Coupe d’Europe de football, tour de France, jeux olympiques : le sport est décidément à l’honneur ces temps-ci. Mais peut-on vraiment parler d’honneur, quand on apprend qu’Amstrong se serait dopé pour remporter ses six tours de France ? Peut-on parler d’honneur, lorsqu’un club de football n’hésite pas à payer un de ses joueurs plusieurs millions d’euros par mois ? Peut-on parler d’honneur lorsqu’on connaît les conditions de vie des personnes qui assurent le ménage et l’entretien des installations olympiques, logées dans des taudis, à 10 par chambre ?
Au moment où la Ligue des droits de l’Homme met sur pied un groupe de travail sur le thème : « Sport : droits et libertés », son secrétaire général, Dominique Guibert, fait le point sur la situation, à partir de ces trois manifestations « phare ». Voici son point de vue, paru dans la « Lettre d’information de la LDH » du mois de juillet.
C’est, dit-on, la grande fête du sport ! De juin à septembre, vibrations nationales, dépassement de soi, performances sont assurés avec des milliards de téléspectateurs cumulés. Des recettes publicitaires gigantesques, mais aussi des dépenses colossales. Et toujours la même question : le sport, phénomène social global peut-il échapper à la politique et aux rapports de force ?
À l’évidence non ! Mais pour la LDH, au-delà des questions de spectacle, c’est la défense et la promotion de tous les droits pour toutes et tous et partout, qui importe. Et le moins que l’on puisse dire est que la partie n’est pas gagnée.
Il ne s’agit pas seulement des manifestations de racisme, latent ou avéré, contre tel ou tel joueur dont l’origine supposée ou réelle est étrangère ou immigrée donc pas natives. Les réponses des institutions sont connues : la Fifa, l’UCI ou le CIO sont, tout le monde le sait, d’ardents partisans de l’égalité… Et ils font ce qu’il faut pour inculquer la bonne parole aux spectateurs ! Et il serait loin le temps – 1968, jeux de Mexico – où un John Carlos, un Tommy Smith, médaillés sur 200 mètres ont été sanctionnés pour avoir levé le poing sur le podium pour protester contre les discriminations subies par les Noirs aux États-Unis. Aujourd’hui, le débat est plus subtil. On parle de morphogenèse, de type physique, de prédisposition. Et l’on ose comparer performances et couleur de peau.
Trois manifestations, trois exemples parmi d’autres d’une déconstruction du sport comme parangon des vertus fraternelles. Lors de l’Euro de foot, nouvelle déconfiture de l’équipe française. Et d’accuser ouvertement au Front national, diffusément ailleurs, les « sales gosses », transfuges des banlieues, qui ont refusé de mouiller le maillot pour les couleurs (du drapeau) en raison de leur couleur (de peau ?). Fautes individuelles qui rappellent le fiasco d’Afrique du Sud. L’analyse est alors double : ce sont des fautes individuelles ou ethniques. Il n’y a que quelques observateurs pour souligner que ce sont les conséquences d’un modèle économique imposé par les dirigeants de clubs et les responsables des grandes institutions de ce sport qui s’organise d’un côté sur la dette et de l’autre sur le marché de transferts. Ce système impose une rationalité réduite pour les joueurs à mesurer leur engagement en fonction de la compétitivité supposée d’un événement sportif. Ces joueurs, individuellement insupportables, sont le produit d’un enchaînement qui produit du cash sans créer de la valeur. Au bout de l’exercice, c’est ou bien la faillite ou bien la fuite en avant pour toujours plus d’argent. Car plus les joueurs sont payés, plus les parasites autour gagnent. Le dernier recruté par un grand club parisien touchera un salaire annuel de 14 millions d’euros et rapportera des dizaines de millions au club qui l’a « vendu »…
Le vélo, tout le monde en a fait et le sait, est un sport épuisant. Le Tour de France depuis quelques années, est le domaine des pères et mères la vertu. On veut un sport propre sans dopage. Mais la course à la performance ne peut faire oublier l’effarant système qui fait perdre par jour des kilos de flotte qu’il faut bien compenser pour repartir le lendemain. Et l’on parle de tricheur, et on exclut, et l’on constate que Armstrong s’est dopé pour gagner six fois le tour. Et l’on ne souvient plus de Jacques Anquetil, dont on commémore ici ou là le vingt-cinquième anniversaire de la mort, disant, regardant l’Aubisque ou le Tourmalet, « Et vous croyez que l’on peut monter ça avec de l’eau ? ». Et on ne peut s’empêcher de penser que le sport de très haut niveau est toujours un spectacle qui demande toujours plus de performances pour s’imposer aux autres entreprises du même genre et faire du profit. La santé de la femme ou de l’homme est toujours secondaire. Quitte à ce qu’elle ou il en meurt à plus ou moins long terme. L’hypocrisie règne et c’est toujours le lampiste qui trinque « à l’insu de son plein gré ».
