Refugiés : Les pays de l’Union européenne délèguent à la Turquie le soin (et l’argent) de s’en occuper

aedhOn a beaucoup parlé ces derniers temps de l’accord scandaleux passé entre l’Union européenne et la Turquie sur les réfugiés. Mais on a peu entendu ou lu de présentation claire des termes de cet accord.

Le communiqué que vient de publier l’Association européenne de défense de droits de l’Homme (AEDH) présidée par le Français Dominique Guibert (ancien secrétaire général de la Ligue des droits de l’Homme), vient à point nommé. Et permet de mesurer à quel point ce marché (il s’agit en effet d’avantage d’un marché que d’un accord) est effectivement scandaleux. On peut aujourd’hui affirmer que le morts qui se multiplient en Méditerranée sont de la responsabilité de l’Europe. Et encore ne  connaîtrons-nous sans doute jamais le nombre de victimes que feront les renvois de personnes fuyant les persécutions vers leurs pays d’origine, qui auront été classés dans les « pays sûrs » par cette même Europe. Et les Européens ne pourront pas dire « nous ne savions pas ».

Communiqué de l’AEDH

Refugiés : Les pays de l’Union européenne délèguent à la Turquie le soin (et l’argent) de s’en occuper

La venue de demandeurs d’asile restera le moment où les pays de l’UE se sont dérobés à leurs responsabilités en sous-traitant moyennant finances à la Turquie l’accueil, le confinement et la réadmission des réfugiés parvenus en Grèce. Pourtant, selon le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des migrants, François Crépeau, dans une interview à Mediapart, cet accord est illégal : « Je suis convaincu qu’il va être cassé par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui ne manqueront pas d’être saisies par un ou plusieurs des migrants renvoyés de Grèce en Turquie ». La principale faille de ce texte est de définir a priori la Turquie comme un « pays tiers sûr ». Le Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe vient de renforcer cette appréciation. En effet, après une visite de 9 jours en Turquie, Nils Muizniks vient de faire part de sa préoccupation quant au respect des principes relatifs à un Etat de droit et aux droits de l’Homme. Aussi, tenant compte de sa jurisprudence, la CEDH a jugé, dans le cadre des renvois prévus par le règlement de Dublin, que la Grèce ne pouvait être prédéfinie comme un « pays sûr » pour l’ensemble des migrants et qu’une analyse personnalisée s’imposait avant chaque renvoi. Ce qui vaut pour la Grèce vaut aussi pour la Turquie. Dans le cas présent, les États membres de l’UE veulent éviter les examens individuels qui, étant donné le nombre de personnes concernées, empêchent de pouvoir les renvoyer rapidement et massivement alors que cette procédure est contraire aux principes du droit d’asile qui prévoit un examen individuel de chaque demande d’un côté et interdit le renvoi groupé de l’autre. Il convient d’ajouter que l’accord UE – Turquie se limite à l’échange de 72 000 personnes entrées « illégalement » en Grèce contre des réfugiés syriens enregistrés en Turquie. Reste la question embarrassante que la Turquie, déclarée pays sûr, organise des retours forcés de ressortissants iraquiens, afghans, etc. Nous assistons donc à des «renvois massifs » en chaine. Le Rapporteur spécial des Nations unies ajoute : « Plutôt que de sauver des vies, [cet accord] va mettre davantage de gens en danger » en provoquant l’ouverture de nouvelles routes migratoires plus dangereuses et plus coûteuses. Il poursuit :« Les politiques migratoires fondées sur la répression créent un marché pour les passeurs. » La solidarité entre États membres qui devrait être la règle pour l’accueil des réfugiés, comme le prévoient les conventions internationales, s’effondre sous la surenchère de mesures répressives et de fermeture des frontières. Les gouvernements plient sous la pression des fractions les plus populistes et de leurs raisonnements simplistes auxquels ils ne parviennent pas à apporter des réponses politiques basées sur les valeurs qui fondent l’UE. C’est d’ailleurs le plus petit dénominateur commun négocié entre les pays qui semble être dorénavant le fil rouge de la politique européenne de migration et d’asile. La Commission européenne, dans sa communication présentée la semaine dernière, a pris acte de ces rapports de force entre les États-membres en restant modeste quant à ses ambitions et refusant de faire des propositions à la mesure des défis actuels. Au contraire de cette politique de fermeture aux êtres humains en détresse, nos organisations signataires veulent une politique de solidarité et de responsabilité. Pour nos organisations, l’ouverture de voies légales d’immigration est à court terme la seule alternative au commerce des passeurs. L’ouverture de voies sûres et légales d’immigration est la seule alternative au commerce des passeurs. Il faut agir aussi pour une solution politique du conflit en Syrie et Iraq et pour la reconstruction qui, elles, prendront du temps. La répartition des 160 000 réfugiés entre les Etats membres décidée en automne dernier sous présidence luxembourgeoise, selon un schéma convenu, aurait pu être le premier pas vers une politique d’accueil, alors que maintenant les États-membres veulent imposer la fermeture absolue des frontières et le renvoi immédiat et brutal vers les pays de transit ou d’origine. Cette insupportable décision s’accompagnera d’une indécente liste de pays dits sûrs où les ressortissants originaires seront renvoyés au risque de leur vie. Des Etats-membres de l’UE dévient une part croissante de leurs budgets de coopération au développement pour la consacrer à l’accueil des réfugiés. Ces fonds font défaut pour agir sur les causes des migrations dites économiques : incohérence et myopie ! Nos organisations attendent du Conseil des ministres JAI de jeudi qu’il prenne la mesure de la situation. Il ne s’agit pas d’une « crise des réfugiés » qu’il suffirait de contenir en les éloignant par tous les moyens du territoire de l’UE. Il s’agit des conséquences de l’instabilité du monde dont les pays de l’UE ne se soustrairont pas en déléguant leurs responsabilités à d’autres. La participation du Haut Commissaire des Nations Unies pour les Réfugiés au Conseil des Ministres Affaires Générales ce lundi au Luxembourg sera–telle l’occasion pour les 28 Etats membres de répondre aux graves critiques émises par Monsieur Filippo Grandi ? Luxembourg et Bruxelles, le 17 avril 2016 AEDH, association européenne de défense des droits de l’Homme ALOS- LDH, action Luxembourg ouvert et solidaire – ligue des droits de l’Homme ASTI, association de soutien aux travailleurs immigrés Cercle de Coopération MSF, médecins sans frontières

