Après avoir publié une lettre ouverte à N. Sarkozy, Pascal Maillard prolonge aujourd’hui sa démarche par un appel qu’il justifie ainsi : « Cet article qui prend la forme d’un appel pour un Front républicain contre Sarkozy et l’extrême droite constitue le prolongement de « Nous n’oublierons pas ! », Lettre ouverte au Président Sarkozy. Il sera suivi d’un troisième volet, à paraître le 1er mai. Ces contributions offertes à Mediapart sont sans lien avec quelque parti politique que ce soit. Il s’agit à chaque fois d’un engagement libre et citoyen. Je dédie ces textes à tous les étudiants étrangers qui ont eu et ont encore à souffrir de la politique d’expulsion voulue par le président Sarkozy et mise en œuvre par son gouvernement ».
Voici cet appel, consultable également ici.
Quelle que soit l’issue du scrutin du 6 mai, la volonté de Nicolas Sarkozy de mener campagne sur le terrain de l’extrême droite et d’en assumer les thèses aura des conséquences majeures sur l’avenir de la démocratie en France et en Europe. Une recomposition profonde du paysage politique est en cours. Elle répond à la volonté du Président qui a dès longtemps fait le choix de suivre la stratégie de son idéologue, Patrick Buisson, et de la nouvelle « famille politique » de l’UMP, les « patriotes » de la Droite populaire (43 élus). Ce choix, nul n’en doute plus aujourd’hui, sera assumé jusqu’à son terme. Les conséquences en seront incalculables s’il n’est pas mis un point d’arrêt à la plus grave dérive idéologique qu’a connue la France depuis 70 ans. La radicalisation à droite du président Sarkozy, encore en exercice, est extrême et sans limites. Elle transgresse toutes les valeurs de la république et appelle en urgence un sursaut démocratique, de tous les républicains, de droite, du centre, comme de gauche. Un Front républicain contre Sarkozy et l’extrême droite, contre l’idéologie d’extrême droite que porte et qu’incarne désormais le président-candidat, est devenu aujourd’hui une impérieuse nécessité.
Tout citoyen, tout observateur, historien ou non, est en mesure de constater que le discours de Nicolas Sarkozy réactive sciemment les principaux schèmes idéologiques des régimes politiques les plus sombres, en particulier le régime de Vichy.
La devise instituée par Pétain, « Travail, Famille, Patrie », et le continu même entre ces trois concepts, ont été placés au cœur des discours des 23 et 24 avril, et repris dans celui du 25 avril. Ces trois discours, extrêmement proches dans leur forme et leur contenu, sont exemplaires de la logique du renversement qui est au cœur de la manipulation qu’entend exercer Nicolas Sarkozy sur l’opinion publique et les français les moins vigilants. Cette manipulation et cette dérive antirépublicaine doivent être vigoureusement dénoncées.
Le danger d’un pouvoir d’extrême-droite en France est aujourd’hui une réalité. L’enjeu n’est rien moins que la survie de nos valeurs démocratiques. Il suffit pour le comprendre d’analyser la rhétorique du président-candidat. Elle est, formellement et explicitement, une rhétorique d’extrême droite, adossée à une idéologie d’extrême droite. L’euphémisme de « droite extrême » n’est plus de mise. Et ce serait une grave erreur d’analyse que de soutenir la thèse selon laquelle Nicolas Sarkozy et l’UMP courent conjoncturellement après les voix du Front National avec seulement une visée électoraliste. La pensée d’extrême droite est structurelle chez Nicolas Sarkozy. Elle fait système. La politique sécuritaire qu’il conduit depuis 10 ans et la xénophobie d’Etat qu’il a mises en œuvre pendant son quinquennat en sont les illustrations les plus fortes. Démonstration en a été faite. Les discours de ces trois derniers jours montrent que le Roi est nu.
Aujourd’hui, en ce début de campagne électorale du second tour, la grossièreté et la radicalité des procédés de la rhétorique sarkoziste n’ont d’égal que sa tentative pour rendre les Français amnésiques. Tout comme sa rage d’être réélu n’a d’égal que sa volonté de conserver une précieuse immunité. Il est donc stratégique que tous les discours de Sarkozy répondent à cette nécessité de faire oublier son bilan, rappelé ici, dans une lettre ouverte. Pour cela Nicolas Sarkozy met en œuvre ce qu’on pourrait appeler un palimpseste des oublis : faire oublier les résultats du premier tour pour faire oublier son bilan politique et derrière celui-ci, toutes les affaires judiciaires qui poursuivront l’ex-président. Alors que la campagne électorale pourrait être centrée sur les affaires, la corruption d’Etat et les conflits d’intérêts qui n’ont cessé de se multiplier – ça viendra peut-être ! -, il s’agit clairement de la propulser, telle une planète désorbitée, dans le trou noir de l’extrême-droite, vers lequel Sarkozy conduit les restes de la droite républicaine, et derrière elle toute une partie de l’opinion publique, en particulier les Français qui ont le plus souffert de la politique conduite ces dernières années.
