Pierre Gattaz s’attaque au sujet de l’épreuve de Sciences économique et sociale du baccalauréat

Pierre Gattaz, nouveau président du Medef, avait annoncé un « medef de combat ». Effectivement, son discours d’investiture n’a pas déçu. Après les âneries habituelles sur l’entreprise dévorée par les charges et le code du travail, il s’en est pris à un sujet qu’on attendait pas : l’enseignement des sciences économiques et sociales. L’Express relate l’attaque :

« Notre pays ne comprend pas les entreprises, notre pays ne les aime pas suffisamment, notre pays les contraint au lieu de les aider, notre pays les taxe au lieu de les alléger, notre pays les accable trop souvent au lieu de les encourager », a déploré Pierre Gattaz. L’homme fait mouche lorsqu’il tire un exemple de sa propre expérience. La plus jeune fille du nouveau patron des patrons a dû montrer lors de son épreuve de sciences économiques et sociales « de quelle manière les conflits sociaux peuvent être facteur de cohésion sociale » ! Une vision très française de l’économie…

 

C’est vrai, quoi : ça ne serait pas plus simple de confier au Medef le soin d’établir les programmes scolaires ?

L’Association des professeurs de sciences économiques et sociales (APSES) a forcément réagi, dans un communiqué que nous a transmis Jean-François Guérin, lui-même enseignant dans cette discipline.

Voici le communiqué de l’APSES.

A peine élu président du MEDEF, Pierre Gattaz, s’en est pris aux Sciences Économiques et Sociales dans son discours d’investiture :

« Aujourd’hui, l’entreprise est toujours incomprise dans notre pays. (…) Ma plus jeune fille vient de passer son Bac (et l’aura je l’espère). Son sujet de Sciences Économiques et Sociales était « Vous montrerez de quelle manière les conflits sociaux peuvent être facteurs de cohésion sociale… » (Rires) Il y a du travail. Comme si, dans notre pays, la cohésion devait nécessairement passer par le conflit contre l’entrepreneur ! Comment au XXIe siècle peut-on encore avoir une vision de ce type, aussi caricaturale, aussi dogmatique, aussi éloignée de la réalité de nos chefs d’entreprises, du terrain, de la croissance, du stress de garder nos emplois en France, de les développer ? »

Cette n-ième attaque idéologique du MEDEF contre l’enseignement et les professeurs de sciences économiques et sociales (SES) ne nous surprend pas : elle n’est que la dernière d’une longue série, et l’importance disproportionnée qu’elle nous accorde serait flatteuse si elle ne témoignait pas d’une inculture inquiétante pour un « partenaire social ».

Passons sur l’erreur logique : dire que les conflits sociaux peuvent être source de cohésion n’implique aucunement qu’ils en soient l’unique source, ni que ce soit toujours le cas. Passons aussi sur l’assimilation entre conflits sociaux et conflits contre l’entrepreneur : emporté par son propre engagement et celui de l’organisation qu’il représente dans les conflits du travail, Pierre Gattaz ne voit pas qu’il y a d’autres objets de conflit. Passons également sur le contresens théorique : visiblement hanté par le spectre de Marx, Monsieur Gattaz semble entendre une exhortation à la lutte des classes dans un sujet qui fait pourtant référence à de tout autres thèses, fort peu révolutionnaires – en l’occurrence, celles de Simmel et Coser, pour qui les conflits tendent au contraire à pacifier la société, dans la mesure où ils offrent un exutoire aux tensions.

Mais que le président du MEDEF ignore – ou feigne d’ignorer – que les conflits sociaux sont susceptibles de déboucher sur des négociations collectives, voilà qui est inquiétant pour l’avenir du dialogue social. Et qu’il attribue les difficultés des entreprises à une discipline scolaire enseignée à 15 % des lycéens, voilà qui est préoccupant pour l’économie française : si c’est là le diagnostic que porte Monsieur Gattaz sur la crise actuelle, et s’il représente réellement les chefs d’entreprises, alors oui, en effet, « il y a du travail », et on peut craindre pour la croissance et l’emploi.

L’APSES demande donc à Monsieur Gattaz, soit de se mêler moins de l’enseignement des sciences économiques et  sociales, les enseignants ayant mieux à faire que défendre leur discipline contre des lobbies qui tentent d’en influencer les contenus et la finalité ; soit de s’en mêler davantage, et de se plonger sérieusement dans l’étude des sciences économiques et sociales : il apprendrait beaucoup de choses utiles à sa fonction, comme elles le sont à la formation citoyenne des lycéens et au développement de leur esprit critique.