Peine de mort : le discours de Pierre Tartakowsky

Pierre Tartakowsky a prononcé, le 10 octobre dernier, un discours sur le parvis de l’Hôtel de ville de Paris, à l’occasion du trentième anniversaire de l’abolition de la peine de mort :

« La LDH est tout naturellement présente à ce rassemblement de témoignage et de lutte contre la peine de mort. Elle s’est crée contre l’injustice et la peine capitale représente le summum de l’injustice d’autant plus insupportable qu’elle est par définition, sans remède. Nous sommes donc partie prenante des mobilisations qui se développent pour l’abolition de la peine de mort depuis sa création. Cela a été le cas pour les Rosenberg, pour Mumia Abu Jamal et plus récemment pour Troy Davis ; c’est un combat que nous continuons de mener concernant l’Iran, la Chine et partout ailleurs.

Cet engagement est par ailleurs inséparable de ceux que nous menons contre toute tentative de faire prévaloir dans notre pays la barbarie sur la justice.

Certes, la peine de mort est interdite en France et elle n’est pas, comme on dit, « tendance ». Mais elle compte toujours ses partisans ; et leurs propositions dessinent dans le débat public l’ombre portée d’une guillotine d’un type nouveau. C’est ainsi qu’une série de propos, de propositions sur la justice et la peine sont délibérément structurés, sinon par la peine de mort, du moins par sa logique prophylactique, qui est celle de l’élimination définitive.

On a vu ces derniers temps, formulées au plus haut degré de l’Etat,  des théories sur la maladie mentale, sur la criminalité, sur telle ou telle population,  qui les renvoient – et nous avec elles – aux temps funestes des théories génétiques, de l’eugénisme et d’un hygiénisme radical.

Des actes ont suivi, bousculant les droits et les libertés, ouvrant par exemple à des peines d’incarcération quasi à vie, à des enfermements sans fin, au motif non pas de ce qui avait été commis mais de ce qui pourrait peut-être se commettre…

C’est pour faire reculer ce scénario à la Minority report, cette culture mortifère et les peines qui l’accompagnent que la LDH lie étroitement ses mobilisations contre la peine capitale dans le monde de celles qu’imposent les progrès de la justice en France. Nous sommes heureux de pouvoir le faire aujourd’hui tous ensemble. Sachons poursuivre nos combats dans l’unité la plus large.

Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des droits de l’Homme.

« Bon appétit, messieurs » : l’édito de Pierre Tartakowsky

Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des droits de l’Homme, signe l’éditorial du dernier numéro de « LDH Info », bulletin mensuel de la LDH. Un titre provocateur, qui introduit un réquisitoire sans appel contre l’atmosphère malsaine qui règne depuis des semaines dans le pays. Voici cet éditorial :

On répugne à le dire, mais une insupportable odeur flotte dans l’air. On a beau froncer le nez, pincer les narines, respirer par la bouche, s’essayer à penser à autre chose, rien n’y fait. Quelque chose pénètre et s’insinue, provoque une nausée, inonde les yeux de larmes. Cela sent tout à la fois la « France à fric », la fin de règne, la basse police et l’abaissement judiciaire, l’argent sale et le blanchiment de comptes. Une étrange mécanique des fluides fait, des hautes sphères de l’Etat, remonter un flot d’affaires et de haut‑le‑coeur.

Défigurée, la République ? Sans aucun doute. Chaque jour, l’opinion publique voit sous ses yeux médusés se dessiner un monde de corrompus et de corrupteurs, de copains et de coquins, d’intermédiaires et d’aigrefins, dont les mérites tiennent aux capacités, réelles ou supposées, qu’ils ont à combiner vente d’armes, rétrocommissions et amitiés gouvernementales. A la surface de ce marais, des millions d’euros se déplacent de valise en valise, d’enveloppe en enveloppe, de la main à la main. Un monde étrange, vraiment, dans lequel un or sans règle se comptabilise en équivalence Légion d’honneur…

Défigurée, la République ? En danger, certainement. Car, tandis qu’un <tas de nains difformes» s’occupent exclusivement des conditions de leur reconduite au pouvoir, aux prébendes, manifestant un appétit féroce et montrant les dents, les agents financiers menacent de mettre à bas des économies entières, brutalisant férocement des peuples. Des « agents notateurs » s’y amusent au chamboule‑tout, en tirant à qui mieux mieux sur les économies réelles; à chaque Etattouché, une cure d’austérité, à chaque euro rentré, une prime aux marchés… La Grèce titube, l’Espagne chancelle, le jeu de massacre est lancé, le Portugal est en ligne de mire, bientôt l’euro. Rien ne va plus, faites vos jeux…

