Guéant : n’est-ce qu’un « dérapage » ?

On pourrait mettre cela sur le compte d’une « inculture » crasse… Il y a sans doute de cela. Mais il n’y a pas que cela. Le dernière déclaration de Guéant sur les civilisations qui ne se valent pas toutes n’est-elle vraiment qu’un « dérapage » de plus ? Ou traduit-elle quelque chose de plus profond, solidement ancré chez nombre de personnalités de ce régime finissant ? Car les déclarations de ce type se succèdent, et ne sont pas le monopole de ce pauvre ministre. S’agit-il simplement de stratégie électorale, visant à séduire les électeurs d’extrême droite ? Ou plus simplement, s’agit-il de la confirmation de la « droitisation extrême » de l’UMP depuis quelques mois ?

A lire, l’analyse du Monde, ce matin. Dans une interview parue le 6 février sur le site du journal Ouet-France, l’historien Alfred Grosser confirme cette hypothèse  : à la question du journaliste, « Le mot « civilisation » employé par Claude Guéant était-il le bon ? », Alfred Grosser répond : « Oui. Il a dû soigneusement choisir son vocabulaire, c’est délibéré et bien réfléchi. Il n’est pas attaquable sur la phrase elle-même à mon avis et c’est pour cela qu’il l’a utilisée. Chaque mot compte. Avec Brice Hortefeux (ex-ministre de l’Intérieur), on pouvait encore penser qu’il pouvait dire des bêtises dans le feu d’une discussion, mais là non. Il a parlé de civilisation, et si on peut dire que des civilisations sont différentes, en choisissant de dire que les civilisations « ne se valent pas », il introduit un jugement de valeur agressif qui laisse supposer que certaines sont inférieures à d’autres, avec, comme sous-entendu, que la civilisation islamique est inférieure à la civilisation française. Il ne s’intéresse pas aux Indiens ou aux Guatémaltèques, mais aux musulmans de France. C’est comme cela que ça a été compris, et ça doit faire plaisir à tous les électeurs d’extrême droite. » (L’intégralité de l’interview est ici).

La Ligue des droits de l’Homme s’insurge en tout cas de cette déclaration, et elle vient de publier un communiqué :

Deux questions à propos de Claude Guéant et des « civilisations »

Le ministre de l’Intérieur s’était jusqu’à présent limité à la stigmatisation des individus ou des origines. Chargé par Nicolas Sarkozy du rabattage des voix d’extrême droite, Claude Guéant vient de franchir une étape supplémentaire vers l’ignoble, dans les locaux de l’Assemblée nationale, devant des élus UMP et un groupuscule étudiant proche de la droite radicale.

Avec ses deux petites phrases « Nous devons protéger notre civilisation » et « je pense que toutes les civilisations ne se valent pas», assises sur un amalgame nauséeux entre « civilisations », « ethnies » et politiques gouvernementales, Claude Guéant exhume de son tombeau le débat sur l’identité nationale lancé par Nicolas Sarkozy et que la nation, justement, avait rejeté avec dégoût.

Plus encore, il légitime une hiérarchisation des civilisations entre elles, renouant avec les idées les plus sombres du siècle dernier. Provocation ultime, il le fait au nom de la devise républicaine, dont il trahit ainsi et la lettre, et l’esprit. Une telle escalade pour choquante qu’elle soit ne surprend pas la Ligue des droits de l’Homme, mais deux questions sont maintenant posées : Claude Guéant arrivera-t-il, dans une prochaine déclaration, à faire reculer les limites du supportable et sera-t-il toujours ministre de l’Intérieur lorsqu’il l’aura prononcée ? Car dans la plupart des pays d’Europe de tels propos seraient immédiatement suivis de la démission de leur auteur.

Publication des noms des fraudeurs : les photos, c’est pour quand ?

Xavier Bertrand a un but dans la vie, le bien public. Et pour l’atteindre, il fait preuve d’une imagination débordante.

Sa dernière idée ? Publier dans la presse les noms des fraudeurs aux allocations familiales. Vous savez, ce « cancer » diagnostiqué en son temps par Laurent Wauquiez.

Cette proposition enchante Mme Valérie Rosso-Debord. (mais si, vous connaissez : c’est celle qui, à la question de Yann Barthès sur Canal + le 31 octobre 2011 : « Aujourd’hui, vous avez fait quoi en tant que femme de droite ? »  a répondu : « J’ai fait une tarte pour moi même »), qui y voit une mesure « pédagogique » !

Mais vous pourriez faire beaucoup mieux, Monsieur Bertrand. Pourquoi se contenter des noms ? Pourquoi pas les photos ? Comme aux Etats-Unis, comme le signale Philippe Bernard dans son blog :

« Le « Tampa Day », quotidien de qualité, a trouvé un moyen hallucinant pour renforcer une audience déclinante : il publie systématiquement les photos d’identité judiciaire (« mugshots ») des personnes arrêtées dans les quatre comtés de sa zone de diffusion. Du conducteur sans permis au violeur en passant par les ivrognes, toute personne interpellée par la police est ainsi clouée à ce pilori d’autant plus redoutable que les noms qui y figurent sont accessibles par Google et ne sont pas effacés, même en cas de classement sans suite ou de relaxe. Le journal télécharge en temps réel les fiches de police avec photos diffusés par les shérifs concernés, et les « balance » sur son site. »

Vous doperiez ainsi le tirage des journaux, et contribueriez efficacement à la croissance !

La Ligue des droits de l’Homme s’est émue de cette nouvelle « violation des libertés constitutionnelles » dans un communiqué publié ce matin :

La LDH s’insurge contre la dernière « idée » de Xavier Bertrand qui, si elle se concrétisait, serait un pas de plus dans la violation des libertés constitutionnelles : la désignation administrative de « boucs émissaires ».

Le ministre du Travail et des Affaires sociales a émis, le 26 janvier dernier, une nouvelle idée musclée pour lutter contre la fraude aux allocations familiales : les noms des fraudeurs seraient publiés dans la presse, renouant ainsi avec la condamnation au pilori des délinquants… avant l’exécution de leur peine. Cette initiative serait, selon le ministre, dissuasive, la déléguée générale de l’UMP, Valérie Rosso-Debord, estimant pour sa part qu’elle serait « pédagogique ».

