La Ligue des droits de l’Homme est une association généraliste. Cela ne l’empêche pas de s’engager, y compris aux côtés d’autres associations, et de collectifs d’associations, pour défendre des droits particuliers. C’est le cas du droit au logement, qui a été consacré pendant le second mandat de Jacques Chirac par la loi sur « le logement opposable ». Malheureusement, la loi ne suffit manifestement pas, puisque le logement reste aujourd’hui encore un problème majeur.
C’est l’objet de la lettre que le Collectif des associations unies (voir la composition de ce collectif en fin d’article) a adressé à Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement. Cette lettre peut être téléchargée à cette adresse : http://www.ldh-france.org/Lettre-adressee-a-madame-Cecile.html
« Madame la Ministre de l’Egalité des territoires et du logement,
Nous nous sommes vus à deux reprises le 7 juin et le 5 juillet pour évoquer la mise en œuvre d’une nouvelle politique du logement. A cette occasion, nous vous avons rappelé la nécessité de concilier les transformations structurelles et le traitement des urgences les plus criantes.
Nous avons pris acte de la mission que vous avez confiée au délégué interministériel à l’Hébergement et à l’accès au logement, afin d’établir, en concertation avec les associations, un plan quinquennal sur l’hébergement et l’accès au logement, qui réponde aux besoins des personnes sans abri et mal logées tout au long de l’année. Nous nous engageons dès aujourd’hui dans l’accompagnement de ce travail tout à fait indispensable.
Néanmoins, dans l’attente des effets des mesures structurelles qui en découleront, il nous semble impératif d’intervenir au plus vite, parallèlement à ces travaux de moyen terme, à travers une série de mesures concrètes, pour permettre aux acteurs de faire face aux situations d’urgence qu’ils connaissent sur le terrain. En voici quelques exemples, non exhaustifs – l’objectif n’étant pas de se contenter de résoudre chaque situation au cas par cas, mais bien de prévenir que de telles problématiques se présentent sur l’ensemble du territoire.
Concernant la prévention, nous renouvelons d’abord nos inquiétudes quant aux expulsions locatives, le nombre de décisions de justice prononçant l’expulsion se poursuivent à un rythme inédit, jetant des milliers d’individus et familles dans des situations dramatiques (109 160 ménages en 2010). Par ailleurs, malgré la fermeté de vos engagements, les expulsions de migrants, de Roms et de demandeurs d’asile continuent, brutalement et sans solution de relogement. Vous connaissez la situation à Lyon, puisque, sans votre intervention, 80 personnes, dont des familles avec enfants, auraient été mises à la rue. En région Paca, malgré une réunion de réflexion sur « les campements de populations étrangères », la décision a été prise d’expulser les ménages vivant en bidonville. Le respect du droit de propriété a prévalu sur celui des personnes.
Concernant l’hébergement, vous avez affirmé que l’Etat souhaitait se donner les moyens de mettre en place un dispositif qui réponde aux besoins toute l’année. Il n’en reste pas moins que l’absence de places suffisantes et la fermeture de places hivernales entrainent la remise à la rue, encore aujourd’hui, d’un grand nombre de personnes dont des familles avec enfants.
Dans un système de gestion de la pénurie, de nombreux 115 sont amenés à établir des règles d’attributions, imposées le plus souvent par leurs autorités de tutelles, qui aboutissent à une sélection des publics – à rebours du principe d’inconditionnalité – ou une alternance de l’aide, avec remise à la rue régulière des personnes – en dépit du principe de continuité.
Pour exemple, dans les Hauts-de-Seine, ordre est donné au 115 de ne plus héberger les personnes non encore connues de leur service et non domiciliées dans le département, sauf les femmes enceintes ou battues. A Strasbourg, le 115 n’héberge pas les déboutés du droit d’asile, et ce, quelle que soit leur situation (présence d’enfants, problèmes de santé…). Dans le Val-d’Oise, suite aux consignes données par le conseil général et les services de l’État, les familles avec enfants sont hébergées pendant 7 jours consécutifs puis remises à la rue, contraintes d’attendre un délai de trois semaines avant de pouvoir être à nouveau prises en charge. La récente fermeture des places d’hébergement dans le 95 a par ailleurs des répercussions sur les accueils de jour qui ne peuvent plus accueillir les personnes orientées par les partenaires sociaux ou qui doivent fermer pour cause de trop grande affluence. Concernant l’inconditionnalité de l’accueil, on est en droit de se poser des questions quand il est demandé aux structures d’hébergement de la région Midi-Pyrénées de renseigner l’occupation des places selon le statut administratif des personnes. Enfin, en Poitou Charente, ce sont les structures d’hébergement pérennes qui ferment cet été, soit faute de financement, soit par décision politique dans les stations balnéaires.