En France, le gouvernement travaille. Il travaille à inscrire une règle d’or ‑ dont l’or serait la seule règle dans la Constitution, sanctuarisant de fait une austérité de principe pour une période indéterminée, mais dont tout indique qu’elle serait fort longue. Qu’importe que la plupart des économistes mettent en garde contre une déflation possible, que l’OCDE critique les plans d’austérité, jugés justement trop austères ; la pensée sarkozienne ‑ ou ce qu’il en reste ‑ s’acharne, tels les médecins de Molière, plus prompts à tuer le malade qu’à le guérir.

Il travaille aussi à frappersur les plus démunis, à diviser, à faire peur. Il a la manière, plus sécuritaire que jamais. En quelques jours, le ministre de l’Intérieur et le président de la République nous ont ainsi administré un véritable cours de contrôle social : stigmatisation des fraudeurs que sont les heureux titulaires du RSA; promesse de trente mille places de prison supplémentaires ; embarquement de force de femmes, enfants, vieillards roms dans un tramway nommé « éloignement »; dénonciation par le ministre de l’Intérieur de la population comorienne de Marseille, qualifiée de délinquante, en gros et sans détails, placement sans cérémonie d’enfants ‑ des enfants! ‑ en centre de rétention… Avec cette équipe, et dans la campagne électorale d’ores et déjà ouverte, la chasse aux boucs émissaires a de l’avenir!

Comment pourrait‑on ne pas s’indigner ? Comment pourrait‑on en rester à la seule indignation ?

La période électorale ‑ qui va des sénatoriales aux législatives ‑peut être l’occasion de placer cette double question au coeur du débat public et peut‑être, de contribuer à y répondre. C’est ce que nous entendons faire avec le Pacte pour les droits et la citoyenneté signé par nous‑mêmes et quarante‑neuf autres organisations syndicales et associatives. Il s’agit bien, en mettant en avant un ensemble de propositions qui couvrent un large champ de notre vivre ensemble, de « faire politique » et d’interpeller ceux qui briguent le suffrage sur ce contenu‑là. L’outil permet, pour peu qu’on s’en empare, d’échapper à la passivité, qui, trop souvent, marque le rapport entre candidat et votants. Il permet de poser le débat public au niveau où il doit être, c’est‑à‑dire sur les mesures et propositions qui engagent l’avenir. Au débat, donc, hardiment.

La politique de l’immigration tue !

A  la suite de l’incendie du squat de Pantin, dans lequel 6 demandeurs d’asile tunisiens et égyptiens, la Ligue des droits de l’Homme a publié un communiqué :

La Ligue des Droits de l’Homme de Seine-Saint-Denis constate une fois de plus que la politique de l’immigration tue ! Elle appelle au rassemblement de protestation organisé le 30 septembre à 18 h à Pantin devant le squat incendié (M° Hoche – Passage Roche).

L’incendie qui a coûté la vie à six jeunes venus d’Egypte et de Tunisie est à porter au passif d’un gouvernement qui affecte de soutenir les peuples en lutte pour la démocratie, qui affirme vouloir « accompagner, soutenir, aider les peuples qui ont choisi d’êtres libres… », mais qui ferme sa porte à ceux de ces jeunes qui ont choisi l’exil pour tenter de vivre mieux.

Traqués par la police, contraint de dormir dans des squares ou des terrains vagues, privés d’un accès à l’hébergement d’urgence, certains avaient trouvé refuge dans un immeuble muré promis à la démolition. Ils y ont trouvé la mort.

Non, ce ne sont pas les « filières de l’immigration clandestine », comme le prétend le ministre de l’Immigration, qui sont responsables de ce drame, mais bien un déficit d’accueil et de solidarité, et une politique qui veut faire de l’étranger une menace et un bouc émissaire. Le droit d’asile est réduit à la portion congrue, l’accès au séjour pour les malades ou pour les étudiants se restreint, le droit à la vie privée et familiale est battu en brèche pour les étrangers. Même la protection des mineurs isolés peine à s’organiser alors qu’elle relève de la responsabilité des pouvoirs publics.

