tirailleurs sénégalais a longtemps été passée sous silence.

Marginalisés dans les manuels scolaires, écartés des grandes commémorations nationales, invisibles dans le répertoire des monuments de la capitale française, leur rôle et leur mérite dans la défense et la libération de la France sont très insuffisamment mis en valeur…

Rendez-vous compte : la décristallisation totale des pensions militaires des anciens tirailleurs n’a été opérée qu’en janvier 2011, 66 ans après la fin de la guerre !

Il faut dire que cela ne coûtait plus très cher à l’Etat, le nombre de personnes concernées ayant fondu comme neige au soleil…

Enfin, comble de l’hypocrisie, nous voulons désormais cadenasser nos frontières aux enfants de ceux qui, un jour, nous ont aidés à les défendre.

Aujourd’hui, à Trévé, nous contribuons donc à réparer ces injustices répétées en inaugurant cette stèle à l’honneur des tirailleurs sénégalais mais aussi, en hommage à la population locale qui a su accueillir en toute fraternité ces hommes si différents en apparence.

C’est une initiative hautement symbolique et d’autant plus importante qu’elle est menée main dans la main avec la Ligue des Droits de l’Homme qui se bat, au quotidien, pour la défense des droits des personnes opprimées.

Je vous avoue donc ma fierté de participer à cette inauguration et espère que cette stèle permettra de faire vivre longtemps la mémoire des tirailleurs sénégalais.