Ces situations sont loin d’être isolées, alors même que des places d’hébergement existent dans un certain nombre de centres, attendant le 1er novembre pour être de nouveau mises à disposition. Dans le Val-de-Marne, ce sont plus de 90 places qui pourraient ainsi accueillir des personnes aujourd’hui dehors ou à l’hôtel. Ouvertes seulement l’hiver, faute de financement, elles restent pour l’instant fermées aux nombreuses personnes sans abri, qui, malgré leur appel au 115, n’ont pas de solutions. Dans la Somme, malgré de nombreuses alertes au Premier Ministre et au Préfet, l’absence de financement va aboutir prochainement à la remise à la rue de 100 personnes. Le conseil d’administration de l’association qui les hébergeait a été contraint de décider de mettre fin progressivement à ces prises en charge à compter du 15 juillet, pour ne pas mettre en péril ses autres actions.
Concernant le logement, enfin, nous avons pris connaissance de votre feuille de route, qui recoupe en bonne partie les attentes exprimées par le collectif (produire du logement très social réellement accessible, renforcer les moyens financiers pour atteindre l’objectif de 150 000 logements sociaux par an, relever la loi SRU de 20 à 25 %, encadrer les loyers dans le parc privé, mobiliser les logements vacants). Néanmoins, nous sommes inquiets de la faiblesse des marges de manœuvres budgétaires liées à la politique de l’hébergement et du logement. L’éventualité d’une ponction d’1,8 milliard d’euros sur les fonds d’Action logement nous a ainsi particulièrement alertés, sans parler des hésitations relatives au relèvement du plafond du Livret A.
Des mesures immédiates
Face aux situations dramatiques que vivent les personnes vulnérables au quotidien, dont ces exemples ne sont qu’une faible illustration, nous estimons que des mesures d’urgence doivent être prises rapidement et appliquées en régions :
Un moratoire sur les expulsions sans solution de relogement, avant un changement de politique structurelle. Il s’agirait de substituer une logique d’action sociale à une logique d’ordre publique, de bâtir une réponse adaptée face à ces situations complexes et au drame humanitaire que nous avons sous les yeux.
Un moratoire sur la destruction des squats et des bidonvilles sans solution de relogement.
La pérennisation définitive des places hivernales qui n’ont pas encore été fermées, accompagnée de la réouverture des places aujourd’hui existantes et disponibles dans les centres d’hébergement, qui attendent le 1er novembre pour être remises à disposition, alors que des dizaines de milliers de personnes sont hébergées à l’hôtel (on atteint 19 000 nuitées en Ile-de-France). Nous demandons également la mise à disposition immédiate de places supplémentaires humanisées sur les territoires où les besoins sont criants, avant une adaptation générale, sur l’ensemble du territoire, du nombre de places d’hébergement par rapport aux besoins observés.
La mise en place de sanctions réellement dissuasives pour le non-respect des lois SRU et sur les aires d’accueil des gens du voyage.
Sur ces quatre points, les acteurs de terrain ont besoin au plus vite d’un calendrier de mise en œuvre et d‘engagements financiers, y compris pour 2012. Nous restons à votre disposition pour tout échange complémentaire sur l’analyse de la situation.
Dans l’attente de votre réponse, nous vous adressons, Madame la Ministre, nos plus respectueuses salutations.
Le Collectif des associations unies pour une nouvelle politique publique du logement »
Les 33 associations du Collectif :
Advocacy France, Association des cités du Secours catholique, Association nationale des compagnons bâtisseurs, ATD Quart Monde, Centre d’action sociale protestant (CASP), Collectif Jeudi noir, Collectif Les Morts de la rue, Comité des sans logis , Croix-Rouge française, Emmaüs France, Emmaüs Solidarité, Enfants de Don Quichotte, Fédération d’aide à la santé mentale Croix marine, Fédération des associations pour la promotion et l’insertion par le logement (FAPIL), Fédération de l’entraide protestante, Fédération française des équipes Saint-Vincent, Fédération des pact, Fédération nationale Habitat & Développement, Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS), Fédération nationale des associations solidaires d’action avec les Tsiganes et les Gens du voyage (FNASAT – Gens du voyage), Fondation Abbé Pierre, Fondation de l’Armée du Salut, France terre d’asile, Habitat et humanisme, Les petits frères des Pauvres, Ligue des droits de l’Homme, Médecins du Monde, Secours Catholique, Union nationale des amis et des familles de malades Psychiques (UNAFAM), Union professionnelle du logement accompagné (UNAFO), Union nationale des comités locaux pour le logement autonome des jeunes (UNCCLAJ), Union nationale pour l’habitat des jeunes (UNHAJ), Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS).