Une association laïque accusée de « discrimination »

Photo Union des DDEN 35.

L’affaire a été « dénoncée » par le quotidien régional Ouest-France le 20 avril dernier, et reprise par France-soir le 22.

Quelques mois plus tôt, un an exactement précise Ouest-France (eh oui, c’était en avril 2011 !), Marie-France Beaugendre, institutrice à l’école Saint-Joseph, à Chantepie (35), demande à visiter le « Conservatoire de l’école publique », au centre Alain-Savary de Rennes. Sa demande est refusée.

Le hic, c’est que ce conservatoire a été créé, et est géré par l’Union des Délégués départementaux de l’Education nationale d’Ile et Vilaine. Ces délégués, nommés par les Inspecteurs d’académie, veillent au bon fonctionnement des écoles maternelles, élémentaires et primaires, notamment en participant en tant que membres de droit aux conseils d’écoles. Ils peuvent aussi intervenir auprès des maires pour appuyer une demande ou dénoncer des manquements. Ils sont généralement très attachés à l’école publique, et militent pour la laïcité.

Ceci a permis à la polémique d’enfler rapidement : rendez-vous compte ! des laïcs veulent priver des enfants d’une visite pédagogique au seul prétexte qu’ils viennent d’une école privée ! Nous voilà revenus à la guerre des écoles, au sectarisme. Et l’enseignante de déclarer à Ouest-France : « Est-il concevable qu’en 2012 (ndlr, petit rappel : c’était en 2011) on puisse encore vivre un tel sectarisme et une telle discrimination ? »

Evidemment, vu comme ça… Et c’est bien comme ça qu’Ouest-France et France-soir ont vu la chose.

Maintenant, essayons d’aller un peu plus loin.

Le conservatoire de l’école publique – qui n’est pas un musée – a été créé par l’Union des DDEN 35, qui « a mis en place un projet autour de 2 classes anciennes réalisées dans ses locaux au Centre Alain Savary à Rennes. Ce projet destiné à promouvoir les idées de laïcité et l’école publique laïque reçoit les enfants des écoles publiques d’Ille et Vilaine. Ils sont accueillis en structure classe depuis une quinzaine d’années sans aucun problème et c’est à eux qu’est destiné le projet. Cette année près d’une vingtaine de classes ont été refusées du fait de l’impossibilité pour les bénévoles de répondre à la demande », indique un de ses membres, qui précise : « Depuis plus d’un an la structure est l’objet d’une attaque régulière d’une enseignante de l’enseignement catholique qui a reçu toutes les explications nécessaires sur le caractère associatif et bénévole de la structure et à qui cela s’adressait. Elle vient de trouver un relais auprès du journal Ouest France qui y a vu une occasion de dénigrer une association laïque et le travail qu’elle réalise. »

L’Union des DDEN 35 n’est pas une association fantôme, elle a pignon sur rue, et son site informe le public de ses activités. Sur son site, elle explique et justifie sa position :

« Les écoles privées peuvent, si elles le désirent, organiser leur propre conservatoire. Pourquoi notre association est –elle accusée de « ségrégation » dans cette manchette de Ouest-France ?

DDEN35 est une association de bénévoles qui ne parvient pas à répondre à toutes les demandes des écoles publiques voulant visiter notre conservatoire. Nous ne sommes pas payés pour faire ce travail.

Cette accusation de ségrégation en première page du journal Ouest-France, 700 000 exemplaires le plus fort tirage de notre pays, est disproportionnée et totalement injuste pour les adhérents de DDEN35 qui s’investissent bénévolement dans ce conservatoire de l’école publique. Nos valeurs de laïcité et de défense de l’école publique sont aux antipodes du sectarisme et de la ségrégation dont nous sommes accusés.

