Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des droits de l’Homme, signe l’éditorial du dernier numéro de « LDH Info », bulletin mensuel de la LDH. Un titre provocateur, qui introduit un réquisitoire sans appel contre l’atmosphère malsaine qui règne depuis des semaines dans le pays. Voici cet éditorial :
On répugne à le dire, mais une insupportable odeur flotte dans l’air. On a beau froncer le nez, pincer les narines, respirer par la bouche, s’essayer à penser à autre chose, rien n’y fait. Quelque chose pénètre et s’insinue, provoque une nausée, inonde les yeux de larmes. Cela sent tout à la fois la « France à fric », la fin de règne, la basse police et l’abaissement judiciaire, l’argent sale et le blanchiment de comptes. Une étrange mécanique des fluides fait, des hautes sphères de l’Etat, remonter un flot d’affaires et de haut‑le‑coeur.
Défigurée, la République ? Sans aucun doute. Chaque jour, l’opinion publique voit sous ses yeux médusés se dessiner un monde de corrompus et de corrupteurs, de copains et de coquins, d’intermédiaires et d’aigrefins, dont les mérites tiennent aux capacités, réelles ou supposées, qu’ils ont à combiner vente d’armes, rétrocommissions et amitiés gouvernementales. A la surface de ce marais, des millions d’euros se déplacent de valise en valise, d’enveloppe en enveloppe, de la main à la main. Un monde étrange, vraiment, dans lequel un or sans règle se comptabilise en équivalence Légion d’honneur…
Défigurée, la République ? En danger, certainement. Car, tandis qu’un <tas de nains difformes» s’occupent exclusivement des conditions de leur reconduite au pouvoir, aux prébendes, manifestant un appétit féroce et montrant les dents, les agents financiers menacent de mettre à bas des économies entières, brutalisant férocement des peuples. Des « agents notateurs » s’y amusent au chamboule‑tout, en tirant à qui mieux mieux sur les économies réelles; à chaque Etattouché, une cure d’austérité, à chaque euro rentré, une prime aux marchés… La Grèce titube, l’Espagne chancelle, le jeu de massacre est lancé, le Portugal est en ligne de mire, bientôt l’euro. Rien ne va plus, faites vos jeux…
En France, le gouvernement travaille. Il travaille à inscrire une règle d’or ‑ dont l’or serait la seule règle dans la Constitution, sanctuarisant de fait une austérité de principe pour une période indéterminée, mais dont tout indique qu’elle serait fort longue. Qu’importe que la plupart des économistes mettent en garde contre une déflation possible, que l’OCDE critique les plans d’austérité, jugés justement trop austères ; la pensée sarkozienne ‑ ou ce qu’il en reste ‑ s’acharne, tels les médecins de Molière, plus prompts à tuer le malade qu’à le guérir.
Il travaille aussi à frappersur les plus démunis, à diviser, à faire peur. Il a la manière, plus sécuritaire que jamais. En quelques jours, le ministre de l’Intérieur et le président de la République nous ont ainsi administré un véritable cours de contrôle social : stigmatisation des fraudeurs que sont les heureux titulaires du RSA; promesse de trente mille places de prison supplémentaires ; embarquement de force de femmes, enfants, vieillards roms dans un tramway nommé « éloignement »; dénonciation par le ministre de l’Intérieur de la population comorienne de Marseille, qualifiée de délinquante, en gros et sans détails, placement sans cérémonie d’enfants ‑ des enfants! ‑ en centre de rétention… Avec cette équipe, et dans la campagne électorale d’ores et déjà ouverte, la chasse aux boucs émissaires a de l’avenir!
Comment pourrait‑on ne pas s’indigner ? Comment pourrait‑on en rester à la seule indignation ?
La période électorale ‑ qui va des sénatoriales aux législatives ‑peut être l’occasion de placer cette double question au coeur du débat public et peut‑être, de contribuer à y répondre. C’est ce que nous entendons faire avec le Pacte pour les droits et la citoyenneté signé par nous‑mêmes et quarante‑neuf autres organisations syndicales et associatives. Il s’agit bien, en mettant en avant un ensemble de propositions qui couvrent un large champ de notre vivre ensemble, de « faire politique » et d’interpeller ceux qui briguent le suffrage sur ce contenu‑là. L’outil permet, pour peu qu’on s’en empare, d’échapper à la passivité, qui, trop souvent, marque le rapport entre candidat et votants. Il permet de poser le débat public au niveau où il doit être, c’est‑à‑dire sur les mesures et propositions qui engagent l’avenir. Au débat, donc, hardiment.
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