« (…) Pour ceux qui connaissent, il y a un endroit qui s’appelle Avignon, en France, où tous les cultivateurs se réunissent une fois par ans. Il y a deux ans de ça, il y a eu un petit scandale… Enfin, un scandale gentil, hein, qui a agité tout Avignon… Un créateur belge, un gars de chez vous, avait monté un spectacle, qui n’était pas du théâtre. C’était un spectacle culturel… Et à un moment dans le spectacle, ses acteurs faisaient pipi pour de vrai, au milieu de la cour d’honneur du Palais des Papes. Ils faisaient pipi vraiment, vous voyez ? Alors ça, c’est de la culture. C’est-à-dire que ça mérite une subvention colossale du ministère de la Culture parce que c’est « une vraie prise de risque artistique ». Il y a un « courage de l’artiste » que n’ont pas les gens de théâtre. Les gens de théâtre font semblant. Théâtralement, d’ailleurs, ça n’aurait aucun intérêt ! Comprenez que si je voulais vous faire comprendre, théâtralement, que je fais pipi, je me tournerais comme ça, je ferais semblant… Je ne la sortirais pas ! Puis je ferais le geste de me secouer, et vous auriez tous compris, tous ! Avec le geste ! Mais je ne ferais pas vraiment pipi, là, par terre ! Alors que si j’urinais vraiment, ça serait de « La » cul – tu – re. Et là, je pourrais demander de grosses – grosses subventions au ministère de la Culture, chez nous ! » (L’Education populaire, Monsieur, ils n’en ont pas voulu , Franck Lepage, Editions du Cerisier, page 20).
Cette scène est extraite de la conférence gesticulée que Franck Lepage jouera en fermeture des Droits en fête, samedi soir 26 avril à la salle des fêtes de Plémet. Elle donne le ton de ce spectacle : humour et impertinence. Et surtout, clairvoyance ! Lepage décrypte l’évolution du concept de culture depuis le début des années 1960, avec toutes les conséquences que cela a pu avoir et a encore, et pas seulement dans le domaine de la culture. On rit beaucoup, mais parfois on rit jaune ! et dans cette période de crise économique, sociale, politique, les propos de Lepage sont encore davantage d’actualité.
Un autre extrait de Franck Lepage :
« …Avant, j’étais prophète… Prophète salarié.
Mon travail consistait à dire la vérité. (La vérité officielle).
Et puis un jour, je me suis mis à mentir, et ils ont adoré.
On me faisait venir de plus en plus souvent. On me disait que cela mettait de l’animation et de la démocratie.
Quand ils ont trouvé que j’allais trop loin, ils m’ont viré. Depuis, je suis clown…
Clown-consultant ».
La conférence gesticulée de Franck Lepage, c’est, comme l’explique le site de la SCOP Le Pavé, « Une autre histoire de la France démocratique, culturelle, sociale, éducative, politique, civique, citoyenne, décentralisée, partenariale, associative, européenne et mondialisée, bref… une autre histoire du capitalisme.
Un philosophe aujourd’hui oublié, Herbert Marcuse, nous mettait en garde : nous ne pourrions bientôt plus critiquer efficacement le capitalisme, parce que nous n’aurions bientôt plus de mots pour le désigner négativement. 30 ans plus tard, le capitalisme s’appelle développement, la domination s’appelle partenariat, l’exploitation s’appelle gestion des ressources humaines et l’aliénation s’appelle projet. Des mots qui ne permettent plus de penser la réalité mais simplement de nous y adapter en l’approuvant à l’infini.
Des « concepts opérationnels » qui nous font désirer le nouvel esprit du capitalisme même quand nous pensons naïvement le combattre… Georges Orwell ne s’était pas trompé de date ; nous avons failli avoir en 1984 un « ministère de l’intelligence ». Assignés à la positivité, désormais, comme le prévoyait Guy Debord : « Tout ce qui est bon apparaît, tout ce qui apparaît est bon. »
Franck Lepage, magistral, la gorge nouée, relate l’histoire de l’éducation populaire, son rôle de prophète de la culture qu’il a été obligé de quitter pour cultiver des choux en Bretagne… pour notre plaisir. Deux heures d’éveil et de partage. »
Samedi 26 avril à la salle des fêtes de Plémet, à partir de 18h30 (18h30 apéritif, petite restauration, 19h30, spectacle de Franck Lepage, entrée 10€ apéritif compris. Réservations ldhloudeac@orange.fr, 02-96-25-62-91, 06-73-10-27-42).