Le gouvernement prétend ainsi lutter contre ce que Laurent Wauquiez, ministre lui aussi, appelle le « cancer » de l’assistanat et de la « fraude sociale », liés le plus souvent, explicitement, à l’immigration. D’ores et déjà, l’interconnexion des fichiers des bénéficiaires de prestations sociales et toutes les enquêtes indiquent que l’essentiel de la fraude provient d’employeurs qui cherchent par tous les moyens à ne pas s’acquitter des cotisations correspondant à leurs salariés.

Le projet de Xavier Bertrand s’inscrit dans une gesticulation électoraliste honteuse. Qu’un ministre en arrive à négliger l’institution judiciaire pour inventer la présomption de culpabilité et généraliser la vindicte publique relève indéniablement du registre le plus démagogique. La honte est au rendez-vous lorsqu’on imagine les suites possibles d’un tel appel au lynchage populaire.

L’école laïque remise en cause ? Appel à soutien

A l’initiative du Planning familial, la LDH est signataire de l’appel « L’école laïque remise en cause ? » dénonçant les ingérences récurrentes au sein de l’école de certains courants mettant en cause l’approche de genre, l’homoparentalité, l’éducation à la sexualité…., ce dernier point étant d’ailleurs un domaine où l’Education nationale ne respecte pas ses propres engagements. Des contacts sont pris pour que d’autres organisations se joignent à cet appel.

Le texte de cet appel qui peut être signé en envoyant un mail à l’adresse suivante ecolelaiqueencause@gmail.com. Télécharger l’appel.

Merci de diffuser cet appel largement autour de vous.

Depuis quelques années, mais avec une intensification ces derniers mois, l’Éducation Nationale fait l’objet d’une offensive sans précédent de la part des courants qui tout à la fois remettent en cause l’approche de genre, nient la réalité et la légitimité des familles homoparentales et veulent nous imposer leur vision de la famille traditionnelle comme la seule et unique référence.

Ces mêmes courants de pensée s’opposent à une éducation à la sexualité qui propose, à partir des questions des jeunes, d’aborder sans tabou, les représentations de la sexualité, l’orientation sexuelle et anime des espaces de parole sans juge ment permettant de dépasser les seuls points de vue médicaux, hygiénistes et préventifs, pour privilégier une approche relationnelle de la sexualité.

Aider à construire une identité sexuée débarrassée des stéréotypes par une réflexion sur les rapports sociaux de sexes est une dimension fondamentale de l’accompagnement éducatif. C’est aussi une étape nécessaire pour lutter contre les violences de genre, et dans la marche vers l’égalité entre les femmes et les hommes dans la société.

Dans cette perspective, c’est bien l’ensemble des acteurs de l’Éducation qui est concerné, bien au-delà des seules séances prévues – mais non réalisées d’éducation à la sexualité par la circulaire du 17 février 2003 de l’Éducation Nationale (3 séances par an pour chaque niveau scolaire du CP à la terminale).

Ainsi, les débats qui émergent autour des contenus des programmes témoignent de la volonté d’empêcher les jeunes en milieu scolaire de s’approprier les réflexions et les débats qui se posent dans la société.

La perspective que proposent ces courants de pensée fortement liés aux églises et à leurs valeurs sur les questions de contraception, sexualité, déniant l’apport des connaissances scientifiques, n’a pas de légitimité dans l’école publique.

La laïcité, une des valeurs fortes de l’école, doit garantir à toutes et tous, l’accès aux informations et aux connaissances, la possibilité de débattre pour se construire en citoyen libre et responsable

Nous signataires, qui militons pour une société ouverte et plurielle, ne pouvons accepter ce projet de société et serons vigilantes sur ces enjeux.

On diffuse,

On signe,

On fait signer !

ecolelaiqueencause@gmail.com

L’appel et ses signataires seront remis aux candidat(e)s à la Présidentielle début mars 2012

La Laïcité au cœur du pacte républicain.

Pourquoi  ils soutiennent cet appel

CEMEA

La laïcité est un des principes fondamentaux de notre société, un facteur essentiel d’unité. Elle est auj0urd’hui remise en cause directement par ceux mêmes qui ont mission de la garantir.

Les CEMEA exigent de l’État et de l’ensemble des pouvoirs publics de respecter et de faire appliquer pleinement les principes qui fondent la Laïcité Les CEMEA, pour leur part, continueront d’agir au travers de leurs actions pour une éducation à la mixité, au vivre-ensemble de lutter contre les comportements et les attitudes qui vexent, humilient, stigmatisent les individus repérés comme les plus vulnérables. Pas de mutisme, de l’engagement et du positionnement !

C’est pourquoi les CEMEA signent et appellent à signer.

Ligue de l’enseignement

La Ligue de l’enseignement est un mouvement d’éducation populaire laïque. Engagée au travers de multiples activités culturelles, sportives, sociales… elle considère que la question du genre, de l’égalité entre femmes et hommes, est une question majeure dans la société actuelle. De façon quotidienne, nous travaillons à mettre en œuvre de façon effective ce principe fondamental d’égalité. Pourtant, au sein même de l’École, nous avons à faire face à des remises en cause sournoises et même directes. Même si elles émanent de milieux aussi minoritaires que sectaires, nous les prenons au sérieux. Aujourd’hui ou le désarroi oral et philosophique accompagne les difficultés économiques et sociales, toutes les dérives sont possibles. Nous tenons donc à réaffirmer avec fermeté, avec tous les mouvements progressistes et républicains nos valeurs, en particulier grâce au texte « L’École laïque remise en cause ? »

Fédération Léo-Lagrange

En tant que mouvement d’éducation populaire, la Fédération Léo Lagrange a l’ambition, à travers chacune de ses actions, de développer l’esprit critique et les capacités ai penser le monde. L’éducation à la sexualité est une composante de la construction de la personne et de l’éducation du citoyen. Aussi, elle doit être abordée sans tabou et sans stéréotypes. Dès 1962, la Fédération Léo Lagrange s’est montrée sensible à la question du planning familial. Influencée par Maurice Deixonne, son président de 1950 a 1972, la Fédération prend ainsi position sur le contrôle des naissances et « appuie et encourage ses militants à aider toute initiative sérieuse et désintéressée, tendant à développer le planning familial en France (motion « contrôle des naissances » votée lors du 60 congres de la FLL le 15 avril 1963). Encore aujourd’hui, le programme de lutte contre les discriminations « Démocratie & Courage ! », mis en place depuis 2002, combat les stéréotypes et les préjugés sexistes et homophobes avec sa journée d’intervention « Respect mutuel(le) ». C’est donc tout naturellement que la Fédération s’est portée signataire du texte « L’école laïque remise en cause ? ».