Mais s’il ne fait pas bon être pauvre et étranger dans ce pays, il ne fait pas bon être pauvre tout court ! L’absence d’un effort national en faveur du logement social, les restrictions drastiques de budget en matière d’hébergement d’urgence et d’action sociale, de santé, et d’éducation pénalisent toujours les plus précaires, quelles que soient leur origine et la couleur de leur peau.

Au lieu de jouer sur les peurs, d’attiser la xénophobie et d’encourager les populismes, la France et l’Europe devraient, non seulement assurer le respect des droits fondamentaux pour tous, français et étrangers, mais jouer la carte de la solidarité, de l’ouverture et de l’accueil, favoriser l’intégration de ces populations jeunes et dynamiques par la formation et le travail. Il y a urgence !

Saint-Denis, le 29 septembre 2011.

Pierre Tartakowsky au journal de 13h de France Inter

p10003521Pierre Tartakowsky, nouveau président de la Ligue des droits de l’Homme, est intervenu ce mercredi 21 septembre au journal de 13h de France Inter, à propos de l’exécution probable de Troy David et des propos d’Arno Klasfeld sur la politique du chiffre en matière d’immigration.

Vous pouvez l’écouter ici : journal du 21/09/2011, et lire l’article du Monde ici.

Inculpé parce qu’il ramasse les ordures que le service de voirie ne collectait plus

On atteint là, au choix, le sommet de l’ignoble, d’ubuesque, du ridicule.

Serge Guichard, président d’une association de solidarité avec les Roms, a organisé et participé au nettoyage des abords d’un campement de Roms, où les services de nettoyage municipaux n’intervenaient plus. Lui et ses amis ont rassemblé les ordures dans des sacs poubelle, qu’ils ont déposés le long de la route, pour que les services de voirie puissent les enlever.

Que croyez-vous qu’il arrivât ? Serge Guichard est inculpé pour « dépôt d’immondices sur la voie publique ».

Comme le souligne très justement son comité de soutien (il risque une peine de prison et une forte amende), ce qui compte c’est de dire dans la même phrase, « Roms », « ordures » et « délinquants ».

Lisez ci-dessous le communiqué de son comité de soutien, et signez la pétition !

Inculpation de Serge Guichard : quand le ridicule rejoint l’ignoble…

Serge Guichard, président de l’Association de solidarité en Essonne avec les familles roumaines et roms, membre du réseau Romeurop, est assigné au pénal et risque de la prison ainsi qu’une amende pour avoir organisé, avec d’autres associations dont la LDH de l’Essonne et les familles Roms, un nettoyage complet du terrain au bidonville de Moulin Galant qu’elles habitent.

Cette action fut menée le samedi 26 mars afin de protester contre le fait que les autorités responsables n’assuraient plus, depuis des mois, la collecte des ordures. Les sacs furent en fin d’opération placés en bordure de la voie publique, à disposition des services d’enlèvement. (http://www.romeurope.org/-Essonne-.html ).

D’où l’incrimination dont est victime Serge Guichard : « dépôt d’immondices sur la voie publique ». Où l’on voit que la vérité des faits s’efface sous le prononcé des mots : ce qui compte c’est de dire dans la même phrase, « Roms », « ordures » et « délinquants ». Et pourtant l’action a payé : quelques semaines plus tard, les poubelles étaient  ramassées comme il se doit, normalement. Où est dès lors la délinquance ?

A chaque opération du gouvernement en matière de traitement des étrangers, on ne peut que constater l’approfondissement d’une politique de discrimination, de mise à l’écart, de stigmatisation aux fins de répondre aux supposés souhaits de sécurité des populations. En clair il s’agit de chevaucher le tigre des idées d’extrême droite pour tenter de retrouver la base électorale qui permettrait la reconduction d’un Sarkozy, dont le camp est en voie de liquéfaction.

L’inculpation de Serge Guichard démontre par l’absurde qu’il s’agit d’une politique systématique de désignation des allogènes dans une blanche société française fantasmée et d’une criminalisation des opposants.

La LDH appelle tous les citoyens à :

  • exiger le respect des droits et la fin d’une poursuite judiciaire grotesque contre Serge Guichard ;
  • signer la pétition de soutien : (http://soutienasergeguichard.over-blog.fr);
  • participer au rassemblement de soutien le 22 septembre à 14h00, au tribunal de proximité, 1 rue de la patinoire, à Evry.

