« Forcené » de Rennes : rassemblement du collectif de soutien aux sans-papiers

On ne disposait jusqu’ici que de la version de la préfecture et de celle de la police, reprises par le journal Ouest-France : « Rennes : le policier tire pour maîtriser le forcené ».

« (…) Il y venait (à la préfecture) pour renouveler son titre de séjour qui avait expiré, à a fin août, mais son dossier n’était pas complet. Très énervé, il a insulté le personnel et dégradé du mobilier. Une fois à l’extérieur, sur un petit chemin, à 500 mètres de la préfecture, il a menacé un policier avec sa barre de fer. Le policier a alors fait usage de son arme pour le maîtriser. L’homme a été blessé à la jambe. Il  a été évacué vers le centre hospitalier régional. Vendredi, il avait déjà été expulsé de la préfecture ».

En lisant cet article, pas de doute : on avait bien affaire à un forcené, à un homme dangereux, qu’il fallait mettre hors d’état de nuire.

Sauf que…

Sauf que ce Congolais est arrivé en France en 2002. Voilà donc 12 ans.

Sauf que ce Congolais est un réfugié politique, que l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (l’OFPRA) lui a reconnu ce statut, et lui a délivré un titre de séjour de 10 ans, ce qui n’est pas si fréquent.

Il venait donc à la préfecture pour obtenir un nouveau titre de séjour.

« Son dossier n’était pas complet », disait le journal en début de semaine. Jeudi 9 octobre, curieusement, le même journal (Ouest-France), s’étonnait : « la préfecture a depuis remis les documents que l’homme était venu chercher, vendredi, à la préfecture de Beauregard. On lui avait pourtant dit, la semaine dernière, que le dossier était incomplet et qu’il ne pouvait obtenir de récépissé » (le récépissé est un papier officiel remis aux étrangers qui déposent une demande d’asile, et qui vaut titre de séjour pendant la durée d’instruction de leur dossier). Vous avez dit bizarre ?

Ce fait divers, qui aurait pu être dramatique, n’a pas étonné les militants qui accompagnent les migrants dans leurs démarches à la préfecture de Rennes : ils sont très souvent victimes d’un véritable harcèlement, alors qu’ils sont, pour la plupart, dans des situations de détresse et de précarité telles qu’ils sont épuisés nerveusement.

C’est ce qui a poussé le collectif rennais de soutien aux personnes sans-papiers à organiser un rassemblement, vendredi 10 octobre, devant la préfecture de Rennes. Une centaine de personnes avaient répondu à l’appel. Ci-dessous, vous pouvez lire la déclaration faite par le collectif pendant ce rassemblement. Collectif qui appelle les sympathisants à venir assister à l’audience au cours de laquelle ce demandeur d’asile sera jugé, le vendredi 24 octobre.

La déclaration du collectif

RASSEMBLEMENT PREFECTURE BEAUREGARD

VENDREDI 10 OCTOBRE 2014

 Nous voudrions expliquer pourquoi nous avons appelé à ce rassemblement suite à ce qui s’est passé lundi dans cette préfecture et qui a été beaucoup relayé par la presse.

En tant que militant-e-s solidaires des personnes sans-papiers et de leur combat pour les papiers, nous avons toujours dénoncé la politique migratoire restrictive qui, selon nous, est la première cause des milliers de cadavres qui parsèment les frontières de l’Europe.

La politique migratoire tue à nos frontières mais aussi dans les pays européens, y compris en France « socialiste ». En témoigne ce sans-papiers algérien qui est mort durant son expulsion en août. Un de plus.

Mais ce qui s’est passé lundi nous semble constituer, sinon une nouveauté, une originalité car, au lieu de subir la politique migratoire, un étranger a osé s’attaquer physiquement, avec une barre de fer, à la préfecture, tout en menaçant de se suicider avec un bidon de liquide mal identifié.

La presse a parlé d’un « forcené » et la presse d’extrême droite a écrit qu’un « immigré clandestin », en situation illégale, était venu exiger « sa régularisation comme si c’était un droit acquis ».

Mais aujourd’hui nous savons que ce forcené, cet immigré clandestin, était en fait un réfugié politique, un étranger là depuis 2002, qui avait une carte de séjour de 10 ans en 2004, donc en situation régulière, et qui était juste venu renouveler sa carte.

Alors nous avons voulu organiser ce rassemblement pour redonner du sens aux gestes violents de ce monsieur.

Comment un étranger, intégré, là depuis 10 ans, a-t-il pu péter les plombs au moment de renouveler ses papiers, au moment de faire ses démarches dans cette préfecture ?

Notre collectif organise des actions contre l’accueil en préfecture depuis près de 15 ans mais il faut reconnaître que, depuis 2 ans environ, nos actions se sont multipliées.