Mettre en cause notre association à ce point, ne peut s’expliquer que par la volonté de discréditer les défenseurs du service public et leurs valeurs. La proximité de l’élection présidentielle, dans trois jours, n’est probablement pas anodine. »

L’association, devant le tollé qu’a provoqué d’article d’Ouest-France, a préféré fermer provisoirement le conservatoire, ainsi qu’elle l’explique sur son site :

« Suite aux nombreuses réactions liées à la polémique suscitée par l’article Ouest-France en date du 19 Avril 2012 et devant des demandes de visite parfois très provocatrices, les quelques personnes bénévoles chargées de l’activité du conservatoire sont dans l’incapacité de faire face à cette situation inédite.

En conséquence, le conservatoire de l’école publique est provisoirement fermé.

Nous nous en excusons auprès du public et en particulier auprès des classes que nous devions recevoir prochainement. »

Par ailleurs, L’article paru dans le journal Ouest-France a conduit Rodolphe Bourlett, membre de la section rennaise de la Ligue des droits de l’Homme, et Gérard Hamon et son épouse Martine Hebbrecht, vice-présidente de l’Union des DDEN 35, à réagir : ils ont écrit deux courriers, adressés au journal Ouest-France. Nous les publions ci-dessous avec leur accord.

Courrier de Rodolphe Bourlett :

Liberté. Premier principe du tryptique républicain, elle est le fruit de combats ayant égrenés l’Histoire de notre Nation, des Lumières à la Résistance, en passant par les soldats de l’AnII et les barricades de 1848. Aujourd’hui, nul ne songerait sérieusement à la remettre en cause.

La notion de liberté peut se décliner au pluriel. Nous parlerons alors de libertés. Et voilà qui nous amène au débat lancé par votre journal, dans son édition du jeudi 19 avril. Liberté de presse, liberté de circulation, liberté de conscience, liberté syndicale et associative -œuvres de la IIIème République – et même liberté de l’enseignement. C’est bien de la convergence sur ces notions et leur rencontre que vous avez fait le choix de vous faire l’écho, partisan.

En effet, de quoi est-il question ? D’un côté, un système d’éducation revendiquant sa liberté – son droit le plus naturel, dans un cadre fixé par la loi puisque largement rétribué par les fonds publics – et de l’autre une association loi 1901, en l’espèce la DDEN 35. Son but est d’œuvrer pour l’école publique, l’école de la République. Une visite sur le site Internet de l’association permet de comprendre cela aisément.

Au nom de quelle sacro-sainte idée, une association ne pourrait-elle limiter son accès à une personne ou un groupe ne répondant pas à ses critères fixés dans ses statuts ? Eriger un tel principe remettrait en cause la liberté d’association et la notion même d’association. Sauf à dicter aux dicter aux associations leurs lignes directrices, ceci en violation flagrante de la liberté d’association.

Votre article est outrageusement orienté. C’est votre droit, je respecte la liberté de la presse. Même lorsqu’elle fait état de malhonnêteté intellectuelle. Dans un premier temps, l’enseignante parle de « discrimination ». Il ne peut y avoir discrimination lorsqu’une association refuse une activité en s’appuyant sur l’objet même de sa constitution. Association n’est pas Administration. Et dans un second temps, le « magistrat rennais interrogé » y va de son jugement n’hésitant pas à parler de « sectarisme ». Un petit voyage dans une Histoire de France pas nécessairement si éloignée de nous tempérerait sans difficulté cette erreur de langage, insultant lorsque l’on se prononce sur une association défendant l’héritage de 1789 et sa transmission aux jeunes générations.

Enfin, à la veille de l’élection présidentielle, voilà que ressort, comme par miracle, une histoire remontant à avril 2011. Faut-il y voir une manipulation politique ?

A l’heure où la laïcité et l’école publique – piliers de la République – sont remises en cause, cette attaque portent les habits de la bassesse couvrant des desseins partisans.

Militant républicain, héritier des Ferdinand Buisson et Jean Zay, je ne peux me résigner à voir les valeurs fondant notre modèle social, et les hommes et femmes qui les portent, ainsi traînés dans la boue.