Avec Guéant, 200 jours de campagne électorale pour donner la nausée

Communiqué de la Ligue des droits de l’Homme :

De déclarations en petites phrases, de projets en promesses, c’est l’évidence : le gouvernement entend mobiliser de grandes peurs, xénophobes et sécuritaires pour scander les campagnes électorales à venir, et pour préparer des alliances aussi dangereuses que nauséeuses. Face aux crises montantes, face aux oukases des agences de notation et des « marchés », il a choisi ses cibles et ne cesse depuis la rentrée de les désigner à une vindicte populaire supposée réceptive. Après avoir qualifié les heureux « bénéficiaires » du RSA de fraudeurs, agité la perspective d’un énième  fichier pour traquer les supposés fraudeurs à l’assurance maladie, il justifie l’espionnage illégal d’un journaliste par un service de police et indique que la « communauté  comorienne de Marseille » est facteur de délinquance, rien de moins ! Adossé à sa politique du chiffre, il réquisitionne en dehors de tout cadre légal un tramway parisien pour « éloigner » des familles roms et place – toujours illégalement – des enfants en rétention. Car un enfant expulsé, c’est une unité de plus dans la statistique…

Pour faire bonne mesure, il exhume une proposition rancie d’encadrement des jeunes délinquants par des militaires à la retraite et promet trente mille places supplémentaires de prison. Trente mille places qui seront, n’en doutons pas, immédiatement occupées, venant alimenter l’état structurel de surpopulation carcérale.

Ces gesticulations et cette hyper agitation, dont Claude Guéant assure la mise en scène afin de laisser Nicolas Sarkozy peaufiner une image censée être présentable de candidat à la présidentielle, est le signe d’une certaine impuissance. Mais elle est extrêmement inquiétante. La réactivation des thèmes xénophobes, la chasse aux pauvres ont bien évidemment à voir avec la promesse d’une austérité renforcée et présentée comme seule solution à la crise financière. Cette politique de boucs émissaires, qui vise à opposer les « étrangers » aux Français, les « vrais français » à d’autres qui le seraient moins, les « fraudeurs » aux « bons pauvres », les jeunes aux moins jeunes, se déploie sur un fond d’affaires qui ne cessent de surgir et resurgir, alimentant un dégoût de la chose publique et de l’investissement citoyen… Tout cela confirme s’il en était besoin, le lien étroit entre droits civils et sociaux, entre agressions sociales et reculs des droits, des libertés.

Cette situation peut conduire au pire. Elle implique qu’on lui oppose la perspective d’une société de solidarité, solidement campée sur le principe d’égalité républicaine. C’est pourquoi la LDH entend redoubler d’efforts dans les jours à venir pour porter à la connaissance du plus grand nombre les propositions portées par le « Pacte pour les droits et la citoyenneté » dont elle est signataire avec quarante-neuf autres organisations associatives et syndicales. Il s’agit bien, face à la montée des agressions et des périls, face à l’organisation de la déliquescence démocratique, d’opposer la force d’un  ensemble de propositions crédibles, tangibles, dessinant les valeurs d’une autre société, égale, solidaire et, sur ces bases, d’engager le débat avec les forces politiques et leurs candidats, avec l’opinion publique.

Tramway de la honte : la LDH saisit le défenseur des droits

La Ligue des droits de l’Homme a décidé de saisir le défenseur des droits, pour lui soumettre le problème de ce tramway que la RATP a affrêté pour faciliter l’expulsion de Roms à Saint-Denis. Voici le communiqué qu’elle a diffusé :

PARIS, le 2 septembre 2011

Un tramway pour les Roms : le gouvernement plonge dans l’indignité

Le 31 août à Saint-Denis, après une nouvelle évacuation de leur bidonville, des familles de Roms roumains ont été entassées par la police dans une rame du tramway jusqu’à la gare de Noisy-le-Sec puis forcées à prendre le RER avec l’objectif de leur faire quitter le département.

Cette traque inhumaine menée par l’Etat contre les plus précaires est inacceptable. La Ligue des droits de l’Homme condamne cette opération indigne de bannissement territorial menée sous les ordres du préfet de Seine-Saint-Denis. La réquisition des moyens de transport public est injustifiable et la complicité des représentants locaux de la RATP est inadmissible.

