La droite se mobilise depuis quelques semaines sur deux thèmes qui lui permettent d’établir ce que certains de ses dirigeants espèrent par dessus tout : un pont avec l’extrême droite, et les intégrismes religieux, notamment catholique. Il s’agit bien sûr du « mariage pour tous » (le député vert François de Rugy préfère parler de « mariage universel »), qui semble acquis, et du droit de vote et d’éligibilité pour les étrangers hors communauté européenne, qui lui semble bien compromis.
Le « mariage pour tous » semble acquis, certes. Mais méfions-nous quand-même. Dominique Guibert, secrétaire général de la Ligue des droits de l’Homme rappelle les dangers qui guettent ce beau projet, et la détermination d’une certaine droite à se refaire une santé grâce à ce débat. L’occasion de rappeler certains propos scandaleux, comme ceux du député de la 3ème circonscription des Côtes d’Armor, lors des questions au gouverment, le 28 novembre (Pierre Tartakowsky, président de la LDH, lui a adressé un courrier à ce sujet).
Voici donc l’article de Dominique Guibert, paru dans la « lettre d’information » de décembre de la Ligue des droits de l’Homme.
La Ligue des droits de l’Homme a exprimé, dans un communiqué de presse du 21 novembre 2012, sa consternation après les propos du président de la République sur le mariage pour tous, devant le congrès de l’Association des maires de France (AMF). En avançant l’idée que « le respect des consciences des maires » pourrait justifier un refus de procéder en personne à un mariage, François Hollande apparaît comme faisant une concession aux manifestants de l’ordre moral opposés au projet de loi.
A-t-il pris la mesure que, ce faisant, il risquait de participer à la construction d’une machine redoutable contre l’égalité des droits, que les opposants, les yeux rivés sur la ligne bleue de la revanche, ourdissent sans même en faire mystère ?
Dans un État de droit…
un maire est au service de la loi et, dans notre république laïque, le mariage est un acte civil depuis 1792. L’oublier, ce serait oublier qu’un maire ne marie pas en son nom propre, mais en vertu du mandat qui lui a été confié dans le cadre républicain. Ce serait aussi ouvrir largement la porte à toutes les discriminations. Qui peut prétendre aujourd’hui que des maires ne refuseront pas, au nom de la liberté de conscience, un mariage entre divorcés, un mariage jugé trop « mixte », ou trop « bizarre » ? Ce serait, enfin, instituer une inégalité territoriale devant un acte civil. Pour la Ligue des droits de l’Homme, attachée au principe d’égalité et au projet de loi de mariage pour tous, le changement a besoin de conviction, d’échange public.
Malgré la crise de l’UMP
Le président de la République a remanié et précisé ses propos. Il leur a enlevé de la virulence, mais leur a conservé de la pertinence en ramenant son propos à la conviction intime et personnelle de chaque maire, qui en cas de désaccord, pourra déléguer l’un(e) de ses adjoint(e)s pour officier. La LDH considère que l’ambiguïté n’est pas levée, tant il est vrai que les forces opposées à la progression de l’égalité des droits voudraient faire de la « défense de la famille » et de la « nature » un moyen de provoquer un choc politique semblable à celui de l’’école dite « libre », en 1984. Certes, l’état actuel de l’UMP, livrée à un effarant combat de primauté, ne lui permet pas d’être entièrement à l’offensive. Mais il convient de rester méfiant. En sortant de la crise, il leur faudra bien se refaire une santé : le sujet de l’« ordre moral » et de la famille en sera l’un des moyens.
La République pour toutes les familles
La tribune publiée dans Libération, le 4 décembre 2012, (écrite par Ardhis, Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL), Attac, Cnafal, Comité Idaho (International Day Against Homophobia and Transphobia), FSU, Homosexualités et Socialisme (HES), Inter-LGBT, Ligue des droits de l’Homme (LDH), Ligue de l’enseignement, LMDE, Mrap, République et diversité, SOS Homophobie, SOS Racisme, Syndicat des avocats de France (Saf), Unef), rappelle les objectifs et les conditions de ce progrès vers l’égalité des droits.
« Depuis plusieurs semaines, la plus grande partie de la droite, l’extrême droite bien sûr, les églises et en particulier leurs représentants, mais surtout les tenants de l’intégrisme religieux pour qui l’État de droit laïc reste un problème, multiplient menaces et discours apocalyptiques à propos du mariage pour tous, thème dont elles ont manifestement décidé de faire un cheval de bataille. L’expression de leur refus, leur choix d’un ordre moral sont évidemment légitimes dans une démocratie. Mais leur prétention à vouloir ériger leurs croyances en loi, paralyser le débat sous le vacarme, les « arguments » utilisés à cette fin sont intolérables.