Catherine Wihtol de Wenden : la référence concernant les migrations internationales

Catherine Wihtol de Wenden animera la deuxième partie des Droits en fête consacrée aux migrations internationales.

Catherine Wihtol de Wenden animera la deuxième partie des Droits en fête consacrée aux migrations internationales.

Directrice de recherche au CNRS, docteur en sciences politiques, professeure à Sciences po, Catherine Wihtol de Wenden est une spécialiste mondialement reconnue des migrations internationales. Ses exposés clairs, très pédagogiques, lui valent d’être sollicitée incessamment pour des conférences, des débats, devant des publics très divers.

Catherine Wihtol de Wenden traque avec efficacité tous les clichés, les mensonges et le fantasmes véhiculés par l’extrême droite (et par d’autres aussi, malheureusement…), avec des arguments difficilement contestables puisque s’appuyant toujours sur des sources vérifiées et vérifiables.

Une des idées qu’elle développe fréquemment, c’est que les migrations sont profitables à la fois pour le pays d’accueil et le pays d’origine.

Pour le pays de destination c’est plus évident : on comprend facilement que quelqu’un qui a pris tous les risques, y compris vitaux, pour entrer en Europe, n’a pu le faire que grâce à une énergie hors du commun. Et on devine que cette énergie ne peut que renforcer le pays à qui il demande un accueil digne.

En ce qui concerne le pays d’origine, la raison de cet effet positif devrait faire réfléchir les xénophobes et autres racistes : figurez-vous, messieurs, que le migrant qui a réussi à surmonter tous les pièges que notre vieille Europe a mis en œuvre du début jusqu’au terme de son voyage, n’a pas pour ambition d’abandonner les siens, restés au pays. Il les aide. Et on considère que les aides apportées par ceux qui sont partis à ceux qui sont restés contribuent largement au développement de leur pays d’origine. Celui qui l’affirme ne peut pas être suspecté de la moindre sympathie pour les migrants, puisqu’il s’agit du ministre de triste mémoire Eric Besson. Dans un rapport qu’il a réalisé pour le premier ministre de l’époque, François Fillon, Besson écrit : « Les transferts des migrants sont largement supérieurs à l’aide publique au développement (APD) et peuvent représenter plusieurs points de PIB pour leurs pays d’origine » (source).

Pour les droits en fête, nous avons demandé à Catherine Wihtol de Wenden de montrer que l’intégration des migrants est somme toute chose aisée, et que le « vivre ensemble » est possible, mais aussi qu’il est source de bonheur et d’enrichissement culturel pour ceux qui le vivent. Les témoins que nous avons filmés (8 au total, nous reviendrons sur leurs témoignages), et qui vivent maintenant parmi nous, dans la région de Loudéac, en sont les preuves vivantes.

Une autre raison de participer aux Droits en fête, samedi 23 avril au foyer municipal de Loudéac. Catherine Wihtol de Wenden y interviendra de 16h à 18h.

Congrès du Mans : résolution « Soutenir les droits du peuple palestinien »

Michel Tubiana a défendu la résolution "soutenir les droits du peuple palestien"

Les congrès de la Ligue des droits de l’Homme sont l’occasion de voter des « résolutions », qui sont des textes politiques qui préciseront la ligne que suivra la LDH pendant les deux années qui la séparent du congrès suivant. Au congrès du Mans, les 23,24 et 25 mai 2015, les congressistes ont examiné et adopté quatre résolutions.

La première fait écho aux événements dramatiques qui ont secoué la Palestine l’été 2014. Elle est intitulée « Soutenir les droits du peuple palestinien », et a été adoptée à l’unanimité moins deux abstentions. Elle a été défendue par Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme.

En voici le texte.

