Henri Leclerc est une des grandes voix de la Ligue des droits de l’Homme. Il en vit et en construit l’histoire depuis des dizaines d’années, en a été le président, et il en est aujourd’hui le vice-président. Avocat, sa voix compte également dans le débat moral et politique du pays. Ce n’est pas l’homme des idées simples ni simplistes. Aussi, lorsqu’il s’inquiète des conséquences possibles de l’état d’urgence décrété après les attentats du 13 novembre dernier, on a tout intérêt à l’écouter, et surtout à l’entendre. Il signe, ce mercredi 9 décembre 2015, un « point » de vue en une du quotidien Ouest-France, sous le titre « un état d’urgence qui inquiète ».
Un état d’urgence qui inquiète
On l’a appris par un communiqué du secrétariat général du Conseil de l’Europe : les autorités françaises l’avaient informe qu’un certain nombre de mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence étaient susceptibles de nécessiter une dérogation à certains droits garantis par la Convention européenne des droits de l’homme ».
Nous en sommes abasourdis.
Cette Convention lie les pays européens. Elle reconnait et garantit, comme le dit son préambule, leur patrimoine commun d’idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit ». ·
Certes, l’article 15 de la Convention le permet dans des circonstances très exceptionnelles, lorsque la vie même de la nation est menacée — ce qui n’est quand même pas tout à fait le cas de la France — mais surtout, on peut s’étonner de ce qu’une mesure aussi chargée de sens n’ait pas donné lieu à une information solennelle de la nation.
Les crimes commis à Paris nous ont secoués de chagrin, d’effroi et même de colère. Le gouvernement a pris des mesures pour circonscrire la menace immédiate, enquêter et prévenir d‘autres crimes peut- être en train de se préparer.
Pour cela, il a proclame l’état d’urgence qui donne des pouvoirs considérables a l’exécutif et relègue au second plan l’autorité judiciaire, constitutionnellement gardienne de la liberté individuelle. Fallait-il que le Parlement le proroge au-delà des douze jours initiaux prévus par la loi et surtout pour une durée longue de trois mois ? Jusqu’à quand ?
C’est en tout cas aujourd’hui la loi. Mais, comme on pouvait s’y attendre, un tel régime se prolongeant ouvre la porte a des excès, voire à des débordements préoccupants : perquisitions de nuit parfois arbitraires, brutales et dévastatrices ; assignations à résidence qui deviennent de fait de véritables rétentions administratives ; utilisation de ces mesures au-dela de la sphère des terroristes pour toucher ceux qui veulent manifester pour des raisons politiques ou sociales.
Le gouvernement envisage de réformer la Constitution dans la précipitation, et de se donner les moyens de prolonger encore dans le temps un tel régime d’exception. Jusqu’à quand ? Qui sera au pouvoir demain ‘? Qui, dans de telles conditions, aura le courage de mettre un terme à cet état d’exception, alors que chacun sait que le terrorisme ne sera pas « éradiqué » comme l’a souhaité le président de la République ?
Le ministre de l’intérieur a affirmé que l’état d’urgence est un État de droit ». Alors, on ne saurait envisager de déroger à la Convention européenne des droits de l’homme qui permet déjà de porter atteinte à de nombreux droits par des mesures prévues par la loi et nécessaires dans une société démocratique à la protection des intérêts essentiels, dont la sécurité publique.
Les autorités françaises ne peuvent avoir pour intention de déroger aux droits indérogeables comme le droit à la vie ou celui de ne pas être torturé. S’agit—il alors du droit at la présomption d’innocence, de celui de n’être privé de sa liberté que dans des cas prévus par la loi, pour des motifs précis et sous le contrôle d’un juge ?
Les criminels du 13 novembre ne doivent pas avoir réussi à montrer que nos principes fondamentaux, qu’ils haïssent tant, ne seraient que des leurres. La peur ne saurait aujourd’hui diminuer la vigilance des citoyens.
(*) Avocat, président d’honneur de la Ligue des droits de l’nomme.
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