Quand il a quitté le conseil constitutionnel, Pierre Joxe a commencé par dénoncer l’entreprise de démolition de l’ordonnance de 1945 sur la justice des mineurs, qui plaçait l’éducation et la prévention devant la répression. Le conseil constitutionnel avait été complice de cette entreprise de démolition, et Pierre Joxe l’a expliqué dans son ouvrage « Cas de conscience », paru en 2010. Il a alors décidé de devenir avocat. Mais pas n’importe quel avocat : avocat des enfants, et qui plus est, bénévole. Il fait ainsi partie de cette catégorie d’avocats que l’on dit « commis d’office », qui, bien souvent, ne prennent connaissance du dossier de leur client qu’au dernier moment.
Cette nouvelle profession a été pour lui le moyen de voir de l’intérieur les dégâts causés par la casse de l’ordonnance de 1945. Dans « Pas de quartier ? », il décrit plusieurs exemples de dossiers qu’il a eu en charge, et analyse les raisons et la méthode de cette casse. Une analyse passionnante, qui fait craindre le pire : la France est en train de glisser inexorablement vers le modèle américain qui est capable de condamner un mineur à la prison à vie.
Il analyse par exemple l’effet pervers des fameuses « peines plancher », inventer pour lutter contre la récidive. Voici cette analyse, pages 250 et 251 de son livre :
« … Décortiquons le raisonnement : Tanu (prénom d’emprunt, NDLR) est connu de la justice des mineurs depuis son enfance difficile, mais la « présentation immédiate » (de notre nouveau droit) ne le présente pas à « sa juge », comme disent les enfants habitués de ces prétoires… Elle le verra, en effet, mais dans quinze jours : c’est le parquet qui décide. Si Tanu est jugé coupable, il sera récidiviste. S’il est récidiviste, il encourt une peine plancher (d’après notre nouveau droit). S’il craint une peine plancher, très lourde – des mois de prison avant d’espérer un aménagement significatif -, il va s’enfuir, ou du moins on peut le craindre. Donc il n’offre pas de garantie de représentation. Donc, pour éviter la fuite de cet adolescent qui va à l’école et dont on ne vérifie pas les dires, il faut l’embastiller vite fait. Ce qui fut fait ».
Il faut préciser que Tanu était innocent, et l’enquête, concernant un vol de téléphone portable, avait été bâclée.
Cet ouvrage nous ramène évidemment à celui de Bertrand Rothé, « Lebrac, 3 mois de prisons », reprise de la Guerre des Boutons avec le nouvel arsenal juridique mis en place depuis une dizaine d’années, qui fait passer les protagonistes du roman de Pergaud à la moulinette de ces nouvelles lois.
« Pas de quartier » : à lire de toute urgence, pour bien mesurer un des enjeux de ce qui se joue en ce moment, avec les élections, présidentielle et législatives.
En exergue de son livre, Pierre Joxe cite Charles de Gaulle, signataire de l’ordonnance de 1945, et ancien président de la république :
« Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l’enfance, et parmi eux, ceux qui ont trait au sort de l’enfance traduite en justice. La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains. »
Et ce sont des gens qui se réclament de son idéologie qui procèdent à la mise en pièce de l’ordonnance de 1945…
La quatrième de couverture :
Le 2 février 1945 le chef du Gouvernement provisoire d‘une France à peine libérée du nazisme motivait ainsi une ordonnance historique sur la justice des mineurs, inspirée par le programme du Conseil national de la Résistance.
Depuis 2002, un demi-siècle plus tard, une majorité parlementaire et des gouvernements se réclamant pourtant du gaullisme démantèlent méthodiquement par des lois successives la célèbre ordonnance de 1945.
Au Conseil constitutionnel, entre 1992 et 2010, Pierre Joxe a tenté de s‘opposer à cette entreprise de démolition.
Devenu avocat des enfants en 2010, pour pouvoir observer cette justice des mineurs de l’intérieur, il témoigne ici et prend position contre la destruction programmée d’une de nos plus belles institutions sociales.
Pierre Joxe fut ministre de l’Industrie puis ministre de l’intérieur, enfin ministre de la Défense au cours des deux septennats de François Mitterrand. Ancien président de la Cour des comptes, il a siégé au Conseil constitutionnel de 2001 à 2010.
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