Annick Cojean est grand reporter, et a reçu le prix Albert-Londres en 1996 pour une série de reportages réunis sous le titre « les mémoires de la Shoah », publiés dans le journal Le Monde.
Elle s’est rendu en Lybie, au moment de la chute et de la mort de Kadhafi, avec en tête une question : « Pourquoi n’entend-on jamais parler des femmes dans cette révolution ? ». Elles avaient été très actives, et très visibles en Tunisie, puis en Egypte, et là, rien, silence absolu.
Et elle a trouvé la réponse. Le régime lybien utilisait le viol comme arme de guerre. Et le principal souci des hommes était d’épargner les femmes.
Les femmes ont bien été présentes dans la révolution lybienne, mais en coulisse, jamais en première ligne. Et on le comprend facilement en lisant le livre qu’Annick Cojean a écrit à son retour de Lybie, « Les proies, dans le harem de Kadhafi ».
Le viol était une institution, d’un bout à l’autre de la chaîne dictatotriale. Au plus haut niveau, d’abord : Kadhafi était un malade, un obsédé sexuel, qui vivait en permanence sous l’emprise de la drogue. Il se faisait « livrer » des jeunes filles, souvent adolescentes, qu’il transformait en esclaves sexuelles, et qu’il séquestrait pendant des années. Sous couvert de féminisme, (les fameuses « Amazones », « formées » dans une « académie militaire »…), il les soumettaient à sa volonté, leur faisant subir viols, tortures… Et ces jeunes filles, une fois passées entre les mains du « guide », étaient perdues à jamais : leurs familles les rejetaient, parce que le viol était une honte irréparrable et que si la famille n’avait pas pu l’empêcher, elle était indigne. Et cela pouvait se terminer par la mort de la victime : « crimes d’honneur… ». La victime devenait coupable, et un silence de plomb recouvrait ces exactions pourtant connues de tout le monde, bien que personne n’en imaginait l’horreur tant elle était grande. Les femmes n’étaient pas les seules victimes de ce malade : il pouvait aussi violer des hommes. Il était aussi capable d’utiliser des femmes de tous les milieux, y compris de son entourage : ce faisant, il asservissait en même temps les maris, parfois dignitaires du régime.
Le viol était aussi pratiqué par la police et l’armée. Après la chute du dictateur, on a retrouvé des factures de viagra, qui était distribué aux mercenaires et aux soldats, qui avaient l’ordre de pratiquer le viol systématiquement, de préférence en groupe et en public, devant la famille…
Le livre d’Annick Cojean s’ouvre sur le témoingnage d’une jeune femme de 22 ans, Soraya, enlevée par Kadhafi quand elle avait 15 ans. Un témoignage incroyable, tellement incroyable que personne ne peut la croire dans son entourage. Annick Cojean a bien entendu recoupé ce témoignage, et explique le mécanisme utilisé par le dictateur.
Son livre va paraître ces jours-ci en Lybie, et risque de faire grand bruit bien entendu. Il a déjà eu une conséquence : une des « gardiennes » des jeunes esclaves de Kadhafi, qui s’était enfuie en Algérie après la chute de son maître, et avait négocié son retour et l’impunité en échange d’informations, s’est à nouveau enfuie de Lybie quand elle a appris la prochaine parution du livre.
Le sinistre colonel, qui ne se déplaçait jamais sans son « harem » (les fameuses Amazones) a dû exercer ses talents sous les fenêtres de l’Elysée, pendant son séjour en France, à l’automne 2007…
Vous pouvez écouter Annick Cojean, reçue par François Busnel dans son émission « le grand entretien », jeudi 9 mai, à cette adresse.
Les Proies, dans le harem de Kadhafi, Grasset, le Livre de poche, ISBN 978-2-253-17416-5.
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