L’inauguration de la stèle érigée à Trévé à la mémoire des tirailleurs sénégalais a donné lieu, vendredi 11 novembre, à une cérémonie très émouvante, qui a rassemblé plus d’une centaine de personnes. Joseph Collet, maire, avait invité Armelle Mabon, historienne, qui est à l’origine des recherches effectuées sur la commune, Annie Lagadec, qui a créé la plaque commémorative, et qui, avec Noël, son mari, et Jérôme Lucas, a collecté les témoignages de Trévéens qui ont été publiés dans un recueil intitulé « Nous n’avions jamais vu de Noirs ». Ronan Kerdraon, sénateur, était lui aussi invité : il a consacré une partie de sa « réserve parlementaire » au financement du monument. Et il s’en est dit « très fier » : en tant qu’ancien professeur d’histoire, il mesure l’importance du devoir de mémoire. Participaient également à la cérémonie, Anne Cousin, historienne, qui a elle aussi travaillé sur ce sujet, et Maryse Butel, de Lorient, membre du comité central de la Ligue des droits de l’Homme.
Joseph Collet a donné la parole à tous ces invités, en apportant son témoignage de maire, et en expliquant la valeur symbolique de ce monument et de cette cérémonie : il rappelle à la fois le sacrifice de ces soldats, et le comportement exemplaire de la population de Trévé pendant leur séjour dans la commune.
Vous pourrez voir dans les jours qui viennent la vidéo de cette cérémonie. Dans l’immédiat, vous pouvez lire, ci-dessous, les discours prononcés par Armelle Mabon, Michelle Paul, présidente de la section Loudéac centre Bretagne de la Ligue des droits de l’Homme, et Ronan Kerdraon, sénateur des Côtes d’Armor.
Discours prononcé par Armelle Mabon.
Monsieur le Maire, Mesdames, Messieurs, Amis ligueurs,
Avant toute chose, je tiens à vous remercier pour ce bel hommage rendu à ces tirailleurs dits « sénégalais » faits prisonniers par les Allemands alors qu’ils sont venus de leur lointain pays combattre pour la liberté de la France. Internés dans des Fronststalags en France pendant 4 ans, libérés durant l’été 1944, ils devaient rejoindre leur terre natale en novembre 1944. Les 300 tirailleurs ont été internés ici à Trévé après avoir refusé de monter à bord du Circassia à Morlaix parce que l’administration, malgré les promesses, ne leur versait pas l’intégralité des soldes auxquelles ils avaient droit. Ceux qui ont quitté la France à bord du Circassia et qui ont réclamé à nouveau leur solde avant de rejoindre leur village ont été victimes, à la caserne de Thiaroye, près de Dakar, d’une démonstration de force de l’Armée française faisant 35 tués, 35 blessés et plusieurs condamnations pour faits de mutinerie ont été prononcées. Trévé et Thiaroye sont liés par un déni d’égalité des droits et une injustice dictée par la volonté de la France coloniale de maintenir ces hommes en sujets de l’Empire avec des droits moindres alors qu’ils avaient subi les mêmes souffrances que les Français de Métropole.
Mon travail d’historienne a contribué à faire surgir une mémoire collective. Cet acte mémoriel relayé par la Ligue des Droits de l’Homme section de Loudéac puis retranscrit dans l’ouvrage « Nous n’avions jamais vu de Noirs » et gravé avec une force esthétique grâce au talent d’Annie Lagadec me conduit à reprendre ma posture d’historienne. Je voudrais retrouver la liste de ces 300 ex-prisonniers de guerre avec leur village d’origine et peut-être que les enfants de Trévé écriront à chaque village pour que là-bas ils sachent qu’en Bretagne, à Trévé, un bel hommage a été rendu à l’un des leurs. En combattant l’oubli, l’historienne que je suis s’associe à la commémoration et je vous suis redevable de vous être inscrit dans ce « devoir de mémoire » dans sa conception la plus noble. Un jour, les descendants de ces tirailleurs vous diront aussi Merci.
Discours prononcé par Michelle Paul, présidente de la section Loudéac centre Bretagne de la Ligue des droits de l’Homme
« L’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’Homme sont les seules causes des malheurs publics ». Cette phrase, qui date de 1789, figure dans le préambule de la déclaration des droits de l’Homme. Elle figure également dans le préambule de la déclaration Universelle des droits de l’Homme de 1948. Par cette cérémonie, la commune de Trévé et la Ligue des droits de l’Homme, jouent le rôle de passeurs de mémoire.
La Ligue des droits de l’Homme tient à rendre hommage à ces prisonniers coloniaux qui, après avoir servi la France pour défendre notre liberté, ont refusé l’injustice en défendant leurs droits et en réclamant l’égalité.
La Ligue des droits de l’Homme tient également à rendre hommage à la population de Trévé qui a su soutenir et aider les prisonniers du camp : les témoignages recueillis sont poignants. A Trévé, la fraternité n’était pas un vain mot.
Ce que Trévé a fait en 1944-1945, c’est une leçon pour les jeunes générations.
N’oublions pas l’article 1er de la déclaration des droits de l’Homme : « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ».
Pour la Ligue des droits de l’Homme, un étranger, aujourd’hui comme hier, n’est pas un homme qu’on utilise et qu’on rejette quand on n’en a plus besoin. Nous sommes tous l’étranger de quelqu’un.
Rien n’est acquis, et surtout pas les droits de l’Homme : protester quand ils sont bafoués, c’est faire vivre la démocratie. Résister, s’indigner, témoigner, parler, sont des outils pour les préserver.