Ligue des droits de l’Homme

Sans parler des réductions drastiques de postes et du recul de la formation des enseignants, la LDH constate que l’Eco1e est confrontée à des offensives récurrentes du gouvernement pour supprimer ou diminuer tel enseignement (en particulier l’Histoire), ou pour orienter le contenu de tel autre. Récemment, on a assisté à des offensives répressives contre l’approche de genre, qualifiée a tort d’idéologie alors qu’il s’agit d’outils d’analyse utilisés désormais par beaucoup de disciplines scientifiques, et que les parlementaires ne sont pas habilités à se mêler des programmes scolaires. En outre, la LDH regrette qu’en matière d’éducation à la sexualité, l’Éducation nationale ne respecte pas les textes qu’elle a elle-même édictés et n’assure pas les heures de cours officiellement obligatoires. L’école est par essence un lieu ou les jeunes doivent pouvoir acquérir des savoirs à partir desquels ils pourront construire leur autonomie, leur individualité, leur liberté et leur esprit critique. Il revient à tout gouvernement d’une République laïque de veiller a ce que ces acquisitions se fassent en dehors de toute pression, notamment a caractère religieux. L’initiative lancée par Le Planning Familial nous semble contribuer a affirmer ces principes ; il est important qu’un maximum de forces se rassemble pour lui donner une large audience et la LDH entend y prendre toute sa place.

Planning familial

Mouvement féministe et d’éducation populaire, Le Planning Familial milite depuis longtemps pour que filles et garcons, femmes et hommes aient acces a une réelle information sur l’ensemble des questions touchant aux sexualites et a l’égalité entre les femmes et les hommes. L’École de la République ne peut être neutre, elle n’est pas « hors » la société mais familial participe de sa construction. C’est un lieu de vie qui vise acquisition des savoirs, développement des savoir être et apprentissage de la vie collective contribuant ainsi a la construction des adultes de demain, de la société de demain. C’est pour cela que nous avons lancé ce texte « École laïque remise en cause ? » et que nous vous invitons à le signer.

Une LDH à l’offensive !

La Ligue des droits de l’Homme vient de réaliser une série de tracts, dans le cadre du « pacte pour les droits et la citoyenneté » auquel ont adhéré de nombreuses associations.

Vous pouvez dès aujourd’hui les télécharger (format Acrobat) en cliquant sur leurs titres, ci-dessous. N’hésitez pas à les utiliser, les diffuser, les distribuer !

Dominique Guibert, secrétaire général de la Ligue, explique ici la démarche utilisée.

Trop souvent, nous assistons à une soumission du débat politique à l’unique échéance de l’élection présidentielle. Commentaire par ci, sondage par là, phrase choc d’un côté, petite phrase de l’autre. Si le spectacle n’est guère réjouissant, il a surtout plein de défauts : faire de la politique un repoussoir à idées ; focaliser sur la personnalité des candidats présidentiels et leurs qualités supposées ; réduire le débat à l’exercice du pouvoir ; privilégier la forme du débat plutôt que le fond.

La LDH ne peut se satisfaire de cette façon de faire de la politique. La LDH ne peut se soumettre à ce calendrier rabougri. Nous nous situons dans un horizon qui, même s’il ne peut ignorer les échéances électorales, ne s’y limite pas.

Pour répondre à cet impératif, pour nous catégorique, une série de tracts est maintenant disponible. Ces tracts reposent sur l’unité stratégique suivante :

  • ils se situent dans le cadre du Pacte pour les droits et la citoyenneté, en faisant des propositions sur les thèmes qui sont ceux du pacte ;
  • ils ne visent pas à poser des questions aux candidats et aux partis, mais à les interpeller sur les propositions qui sont les nôtres ;
  • ils répondent au souhait que nous avons de ne pas se satisfaire d’être des femmes et des hommes « contre » ;
  • ils apportent des réponses concrètes sur nos terrains d’intervention.

Six tracts thématiques :

L’OFPRA condamné à … faire correctement son travail

Le directeur de l’office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) avait, dans une note interne, datée du 3 novembre, et dans un louable souci d’efficacité et d’économie (!), donné à ses services l’ordre de ne plus instruire les dossiers des demandeurs d’asile soupçonnés d’avoir tenté de faire disparaître leurs empreintes digitales (notamment en se limant les doigts), et de rejeter leurs demandes sans entretien avec la personne concernée.

Saisi par la Coordination française du droit d’asile (CFDA, à laquelle appartient la Ligue des droits de l’Homme) ,le conseil d’Etat vient de condamner l’OFPRA, au motif qu’il existe un  « doute sérieux sur la légalité » de l’instruction du directeur de l’Ofpra. Le conseil d’Etat ajoute : « l’intérêt public qui s’attache à la lutte contre la fraude n’est pas susceptible de justifier une atteinte aussi grave aux intérêts des demandeurs d’asile concernés » car la note « fait obstacle à l’examen individuel de chaque demande » et « méconnaît les dispositions de l’article L. 723-3 du Ceseda en écartant toute possibilité d’audition préalable des demandeurs » (Ceseda : code d’entrée et de séjour des étrangers et des demandeurs d’asile).