Le peuple palestinien est victime d’un double déni : celui que lui infligent les autorités israéliennes par leur occupation, et celui que lui inflige la communauté internationale par son refus de reconnaître son droit à l’indépendance.

Aucune organisation de défense des droits de l’Homme ne peut accepter que quiconque s’en prenne à des civils, soit volontairement, soit de manière indiscriminée ou par un recours à la force, la responsabilité des gouvernants successifs d’Israël est, dans le crescendo de violences, écrasante. L’accélération de la colonisation qui n’est rien d’autre que le vol de terres par la puissance occupante, l’impunité légalisée de l’armée israélienne et l’impunité de fait reconnue aux colons, la détention administrative des prisonniers et les juridictions militaires, l’interdiction de tout développement économique de la Cisjordanie, le blocus de Gaza, la rétention des droits de douane dus à l’autorité palestinienne, tout simplement l’empêchement de vivre et l’enfermement que subissent quotidiennement les hommes, les femmes, les enfants de Cisjordanie et de Gaza ne peuvent qu’entraîner une résistance légitime mais aussi générer la violence du désespoir.

En construisant un mur dans lequel elles croient pouvoir enfermer le peuple palestinien, c’est aussi le peuple israélien que les autorités de ce pays enferment. Coupé de son environnement, entretenu dans l’illusion qu’une politique de force pourrait se poursuivre indéfiniment, celui-ci est lui-même atteint par les maux que génère inévitablement la domination d’un peuple par un autre : restrictions démocratiques, attaques contre les voix dissonantes, usage de la torture, injustice sociale, gonflement démesuré du lobby militaro industriel, discrimination à l’égard des Arabes israéliens.

Mais le conflit israélo-palestinien n’aurait pas perduré, ni pris cette ampleur et cette résonance, si la communauté internationale n’avait fait preuve d’une telle partialité. Celle-ci n’a cessé et ne cesse de cautionner la politique israélienne et ce n’est que très récemment que, face à leurs opinions publiques révoltées par le sort réservé au peuple palestinien, plusieurs pays européens ont infléchi leur politique en reconnaissant un Etat palestinien, ou en manifestant leur intention de le faire.

Cela ne suffit pas. Parce que l’Etat d’Israël est un Etat comme un autre, aux mêmes droits et aux mêmes responsabilités, il convient qu’il rende compte de ses actes. Et c’est aux opinions publiques mobilisées qu’il appartient d’exiger de leurs gouvernements que l’ONU fasse respecter ses résolutions, impose des sanctions à l’Etat d’Israël et prenne les mesures nécessaires pour la création d’un Etat palestinien dans les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale, l’accès à tous les lieux saints devant être préservé.

La Palestine doit devenir un membre à part entière des Nations unies. La Cour pénale internationale doit se saisir des crimes de guerre commis. Si la communauté internationale doit faciliter le dialogue et la négociation entre les parties, c’est sans oublier qui est l’occupant et qui est l’occupé, et en faisant respecter le droit international sous tous ses aspects.

D’ores et déjà, il convient d’organiser le boycott des produits issus des colonies et des entreprises qui en tirent profit, ainsi que l’arrêt du commerce des armes. La communauté internationale doit s’opposer à la consolidation des faits accomplis illégaux. L’Europe doit  suspendre l’accord d’association qui la lie avec Israël. C’est aussi de cette manière que l’on peut tenter, aux côtés des forces de paix israéliennes auxquelles il faut rendre hommage, de changer les choses en Israël même.

Fidèle à son engagement en faveur d’un droit international respectueux des peuples et des individus, la LDH réaffirme le droit à l’existence de l’Etat d’Israël et renouvelle son plein et entier soutien aux droits du peuple palestinien.

Résolution adoptée à l’unanimité moins 2 abstentions

Attentat au Bardo à Tunis : réécouter la conférence de Souhayr Belhassen du 25 mai 2011 à Rennes

Au lendemain de l’attaque terroriste menée au musée le Prado de Tunis, il est particulièrement intéressant de réécouter ce que disaient Souhayr Behlassen, le 25 mai 2011 à Rennes, soit quatre mois à peine après la révolution tunisienne. Ancienne présidente de la Ligue des droits de l’Homme tunisienne, elle était alors présidente de la Fédération internationale des Ligues de droites de l’Homme (FIDH). Vous pouvez regarder ci-dessous sa conférence, donnée à l’invitation de la section de Rennes de la Ligue des droits de l’Homme. La vidéo est coupée en 6 partie : à l’époque Youtube n’autorisait pas de séquences vidée de durée supérieure à 20mn.

Partie 1

httpv://youtu.be/AENSST8IQqQ

Partie 2

httpv://youtu.be/3xl48H7ZGVE

Partie 3

httpv://youtu.be/kOcTrcfjk4Y

Partie 4

httpv://youtu.be/6Y2tMU6EyMk

Partie 5

httpv://youtu.be/APuvicJK3E0

Partie 6

httpv://youtu.be/QTHt1NLvbIk

 

Pierre Tartakowsky : « En guerre… »

Pierre Tartakowsky

L’éditorial de Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des droits de l’Homme, dans le numéro d’octobre de LDH Info, organe mensuel de la LDH.

