Le 11 novembre prochain, la commune de Mellionnec rendra hommage, comme toutes les communes de France, aux victimes et aux soldats de la première guerre mondiale.
Mais elle ne se contentera pas de cela. Comme en 2011, Marie-José Fercoq, maire de Mellionnec, rendra aussi hommage à François Laurent. Un hommage particulier, puisque François Laurent a fait partie de ceux qu’on a appelés les « fusillés pour l’exemple », la plupart du temps victimes de l’arbitraire d’un Etat major incompétent. La Ligue des droits de l’Homme participera à cet hommage, aux côtés de la Libre pensée, l’Association des Anciens Combattants de la Résistance (ANACR), l’ Association Républicaine des Anciens Combattants (ARAC). Les associations se réuniront devant la mairie de Méllionnec à 11 heures ce 11 novembre 2012, pour descendre en cortège jusqu’au monument aux morts. Les prises de parole au nom de la Réhabilitation devraient se faire à partir de 11h20/11h25.
Il se trouve que le combat pour la réhabilitation des « fusillés pour l’exemple » est un des grands combats de la Ligue des droits de l’Homme, à tel point que, Gilles Manceron, historien spécialiste de la « grande guerre » et de la LDH, n’hésite pas à dire qu’il s’agit, avec l’affaire Dreyfus, de « son second grand combat fondateur ». Un combat qui a débuté dès après la guerre, et qui n’est pas terminé, puisque la réhabilitation officielle par la République de ces hommes n’a toujours pas eu lieu.
Yves Tréguer, de la section de la Ligue des droits de l’Homme de Rennes, s’est penché sur l’histoire de ces soldats, et plus précisément celle de deux soldats bretons, Lucien Lechat, et, justement, François Laurent. Voici le résultat de ses recherches, qui a également été publié dans le bulletin de la section de Rennes (novembre 2012).
Fusillés pour l’exemple, par Yves Tréguer, de la section LDH de Rennes.
Déjà la pierre pense, où votre nom s’inscrit
Déjà le souvenir de votre nom s’efface
Déjà vous n’êtes plus qu’un mot d’or sur nos places
Déjà vous n’êtes plus que pour avoir péri
Louis Aragon – « Tu n’en reviendras pas »
La proche célébration de l’armistice du 11 novembre 1918, le centième anniversaire à venir en 2014 du déclenchement de la première guerre mondiale vont faire ressurgir la cause des fusillés pour l’exemple, à laquelle la Ligue des droits de l’Homme est liée, à travers ses campagnes contre l’iniquité des décisions des tribunaux militaires et pour la réhabilitation des victimes.
La défense de cette cause a été, on le sait, un des engagements majeurs de la Ligue et même, selon l’expression de Gilles Manceron, « après l’affaire Dreyfus, son second grand combat fondateur ».
Un long travail, avec des victoires sur le plan législatif et judiciaire, qui a permis de rendre justice à quelques dizaines de soldats : c’est le cas, intéressant la Bretagne, de deux soldats, François Laurent, de Mellionnec, exécuté en1914 et celui, plus connu, de Lucien Lechat, l‘un des caporaux de Souain, exécuté en 1915 dont nous allons évoquer la mémoire.
Pour autant, depuis les années 1930, le cas d’autres fusillés ou de victimes d’exécutions sommaires, reste à examiner, et le combat n‘est pas fini aujourd’hui…
Un bref rappel s’impose, pour comprendre le contexte des années 14-15 .C’est en effet dans ces années qu‘ont eu lieu la plupart des 600 exécutions de la Grande Guerre (430 environ), alors que la postérité a surtout retenu la répression des mutineries de 17.
Au début des opérations l’État-major se place dans la perspective d’une guerre courte et elle recherche avant tout une justice sévère et expéditive. Il s‘en donne les moyens en obtenant par les décrets du 2 aout et du 6 septembre 1914 les « conseils de guerre spéciaux» qui permettent de punir de façon exemplaire à l’aide d’une procédure simplifiée, avec des droits de la défense réduits. Pas de possibilité de grâce ou de révision, sentence de mort applicable dans les 24 heures.
On fusillera donc pour l’exemple c’est à dire qu’un soldat pourra être exécuté pour avoir commis un délit précis mais aussi « pour faire un exemple » susceptible de maintenir une obéissance stricte, qui est, on le sait, la force principale des armées.