Les JO, c’est beau, c’est grand, c’est pacifique, c’est international. Mais surtout, ça rime avec beaucoup de zéros. Et incontestablement ; des performances superbes, il va y en avoir ! Et si l’on s’en tient aux athlètes, on pourrait se contenter d’applaudir. En oubliant tout ce qui a fait et qui fait que le spectacle peut commencer. Certes, les sportifs de haut niveau des JO sont très loin de gagner les sommes ahurissantes qui sont habituelles au foot, au basket, au tennis ou dans les sports mécaniques. Il y a en fait deux types de gagnants : les vainqueurs du modèle de la concurrence individuelle qui est véritablement là, la créatrice de richesse, et les faiseurs d’affaires, promoteurs, entreprises du bâtiment et des Travaux publics, organisateurs de spectacles, publicitaires, bonzes des fédérations et organisations sportives, voire des personnes politiques plus ou moins « intéressées » à l’événement. Sans oublier les patrons d’industries du sexe, parce que tout le monde sait que lorsqu’il y a du spectacle sportif, il y a des spectateurs masculins… Du point de vue de la politique internationale, ce sera comme d’habitude le statu quo. Régimes autoritaires ou dictatoriaux auront le même traitement que les autres : c’est le rapport de forces qui compte, pas les droits de l’Homme. Et au bout du bout de l’opération, les perdants sont très nombreux : pays aux faibles ressources qui voient les sportifs s’expatrier, ou qui n’ont pas les moyens de concourir à armes égales ; populations nettoyées des villes de compétition, habitants pauvres dont les logements ont été détruits pour faire place aux installations neuves ; collectivités territoriales qui devront assumer plus tard le coût d’entretien d’installations surdimensionnées pour leurs besoins locaux ; travailleurs recrutés pour construire et servir à temps déterminés et sous payés…
Une simple analyse économique et sociale devrait considérer qu’il s’agit d’événements incompréhensibles du point de vue de l’efficacité. Il ne faut pas oublier en effet que les calculs de rentabilité des opérations de ce style sont à court terme puisqu’il s’agit d’une valorisation de type « casino » : rentabilité immédiate, mais surtout aucune intégration des externalités négatives qu’engendrent ces grands événements. Qui prendra en compte les effets sur les transports, sur les finances locales, sur la santé des personnes ? Alors, le sport, tout le sport, et rien que le sport ? Toutes et tous dans le même bateau ? Du sportif international, mercenaire scandaleusement stipendié à l’amateur du dimanche qui paye lui-même ses maillots, le même combat ? Peut-on dire que par extension de la théorie libérale qui veut que par ruissellement de la richesse vers les pauvres du bas, tout le monde gagne ? En fait il n’y a rien de commun, d’un côté, il s’agit d’un spectacle, de l’autre d’une pratique. Pour paraphraser Guy Debord, nous ne sommes pas tenus de croire que le spectacle fait une société.
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