Déjà en 2008 pour des faits semblables à la gare de Massy, la Commission nationale de déontologie de la sécurité, que la LDH avait fait saisir, avait fermement qualifié d’illégal le comportement de la police et du préfet de l’Essonne et fortement condamné la duplicité de la SNCF dans cette affaire.

La LDH a décidé en conséquence de saisir le Défenseur des droits désormais compétent pour instruire des tels agissements.

Quels crimes ? Quelles peines ?

Nicolas Frize est co-responsable du groupe de travail « Prisons » de la Ligue des droits de l’Homme. Il est par ailleurs membre du Genepi, le Groupe d’Étudiants National d’Enseigement aux Personnes Incarcérées. Il nous livre ici quelques unes de ses réflexions sur le sens de le peine, dans une période où la politique du chiffre guide la politique judiciaire. On peut entendre ici une conférence que Nicolas Frize a donnée au forum de l’IRTS Lorraine le 3 décembre 2010, sur le thème « Le travail incarcéré ». A noter que Nicolas Frize est par ailleurs compositeur de musique.

La mode bat son plein, pas de soldes pour ces produits, la bourse est stable, tout se vend, tout s’achète, les courbes grimpent, l’inflation montre ici un visage positif, elle jubile de son succès, elle guette ses progrès incessants ! Oui, ces questions de sanctions publiques ont le vent en poupe, et sont frappées de plein fouet par leur propagande ; le climat est au spectacle, au théâtre du crime ou du délit, au théâtre de la justice et de la police. Incontrôlée, la dérive sécuritaire génère un vent de répression et d’intolérance, armée de son bras droit : les médias. La médiatisation progresse et se sophistique pour mieux coller à son époque, comme toute industrie lucrative, capable de faire événement de tout, de se surenchérir à elle même, dans un double mouvement de banalisation et de dramatisation.

Elle fait chou gras de tous les actes de transgression quels qu’ils soient jusqu’aux anecdotes en sous main de la machine policière, judiciaire et pénitentiaire.

Nous n’avons pas assez conscience de la complicité tacite et structurelle entre les médias et les pouvoirs législatif, exécutif et économique. Chaque fait divers est d’abord émouvant, susceptible de faire loi ou décret, et parallèlement, chaque loi ou décret fait publicité. Dans ce ballet de causalités d’intérêts, la répression sur les individus – et donc sur le collectif – est une arme de soumission et de séduction.

Nous n’avons peut-être pas besoin de citer ici l’accumulation des mesures répressives qui se sont abattues sur le pays (peines planchers, bracelet électronique tous azimuts, recul des libérations conditionnelles, fichiers des empreintes génétiques, STIC et autres, suivi médical « obligatoire »…), accélérant encore ce qui avait été amorcé depuis l’abolition de la peine de mort en 1981 (périodes de sureté incompressibles…).

De toute évidence la transgression fascine et excite certains de nos concitoyens (cf. la presse spécialisée sur les faits divers crapuleux et les émissions de télévision thématiques retraçant l’histoire des grands crimes…), qui, terrassés par leur propre culpabilité de s’intéresser de si près et de se répandre en fascination dans ces horreurs, réclament à corps et à cris les peines les plus immondes, les plus longues, les plus dures et les plus inéluctables. On croit rêver, en observant les États-Unis, qui brillent par l’excellence et l’hystérie de leur arsenal répressif, de voir à quel point celui-ci n’a aucun effet quantitatif ou qualitatif sur la criminalité ! Ce qui n’est pas dit, c’est que ces mesures punitives démentielles n’ont pas pour naïveté de faire reculer par la dissuasion les velléités criminelles des citoyens, elles ont d’une part pour objet d’asseoir un État sur le principe de son pouvoir absolu, de son autorité souveraine et de ses méthodes de « terreur », d’autre part, de se donner les moyens de régler par la coercition toutes les difficultés liées au dérèglement économique de la vie des gens (discriminations, précarités, chômages, immenses disparités entre les couches sociales, dérives psychiatriques, maladies liées à l’abandon social…).

Quels combats reste-t-il à mener dans le champ pénal trente ans après l’abolition de la peine de mort ? Qu’est-ce qui continue à faire débat aujourd’hui dans le champ pénal ?