Voici la suite du communiqué du CFDA :

Les demandeurs d’asile concernés risquaient en effet un renvoi dans leur pays sans aucun examen de leur situation :
•    la note du directeur de l’Ofpra imposait à ses agents de rejeter leurs demandes sans examen personnalisé
•    alors que les préfectures les ont mis en procédure dite « prioritaire » qui les prive d’un recours suspensif de leur dossier devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).

A l’heure où les autorités entendent accélérer l’examen des demandes d’asile et en réduire les coûts, cette décision rappelle qu’aucun de ces deux objectifs ne peut être poursuivi en sacrifiant des principes aussi fondamentaux que l’audition d’un demandeur d’asile sur les motifs de sa demande.

Le 25 novembre 2011, le ministre de l’Intérieur, Monsieur Claude Guéant, annonce une réforme de la procédure d’asile, en ayant recours à une rhétorique de la « fraude généralisée » ; il recommande d’allonger la liste des pays d’origine « sûrs », ce que fait le Conseil d’administration de l’Ofpra le 2 décembre en y ajoutant l’Arménie, le Bangladesh, le Monténégro et la Moldavie.
La CFDA rappelle que si l’Ofpra est un établissement public sous tutelle du ministère de l’Intérieur, les considérations relatives au contrôle des flux migratoires, propres à ce ministère, ne doivent en aucun cas avoir pour conséquence de réduire les garanties procédurales reconnues par le droit international et la législation française, aux demandeurs d’asile.

Le directeur de l’office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) avait, dans une note interne, et dans un louable souci d’efficacité et d’économie, donné à ses services l’ordre de ne plus instruire les dossiers des demandeurs d’asile soupçonnés d’avoir tenté de faire disparaître leurs empreintes digitales (notamment en se limant les doigts), et de rejeter leurs demandes sans entretien avec la personne concernée.
Saisi par la Coordination française du droit d’asile (CFDA), le conseil d’Etat vient de condamner l’OFPRA, au motif qu’il existe un  « doute sérieux sur la légalité » de l’instruction du directeur de l’Ofpra. Le conseil d’Etat ajoute : « l’intérêt public qui s’attache à la lutte contre la fraude n’est pas susceptible de justifier une atteinte aussi grave aux intérêts des demandeurs d’asile concernés » car la note « fait obstacle à l’examen individuel de chaque demande » et « méconnaît les dispositions de l’article L. 723-3 du Ceseda en écartant toute possibilité d’audition préalable des demandeurs » (Ceseda : code d’entrée et de séjour des étrangers et des demandeurs d’asile).
Voici la suite du communiqué du CFDA :
Les demandeurs d’asile concernés risquaient en effet un renvoi dans leur pays sans aucun examen de leur situation :
•    la note du directeur de l’Ofpra imposait à ses agents de rejeter leurs demandes sans examen personnalisé
•    alors que les préfectures les ont mis en procédure dite « prioritaire » qui les prive d’un recours suspensif de leur dossier devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).
A l’heure où les autorités entendent accélérer l’examen des demandes d’asile et en réduire les coûts, cette décision rappelle qu’aucun de ces deux objectifs ne peut être poursuivi en sacrifiant des principes aussi fondamentaux que l’audition d’un demandeur d’asile sur les motifs de sa demande.
Le 25 novembre 2011, le ministre de l’Intérieur, Monsieur Claude Guéant, annonce une réforme de la procédure d’asile, en ayant recours à une rhétorique de la « fraude généralisée » ; il recommande d’allonger la liste des pays d’origine « sûrs », ce que fait le Conseil d’administration de l’Ofpra le 2 décembre en y ajoutant l’Arménie, le Bangladesh, le Monténégro et la Moldavie.
La CFDA rappelle que si l’Ofpra est un établissement public sous tutelle du ministère de l’Intérieur, les considérations relatives au contrôle des flux migratoires, propres à ce ministère, ne doivent en aucun cas avoir pour conséquence de réduire les garanties procédurales reconnues par le droit international et la législation française, aux demandeurs d’asile.

Une bonne naturalisation est une naturalisation empêchée

La Ligue des droits de l’Homme vient de publier ce communiqué, à la suite des déclarations du ministre de l’intérieur Guéant, qui se félicite de « l’efficacité » de sa politique d’exclusion et de xénophobie.

Le ministre de l’Intérieur plastronne en annonçant  avoir « largement atteint ses objectifs »  pour faire baisser tant l’immigration illégale que légale en France. Claude Guéant a profité de l’occasion pour faire à nouveau état de chiffres liant immigration et délinquance, chiffres une fois encore sortis dont ne sait quel chapeau. Il faut inscrire au chapitre de ce bilan la chute de trente pour cent du nombre de naturalisations. Une situation largement due au durcissement des procédures et conditions d’octroi de la nationalité, parmi lesquelles la maîtrise de la langue et le transfert de compétences aux préfectures… Rappelons que dans les débats qui se sont déroulés dans la dernière période sur le droit de vote des résidents non européens aux élections locales, la droite s’est répandue dans les médias pour opposer à cette mesure une « véritable citoyenneté », passant par… la naturalisation. Une orientation que Claude Guéant s’emploie à réduire comme une peau de chagrin. A moins évidemment qu’à ses yeux, les « bonnes naturalisations » soient justement celles qu’on empêche. Ces affichages martiaux, d’avantage destinés à l’électorat du Front national qu’à toute autre chose, ne font que souligner une double urgence démocratique. D’une part accorder, enfin et comme l’a récemment voté le Sénat, le droit de vote des résidents non européens aux élections municipales ; d’autre part, rompre avec la stratégie de stigmatisation mensongère des populations migrantes ou assimilées.

Appel interassociatif du 14 septembre : investir sur la solidarité

Le 14 septembre 2010, une cinquantaine d’organisations associatives du champ sanitaire et social tiraient la sonnette d’alarme et lançaient un appel citoyen : « Investir sur la solidarité ».

A l’origine de l’appel, un constat préoccupant : les conséquences sociales et humaines de la crise économique, les politiques sociales centrées sur des objectifs d’efficacité financière et une montée du repli sur soi fragilisent encore plus les publics déjà précaires mais aussi les associations qui les accompagnent.