Rappelons, face au déferlement des responsables ecclésiastiques que, depuis 1792, le mariage est un acte civil, sans aucun caractère religieux. Que les cultes ont parfaitement le droit d’épouser des vues particulièrement rétrogrades sur le mariage, la famille, la sexualité. Mais en aucun cas, celui d’étouffer le débat éthique et de corseter la liberté de conscience.
Rappelons, face aux amalgames haineux entre homosexualité, polygamie, pédophilie, face aux chantages à la fin de l’humanité, que leurs auteurs se sont successivement opposés au divorce, à la contraception, à l’interruption de grossesse, au Pacs… en agitant les mêmes menaces.
Rappelons aussi que les pays qui, dans le monde, ont ouvert le mariage à tous n’ont, bien sûr, nullement sombré dans la décadence et les turpitudes annoncées.
Ce retour d’ordre moral, assis sur une homophobie bien réelle et animé par l’agitation de grandes peurs, n’est pas sans arrières pensées politiques. La volonté de faire échec au mariage pour tous vise, bien au-delà, à ébranler le principe républicain de laïcité au profit de communautarismes intégristes. Il vise à paralyser toute velléité de réforme, tout engagement contre les discriminations, tout projet de justice et de liberté. »
De l’apocalypse comme argument de la politique
Lors de la séance des questions au gouvernement du 28 novembre dernier, le député Le Fur est intervenu pour exprimer son opposition au projet de loi sur le « mariage pour tous » en des termes qui sont non seulement inacceptables, mais en plus en contradiction flagrante avec l’appel à l’apaisement que les gens de son bord prétendent rechercher.
Si l’opinion du citoyen est libre, sa responsabilité en tant que législateur ne devrait pas lui permettre de pratiquer l’amalgame, la désinformation et de jeter le discrédit sur une partie de nos concitoyens. En effet, l’argumentation, marquée par un ordre moral éculé et réactionnaire, tend à attiser des passions malsaines en reprenant les menaces et discours apocalyptiques sur le devenir de la famille et la protection de l’enfant.
Comme l’a rappelé opportunément en séance Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la Famille, ces prévisions de fin du monde étaient déjà les mêmes lors des débats sur le Pacs, ou à leur époque pour s’opposer au divorce, à la contraception, ou à l’interruption volontaire de grossesse. Elles ne se sont évidemment pas réalisées et tous s’accordent aujourd’hui sur les avancées indéniables qu’ont représenté ces mesures de progrès et de liberté.
Les évolutions de la société
Elles posent déjà la réalité d’une diversité des compositions des familles qui depuis des décennies ne reposent plus sur un modèle unique. La reconnaissance juridique des couples de même sexe ne vient que confirmer un état de fait et un principe d’égalité. Le mariage pour tous permet à celles et ceux qui le désirent, d’offrir la possibilité d’un statut juridique à des dizaines de milliers de couples et autant d’enfants vivant déjà au sein de telles familles.
Les inquiétudes sur l’adoption brandies par le député Le Fur sont non seulement malveillantes mais surtout infondées car l’évolution législative proposée ne change pas les règles applicables en France en la matière. Elles resteront régies par la convention de La Haye, ratifiée par la France en 1998, qui prévoit que toute adoption est prononcée par un juge qui vérifie toutes les garanties nécessaires à la protection des droits de l’enfant. De plus, rappelons qu’elle est autorisée aux personnes célibataires et que l’adoption ne peut être entravée en raison de l’orientation sexuelle du ou des demandeurs, qui reste indépendant du projet parental.
Comparaison internationale
Enfin, les exemples étrangers devraient aussi calmer les fantasmes des chargés de mission divine de la défense de la morale. Vingt-deux pays disposent déjà d’une législation posant le mariage et l’adoption sans discrimination, comme l’Afrique du Sud, l’Argentine, le Canada, neuf états américains, mais aussi en Europe : les Pays-Bas, la Belgique, la Norvège, la Suède ou le Portugal et l’Espagne. Dans chacun d’entre eux, la lutte contre l’homophobie, contre les discriminations, pour l’égalité entre les sexes a progressé. Ni la « famille » ni la « protection des enfants » n’y sont mises en péril. La France ne sera donc pas pionnière sur le sujet, mais elle confirmera ainsi son attachement à une république laïque, fondée sur les principes de liberté et d’égalité.
La Ligue des droits de l’Homme est partie agissante dans ce combat. Nous appelons les députées et les députés, les sénatrices et les sénateurs, les citoyennes et citoyens à se mobiliser pour défendre l’Etat de droit. Nous les appelons à faire échec aux campagnes de haines, de peurs et d’exclusions, à soutenir le projet de mariage pour tous et à faire entendre leur volonté de voir le progrès se poursuivre, dans le respect des lois et des valeurs de la République. Ce changement n’a rien d’une menace, c’est, au contraire, une chance pour la société française !
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