Nous avons plutôt envie de répondre : tout et rien ! La question n’est pas tant sur le terrain du champ pénal que sur le terrain du politique, à un niveau macro !

La société a les comportements journalistiques, politiques et judiciaires qu’elle décide. Alors voilà, si nous acceptons de rester à la surface des petites horreurs qui dépassent de la norme, pour ne pas nous occuper de leur source, nous allons ergoter ardemment pour « négocier » que les enfants bénéficient d’accompagnement scolaire en prison (quelle honte), que des victimes puissent être présentes dans les commissions d’application des peines (quelle souffrance), que nos prisons soient plus sécurisées, plus fiables (quel mensonge) et qu’il en soit construites 50 de plus pour palier à la surpopulation pénale (quelle imposture), que les droits fondamentaux [les règles européennes] soient respectés (oui absolument !)…

Nous allons juste participer de plus en plus à la perfectibilité d’une machine sociale, qui punit tout ce qu’elle est incapable d’accueillir, tout ce qu’elle a déjà rejeté par impuissance, tout ce qu’elle a réduit au malheur, par la discrimination sociale (le racisme au sens large !), la discrimination économique (l’impossibilité pour certains d’être les premiers !), la discrimination idéologique (les théories essentialistes), la discrimination culturelle (l’aptitude à la « modernité » incessante !)…

Les crimes passionnels, les attaques à main armée et la pédophilie ont bon dos pour nous faire avaler toute la machine répressive entière. Incapable de prévention, incapable d’égalité, incapable de solidarité, incapable de démocratie participative, la société nous enjoint de nous pencher avec les yeux bandés sur des ersatz, les incidents de parcours, les boutons de fièvre, tout ce qui dépasse trop et fait « désordre ». Alors que le désordre est dans la structure, dans les fondements de l’architecture !

La société Française ne s’intéresse pas à elle-même. En Norvège, lorsqu’un tueur fou et inspiré va au bout de ses idées ou de ses démences, toute la société s’interroge sur les conséquences et les origines de ses motivations, philosophiques, éthiques, idéologiques, sociales. Quand est-ce que le viol, les agressions physiques, les conduites en état d’alcoolémie, la dépendance aux stupéfiants, la prostitution, la grande précarité, les psychoses… soulèveront une fois le désir collectif de débattre de nos mœurs, de nos idées, de nos façons de vivre, de nos institutions, de nos règles… et de nous mobiliser, dans la rue, les facultés, les écoles, les lieux de travail ?

Le combat qu’il nous faut ? Se mettre debout ensemble.

Nicolas Frize

Coresponsable du groupe de travail « Prisons » de la LDH

Allocataires sociaux : Mariani l’a voulu, Bertrand le fait

Communiqué de la Ligue des droits de l’homme :

La Ligue des droits de l’Homme condamne fermement le projet annoncé par Xavier Bertrand, ministre du Travail et de la Santé, de la création d’« un fichier unique des allocataires sociaux avant la fin de l’année », création destinée, selon le ministre, à « renforcer la lutte contre des fraudes sociales ». Cette annonce vise à donner, une fois encore, des gages à la droite populaire, qui en avait fait un de ses thèmes favoris, et au-delà à l’électorat du Front national.

Sous couvert de lutte contre les fraudes, la mesure vise à stigmatiser les plus démunis et les plus faibles comme autant de fraudeurs potentiels, tout en renforçant les instruments d’un contrôle social sans grand rapport avec l’idée de justice sociale, de justice tout court.

Elle s’inscrit enfin dans une dynamique de multiplication de fichiers et dans une logique de leur interconnexion, lourde de périls pour les droits et les libertés tant individuels que collectifs.

D. Guibert : l’action sociale ne doit pas être un sous-produit de l’économie !

Secrétaire général de la Ligue des droits de l’Homme (il vient d’être reconduit à son poste par le congrès de Reims), Dominique Guibert a publié cette tribune dans l’Humanité dimanche datée du 28 juillet.

À la fin du XIXe siècle, Aristide Bruant chantait les pauvres, les opprimés, les sans-grades, les ouvriers. Il appelait au respect de leur dignité et de leur grève?! Mais, aujourd’hui, il y a comme un parfum de revanche sociale chez ceux qui nous gouvernent qui mérite toute notre attention. La démission de Xavier Emmanuelli en est le dernier avatar.