Aujourd’hui, face à l’urgence et parce que tous les secteurs de la société sont de plus en plus touchés par cette perte de solidarité, ce recueil interassociatif apporte des éclairages sur la nécessité de construire une société basée sur la solidarité. A l’approche de la campagne électorale, il a pour vocation d’informer le grand public et d’interpeller les candidats sur l’urgence d’investie sur la solidarité.

Le site de l’Appel se trouve à cette adresse, et l’appel peut être signé ici. Vous pouvez télécharger le livret ici.

La Ligue des droits de l’Homme a contribué à ce livret avec un article intitulé « Contre les inégalités, une solidarité de droits », dont voici le texte.

Dans la trilogie républicaine, la fraternité est souvent perdue de vue. Un peu comme si, bon an mal an, liberté et égalité devaient suffire à assurer une citoyenneté épanouie. Supplément d’âme en quelque sorte. On peut s’interroger sur les causes de cette myopie récurrente, mais on doit surtout la dépasser en interrogeant le sens profond de cette invitation à nous montrer fraternels.

Faire société

Dépassons d’emblée l’idée qu’il s’agirait là de s’adresser aux « autres » peuples ; c’est bien au fronton de nos édifices publics que la devise républicaine est gravée. Le message est bien à destination locale, à consommer sur place pourrait-on dire. Risquons une hypothèse : il s’agit tout simplement de nous rappeler que nous vivons tous dans cet endroit complexe et remuant où l’on ne choisit pas ceux avec qui l’on fait société. Car par définition, on ne choisit pas son frère. L’histoire de Caïn et d’Abel nous enseigne que la consanguinité fraternelle n’a pas que des côtés souriants et qu’elle peut, abandonnée à elle-même, déboucher sur le meurtre. À moins que la fraternité ne devienne, métaphoriquement et au-delà des liens du sang, un ensemble d’éléments qui créent du lien et de l’échange social mutuellement avantageux.

Ce qu’on pourrait alors fort bien qualifier de solidarité, est une fraternité en actes. La solidarité n’est plus une concession à la présence de l’autre, elle se déploie comme condition d’une société dont chacun – soi-même et les autres – devient un actif constituant. Elle s’inscrit comme l’un des éléments majeurs ayant permis à l’espèce humaine de lutter contre les menaces de la précarité, de faire progrès en même temps que société. Pour en rester à l’époque moderne, on constate que la solidarité se constitue toujours en socle de progrès. C’est sur la base des premières lois paternalistes sur la limitation du temps de travail dans l’industrie pour les plus jeunes que se construit une réglementation plus étendue et, avec elle, une économie du temps libéré et des usages sociaux de ce temps. Il en va de même avec les politiques sociales qui permettent de substituer à un contrat familial avec le troisième âge une solidarité intergénérationnelle basée sur un système de retraites par répartition. On pourrait à l’envie multiplier les exemples de cette économie de mutualisation : dans les territoires, pour les villes et les quartiers ; dans les domaines de la santé, avec la sécurité sociale ; dans les entreprises de réseau, avec l’enjeu d’une péréquation tarifaire permettant d’assurer un accès égal à tous.

Les dérives glacées du calcul égoïste

À l’inverse, le début des années 80 a imposé une inversion de la philosophie politique. Ronald Reagan, nouvellement élu proclamait que l’État n’était pas la solution, mais le problème. Margaret Thatcher quant à elle, y ajoutait son refus de toute politique sociale, puisqu’il n’y a pas, selon elle, de société mais juste des individus. Les conséquences de ce choix
de l’individualisme méthodologique comme explication du monde sont lourdes. À la redistribution qui a longtemps accompagné une croissance génératrice d’inclusion sociale se substitue le couple concurrence et compassion. Ce choix philosophique inspire alors les politiques publiques et fonde le « détricotage » des outils de solidarité sociale, générationnelle, fiscale. La mise en concurrence de tous avec tous, présentée comme un facteur d’efficacité et de bien-être partagé s’est, dans les faits, accompagnée d’une explosion des inégalités telle qu’elle en a profondément modifié la nature même de la société. On est ainsi passé d’une société d’inégalités supportables à une société dans laquelle les écarts sont tels qu’ils percutent l’idée même d’un vivre ensemble.

À quoi fait écho – à un niveau anthropologique – la série de crises financière, économique, sociale et écologique qui secouent l’avenir même de l’espèce. Dans ce contexte, la question de la finalité de l’économie et du rôle de ses acteurs devient plus que jamais centrale, et essentielle la finalité de la production : que produire ? Pour qui et comment ? Considérant que l’on ne peut plus consommer plus que ce que la planète ne peut supporter, les droits de l’homme, à garantir à chacun et à chacune et partout, deviennent un axe stratégique. On en arrive au point exact où la proximité entre l’économie sociale et les droits de l’homme prend de la force : la question de l’heure est de faire des droits un axe stratégique et non plus une possibilité, et ce, dans tous les domaines.

Ce n’est qu’ainsi qu’il devient possible de penser une nouvelle conception du monde, structurée autour de l’enjeu majeur – et complexe – de l’égalité, ainsi que des débats politiques qu’il ouvre et recouvre. De la solidarité…

De la solidarité…

Solidarité et égalité sont en effet inséparables des grandes tensions sociales, également politiques, qui caractérisent la période ; et leurs définitions deviennent des enjeux en fonction des conceptions qu’on se fera du monde. Ainsi pourra-t-on professer qu’il s’agit d’être solidaire de telle ou telle catégorie de population. Par exemple, des « plus pauvres », ou des « exclus » ou encore des handicapés, de la grande vieillesse… Le risque étant évidemment d’entrer, à partir de préoccupations parfaitement légitimes dans un jeu de mise en concurrence, voire en opposition, de telle catégorie avec une autre. Dans un registre caricatural, cela pourra donner l’opposition des bons chômeurs aux mauvais… D’un autre côté, on pourra poser comme principe qu’il s’agit moins d’être « solidaire avec » que de construire une société solidaire, en général. La tentation est grande, en période d’urgence sociale et alors que les marges financières de l’intervention publique se réduisent, d’opposer les deux approches. Nous pensons au contraire qu’elles sont toutes deux profondément légitimes à condition justement de ne pas les opposer. Elles permettent de combiner des droits spécifiques à un principe général, de faire reposer sur un socle de principes une arborescence de droits singuliers. Ce faisant, de décliner du droit en fonction de populations, de situations, de territoires particuliers, tout en restant dans un cadre qui ne soit pas compassionnel mais assure un progrès général.

L’investissement sur la solidarité cesse alors d’être considéré comme à fonds perdus, une sorte de « faute de mieux », lot un peu honteux réservé aux malchanceux et autres bras cassés de la vie. Il (re)devient un principe et un outil majeur d’un vivre ensemble sur un pied d’égalité en droits. Voilà les nouvelles solidarités dont nous avons besoin face aux crises financières et du travail ; des solidarités qui, à la fois soulagent, soignent, permettent de repartir de l’avant.

… et de ses instruments

C’est bien dans ce cadre qu’il faut situer les débats et les conflits qui se développent autour des services publics. Ils ont été des outils de solidarité extraordinaires et restent aujourd’hui garants d’un large pan de l’égalité sociale, territoriale, de santé, devant l’éducation et la culture. Ils appellent aujourd’hui des mesures de refonte, de modernisation, pour une efficacité nouvelle aux services des usagers. Il en va de même pour les outils de redistribution – et donc de solidarité – que sont les choix de politique fiscale, de couverture santé, de politique familiale, d’insertion…

On nous dit jusqu’à la nausée, que « nous » n’en avons pas ou plus les moyens. Et d’entonner le couplet devenu une scie économique grinçante, le taux de prélèvements obligatoires. Depuis de nombreuses années, tous les gouvernements ont repris ce refrain. Pourtant, ce taux n’a aucune signification en dehors d’une analyse de sa composition et de sa fonction. Au-delà des batailles de chiffres, il s’agit de refuser la socialisation des risques et de faire la place à toutes les formes l’individualisation du sort de chacun. Ce qui est mis en cause, ce sont ces transferts sociaux qui limitent les effets les plus criants des inégalités sociales. Cela ne signifie pas, bien sûr, que les impôts soient bien partagés et que les transferts sociaux sont les meilleurs possibles. Une réforme fiscale d’envergure est indispensable : diminution considérable des impôts indirects, qui, puisqu’ils sont payés en pourcentage à la source sur des produits et des services, pèsent relativement plus lourds pour les couches sociales les moins riches ; augmentation de la progressivité de l’impôt sur le revenu, du rendement de l’ISF, taxation des bénéfices et des plus-values spéculatives. Mais ce n’est pas le taux de prélèvement obligatoire qui ouvre la voie de la justice sociale.

Face aux périls : réaffirmer un projet politique solidaire

Aujourd’hui, l’inégalité insupportable entre ceux qui possèdent droits et richesses et ceux qui n’ont rien déchire le monde. Des milliards d’êtres humains sont sacrifiés alors que les hommes et les femmes ont droit à un travail dans la dignité, à une véritable sécurité et santé au travail, à un travail et à un revenu décent, à un revenu de remplacement décent quand ils sont privés de salaire, en cas de chômage, de maladie, de handicap, et à la retraite. En même temps, le droit du travail, le droit de grève, le droit syndical et la négociation collective doivent être protégés et défendus. Au-delà des choix budgétaires qui peuvent être conjoncturels, il s’agit aussi de savoir si l’on veut jouer le succès de ces outils économiques que sont l’économie sociale et solidaire, le secteur coopératif, l’épargne solidaire, qui se situent en dehors de la sphère marchande, ou s’inscrivent en contradiction avec ses credo dominants. Les politiques publiques doivent être mises au service de ces objectifs.

C’est dire que les choix de solidarité sont au coeur même du projet politique proposé à la cité, au coeur de la fraternité qu’on entend construire. Dans le contexte de globalisation de l’économie, c’est la logique de tous les droits qu’il faut promouvoir pour qu’ils deviennent vraiment universels. Car les crises que nous affrontons, la montée des particularismes égoïstes, leurs conséquences en matière de coupes budgétaires, les finances publiques mises au service de quelques-uns – dont chacune dit le peu de cas qu’on fait des hommes et des femmes concernés – nous le rappellent à leur manière : il n’existe pas d’alternative humaniste à l’investissement dans la solidarité. Sauf évidemment à considérer l’accumulation de richesses à un pôle de la société comme une variété anodine d’humanisme.
Mais gare…


Les temps nouveaux en délibéré

Pierre Tartakowsky à la tribune du congrès de la LDH à Reims en juin 2011.

Voici l’éditorial de Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des droits de l’Homme, paru dans le dernier numéro du bulletin mensuel de la Ligue, « LDH info ».

Les temps nouveaux en délibéré

Le pessimisme de la raison ne doit pas nous empêcher, optimisme militant aidant, de nous souhaiter collectivement de bonnes fêtes, et une année réellement nouvelle. Bien évidemment, les vœux ne sauront suffire, et il faudra les soutenir d’actions collectives et de choix électoraux. 2012, de ce point de vue, ne s’annonce pas comme une année banale. Les Français sont appelés à se choisir un nouveau président et une nouvelle majorité. Il faut évidemment souhaiter que ce « nouveau » soit effectif et bien au rendez-vous. Il faut surtout, et sans attendre, tout faire pour que les libertés, les droits y trouvent leur compte.

Or, pour l’heure, comme disent les commentateurs hippiques, le terrain est lourd.

La droite a décidé de chevaucher la crise européenne pour en faire l’alibi majeur d’une politique d’austérité qu’elle souhaite constitutionnaliser, rien de moins. Tout aussi inquiétant, elle brandit avec hargne l’étendard national comme une menace sur tout ce qui n’est pas au diapason de ses préférences. Ainsi s’esquisse, l’air de rien, un paysage politique qui s’organise entre la France et l’anti-France, « eux » et « nous ». Sur cette toile de fond, le passage à la toise des droits et libertés continue, ainsi qu’en témoigne la campagne contre le droit de vote des résidents étrangers aux élections municipales, le cadeau de Noël fait aux BAC sous forme de cent cinquante fusils à pompe, le lancement de la nouvelle carte d’identité informatique… Ces rengaines nationalistes, ces décisions autoritaires témoignent d’une panne de l’esprit et n’augurent rien de bon pour la démocratie. Au vu des difficultés présentes et à venir, c’est d’une autre hauteur de vue dont nous aurions besoin.