L’image que j’ai de Rennes, c’est celle de la ville où le procès du capitaine Dreyfus fut révisé. Pas celle où des personnes manifestent contre les œuvres de l’esprit.

Courrier de Gérard Hamon et Martine Hebbrecht

La laïcité est action

Ainsi la promotion de la laïcité serait répréhensible ? D’après ce que j’en sais, les Délégués Départementaux de l’Éducation Nationale d’Ille et Vilaine ont créé un conservatoire de l’école publique et laïque afin de valoriser auprès des enfants de ces écoles les valeurs qui la sous-tendent. Qui sont ces enfants ? Tous les enfants que l’école de notre République laïque accueille indifféremment des options linguistiques, philosophiques ou religieuses de leurs parents. En effet c’est bien là un des projets de cette école laïque : apprendre à faire vivre ensemble des futurs citoyens quelles que soient leurs opinions pour autant qu’elles soient respectueuses de la loi. Puisqu’il faut mettre les points sur les « i », mettons les ! La laïcité c’est la volonté de s’organiser en respectant les autres en y associant une règle de moindre contrainte. Prenons un exemple : quand il est question d’avortement, le rôle de notre état laïque est de permettre à toutes les femmes concernées d’en faire le choix ou non en leur donnant la possibilité d’y réfléchir sans contrainte et, si elles le décident, de pouvoir exercer le choix de l’avortement dans les meilleures conditions morales et de santé. En quelque sorte c’est la mise en action d’un droit d’exercice libre et non faussé. Quand monsieur Radzinger rappelle à ceux qui adhèrent à son association que ses règlements ne les autorisent pas à avorter, la République laïque n’a rien à y redire car ce rappel n’est pas contraignant pour ceux qui n’adhèrent pas à ses vues, pas plus d’ailleurs qu’il ne l’est pour ses adhérents. Cependant, quand il incite les adhérents de son association à faire des lois contraignantes pour toute la société, la République laïque ne peut accepter un tel projet. Monsieur Radzinger devrait être poursuivi pour incitation à la dictature morale et physique.

Revenons maintenant à ce qui à provoqué l’ire de quelques uns. Il est certain qu’un tel projet émancipateur et d’organisation d’un vivre ensemble toujours plus fort ne soit pas du goût de ceux qui ont pour projet de partager les futurs citoyens dans des isolats linguistiques, philosophiques ou religieux. Le fait de bénéficier d’une attention bienveillante, quoique surprenante, de notre République laïque, ne leur suffit pas. Tout l’espace occupé par l’École laïque au fonctionnement indifférent aux opinions partisanes les dérange, ils en voudraient plus. Il semble d’ailleurs que nombre parmi eux se soient mépris sur le sens du mot « indifférence » tel qu’il en est usé dans le cadre laïc. Il ne s’agit pas d’une indifférence au devenir de la société, il ne s’agit pas d’une indifférence aux valeurs qu’elle promeut et qui jusqu’à preuve du contraire sont officiellement celles de notre état laïque. La laïcité n’est pas un paillasson sur lequel toutes les opinions partisanes peuvent s’essuyer les pieds, ni un punching-ball dans lequel se défouler. La laïcité n’est pas une clause de style, mais un projet d’action.

Ainsi donc le conservatoire de l’École publique reçoit par ses bénévoles des enfants sans un regard sur l’opinion de leurs parents. Il accueille, quand il en a la capacité, tout citoyen ou groupe de citoyens dans l’indifférence de leurs opinions personnelles pour leur exposer et leur faire revivre de manière critique l’histoire passée et actuelle de l’École publique laïque. Par quels arguments non partisans y aurait-il à y redire ?

Je sais que depuis plus d’un an les responsables du conservatoire sont l’objet de provocations de personnes qui n’admettent pas les principes de laïcité. Ce fait, certes très minoritaire, qui reçoit curieusement l’écoute bienveillante d’un journal dont personne n’ignore les options partisanes à quelques jours d’une échéance électorale importante, ne mérite pas qu’on s’y attarde.