On pourrait mettre cela sur le compte d’une « inculture » crasse… Il y a sans doute de cela. Mais il n’y a pas que cela. Le dernière déclaration de Guéant sur les civilisations qui ne se valent pas toutes n’est-elle vraiment qu’un « dérapage » de plus ? Ou traduit-elle quelque chose de plus profond, solidement ancré chez nombre de personnalités de ce régime finissant ? Car les déclarations de ce type se succèdent, et ne sont pas le monopole de ce pauvre ministre. S’agit-il simplement de stratégie électorale, visant à séduire les électeurs d’extrême droite ? Ou plus simplement, s’agit-il de la confirmation de la « droitisation extrême » de l’UMP depuis quelques mois ?
A lire, l’analyse du Monde, ce matin. Dans une interview parue le 6 février sur le site du journal Ouet-France, l’historien Alfred Grosser confirme cette hypothèse : à la question du journaliste, « Le mot « civilisation » employé par Claude Guéant était-il le bon ? », Alfred Grosser répond : « Oui. Il a dû soigneusement choisir son vocabulaire, c’est délibéré et bien réfléchi. Il n’est pas attaquable sur la phrase elle-même à mon avis et c’est pour cela qu’il l’a utilisée. Chaque mot compte. Avec Brice Hortefeux (ex-ministre de l’Intérieur), on pouvait encore penser qu’il pouvait dire des bêtises dans le feu d’une discussion, mais là non. Il a parlé de civilisation, et si on peut dire que des civilisations sont différentes, en choisissant de dire que les civilisations « ne se valent pas », il introduit un jugement de valeur agressif qui laisse supposer que certaines sont inférieures à d’autres, avec, comme sous-entendu, que la civilisation islamique est inférieure à la civilisation française. Il ne s’intéresse pas aux Indiens ou aux Guatémaltèques, mais aux musulmans de France. C’est comme cela que ça a été compris, et ça doit faire plaisir à tous les électeurs d’extrême droite. » (L’intégralité de l’interview est ici).
La Ligue des droits de l’Homme s’insurge en tout cas de cette déclaration, et elle vient de publier un communiqué :
Deux questions à propos de Claude Guéant et des « civilisations »
Le ministre de l’Intérieur s’était jusqu’à présent limité à la stigmatisation des individus ou des origines. Chargé par Nicolas Sarkozy du rabattage des voix d’extrême droite, Claude Guéant vient de franchir une étape supplémentaire vers l’ignoble, dans les locaux de l’Assemblée nationale, devant des élus UMP et un groupuscule étudiant proche de la droite radicale.
Avec ses deux petites phrases « Nous devons protéger notre civilisation » et « je pense que toutes les civilisations ne se valent pas», assises sur un amalgame nauséeux entre « civilisations », « ethnies » et politiques gouvernementales, Claude Guéant exhume de son tombeau le débat sur l’identité nationale lancé par Nicolas Sarkozy et que la nation, justement, avait rejeté avec dégoût.
Plus encore, il légitime une hiérarchisation des civilisations entre elles, renouant avec les idées les plus sombres du siècle dernier. Provocation ultime, il le fait au nom de la devise républicaine, dont il trahit ainsi et la lettre, et l’esprit. Une telle escalade pour choquante qu’elle soit ne surprend pas la Ligue des droits de l’Homme, mais deux questions sont maintenant posées : Claude Guéant arrivera-t-il, dans une prochaine déclaration, à faire reculer les limites du supportable et sera-t-il toujours ministre de l’Intérieur lorsqu’il l’aura prononcée ? Car dans la plupart des pays d’Europe de tels propos seraient immédiatement suivis de la démission de leur auteur.
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