Pour l’heure, le débat se traine et l’esprit de rupture ne souffle pas. Avons-nous besoin, réellement d’une austérité, d’une sécurité « plus efficaces »? Faut-il combattre, en matière de retraite « les injustices les plus criantes », ou repenser leur système de financement en dégageant des ressources nouvelles ?  La démocratie passe-t-elle par un retour au « normal », ou par des mesures fortes, concernant les résidents étrangers, la représentation paritaire, le rapprochement des décideurs avec leurs électrices, leurs électeurs?

Ces questions sont portées de longue date par la société civile, par des organisations politiques, des élus. Elles sont au cœur du Pacte pour les droits et la citoyenneté que la LDH a passé avec une cinquantaine de partenaires associatifs et syndicaux, pour enrichir le débat, dessiner les changements nécessaires pour, enfin, gagner. Car la gauche ne peut remporter de victoire que lorsqu’elle s’assume pleinement, sur ses valeurs propres. Il faut le rappeler, car le temps presse et l’urgence sociale est là. Elle chemine plus que jamais de pair avec l’urgence démocratique.

À cet égard, la décision du tribunal correctionnel de Paris, condamnant Jacques Chirac à deux années de prison avec sursis, est une bonne nouvelle, et elle met un point final à douze années d’impunité pénale, soit l’un des épisodes les plus avilissants de la Ve République.

Certes, la décision vient tard. Mais l’âge, même grand, ne saurait faire amnistie. Ce retard résulte d’une stratégie d’évitement délibéré et d’un statut présidentiel délétère. Il faut se féliciter qu’elle sanctionne un trafic mené au détriment des contribuables et exalte l’idée de probité mise au service d’intérêt général. Au-delà, le tribunal, qui a fait preuve d’indépendance, effectue une mise au point de la justice avec elle-même. Le parquet, en effet, se voit cruellement démenti. Voilà qui vient à point au moment des affaires Karachi, Bettencourt et autres ; il peut contribuer à affaiblir l’impact du « Tous pourris » brandi ici et là. Enfin, il met de fait, en délibéré l’avenir de l’article 67 de la Constitution. Né d’une bonne intention – protéger la personne du président de la République – il est devenu facteur de confusion des rôles, des charges, des responsabilités. A l’image de la situation politique et sociale de la France, il appelle des ruptures. En 2012 ?

La société des inégaux, ou la déstructuration sociale, par Dominique Guibert

Dominique Guibert à la tribune du congrès de Reims en juin 2011

Dans une tribune intitulée « La société des inégaux, ou la déstructuration sociale », publiée dans l’Humanité dimanche du 22 décembre, Dominique Guibert, secrétaire général de la Ligue des droits de l’Homme, revient sur quelques décisions ou propositions gouvernementales récentes.

Dans un pays où les crédits destinés au logement d’urgence n’ont pas été entièrement consommé, il est proposé par un membre du gouvernement, Valérie Pécresse, d’affecter le solde à l’achat de gilets pare-balles… Une preuve, s’il en fallait, que ce pays va mal. Cela montre à quel point le fossé entre ceux qui gouvernent la France et le peuple est abyssal.
Par Dominique Guibert, secrétaire général de la Ligue des droits de l’Homme.

Dans ce pays, un ministre propose l’illégalité de détourner la finalité de certains fichiers électroniques pour gérer la fraude aux allocations sociales censée attirer les immigrés…
Dans ce même pays, on généralise la délation et la création de véritables patrouilles miliciennes. Le nom de l’une est « participation citoyenne », le nom de l’autre « voisins vigilants »…
Enfin, un autre ministre a dénoncé la société d’assistanat et ses nombreux profiteurs, ces personnes qui, avec 500 euros de RSA par mois, grèvent le budget et nourrissent sans doute la dette.

Ces événements sont assez éclairants de l’écart avec le réel. Reprenons-les.

L’urgence sociale. L’un des derniers rapports de la Cour des comptes souligne sévèrement la faiblesse des moyens pour faire face à l’urgence en matière de logement. Toutes les associations qui agissent sur ce terrain savent que la majorité des arrivants dans le sans-logement ou le mal-logement sont des familles de « travailleurs pauvres » qui vivent dans l’attente angoissée d’un lendemain sans visibilité. La crise est sans doute pour  tout le monde, mais à tout le moins la vulnérabilité est différentielle.

L’accueil des étrangers. Les rapports des experts soulignent que l’immense majorité des migrations sont intrazones et que les immigrés, réfugiés, demandeurs d’asile, dont on dénonce le nombre, ne sont qu’une minorité qui ne deviennent des « sans papiers » que devant la contraction des conditions d’accueil qui leur sont fates, alors même qu’ils ne prennent ni le travail, ni la place de personne. À moins de dire que le partage se fait à due concurrence entre les pauvres et les très pauvres, les « sans papiers » sont une construction politique, pas le résultat d’une invasion sauvage.

Le contrôle généralisé. Alors que les services publics subissent les coupes claires de la révision générale des politiques publiques (RGPP), y compris même les services de sécurité, quel meilleur moyen de faire d’une pierre deux coups que celui de faire de la population les acteurs de la surveillance de proximité puisque l’on a supprimé l’idée que la police du même nom servait à quelque chose ? Se dessine alors un triptyque : le développement des fichiers électroniques débarrassés des contraintes voulues pourtant par le législateur ; l’organisation d’une surveillance de premier niveau par l’enrôlement de la population dans le contrôle mutuel ; enfin l’utilisation maîtrisée de la police et de la gendarmerie.

