Les temps nouveaux en délibéré

Pierre Tartakowsky à la tribune du congrès de la LDH à Reims en juin 2011.

Voici l’éditorial de Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des droits de l’Homme, paru dans le dernier numéro du bulletin mensuel de la Ligue, « LDH info ».

Les temps nouveaux en délibéré

Le pessimisme de la raison ne doit pas nous empêcher, optimisme militant aidant, de nous souhaiter collectivement de bonnes fêtes, et une année réellement nouvelle. Bien évidemment, les vœux ne sauront suffire, et il faudra les soutenir d’actions collectives et de choix électoraux. 2012, de ce point de vue, ne s’annonce pas comme une année banale. Les Français sont appelés à se choisir un nouveau président et une nouvelle majorité. Il faut évidemment souhaiter que ce « nouveau » soit effectif et bien au rendez-vous. Il faut surtout, et sans attendre, tout faire pour que les libertés, les droits y trouvent leur compte.

Or, pour l’heure, comme disent les commentateurs hippiques, le terrain est lourd.

La droite a décidé de chevaucher la crise européenne pour en faire l’alibi majeur d’une politique d’austérité qu’elle souhaite constitutionnaliser, rien de moins. Tout aussi inquiétant, elle brandit avec hargne l’étendard national comme une menace sur tout ce qui n’est pas au diapason de ses préférences. Ainsi s’esquisse, l’air de rien, un paysage politique qui s’organise entre la France et l’anti-France, « eux » et « nous ». Sur cette toile de fond, le passage à la toise des droits et libertés continue, ainsi qu’en témoigne la campagne contre le droit de vote des résidents étrangers aux élections municipales, le cadeau de Noël fait aux BAC sous forme de cent cinquante fusils à pompe, le lancement de la nouvelle carte d’identité informatique… Ces rengaines nationalistes, ces décisions autoritaires témoignent d’une panne de l’esprit et n’augurent rien de bon pour la démocratie. Au vu des difficultés présentes et à venir, c’est d’une autre hauteur de vue dont nous aurions besoin.

Pour l’heure, le débat se traine et l’esprit de rupture ne souffle pas. Avons-nous besoin, réellement d’une austérité, d’une sécurité « plus efficaces »? Faut-il combattre, en matière de retraite « les injustices les plus criantes », ou repenser leur système de financement en dégageant des ressources nouvelles ?  La démocratie passe-t-elle par un retour au « normal », ou par des mesures fortes, concernant les résidents étrangers, la représentation paritaire, le rapprochement des décideurs avec leurs électrices, leurs électeurs?

Ces questions sont portées de longue date par la société civile, par des organisations politiques, des élus. Elles sont au cœur du Pacte pour les droits et la citoyenneté que la LDH a passé avec une cinquantaine de partenaires associatifs et syndicaux, pour enrichir le débat, dessiner les changements nécessaires pour, enfin, gagner. Car la gauche ne peut remporter de victoire que lorsqu’elle s’assume pleinement, sur ses valeurs propres. Il faut le rappeler, car le temps presse et l’urgence sociale est là. Elle chemine plus que jamais de pair avec l’urgence démocratique.

À cet égard, la décision du tribunal correctionnel de Paris, condamnant Jacques Chirac à deux années de prison avec sursis, est une bonne nouvelle, et elle met un point final à douze années d’impunité pénale, soit l’un des épisodes les plus avilissants de la Ve République.

Certes, la décision vient tard. Mais l’âge, même grand, ne saurait faire amnistie. Ce retard résulte d’une stratégie d’évitement délibéré et d’un statut présidentiel délétère. Il faut se féliciter qu’elle sanctionne un trafic mené au détriment des contribuables et exalte l’idée de probité mise au service d’intérêt général. Au-delà, le tribunal, qui a fait preuve d’indépendance, effectue une mise au point de la justice avec elle-même. Le parquet, en effet, se voit cruellement démenti. Voilà qui vient à point au moment des affaires Karachi, Bettencourt et autres ; il peut contribuer à affaiblir l’impact du « Tous pourris » brandi ici et là. Enfin, il met de fait, en délibéré l’avenir de l’article 67 de la Constitution. Né d’une bonne intention – protéger la personne du président de la République – il est devenu facteur de confusion des rôles, des charges, des responsabilités. A l’image de la situation politique et sociale de la France, il appelle des ruptures. En 2012 ?