La France est entrée en guerre. Plus exactement, elle s’est engagée sur un nouveau champ d’affrontement militaire, en intégrant une coalition internationale suscitée et dirigée par les États-Unis d’Amérique contre les forces de Daesh. S’il fallait juger de la qualité de cet engagement au travers de la seule personnalité de ceux qu’il entend combattre, les choses seraient simples. Daesh, disons-le nettement, n’a rien pour plaire, pas plus que ceux qui, dans le monde, terrorisent et assassinent en son nom : l’ignoble décapitation dont notre compatriote Hervé Gourdel a été la victime signe en lettres de sang une folie haineuse et mortifère. La dénoncer pour les horreurs qu’elle porte ne saurait, hélas, suffire : il faut lui opposer la puissance de la raison, la légitimité des lois internationales et la force des armes.

Malheureusement, l’entrée en guerre de la France répond surtout au dernier de ces trois termes. Un déséquilibre qui peut s’avérer lourd de conséquences, tant sur la scène internationale que dans les débats politiques européen et français. Et la raison est souvent parmi les premières victimes, comme la vérité, de l’état de guerre. Certes, nul n’a eu besoin de diaboliser ledit « État islamique », tant sa nature et ses actes sont effroyables. Mais ce bilan ne devrait pas permettre de faire l’économie d’une analyse du phénomène, de sa genèse, des mensonges fondateurs de Georges Bush qui ont été à son origine, des stratégies militaires magistralement erronées qui en ont facilité la croissance et le rayonnement régional.

La précipitation avec laquelle la France a rejoint la coalition américaine, sans discuter ni au Parlement ni ailleurs des objectifs concrets de l’engagement, de la stratégie à mettre en œuvre, des visées diplomatiques qui devraient accompagner cet engagement militaire, réduit considérablement le rôle qu’elle pourra – ou pourrait – jouer comme acteur politique à part entière dans les débats diplomatiques à venir. Ce, d’autant plus que la légitimité internationale est largement marginalisée dans le processus gouvernemental de mobilisation. L’ONU, dans cette affaire, est en effet charitablement placée sur le banc de touche consécutivement au constat de son impuissance. Le problème est largement réel, mais le pointer pour uniquement le contourner ne contribue nullement à le résoudre, tout au contraire. Convoquer des alliances de circonstance sur des objectifs de circonstance, c’est enfoncer le clou selon lequel les lois et institutions internationales ne sont utiles qu’en tant qu’elles valident les anciennes dominations, et que face à la barbarie, les armes doivent prendre le pas sur les règles qui fondent la communauté internationale comme communauté de droit. C’est une dialectique fort dangereuse en tant qu’elle sacrifie l’avenir à l’urgence. C’est en son nom que, depuis le 11 septembre, les États-Unis d’Amérique se sont lancés dans une guerre dont l’effet devait être une véritable contagion démocratique régionale… En fait de contagion, la seule à laquelle nous avons assisté a été celle de la guerre. Et le monde, loin de mieux s’en porter, n’en finit pas de s’enfoncer dans des conflits autour desquels fleurit, selon qu’il s’agisse de l’Europe de l’Est ou du Moyen-Orient, un deux poids deux mesures destructeur pour l’idée même de droit international.

Toxique sur la scène internationale, cette dynamique ne l’est pas moins pour le débat démocratique national autour du phénomène « djihadiste », désigné comme ennemi public numéro un. Depuis son intervention à l’Assemblée nationale lors du vote de confiance demandé pour son gouvernement, le Premier ministre ne cesse de multiplier les variations sur l’air de l’union sacrée. La France étant en guerre, les critiques devraient cesser, les débats s’éteindre et tout problème être réévalué à l’aune de « la sécurité des Français », dont le Président s’est plu à souligner, en introduction de sa dernière conférence de presse, qu’elle était « son premier devoir ».

Le projet de loi contre le terrorisme, soumis au vote dans cette même période, illustre les dangers et les dérives liberticides portés par cette rhétorique. Limitation des libertés sur Internet, limitation de la liberté de la presse, d’aller et venir pour des citoyens français au nom d’une prédictibilité par essence douteuse, extension de la sphère d’intervention de la police au détriment du juge… Gageons que cette loi ne fera pas grand mal au terrorisme. Elle risque en revanche de faire passer à l’arrière-plan une vérité pourtant essentielle : la démocratie ne peut relever les défis du terrorisme qu’en s’affirmant comme telle, avec tout ce qui fonde sa richesse, la liberté et le débat. C’est la voix du bon sens.

Pierre Tartakowsky : « droits, paix, justice, l’été de nos mobilisations »

L’éditorial de Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des droits de l’Homme, paru dans le numéro de juillet de « LDH Info », le bulletin mensuel de la LDH.