Ce que l’on appelait la question sociale a connu les revendications, les grèves, le Front populaire, le programme social du CNR, issu des combats de la Résistance, Mai1968. Mais il y a comme un parfum de revanche sociale qui mérite toute notre attention. Le temps du bling-bling, du repas de chez Maxim’s, de l’ostentation du fric décomplexé est-il cependant vraiment fini ? Que nous dit la promotion d’un Laurent Wauquiez au rang de ministre de l’Enseignement supérieur après son effrayante déclaration sur les méfaits de l’assistance sociale que provoque, selon lui, le RSA, en particulier dans sa version socle ? Intervenant après les informations sur les fraudes au social, cette déclaration faisait sens : non seulement les pauvres grèvent le budget de l’État, mais en plus ce sont des tricheurs. Et Jean-François Copé (UMP) fait ce pour quoi il existe : en rajouter une couche chaque fois qu’il est possible de jouer sur la démagogie antifiscalité, anti-impôt, bref, antisociale.

La démission de Xavier Emmanuelli de la présidence du SAMU social est la dernière en date des illustrations du cours actuel de la politique sociale. Parce que c’est la crise et qu’elle touche tout le monde, dit-on, il faut se serrer la ceinture. Mais c’est oublier que tout le monde n’est pas touché de la même façon et qu’il n’y a rien de commun entre ceux qui vivent de la crise et ceux qui la subissent. Au nom de la réduction des dépenses publiques, au nom de la nécessaire augmentation de la productivité ou du développement de la performance, les inégalités en période de crise galopent !

Enfin, point d’aboutissement sans doute provisoire de ce constat général de démolition, les subventions allouées aux associations qui accomplissent, faut-il le rappeler, une grande part du social que ne fait plus le service public, sont soit signifiées à des dates imbéciles en fin d’année pour l’exercice courant, soit en extinction totale, soit en forte diminution. C’est ce que vient de subir le SAMU social. Bénéficier en urgence d’un toit, d’un abri, même provisoire, l’espace d’un soir ou d’une nuit, n’est plus considéré comme une action prioritaire. Et si l’on ne traite plus l’urgence, que devient le droit au logement, considéré comme un principe constitutionnel, depuis la loi DALO ?

Le président de la République affirmait, au temps de sa campagne, qu’il disait ce qu’il faisait et qu’il faisait ce qu’il disait. Peut-on lui faire le reproche de ne pas croire ce qu’il dit ? Car si lui et ses porte-étendards croient vraiment ce qu’ils disent, c’est qu’ils sont, au mieux, mal informés, au pire parfaitement cyniques. Leur explication renvoie les personnes à leur sort individuel et à leur responsabilité personnelle. Au contraire d’être une situation collective d’inégalité, l’accent est mis sur le fait qu’être pauvre, ou chômeur est une décision. Ainsi, agissant en toute connaissance de cause, en pleine possession des informations, chaque personne arbitrerait entre une situation d’emploi et une situation d’assistanat. Et cela est permis par l’existence d’indemnisations ou d’allocations trop généreuses qui incitent à préférer le social plutôt que le travail. Dans cette vision, les programmes de socialisation des risques sont des freins au fonctionnement du marché du travail. Dans ce schéma de pensée, les mesures collectives d’aide ne permettent pas à l’individu d’agir rationnellement pour sa propre défense. Autrement dit, le collectif c’est l’ennemi, l’individuel la solution.

Pour notre part, nous considérons que les droits de l’homme ne sont pas une des possibilités de la politique, mais une obligation. Il ne suffit plus de dire que les fondamentaux de l’économie sont bons en oubliant que ce sont les droits qui sont fondamentaux. Le social ne devrait pas être un simple sous-produit de l’économie. La LDH défend et promeut l’universalité et l’indivisibilité des droits. C’est dans la dialectique entre les droits civiques et politiques et les droits économiques, sociaux et culturels que réside leur effectivité et c’est le sens du « pacte pour les droits et la citoyenneté » que nous avons construit avec 50 syndicats et associations, pour faire du débat électoral une occasion de discuter avec les organisations politiques qui se préparent à exercer le pouvoir de son contenu. Vive la sociale !

Respect aux pauvres !

Dominique Guibert secrétaire général de la Ligue des droits de l’Homme

LHumanité Dimanche du 28 juillet au 3 août 2011