L’assistanat social. Haro sur la fraude ! Les chiffres des organismes sociaux démontrent pourtant qu’elle est faible par rapport aux fraudes organisées par les vrais délinquants et celles perpétrées par les employeurs indélicats. Et tout dernièrement, le rapport de la commission d’évaluation du RSA a souligné que la majorité des bénéficiaires potentiels du RSA activité ne font pas la demande et qu’une forte proportion de celles et ceux qui pourraient prétendre au RSA socle l’ignore… Et le ministre menteur peut parler des droits et des devoirs de la conditionnalité des uns par rapport aux autres, alors que les faits n’en démontrent pas la matérialité.

Dans cette France du nouveau mensonge déconcertant, on peut craindre que s’installe une société des inégaux, où les 10% des ménages les plus riches possèderont 50% des richesses alors que 50% des ménages les plus pauvres ne possèderont que de 10% des richesses. Sans parler de l’infime minorité des 0,1% de prédateurs qui concentrent une telle masse de revenus et de patrimoine que le sens commun n’arrive pas à percevoir l’utilité sociale d’une telle accumulation. Or, pour protéger les uns de la rage des autres, il faut faire croire que les uns et les autres ont une identité commune à défendre. Et pourtant comment faire société si les comportements des uns sont si éloignés de la survie des autres ? Comment oser parler de cohésion sociale à retrouver quand la crise fait le bonheur de quelques-uns et le malheur de tous les autres ? Quand la concentration des richesses est telle qu’il ne peut plus y avoir de valeurs communes ? Quand la dérisoire équation des revenus est que les uns gagnent en quelques heures ce que certains mettent une année à gagner ?

Il y faudra de la solidarité pour que l’on retrouve des égaux dans la société. C’est du charabia de « bonnes âmes », me dira-t-on ? Être  une bonne âme qui s’occupe des pauvres diables, ça me plaît bien. Pas vous ?

Dominique Guibert

Pas de logement ? un gilet pare-balle fera l’affaire, non ?

Valérie Pécresse…

Voilà un nom qui restera certainement dans l’histoire.

Il se trouve que le fonds d’aide au relogement d’urgence (le FARU) n’a pas dépensé la totalité de son budget : il reste 5 millions d’euros. On peut d’ailleurs se demander pourquoi…

Qu’à cela ne tienne, on ne va pas s’arrêter à de telles broutilles, et plutôt que d’abonder de cette somme le budget 2012, Mme Pécresse, ministre du budget, a trouvé une autre destination à ces fonds : achetons des gilets pare-balles ! C’est vrai, quoi, des fois que les mal logés ou les sans abris se révoltent et prennent les armes, il faudra bien que la police se protège ?

On ne sait pas comment réagir devant de telles inepties : révolte, rire, mépris…

Comme nous sommes en période de fêtes, ne nous privons pas d’un extrait du débat qui a eu lieu à l’assemblée nationale :

Mme Valérie Pécresse, ministre. Le fait est que les 5 millions d’euros prélevés sur le FARU ne seront pas dépensés d’ici la fin du mois. Nous pensons qu’ils seraient mieux utilisés dans le cadre de l’acquisition des gilets pare-balles. Ces crédits nous ont été demandés par les communes. Vous savez combien il est difficile…

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Qu’ils les trouvent sur les crédits ad hoc.

Mme Valérie Pécresse, ministre. Monsieur le rapporteur général, pour moi, en tant que ministre du budget, chaque euro doit être dépensé. Voilà, c’est tout.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Cette proposition est invraisemblable. Je ne sais pas lequel de vos conseillers a eu cette idée, madame la ministre, mais si nous décernions comme le Canard enchaîné des « Noix d’honneur », il y aurait droit ! Vis-à-vis de l’opinion, vis-à-vis des associations, troquer des crédits destinés au relogement d’urgence contre des gilets pare-balles…
Si encore, madame la ministre, vous aviez proposé, compte tenu de la situation dramatique des SDF, de troquer une partie des crédits pour le relogement d’urgence contre des couvertures chauffantes, j’aurais compris. Mais contre des gilets pare-balles, non ! Le ridicule a ses limites, même si je sais comme vous tous que, depuis Mme de Sévigné, il ne tue plus, hélas !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Valérie Pécresse, ministre. Comme l’heure est tardive et que les députés ont le droit de rentrer chez eux pour le week-end – même si les ministres, dont la ministre du budget, devront être présents au Sénat, puisqu’il siègera demain et dimanche –,…

M. Jean-Pierre Brard. Vous avez toute notre compassion, madame la ministre.

Le collectif Alerte, soutenu par la Ligue des droits de l’Homme a publié un communiqué pour répondre à cette bienfaitrice de l’humanité :

Des gilets pare- balles ou un toit pour les mal logés ?

L’Assemblée nationale a été le théâtre, le 2 décembre dernier, d’un débat surréaliste. Valérie Pécresse, ministre du Budget, constatant que le fonds d »aide au relogement d »urgence (Faru ) comptait encore, en fin d’année 2011, 5 millions d’euros non dépensés, a proposé aux députés de prélever 2 millions d’euros sur ce fonds pour « soutenir les communes pour l’acquisition de gilets pare-balles destinés à équiper les polices municipales » !! Si l’équipement des policiers est un sujet tout à fait important et légitime, il ne doit toutefois pas se régler au détriment du relogement des personnes se trouvant dans un habitat indigne.

Heureusement, des députés de la majorité et de l’opposition sont intervenus vigoureusement pour barrer la route à cette idée franchement inacceptable et la ministre a renoncé.

Dans cette affaire, le premier scandale, c’est que la France compte environ 150 000 sans domicile fixe, que le nombre d’expulsions a augmenté de 10 % cette année, que plus de 27 000 demandeurs DALO reconnus prioritaires n’ont toujours pas reçu de proposition adaptée, et que, malgré cela, un fonds d’Etat dédié au relogement d’urgence soit sous-utilisé par les communes et les CCAS ! C’est à désespérer, d’autant plus que le mot d’ordre de la politique du gouvernement est « le logement d’abord » !

Le deuxième scandale est qu’une ministre de la République puisse vouloir troquer du logement d’urgence contre des gilets pare-balles !

ALERTE exige que les crédits du FARU soient entièrement dépensés et effectivement consacrés au relogement d’urgence.