Le discours du 23 avril commence donc par camper l’image d’un homme seul, devant affronter une multitude d’ennemis : « La campagne du premier tour, nous l’avons faite à 1 contre 9 », proclame-t-il, comme si tous les autres candidats s’étaient ligués contre lui et comme s’il était anti-démocratique de devoir affronter seul son bilan et assumer sa position de sortant. « Contre un système médiatique absolument déchainé », poursuit celui qui omet de dire toute la servilité des grands médias qu’il a annexés depuis 5 ans à son pouvoir ou ses caprices. « Contre les pronostiqueurs, contre les observateurs », ajoute-t-il, stigmatisant ainsi les instituts de sondage et les analystes politiques qui, dans les faits, l’ont bien plus servi que desservi. « Contre la caricature, contre le mensonge », dit encore celui qui ne cesse de pratiquer la caricature et de mentir impunément. Et comme si cela ne suffisait pas, la chute est une hyperbole, toute honte bue : « Aucun président n’avait subi un tel matraquage. Et de fait ils n’ont reculé devant rien, ils n’ont hésité devant aucun mauvais coup, devant aucune manipulation ». Qui donc est le grand Manipulateur ?
Cette ouverture n’a pu tromper que ceux qui auront succombé à la fascination pour le chef ou au leurre des procédés : le mensonge, le retournement des situations, la victimisation et l’érection d’une statue de héros ayant affronté, presque vainqueur, l’adversité du monde politico-médiatique. Derrière cette stratégie rhétorique, dont les procédés sont des archétypes des discours d’extrême droite, se dissimule bien sûr une attaque directe contre la démocratie et son fonctionnement.
Les médias, et d’abord ceux du Service public, sont dans la ligne de mire. Le président de France culture a été attaqué ce jour pour sa supposée partialité. Hier c’était France 2 et
France Inter. De fait, les services publics auront été les boucs émissaires de la politique de Sarkozy pendant tout son quinquennat. Dans le discours du 23 avril les médias sont incriminés pour être « de gauche et d’extrême gauche ». C’est sans commentaires. L’on rappellera simplement que la dénonciation « du système médiatique, du système politique » (termes de Sarkozy lui-même le 24 mars sur France TV Info), constitue le fonds de commerce du Front national.
Mais il y a infiniment plus grave dans les discours des 23 et 24 avril. Y sont à l’œuvre une logique d’identification et un associationnisme qui sont directement importés des rhétoriques habituelles de l’extrême droite. Tout d’abord l’identification du chef au Peuple. Sarkozy ne cesse en effet d’identifier son propre sujet, sa propre voix à celle du peuple de France, que la gauche voudrait ignorer et diviser : « J’ai vu que M. Hollande parlait au peuple de gauche, dit-il. C’est une différence entre nous. Je parle au peuple de France. J’ai vu hier soir qu’il reprochait leur vote à ceux qui ont émis ce vote pour le Front National ». Outre que c’est inexact, reprocher à François Hollande d’être le diviseur en ne parlant qu’au peuple de gauche procède d’un nouveau renversement : qui a divisé les français toutes ces dernières années? Diviser pour adopter ensuite la figure du rassembleur, telle est la manipulation de celui qui ne cesse de mettre en danger l’unité nationale.
La seconde identification est d’une toute autre portée. Après une série de « nous » en anaphore qui réalisent l’unité des électeurs du Front national et du sujet du discours, Nicolas Sarkozy produit une association-identification, proprement hallucinante, entre la spéculation financière, la bureaucratie et les corps intermédiaires : « nous ne supportons plus les spéculateurs, nous ne supportons plus les bureaucrates, nous ne supportons plus les corps intermédiaires qui veulent tout le temps décider à notre place ». Dans le plus grand amalgame qui défie la raison, l’idéologue expérimentateur construit un monstre de la pensée : la définition d’un ennemi commun, ligué contre le peuple souffrant, et prenant la forme d’un pouvoir oppresseur, pour ne pas dire d’une dictature. Où l’on retrouve les attaques habituelles contre les syndicats. Il est peut être utile de rappeler que l’anti-syndicalisme historique et idéologique est l’une des caractéristiques de l’Italie fasciste et du régime de Vichy.
La suite du discours parachève la stratégie de confusion au moyen du motif de la Frontière, au cœur d’un grand éloge de la Nation et de la Patrie : « Nation et frontière sont des questions inséparables », affirme le président. Parlant des dangers de la mondialisation financière Nicolas Sarkozy produit alors une association entre la finance et l’immigration : « L’Europe qui ne maîtrise pas ses flux migratoires, c’est fini, l’Europe qui ouvre ses marchés sans contre-partie, c’est fini… ». C’est là certainement le schème le plus grave de la pensée du président, dont on doit rappeler qu’il est encore en exercice. Car associer le monde de la finance à l’étranger, au-delà de la figure de langage qui a pu produire peut-être involontairement cette association, relève d’une pensée qui a marqué les années plus sombres du 20ème siècle.
Enfin, le procédé le plus propre des discours de Nicolas Sarkozy consiste à incriminer systématiquement ce dont il est responsable, ou même ce qui est imputable à son propre bilan et à ses échecs. L’imposture est sans limite et vise à priver ses adversaires politiques des arguments qu’ils sont en droit d’utiliser contre lui :
- il a aggravé la crise financière : il l’attaque.