Le souvenir de 1870 et de la débandade des armées françaises reste un souvenir cuisant. Un certain nombre de cas de peines de mort est prévu dans la réglementation : nous en retiendrons deux qui seront la cause de la condamnation de François Laurent et de Lucien Lechat, la mutilation volontaire et le refus d’obéissance. La condamnation est d’autant plus aisée que selon un historien, cité dans une thèse récente « il existe un décalage entre les théories du soldat-citoyen et les représentations communes des chefs militaires, cette conception des troupiers comme matériau obéissant, silencieux et consommable »(1).
François Laurent.
L’histoire du soldat de Mellionnec n’est pas très connue et n’a pas fait l’objet d’un culte mémoriel, comme celui des caporaux de Souain, que nous aurons l’occasion d’évoquer.
Elle a, en revanche, fourni le sujet d’un texte remarquable de Louis Guilloux, paru dans Vendredi, le 5 juin 1936, en plein triomphe électoral du Front populaire, et moins de 3 ans après la réhabilitation du soldat breton, le 6 décembre 1933. Le texte s’appelle « Douze balles montées en breloque ».On pourrait l‘appeler un texte de fiction documentée, tant, dans sa première partie, il reste proche des faits. Laissons-lui la parole : « Le Bihan était né dans un hameau où on ne parlait que le breton. Il ne savait pas le français du tout. Le peu qu’il avait appris à l’école, il l’avait oublié entièrement. Il était aussi ignorant qu’on puisse l’être, ce qui ne fût pas arrivé si on l’avait instruit dans sa langue. Il le disait, et ne comprenait pas pourquoi on ne l’avait pas fait, puisque l’institutrice, bretonne comme lui, savait naturellement le breton. Mais il était interdit à l’institutrice de parler le breton à l’école…
Il partit dès le premier jour…
Un matin, le soldat Le Bihan tiraillait derrière un bosquet, quand vint l’ordre de se porter en avant. Comme il s’élançait, une balle lui traversa la main droite de part en part. Il n’en continua pas moins de courir. Mais quand, de nouveau couché par terre, il voulut recommencer à tirer, il ne le put, et le capitaine lui donna l’ordre de rejoindre le poste de secours le plus proche. Il se mit en route et après quelque temps arriva au poste ou il montra sa blessure à un major, qui parut extrêmement intéressé…
Le major lui posa diverses questions, auxquelles Le Bihan ne répondit pas, ne les ayant pas comprises. Le major n’insista pas. D‘une part, il n’avait pas de temps à perdre, et, d’autre part, il avait ses idées arrêtées sur la discipline aux armées, et la manière de la faire observer. Il griffonna quelque chose sur un bout de papier, qu’il remit à Le Bihan, et donna l‘ordre a un planton de le conduire plus loin à l’arrière, ce qui fut fait …. Le Bihan se laissa conduire où l’on voulut …. Or, aussitôt « remis aux autorités » et le billet du major déchiffré, le soldat Le Bihan fut conduit au poteau et fusillé. Accusation : « blessure volontaire à la main droite. »
Le fameux billet du major, qui conduisit à la mort François Laurent, nous l’avons à disposition (2). Il est disponible aux archives des services historiques de l‘armée de Terre (Dossier Laurent, série J, SHAT): il s’agit des célèbres certificats du Dr Buy ,en grande partie pré-rédigés, qui firent exécuter deux autres soldats, réhabilités en1925 et en 1934,ce qui fait dire à Nicolas Offenstadt (3) que « (ces certificats) ne contribuent pas à améliorer cette image de la médecinecmilitaire dans l‘entre-deux-guerres ».
A la suite de l’action d’anciens combattants, le conscrit de Mellionnec est réhabilité, sa famille reçoit la somme de 10.000 francs et la mairie de sa commune refait faire une plaque où le nom de François Laurent figure parmi les noms des morts au champ d’honneur.
Sa fiche consultable sur le site SGA, Mémoire des Hommes, mentionne : mort pour la France le 19 octobre 1914. Genre de mort: fusillé, puis : réhabilité par jugement le 3 décembre 1933.
Les nationalistes bretons font de François Laurent, mort de ne pas avoir pu se défendre en français « la victime de la domination française en Bretagne », et, en 1934 Breiz Atao proteste contre la présence du préfet à la cérémonie de réhabilitation. En 1982, un film bilingue sur « Frances Laorans »est tourné à Clohars-Carnoët que la famille du soldat désavoue.
Lucien Lechat.
