Sale temps pour la liberté de création! Deux affaires viennent simultanément démontrer qu’il ne faut pas lâcher la pression, et la défendre obstinément, sans arrêt.
La première concerne la pièce de l’artiste Sud-Africain, Brett Bayley, intitulée Exhibit B, qui met en scène des acteurs noirs dans des situation qui évoquent l’esclavage, la ségrégation raciale, le colonialisme, les zoos humains… Des scènes dures, évidemment, puisqu’il s’agit de dénoncer des événements qui eux n’étaient pas mis en scène. Une contreverse s’est rapidement déclenchée, qui, et c’est là l’aspect particulièrement pervers de cette affaire, demande, au nom de la lutte contre le racisme, d’interdire ce spectacle. Une pétition a été lancée, dressant un procès d’intention inadmissible à l’auteur. Il semble bien que la simple évocation de ces périodes honteuses où l’homme noir était humilié, exploité, martyrisé, demeure insupportable à certains. Une contreverse qui est intervenue presque simultanément aux propos scandaleux de l’entraîneur de l’équipe de football des Girondins de Bordeaux, prouvant que la lutte contre le racisme doit toujours être à l’ordre du jour.
La deuxième affaire concerne une bande dessinée, qui évoque les violences conjugales. Elle rappelle naturellement celle qu’avait lancée M. Coppé contre le livre « Tous à poil » il y a quelques mois. Les planches de cette bande dessinée, intitulée « le projet crocodile », réalisée par Thomas Matthieu, devait être exposée par la mairie de Toulouse dans le cadre de la journée internationale contre les violences faites aux femmes. L’exposition a finalement été annulée, les élus de Toulouse considérant que la bande dessinée était « vulgaire ». On est bien d’accord : la violence contre les femmes est bien vulgaire… Une jeune femme, victime de viol conjugal, a réagi en adressant une lettre ouverte poignante au conseil municipal de Toulouse. On peut la lire ici, sur le site du Huffington post.
La Ligue des droits de l’Homme, la Licra et le MRAP, et l’Observatoire de la Liberté de création ont tous deux réagi à la cabale contre Exhibit B dans deux communiqués, qui analysent parfaitement l’enjeu de cette affaire.
La pièce de Brett Bailey, Exhibit B, est au centre d’une controverse qui a pris une forme inadmissible.
EXHIBIT B : UN SPECTACLE QUI NE DOIT PAS ÊTRE INTERDIT OU ANNULÉ !
Communiqué commun de la Ligue des droits de l’Homme, de la Licra et du MRAP.
D’aucuns, jugeant cette pièce sans l’avoir vue, la considèrent raciste et demandent sa déprogrammation du TGP, à Saint-Denis, et du 104, à Paris. Ils l’accusent de montrer les Noirs dans des positions de victimes, et vont jusqu’à demander son interdiction aux préfets.
Comme si la représentation de la façon dont les préjugés racistes ont pu aboutir aux situations les plus abominables, comme l’esclavage, les discriminations coloniales, les humiliations, les zoos humains, n’avait plus aucun sens aujourd’hui. Comme s’il n’était plus convenable ou utile de montrer comment l’être humain est capable de se comporter quand il se croit supérieur, grâce à la couleur de sa peau.
Dans la France d’aujourd’hui, dont les préjugés racistes n’auront pas disparu, loin s’en faut, nous, organisations antiracistes, affirmons que l’art doit être libre de contribuer à la lutte contre ce fléau, et que nul ne saurait interdire à un artiste de représenter la souffrance qui en résulte, dès lors qu’il n’en fait pas l’apologie. Nous affirmons qu’il n’est pas admissible de faire un procès d’intention à l’artiste au motif qu’il est blanc, la lutte contre le racisme étant universelle et ne pouvant dépendre de la couleur de la peau, des origines ethniques ou des convictions religieuses de ceux qui la portent.
Car l’actualité récente nous rappelle avec force la nécessité impérieuse de promouvoir en permanence le devoir de mémoire. Ainsi, dans un entretien accordé à Sud-Ouest, le 4 novembre dernier, Willy Sagnol a déclaré : « L’avantage du joueur typique africain, c’est qu’il n’est pas cher quand on le prend, il est généralement prêt au combat et on peut le qualifier de puissant sur un terrain. Mais le foot, ce n’est pas que ça. Le foot, c’est aussi de la technique, de l’intelligence, de la discipline. » Ces propos nauséeux et racistes, qui renvoient le joueur africain, le Noir, à l’animalité, à la « puissance », tandis que la technique, l’intelligence et la discipline restent l’apanage des Nordiques, des Blancs, auraient dû susciter une réprobation unanime.
