C’est la société Toyota qui a initié cette méthode de « management » : après la seconde guerre mondiale, le Japon, ruiné, devait relancer son économie et, si possible, dépasser les Américains. Toyota a alors imaginé un système de gestion de la production, qui, une fois théorisé et systématisé, est devenu le « lean management ». Lean signifie « maigre » en anglais : il s’agissait donc de se débarrasser du « gras », qui parasite la production, et donc la ralentit. Le lean management est donc une méthode de rationalisation de la production. Pour les patrons : un système « gagnant – gagnant ». Pour les syndicats, les médecins du travail : « marche ou crève ».
Une méthode particulièrement vicieuse, puisqu’un de ses principes est d’associer étroitement les salariés à son élaboration : ce sont eux qui vont proposer des solutions pour améliorer la production, en chassant tout ce qui peut la ralentir. Il peut s’agir du gaspillage de matières premières, de modification des machines pour les rendre plus performantes… mais aussi de faire la chasse au gaspillage de temps, pour rendre chaque geste du salarié efficace. Au final, on soumet les salariés à des cadences infernales, qui ne laissent aucune seconde de répit au salarié. Tout ceci s’accompagne d’un vocabulaire très aseptisé : l’ouvrier devient un opérateur, par exemple.
Cette méthode a été utilisée dans les premiers temps par l’industrie, avec des résultats économiques impressionnants, accompagnés de dégâts sanitaires, autant physiques que psychologiques, aussi spectaculaires. Aujourd’hui, elle n’est plus réservée à la production : on la transfert aux services, dans lesquels chaque geste est analysé, chronométré. Et la fonction publique a commencé à l’adopter : France Télécom (on se souvient de la vague de suicides qui s’est produite il y a quelques années), la Poste, et, plus grave encore, les hôpitaux. Une méthode destructrice, que les syndicats dénoncent avec force.
Fance Inter a consacré au Lean un numéro de son magazine « interception », notamment sur les conséquences à l’hôpital, tandis le magazine de Canal+, « Spécial investigation lui a consacré un numéro intitulé « Boulot, métro, chrono ».
A la Poste, le système est doublement intéressant : la durée des tournées de facteurs est réduite de façon spectaculaire. Et, si le facteur ne la fait pas dans le délai défini « scientifiquement » (au centième de seconde près…), tant pis pour lui, on ne comptera que le temps qui lui avait été imparti sur sa fiche de paye : pas d’heures supplémentaires. Et pas le temps, bien entendu, d’échanger quelques mots avec les personnes seules, isolée en pleine campagne. Le facteur court, brûle des stops, dépasse la vitesse autorisée… et malgré cela il dépasse le temps « scientifiquement » déterminé. Ceci dans le cadre sans doute du rôle social que la Poste aime à s’attribuer.
A l’hôpital, c’est encore pire si ça peut l’être. Parce que là, on travaille sur la vie, et donc la mort. Les démissions d’infirmiers, d’aides soignants, d’agents hospitaliers augmentent chaque année. Là aussi, pas question de « perdre » du temps à discuter avec les patients : efficacité avant tout.
Dans les petites entreprises artisanales, on commence à le lean apparaître. Les ouvriers courent du début à la fin de la journée. Et les maladies professionnelles explosent.
C’est ça, le gagnant – gagnant…
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