Comme nous sommes un peu naïfs, nous avons cru que tout était de la faute du dernier secrétaire général qui a tant fait parler de lui pour ses pratiques ahurissantes et sa manière très particulière d’habiter la fonction de secrétaire général.

Ce secrétaire général est parti en juin et nous avons espéré une amélioration. Mais c’était sans compter sur tout ce que ce secrétaire général a réussi à faire avant de partir et qui est à l’origine du drame de lundi.

C’est difficile de tout raconter alors concentrons-nous sur ce droit fondamental qu’ont les étrangers de faire une première demande de carte de séjour ou de renouveler leurs papiers.

Nous allons vous parler d’Arthur, un jeune étranger arrivé mineur en France, devenu majeur en 2014 et qui est lycéen.

  • file d’attente de plusieurs heures au guichet, pour déposer demande, on exige passeport = ABUSIF
  • obtient un passeport au bout de cinq mois
  • retourne à la préfecture et découvre sur la porte que maintenant tout se fait par Internet
  • comme il n’a pas d’ordinateur et comme il ne sait pas utiliser Internet, il va dans l’organisme indiqué par la préfecture pour l’aider
  • il faut s’y prendre à plusieurs reprises mais il finit par obtenir un RV 2 mois plus tard en août
  • en août il arrive au guichet à l’heure car 5 minutes de retard et c’est l’annulation ; en ayant imprimé sa convocation car, sinon, le RV est annulé
  • il va au RV avec son dossier complet pour une demande de carte vie privée et familiale qu’il a le droit de déposer
  • là, au guichet, un fonctionnaire modifie au blanco sa demande et la transforme en demande de carte étudiant (on a les preuves)
  • et une fois la demande transformée au blanco, on lui dit : pour une demande étudiant, tu dois retourner dans ton pays chercher un visa !!! (référé à venir)

Arthur n’a pas attaqué la préfecture à la barre de fer mais, franchement, avoir autant obéi et avoir été autant humilié pour obtenir le simple droit de déposer une demande sans y parvenir, si Arthur avait attaqué la préfecture, nous ne l’aurions pas justifié mais nous l’aurions compris !!]

Cette histoire n’est pas isolée. Elle est celle de dizaines d’étrangers que nous rencontrons chaque semaine dans nos permanences juridiques.

En particulier, ce qui rend fous les étrangers en ce moment, c’est la mise en place du tout Internet dans cette préfecture.

On se dit : le tout Internet, ça facilite beaucoup les démarches car plus besoin de se déplacer.

C’est vrai mais, quand on s’aperçoit que le tout Internet veut dire en fait obligation de passer par Internet et donc disparition de toute possibilité de faire ses démarches de rendez-vous au guichet, et quand on sait que seuls les guichets étrangers ont droit à ce traitement de faveur, ça commence à méchamment puer la xénophobie d’Etat, la manipulation d’Etat et donc la violence d’Etat !

Aujourd’hui, toutes les associations et même l’organisme vers lequel la préfecture renvoie les étrangers pour les aider à prendre RV sur Internet – cet organisme s’appelle PIMM’s – sont unanimes : la prise de RV par Internet est d’une telle complexité ou d’une telle inefficacité que l’intervention d’avocats devient de plus en plus nécessaire pour seulement obtenir un RV, pour renouveler ses papiers !

Nous n’allons pas énumérer toutes les pratiques préfectorales qui rendent fous les étrangers. Nous vous renvoyons vers le tract que nous avons distribué et aux prises de parole qui vont suivre.

Nous voudrions juste conclure en expliquant pourquoi nous parlons de « sévices publics » et de « violence d’Etat » pour caractériser le fonctionnement des guichets réservés aux étrangers.

En théorie la France est un Etat de droit et tout usager des services publics – même un étranger – a le droit d’attendre que le fonctionnement de ces services publics soit transparent, prévisible, rationnel, juste.

La continuité du service public et l’égalité de traitement des usagers d’un service sont des principes constitutionnels.

Pourtant, l’Etat ne cesse de contourner ces principes, de les violer, de rendre les démarches administratives pleines d’arbitraire, d’aléatoire, d’incertitude. L’Etat joue avec l’Etat de droit.

Et en plus cet Etat ose en même temps afficher une charte Marianne dans laquelle il s’engage à ne pas faire ce qu’il fait.

Une telle hypocrisie mais surtout le recours quotidien aux pratiques illégales et abusives, c’est ce que nous nommons « violences d’Etat ».

Et nous accusons cette violence d’Etat d’avoir provoqué, d’être directement à l’origine, de ce qui s’est passé lundi.

Alors, SVP, arrêtons de traiter l’usager maltraité de lundi comme un forcené, comme un fou !

Et révoltons-nous contre les violences d’Etat qui sont encore susceptibles de fabriquer le drame de lundi !