- il est responsable du chômage : il stigmatise l’assistanat et oppose travailleurs et chômeurs.
- il a développé l’insécurité et il se nourrit d’elle.
- il exploite les sondages et les rejette.
- il utilise les médias et les incrimine.
- il a provoqué et entretenu la montée de l’extrême-droite : il se met à l’écoute des électeurs du Front national et en propage les idées.
En définitive, le manipulateur est un grand autophage : il se nourrit des monstres qu’il a créés. On pourrait rire de ce théâtre de la manipulation s’il n’avait une véritable efficacité sur l’opinion et un pouvoir délétère de division, que symbolise encore cette atteinte inadmissible portée contre la fête du 1er Mai, et dont Laurent Mauduit a justement rappelé la signification historique. Diviser les travailleurs en deux catégories, opposer les travailleurs aux chômeurs, les salariés « sous statut » aux employés du privé, célébrer le « vrai travail » en détournant la journée internationale de tous les travailleurs, c’est inepte, éthiquement inadmissible. Une grave faute morale pour un chef d’Etat en exercice. On est en droit de se demander si derrière le « vrai travail » il n’y a pas l’ombre du « vrai Français ». Oui, « l’ombre de Pétain » est bien inscrite dans les derniers discours de Nicolas Sarkozy. Mais nous ne devons pas oublier qu’il y eut d’autres discours lors de ce quinquennat, tout aussi funestes, Dakar et Grenoble. Nous ne devons pas oublier, ni le sombre été 2010, ni la chasse aux Roms, ni l’odieuse circulaire Guéant contre les étudiants étrangers. Autant de discours et de lois qui ont conduit Nicolas Sarkozy à renier bien des valeurs que des siècles d’humanisme et plusieurs révolutions ont permis de conquérir et de faire vivre. Un homme seul, fût-ce contre tous, ne les fera pas disparaître. Que cet homme ait pu à ce point les avilir le discrédite complément dans sa prétention à occuper la plus haute des fonctions. Nicolas Sarkozy ne peut plus être président.
A l’occasion de cette campagne de second tour, le président-candidat aura donc choisi de jouer son élection sur le tapis de l’extrême droite. Comme trop souvent, il a sacrifié l’intérêt général à son intérêt personnel : être réélu, quoi qu’il en coûte à la République et à ses valeurs. Mais par là-même il aura commis la transgression de trop, la transgression ultime. Non le pacte avec un Front national promis, grâce à ses soins, à un très bel avenir politique. Mais l’inscription dans son discours des schèmes idéologiques de l’extrême droite. Ce n’est pas seulement une rhétorique de l’imposture, d’une violence inouïe, qui est donnée à entendre à tous nos concitoyens, c’est aussi une insulte à la raison, alors même que ce discours se réclame de la raison et du « bon sens ». Et c’est encore et surtout une insulte à la mémoire et à l’histoire de notre pays. Car cette rhétorique de la vérité, identifiée à la parole d’un chef, protecteur et sauveur, n’est pas que le vernis déposé sur une piètre tentative pour faire oublier un passif très lourd. Elle renoue explicitement avec des forces obscures qui continuent de travailler en profondeur la société française. Elle confronte chacun de nous à l’inadmissible. Et c’est pourquoi tous les républicains authentiques sont aujourd’hui mis devant une lourde responsabilité : accepter l’inadmissible ou le dénoncer. Or, on ne transige pas avec l’inadmissible : certains silences ont valeur de reniement, d’autres sont lamentablement opportunistes, mais tous vaudront approbation devant l’histoire. Un appel et un Front républicain contre la pensée d’extrême droite s’imposent, avant qu’il ne soit trop tard. Si nous capitulons maintenant devant cette idéologie délétère, si l’homme qui la promeut et l’incarne aujourd’hui, Nicolas Sarkozy, devaient être au pouvoir le 6 mai, le pire serait possible. Et le pire est toujours sûr, avec Nicolas Sarkozy.
Il est temps que les Français se réveillent du leurre mortifère du sarkozisme, de ses pièges, de ses manipulations grotesques et ineptes, de son illusionnisme et de son outrance. Il est temps de mettre un terme à cette escalade vers l’inadmissible. Et il est plus que temps que toutes les forces républicaines et sociales, citoyennes et militantes, se rassemblent, le 1er Mai, mais aussi avant et après, et autant qu’il le faudra, pour dire « NON » à la banalisation des thèses de l’extrême droite que des apprentis sorciers cherchent à faire prospérer, ici en France comme dans de nombreux pays européens, ici plus fortement peut-être que dans d’autres pays. Il est impératif enfin – faut-il le redire ? – que nos concitoyens se saisissent de leur bulletin de vote comme d’une arme pour retrouver le chemin de la démocratie dont certains dirigeants politiques de droite, anti-républicains, opportunistes ou corrompus, inconscients, irresponsables ou consentants, sont en train de déliter méthodiquement tous les fondements. Le temps est venu de dire tous ensemble : « La démocratie maintenant ! »
Pascal Maillard
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