Gaza, bien sûr ! Gaza, avec son cortège d’images de destructions de ruines et de désespoir. Gaza, ses femmes, ses enfants et ses maisons éventrées. L’offensive israélienne, qui se soldait, après deux semaines, a plus de six cents morts, dont 70 % parmi les civils, a déclenché dans le monde une vague de protestation, de colère, de mobilisations. En France, plus de deux cent cinquante de ces manifestations se sont déroulées sur un mode calme et résolu. Deux d’entre elles, interdites par le ministre de l’intérieur, ont donné lieu à des débordements dont la forme et le contenu ne pouvaient que nuire à la cause même du peuple palestinien, à la cause de la paix dans la région.

Face à ces événements tendus, la Ligue des droits de l’Homme et ses sections ont joué leur rôle, et elles l’ont joué pleinement. D’abord en étant, partout, partie prenante des manifestations de solidarité pour la paix et la justice. Ensuite, en dénonçant comme contre-productives les interdictions de manifester prononcées par le ministre de l’Intérieur, et en condamnant tous les propos et actes antisémites et racistes. Née d’un même engagement pour la justice et contre l’antisémitisme, la LDH est restée fidèle à son histoire et à elle-même. Enfin, en prenant la responsabilité d’appeler, avec d`autres acteurs de la société civile ou partis et responsables politiques, a une manifestation dans les rues de la capitale. Il s’agissait tout à la fois de faire respecter le droit de manifester, de faire entendre l’inquiétude créée par une attitude gouvernementale par trop partisane du seul État d’Israël, et de réaffirmer que le règlement de ce conflit, fondamentalement de type territorial, appelle des mises en œuvre politiques et non des prêches aux responsables religieux.

La LDH a joué, parallèlement, un rôle important dans la mise en place d’une logique d‘intervention humanitaire pour venir en aide à la population de Gaza. Il n’y a certes pas de quoi se pousser du col, partout cela est bien peu au regard des drames en cours et de ce qu’ils appellent. Mais les ligueuses et ligueurs, qui y ont tous contribué, peuvent légitimement en être fiers et puiser dans cette séquence le beau sentiment d’avoir été utiles.

Sur un tout autre front, celui des idées d’extrême-droite, la LDH a, là encore, fait bonne besogne. On pense évidemment aux arrêtés municipaux portant sur les couvre-feux de mineurs et la mendicité, qu‘elle a contribué à faire retoquer par le juge administratif ; à Béziers, Hénin-Beaumont, et quelques autres lieux sous menace d’éteignoirs démocratiques. En refusant toute limitation extraordinaire du droit de circulation, toute mesure de stigmatisation vis-à-vis de certains jeunes, la LDH a bien évidemment été fidèle a sa dimension de gardienne des libertés, comme elle l‘a été en condamnant les interdictions de manifester. Au-delà de cette attitude, que d‘aucuns lui reprochent comme excessive ou de principe, en un mot « droitdelhommiste », c’est contre la tentation croissante d’exclusion autoritaire et ségrégative que la LDH exerce un rôle de vigie. Car dans tous les cas, la logique de l’interdiction vise implicitement, sinon explicitement, des populations bien précises et assignées à résidence au travers d’éléments de langage qui ne trompent personne, singulièrement l’expression jeunes des quartiers.

Dans un contexte où les problèmes tendent à se cumuler, ou les inégalités s’exacerbent, ou la logique du tous contre tous semble l’emporter et ou les démagogues s’en donnent à cœur joie pour souffler sur tous les brasiers possibles et imaginables, il est salutaire que nous soyons en mesure de rappeler, encore et toujours, non pas à la lettre de la loi mais bien à l’esprit des droits. Cela ne suffit certes pas pour avoir réponse à tout, pour dégager les portes d’un avenir solidaire, pour penser un progrès au service de l’intérêt général.

Mais cela constitue, et c’est la grandeur de notre association, un point de repères solides, permettant tout à la fois de refuser l‘horreur, de résister aux sollicitations des entrepreneurs en peurs collectives, enfin, de rappeler que l’avenir a besoin, aujourd’hui et chaque jour, d’être pensé comme solidaire et élaboré sur l’égalité des droits.

Fête des mères : attention aux roses !

Pollution du lac Naïvacha par les fermes de rose (http://www.desdemonadespair.net/2010/03/drought-agriculture-and-pollution-are.html)

Fête des mères… avec la Saint-Valentin, c’est sans doute la date à laquelle le commerce de fleurs est le plus actif. Le problème, c’est que ni février ni mai ne sont les meilleures dates pour récolter des roses, une des fleurs les plus vendues à ces deux occasions. Les horticulteurs industriels ont trouvé la parade : ils partent en Afrique, et notamment au Kenya. C’est ainsi qu’un ancien président du syndicat français des horticulteurs a créé, sur les rives du lac Naïvacha, une « ferme de rose ».

Le lac Naïvacha, à 1800m d’altitude, est infesté par ces fermes où les roses, profitant d’un climat particulièrement adapté, peuvent être produites toute l’année. Cultivées sous serres, elles partent de l’aéroport de Naïrobi pour la Hollande, avant d’être acheminées vers les grands marchés européens, dont évidemment Rungis. Un voyage dont la durée, qui n’excède pas plus de que quelques heures permet aux fleurs d’arrivée en « bon état ».