Ayons toujours en mémoire ce poème du pasteur Martin Niemoller, écrit en camp de concentration :
« Quand ils sont venus chercher les juifs,
je n’ai rien dit,
je n’étais pas juif.
Quand ils sont venus chercher les catholiques,
je n’ai rien dit,
je n’étais pas catholique.
Quand ils sont venus chercher les communistes,
je n’ai rien dit,
je n’étais pas communiste.
Et puis ils sont venus me chercher :
et il ne restait plus personne pour protester ».
Je profite de la présence de Ronan Kerdraon, sénateur, pour rappeler que le Sénat a mis à son ordre du jour du 8 décembre prochain, une proposition de loi visant à donner le droit de vote aux étrangers hors communauté européenne pour les élections locales.
Merci à Annie Lagadec, membre de la section, qui a réalisé la plaque commémorative, pour son travail remarquable ;
Merci à Armelle Mabon, historienne, et membre de la Ligue des droits de l’Homme, qui, par son travail, a sorti de l’oubli l’histoire de ces hommes;
Merci à la population de Trévé, à sa municipalité et à son maire, pour ce travail de mémoire ;
Merci à ces Africains pour tout ce qu’ils ont fait pour nous.
N’oublions jamais.
Discours prononcé par Ronan Kerdraon, sénateur des Côtes d’Armor
Monsieur le Maire,
Mesdames, messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs les représentants de la Ligue des Droits de l’Homme,
Mesdames, Messieurs,
C’est un honneur pour moi que d’être présent aujourd’hui, en ce jour de commémoration de l’armistice de la guerre 14-18, pour l’inauguration de cette stèle en hommage aux tirailleurs sénégalais qui séjournèrent à Trévé durant la deuxième Guerre Mondiale.
En tant qu’ancien professeur d’histoire, je mesure l’importance que revêt le devoir de mémoire, cette impérieuse nécessité de nous souvenir de l’histoire de France et, particulièrement, de ses périodes les plus sombres.
Aussi, permettez-moi de commencer mon propos en formulant le vœu que notre mémoire collective nous permette d’éviter les travers et les errements dans lesquels nous avons pu tomber par le passé.
Les tentations sont pourtant nombreuses et de plus en plus pressantes, en cette période de crise et de mal-être social, de nous retrancher derrière des théories réductrices, populistes et de courte vue.
Des théories qui, en d’autres temps, ont conduit l’humanité sur des voies que j’espère, nous n’aurons plus à connaître.
Il est de notre responsabilité d’élus de tout faire pour repousser ces tentations, pour éviter que nos concitoyens ne succombent à la démagogie en faisant œuvre incessante d’explication et de pédagogie.
C’est la raison pour laquelle je souhaite vous féliciter, Monsieur le Maire ainsi que tous les élus municipaux, d’avoir donné jour à cette belle initiative.
La pose de cette stèle va permettre aux habitants de Trévé et des environs de se rappeler que la commune accueillit, durant quelques mois, des hommes issus d’un autre continent, d’une autre culture, d’autres horizons.
« Nous n’avions jamais vu de Noirs », écrit Jérôme Lucas, à propos de la réaction des Trévéens qui découvraient, il y a plus de 60 ans, ces tirailleurs africains dans leur petite commune du centre Bretagne.
Et pourtant, à en croire les témoignages collectés dans son ouvrage, les frontières sont rapidement tombées et la solidarité a pris le dessus quand il s’est agi de leur venir en aide en fournissant vêtements et nourriture.
Car ces hommes, si différents en apparence, étaient des compatriotes et venaient de se battre en premières lignes pour défendre la France.
Ils en payèrent le prix lourd : la plupart des rescapés durent regagner leur pays sans un sou, souvent blessés ou frappés par la maladie, non sans avoir été exploités par les allemands dans des camps de travail et malmenés par l’Etat français qui refusait de leur verser leur solde.
Face à cette injustice, leurs revendications visant à être mieux reconnus se sont trop souvent confrontées au mépris et au mutisme du gouvernement français.
Pire : l’histoire des tirailleurs sénégalais a longtemps été passée sous silence.
Marginalisés dans les manuels scolaires, écartés des grandes commémorations nationales, invisibles dans le répertoire des monuments de la capitale française, leur rôle et leur mérite dans la défense et la libération de la France sont très insuffisamment mis en valeur…
Rendez-vous compte : la décristallisation totale des pensions militaires des anciens tirailleurs n’a été opérée qu’en janvier 2011, 66 ans après la fin de la guerre !
Il faut dire que cela ne coûtait plus très cher à l’Etat, le nombre de personnes concernées ayant fondu comme neige au soleil…
Enfin, comble de l’hypocrisie, nous voulons désormais cadenasser nos frontières aux enfants de ceux qui, un jour, nous ont aidés à les défendre.
Aujourd’hui, à Trévé, nous contribuons donc à réparer ces injustices répétées en inaugurant cette stèle à l’honneur des tirailleurs sénégalais mais aussi, en hommage à la population locale qui a su accueillir en toute fraternité ces hommes si différents en apparence.
C’est une initiative hautement symbolique et d’autant plus importante qu’elle est menée main dans la main avec la Ligue des Droits de l’Homme qui se bat, au quotidien, pour la défense des droits des personnes opprimées.
Je vous avoue donc ma fierté de participer à cette inauguration et espère que cette stèle permettra de faire vivre longtemps la mémoire des tirailleurs sénégalais.
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