Le cas de Lucien Lechat, né dans la commune de Le Ferré, Ille et Vilaine, est beaucoup plus connu, car il fait partie d’une affaire restée célèbre, celle des caporaux de Souain. Cette affaire a donné lieu à une médiatisation et à un culte mémoriel exceptionnels. (4)
Les faits sont bien connus. Le 10 mars 1915, les soldats de la 21ème compagnie du 336ème régiment d’infanterie reçoivent l’ordre de sortir des tranchées et d‘attaquer à la baïonnette. Les précédentes attaques avaient été des échecs sanglants.
La préparation d‘artillerie atteint (volontairement ?) les tranchées françaises. Épuisés, démoralisés, les soldats refusent de quitter leurs abris.
Le général Réveilhac veut des sanctions pour refus d’obéissance: elles visent 6 caporaux et 18 soldats.
Finalement, le 16 mars, après un procès expéditif, sont condamnés à mort, d‘une façon arbitraire qui fait penser aux anciennes décimations en usage dans les légions romaines, 4 caporaux, dont le plus jeune est Lucien Lechat. Le 17 mars, ils sont fusillés, deux heures avant que les peines n’aient été commuées en travaux forcés. Le général Réveilhac ne sera pas inquiété. Une loi d’amnistie, votée en 1919 empêche même les sanctions contre les chefs responsables d`exécutions sommaires. Qui plus est, il sera fait plus tard grand officier de la Légion d’honneur.
La réhabilitation : le combat admirable de Blanche Maupas (à Sartilly, dans la Manche) pour la réhabilitation de son mari, l’un des 4 caporaux, est bien connu (5). Elle fut aidée par des groupes d’anciens combattants et par la Ligue des droits de l’Homme dont l’action en faveur des fusillés pour l’exemple fut l‘une des grandes causes dès la fin de la guerre.
Moins connus sont les efforts d’Eulalie Lechat, la sœur de Lucien, qui soutenue par la Ligue, obtint en mars 1934 que son frère soit réhabilité.
Le souvenir de l‘enfant du pays ne s’est jamais éteint.
Le 24 novembre 2004, a l’initiative du maire de Le Ferré, Monsieur Pautrel, a eu lieu une cérémonie religieuse et civile d‘une très grande ferveur. Une délégation venue de Sartilly associait une fois encore les deux noms de Lechat et de Maupas et ceux de Girard et Lefoulon dans un souvenir commun.
Notre section, à la demande de la mairie, était présente en la personne de son président. Le chant de Craonne et le chant des partisans résonnèrent au cimetière pour l’inauguration de la plaque du souvenir.
La journée se termina avec uneremarquable conférence de Nicolas Offenstadt, qui suivait l’hommage au cimetière.
Et maintenant ?
Comme le rappelle à juste titre Gilles Manceron, dans un article paru en 2008 dans « Hommes et Libertés», intitulé « La mémoire des fusillés de la Grande Guerre », des questions très importantes restent en suspens.
Chacun se souvient de la déclaration, faite le 5 novembre1998, de Lionel Jospin, premier ministre, à Craonne, haut lieu des souffrances des poilus : « Certains des soldats, épuisés par des attaques condamnées a l’avance, glissant dans une boue trempée de sang plongés dans un désespoir sans fond, refusèrent d‘être des sacrifiés. Que ces soldats « fusillés pour l’exemple », au nom d‘une discipline dont la rigueur n’avait d’égale que la dureté des combats, réintègrent aujourd’hui, pleinement, notre mémoire collective nationale ».
Depuis, rien. Or il reste des cas graves, que recense l‘article d’« Hommes et Libertés », notamment dans les troupes coloniales.
Le combat des ligueurs pour défendre la mémoire des fusillés de 14-18, va revenir en force, en 2014, pour le centième anniversaire du début de la guerre pour lequel il faut nous mobiliser dès à présent. Ce combat n’est pas terminé.
(1) in André Loez: 14-18, Gallimard, Folio histoire. Les refus de la guerre 2010, p 61.
(2) Une photo de ce certificat du Dr Buy, figure à la page 41 du livre de Nicolas Offenstadt :Les fusillés de la grande guerre et la mémoire collective (1914-2009), Éditions Odile Jacob 2009.
(3) Offenstadt, op cité p 40.
(4)Essentiellement, le film de Stanley Kubrick, Les sentiers de la gloire, sorti en 1957 …. et projeté en France en 1975,18 ans plus tard.
(5) Un film de Patrick Jarnain, Blanche Maupas, a été donné, en 2009, à la télévision.
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