Ce n’est pas le cas des ouvrières (les femmes représentent l’immense majorité de la main d’œuvre) qui cultivent ces fleurs. Leurs salaires, scandaleusement bas (à peine quelques euros par semaine) permettent aux propiétaires de fermes, exclusivement européens (essentiellement des Hollandais) de réaliser des profits insensés. Leurs conditions de travail les exposent à des problèmes sanitaires majeurs : bien qu’ils prétendent le contraire, les propriétaires continuent d’utiliser des substances toxiques (engrais, pesticides…) et les conséquences sont catastrophiques pour la santé des ouvrières. Elles sont d’ailleurs doublement exposées : directement par leur travail bien entendu, mais aussi indirectement, par les conséquences de cette pollution sur l’eau du lac Naïvacha, qui a été pratiquement privatisé : ses rives sont devenues inaccessibles pour la population locale (occupées par les « ranches » et autres parcs animaliers). La faune subit directement les conséquences de cette population, et les rapports des organismes internationaux sont sans appel : l’avenir du lac et de sa faune sont directement menacés, et à cours terme.

Deux articles très intéressants traitent de ce problème : le premier est paru le 13 février 2011 dans Politis, le second, le 14 février de la même année, dans Le Monde (à l’occasion de la Saint-Valentin).

L’article d’Audrey Garric, dans Le Monde, explique : « L’usage massif de pesticides et autres engrais par les cultivateurs empoisonne par ailleurs son eau et par conséquent la faune, la flore ainsi que les habitants. « Si les choses continuent de la sorte, si aucune régulation n’est mise en place, dans moins de dix ans, le lac ne sera plus qu’un étang boueux malodorant, avec des communautés humaines appauvries vivant difficilement sur ses rives dénudées. Au fur et à mesure que sa surface et sa profondeur se réduiront, il se réchauffera, entraînant la prolifération de micro-algues. Ce n’est plus qu’une question de temps pour que ce lac devienne toxique », déplore le biologiste, qui mène depuis trente ans des études sur l’hydrologie de la région ».

Dans son article paru dans Politis, Claude-Marie Vadrot explique pour sa part que « D’après des écologistes locaux et des organisations non gouvermentales, le lac pourrait ne plus être qu’un cloaque boueux dans une quinzaine d’années. Il est pourtant théoriquement protégé depuis 1995 par la Convention internationale Ramsar qui veille sur les plus belles zones humides du monde. Mais cela ne préoccupe guère les autorités et les industriels de l’horticulture ».

Autre article, qui donne évidemment un tout autre point de vue : il est paru dans l’Epansion

Un anecdote, révélatrice. En octobre 2013, nous avons fait un voyage au Kenya avec un couple d’amis. Avant de partir, nous avions lu un ouvrage écrit par l’ancien président du syndicat français des horticulteurs (voir plus haut), dont le fils possède une de ces fermes, de 57ha, près du lac Naïvacha. Nous avons souhaité la visiter, en expliquant que nous avions lu ce livre. Nous nous apprêtions à démarrer la visite avec le chef de production (un scientifique indien spécialiste des roses). Au dernier moment, il a appris que nous étions tous les quatre membres de la Ligue française des droits de l’Homme. Visite instantanément annulée : « j’ai une réunion »… Commentaire de notre guide, un Kenyan : « Vous leur faites vraiment peur ! »

 

#BringBackOurGirls !

Dans la nuit du 13 au 14 avril 2014, plus de 200 jeunes filles étaient enlevées dans leur lycée de Chibok au nord-est du Nigeria. Le 5 mai, Aboubakar Shekau, leader du groupe islamiste armé Boko Haram, a revendiqué cet acte et a annoncé que ces jeunes filles seraient mariées de force ou vendues comme esclaves…Depuis, il a proposé d’échanger les jeunes filles contre des prisonniers membres de Boko Haram…

Les femmes nigérianes et les familles des jeunes élèves se sont mobilisées pour pousser le gouvernement de leur pays et les autres pays à agir. La solidarité s’est étendue dans le monde et plusieurs États ont proposé leur aide aux autorités nigérianes pour retrouver les jeunes filles. Pendant ce temps, Boko Haram continue à faire régner la terreur. Il faut donc que la mobilisation ne faiblisse pas !

Dans un premier temps, les réactions à ce drame ont été disons… timides. Au bout de quelques jours finalement, la communauté internationale a commencé à s’émouvoir.

Aujourd’hui, de nombreuses voix s’élèvent, dans toutes les sphères de la société, pour dénoncer cet enlèvement et exiger la libération immédiate des jeunes filles enlevées, et demander à la France et tous les Etats d’accélérer et amplifier l’action pour retrouver ces jeunes filles et mettre fin aux exactions du groupe Boko Haram.

Il s’agit également de rappeler que l’esclavage est un crime contre l’humanité : le 10 mai la France a commémoré son abolition, mais ce combat n’est pas achevé ! La justice et les institutions internationales doivent se mobiliser pour retrouver, juger et condamner les auteurs de tels crimes. L’esclavage sexuel et le viol des filles et des femmes comme arme de guerre ou de terrorisme ne doivent pas rester impunis !