Au lieu de cela, les instances officielles du football ont soutenu l’entraîneur, le président des Girondins a répondu de façon agressive à une demande de sanction en se solidarisant avec Willy Sagnol, et ont été diffusées massivement des images sidérantes de joueurs noirs et méritants venant consoler leur coach !
Si un spectacle de théâtre, dont la diffusion est infiniment plus modeste, ne peut, à lui seul, résoudre la question aussi cruciale du racisme, il est non seulement légitime qu’une œuvre, à sa manière, et avec toute la subjectivité de l’artiste, puisse s’adresser aux spectateurs sans que personne ne s’immisce entre les deux pour juger en lieu et place du public, mais nécessaire quand elle illustre, fût-elle d’une manière crue et dérangeante, les dangers des clichés les plus éculés du racisme.
Paris, le 21 novembre 2014
Paris, le 25 novembre 2014
communiqué de l’Observatoire dela liberté de création
Contre les préjugés, nous avons besoin d’art, de partage et de parole
Les directeurs du TGP et du 104, Jean Bellorini et José-Manuel Gonçalvès ont choisi de programmer dans leurs établissements l’installation performance Exhibit B de Brett Bailey.
Elle repose, par la succession de tableaux vivants représentant alternativement des évocations de l’esclavage, de la colonisation et de la répression violente de l’immigration, sur la dénonciation de ce que le racisme a produit de pire. Chacun de ces tableaux incarnés est porté par des performeurs qui ne quittent pas du regard les spectateurs accueillis par petits groupes. Chaque scène est accompagnée d’un cartel explicatif. La fin du parcours d’installation permet de lire les témoignages des performeurs sur leur propre expérience, mais aussi à chaque spectateur d’écrire son ressenti, quel qu’il soit.
Créé en 2010, ce spectacle a été vu depuis dans plusieurs villes européennes, à Avignon et au 104 en 2013, ou encore tout récemment à Poitiers, sans qu’aucun incident ne trouble sa programmation, ni sa découverte par des spectateurs ayant librement choisi d’y assister.
Evoquer n’est pas approuver. Tout artiste doit pouvoir librement représenter une part de l’histoire humaine passée et présente, et chercher à ébranler les consciences, à interroger les préjugés.
Pourtant, des personnes jugeant raciste et indigne un spectacle qu’ils n’ont pas vu, animent depuis plusieurs semaines une campagne d’intimidation qui va de la demande d’annulation puis d’interdiction, à la menace d’empêcher les représentations par un appel à la manifestation.
Si le procédé n’est pas nouveau, il choque toujours pour au moins trois raisons fondamentales. C’est d’abord le procès d’une intention : celle de l’artiste, celle des performeurs et celle du directeur. C’est aussi la condamnation de l’art, qui n’existe que par la représentation, l’image, le lien, la question, et surtout le dialogue du singulier et de l’universel. C’est enfin l’interdiction pour tous, demandée par quelques-uns.
L’Observatoire de la liberté de création assure de son soutien Brett Bailey, Jean Bellorini, José-Manuel Gonçalvès et leurs équipes. Le TGP et le 104 ont choisi d’accueillir une œuvre dans une programmation qu’ils assument – artistiquement et politiquement – et qu’ils accompagnent d’une médiation, pour ce projet comme pour tous les autres. Ils ne font là que leur métier.
Il convient de garantir à chacun la liberté de devenir spectateur et de participer à la représentation d’une œuvre. L’intimidation et le désir de censure sont illégitimes, c’est dans le débat critique que chacun doit pouvoir s’exprimer.
L’Observatoire de la liberté de création demande donc à tous ceux qui partagent ses valeurs d’aider à assurer le bon déroulement des représentations.
L’Observatoire de la liberté de création appelle ses adhérents, mais aussi les citoyens et les spectateurs, à se rassembler pacifiquement sur le parvis des théâtres à l’occasion des représentations. L’Observatoire de la liberté de création assurera une mission de médiation et de dialogue, et participera au débat du 28 novembre à 19 h au TGP, qui doit permettre à tous les points de vue de s’exprimer.
Pour combattre les préjugés, nous avons besoin d’art, de partage et de parole.
Il est urgent de protéger les œuvres, les artistes et les professionnels, dans un pays qui doit porter haut la liberté de création, d’expression et de diffusion de l’art comme de la pensée.
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