Partout, les droits des femmes et des filles, le droit universel à l’éducation, les droits humains fondamentaux, doivent être promus et garantis, afin qu’aucune religion, aucune idéologie politique, ne puisse imposer sa loi contre la liberté, le corps et la vie des femmes.La France doit mettre au cœur de ses politiques de coopération et d’aide au développement l’égalité entre les femmes et les hommes, le droit à l’éducation pour toutes et tous. L’éradication de la violence contre les femmes doit figurer parmi les cibles des objectifs du Millénaire définis par l’ONU.

Tel est l’esprit du communiqué publié par plusieurs associations, dont la Ligue des droits de l’Homme, pour appeler à la manifestation qui s’est tenue hier, 13 mai.

Dans un article repris par le site de la section de la Ligue des droits de l’Homme de Toulon, l’historien et sociologue de la laïcité, Jean Baubérot note pertinemment un détail qui a son importance et qui devrait en faire réfléchir quelques uns : « L’avez-vous remarqué : les mères des lycéennes enlevées, qui manifestent vivement contre Boko Haram, portent un foulard. Il existe des furieux qu’il faut combattre, mais on le fera d’autant plus efficacement que l’on ne pratiquera pas l’amalgame, et ainsi… isolera les furieux. »

Premiers signataires :

Adéquations, Anef, Assemblée des femmes de Paris Ile-de-France, Association franco-africaine des femmes parisiennes, CFCV, Chiennes de garde, Clef, Collectif contre le terrorisme, Collectif lesbiennes-feministes-ba-ham (CLFBH), Ef-FRONT-e-é-s, Espoirs et combats de femmes, Fédération nationale GAMS, FEMENs, Féminisme et Géopolitique, Féministes en mouvements, Femmes migrantes debout, Femmes pour le dire, femmes pour agir, Femmes Solidaires, FIT, FNSF, Forum Femmes Méditerranée, IFCDU-WICUR, Jeunes écologistes, L’Escale, Libres MarianneS, Ligue des droits de l’Homme, Ligue du droit international des femmes, LMDE, MJS, Mouvement pour la paix et contre le terrorisme, Osez le féminisme !, Planning familial, Rajfire, Regards de femmes, Réseau féministe « Ruptures », SOS Sexisme, une femme, un toit, Unef, UNL

 

Une Europe des droits, ici, maintenant, pour tous !

Le tract diffusé par la Ligue des droits de l'Homme dans le cadre de cette campagne.

L’Association européenne pour la défense des droits de l’Homme publie un manifeste intitulé « Une Europe des droits, ici, maintenant, pour tous ». Relayé par la Ligue des droits de l’Homme, cet appel entre dans le cadre de la campagne pour les élections européennes qui auront lieu le 25 mai prochain.

Le manifeste est en 6 points et chaque point développe un thème mis en relation avec le respect des droits de l’Homme :

Le site dédié à cet appel détaille chacun des six points.

Cette campagne, menée simultanément dans tous les pays de l’Union, est d’autant plus importante que la menace d’une montée de l’extrême droite en Europe est plus que jamais d’actualité : on le constate dans de nombreux pays, à commencer par la France. Le grand danger de cette élection, qui se joue sur un seul tour, est que l’abstention profite à ces partis racistes, xénophobes, et que la tendance au repli sur soi et à la haine de l’autre, qu’on constate depuis quelque temps, ne se développe rapidement.

Ci-dessous, un bref descriptif de chacun des points développés dans le manifeste, avec chaque fois un lien vers la page qui lui est consacrée sur le site de l’AEDH.

1.     Citoyenneté et démocratie et respect des droits de l’homme

Une citoyenneté européenne de résidence conférant les mêmes droits civils et politiques à tous les résidents de l’UE.
Une harmonisation « par le haut » des droits fondamentaux dans l’Union, étendant les compétences législatives de l’UE en matière de droits fondamentaux.
Une démocratisation des institutions de l’Union européenne, en faisant du Parlement européen un véritable législateur avec droit d’initiative législative.

Lire ici.

2.   Droits économiques, sociaux et culturels et respect des droits de l’Homme

Pour que l’Europe sociale prime sur l’Europe marchande, l’Union européenne doit assurer l’égalité d’accès aux droits économiques, sociaux et culturels et harmoniser les différentes politiques sociales par le haut.
Pour une citoyenneté sociale de résidence sur un socle de base de droits partagés.

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3.   Droits des minorités, lutte contre les discriminations et respect des droits de l’Homme

Le nouveau projet de directive contre les discriminations, bloqué au Conseil depuis plusieurs années, doit être adopté, si l’UE ne veut pas perdre sa crédibilité en matière de lutte contre toutes les discriminations dans tous les domaines. Un élément essentiel de la lutte contre les discriminations est l’action pour l’égalité des droits et particulièrement l’égalité femmes-hommes.
L ‘Union européenne et les États membres doivent donner toute sa place, considération et moyens à sa plus grande minorité, le peuple Roms.

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4.   Asile, Immigration et respect des droits de l’Homme

L’UE doit garantir à tout migrant le plein exercice de ses droits, dans leur universalité et leur indivisibilité. Tout demandeur d’asile doit être accueilli dignement et doit être assuré de disposer des moyens matériels et juridiques de faire entendre sa demande de protection et, cela, en quelque point du territoire de l’UE qu’il se présente. Des conditions d’accueil doivent être offertes dans tous les États membre permettant aux demandeurs d’asile de vivre dignement pendant la durée de leur procédure d’asile. L’intégration des migrants et des réfugiés doit être une priorité.

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5.   Enfermement pour enfreintes à la loi et respect des droits de l’Homme

Les détenus restent des citoyens, privés exclusivement et exceptionnellement de la liberté selon la loi, appelés à la recouvrer une fois la peine purgée. Dès lors, doivent être maintenus leurs droits au travail, à la formation, à la sécurité sociale.
Avant de condamner à une peine d’enfermement, toutes peines alternatives doivent être envisagées.
Les conditions d’enfermement doivent être harmonisées dans l’Union européenne vers les standards les plus élevés.

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6.   Données personnelles et respect des droits de l’Homme

La protection des données personnelles est un droit fondamental et non « un moyen pour la croissance économique» .
Au niveau européen, la protection des données personnelles doit être assurée de la même façon et sous les mêmes garanties par un seul texte juridique tant dans le contexte administratif, social, commercial et économique que dans le contexte de la police, de la justice et des affaires intérieures.

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« Grand marché transatlantique » : empêcher la régression des droits et le contournement de la démocratie

Communiqué de la Ligue des droits de l’Homme

Paris, le 5 mai 2014

La Commission européenne s’est engagée depuis plus d’un an, dans des négociations avec les Etats-Unis, sur un projet de traité (dit Tafta) portant sur le commerce et sur les flux financiers transatlantiques.

Le processus d’élaboration de ce Traité est inquiétant. D’abord, du point de vue démocratique : non seulement la Commission européenne a commencé à négocier en mars 2013 sans aucune légitimité, le mandat pour le faire ne lui ayant été conféré qu’en juillet 2013, mais les tenants et aboutissants de la négociation sont entourés d’une opacité incompatible avec tout contrôle démocratique sérieux sur ce qui se prépare au nom de plus de cinq cent dix millions de citoyens. Ainsi, aucun projet ni document précis n’ont été ni publiés ni même mis à la disposition du Parlement européen. En revanche, la Commission européenne va jusqu’à chiffrer à l’euro près le montant d’un prétendu bénéfice que chaque Européen retirerait de ce Traité, et les gouvernements banalisent le processus, comme s’il était sans grands enjeux.

Cette façon de faire qui tend à la désinformation aboutit à exclure les citoyens, les parties prenantes de la société civile et à laisser champ libre aux représentants des lobbies et des grandes entreprises transnationales. Elle jette un doute sérieux sur les buts recherchés par les négociateurs.

Il y a plus préoccupant. Ce qui a fini par transpirer du projet permet de le caractériser comme un outil de soumission de la démocratie vis-à-vis des acteurs financiers et entrepreneuriaux. De fait, il s’agit non seulement d’abaisser des droits de douane, au demeurant déjà très faibles, mais surtout, au titre de la suppression des « obstacles non tarifaires » au commerce et à l’investissement, de soumettre toute législation protectrice des salariés, des producteurs, des consommateurs, de l’environnement, de la santé publique, etc., aux bons vouloirs d’un « Conseil de coopération réglementaire », qui n’est responsable devant aucun citoyen. Corrélativement, toute entreprise pourrait attaquer un Etat devant un mécanisme ad hoc de règlement des différends pour paralyser le fonctionnement d’un service public, d’une entreprise publique, ou l’application d’une politique publique qui gênerait ses intérêts commerciaux ou financiers.

Ce Traité vise clairement à court-circuiter les pouvoirs démocratiquement légitimes pour faire les lois et les juridictions indépendantes et impartiales chargées d’appliquer le droit. L’objectif est de subordonner l’intérêt général et la protection des droits fondamentaux aux intérêts commerciaux et financiers. Certes, la France a obtenu que les biens culturels soient pour le moment retirés du mandat de la Commission européenne. Mais cette exclusion n’est ni certaine ni définitive et les normes sociales, sanitaires et environnementales sont, elles, menacées d’un alignement sur la protection la plus faible des salariés, des consommateurs et de l’ensemble de la population.

La Ligue des droits de l’Homme considère qu’un tel projet, qui engage l’avenir de tous les citoyens européens, ne saurait être poursuivi sans un débat sérieusement informé, contradictoire et public. Elle appelle les citoyennes et les citoyens à se saisir de cet enjeu, à interpeller l’ensemble des candidats aux prochaines élections européennes sur ce que sera leur vote, le jour où ce texte sera soumis pour approbation ou rejet au prochain Parlement européen. Car la crise de confiance entre l’Union et ses citoyens ne peut que s’aggraver, tant que les gouvernants de l’Europe ne prendront pas au sérieux la garantie des droits fondamentaux et les conditions minimales de l’effectivité démocratique. Le 25 mai, le pouvoir de les y contraindre sera entre nos mains à toutes et tous.