Nicolas Frize est co-responsable du groupe de travail « Prisons » de la Ligue des droits de l’Homme. Il est par ailleurs membre du Genepi, le Groupe d’Étudiants National d’Enseigement aux Personnes Incarcérées. Il nous livre ici quelques unes de ses réflexions sur le sens de le peine, dans une période où la politique du chiffre guide la politique judiciaire. On peut entendre ici une conférence que Nicolas Frize a donnée au forum de l’IRTS Lorraine le 3 décembre 2010, sur le thème « Le travail incarcéré ». A noter que Nicolas Frize est par ailleurs compositeur de musique.
La mode bat son plein, pas de soldes pour ces produits, la bourse est stable, tout se vend, tout s’achète, les courbes grimpent, l’inflation montre ici un visage positif, elle jubile de son succès, elle guette ses progrès incessants ! Oui, ces questions de sanctions publiques ont le vent en poupe, et sont frappées de plein fouet par leur propagande ; le climat est au spectacle, au théâtre du crime ou du délit, au théâtre de la justice et de la police. Incontrôlée, la dérive sécuritaire génère un vent de répression et d’intolérance, armée de son bras droit : les médias. La médiatisation progresse et se sophistique pour mieux coller à son époque, comme toute industrie lucrative, capable de faire événement de tout, de se surenchérir à elle même, dans un double mouvement de banalisation et de dramatisation.
Elle fait chou gras de tous les actes de transgression quels qu’ils soient jusqu’aux anecdotes en sous main de la machine policière, judiciaire et pénitentiaire.
Nous n’avons pas assez conscience de la complicité tacite et structurelle entre les médias et les pouvoirs législatif, exécutif et économique. Chaque fait divers est d’abord émouvant, susceptible de faire loi ou décret, et parallèlement, chaque loi ou décret fait publicité. Dans ce ballet de causalités d’intérêts, la répression sur les individus – et donc sur le collectif – est une arme de soumission et de séduction.
Nous n’avons peut-être pas besoin de citer ici l’accumulation des mesures répressives qui se sont abattues sur le pays (peines planchers, bracelet électronique tous azimuts, recul des libérations conditionnelles, fichiers des empreintes génétiques, STIC et autres, suivi médical « obligatoire »…), accélérant encore ce qui avait été amorcé depuis l’abolition de la peine de mort en 1981 (périodes de sureté incompressibles…).
De toute évidence la transgression fascine et excite certains de nos concitoyens (cf. la presse spécialisée sur les faits divers crapuleux et les émissions de télévision thématiques retraçant l’histoire des grands crimes…), qui, terrassés par leur propre culpabilité de s’intéresser de si près et de se répandre en fascination dans ces horreurs, réclament à corps et à cris les peines les plus immondes, les plus longues, les plus dures et les plus inéluctables. On croit rêver, en observant les États-Unis, qui brillent par l’excellence et l’hystérie de leur arsenal répressif, de voir à quel point celui-ci n’a aucun effet quantitatif ou qualitatif sur la criminalité ! Ce qui n’est pas dit, c’est que ces mesures punitives démentielles n’ont pas pour naïveté de faire reculer par la dissuasion les velléités criminelles des citoyens, elles ont d’une part pour objet d’asseoir un État sur le principe de son pouvoir absolu, de son autorité souveraine et de ses méthodes de « terreur », d’autre part, de se donner les moyens de régler par la coercition toutes les difficultés liées au dérèglement économique de la vie des gens (discriminations, précarités, chômages, immenses disparités entre les couches sociales, dérives psychiatriques, maladies liées à l’abandon social…).
Quels combats reste-t-il à mener dans le champ pénal trente ans après l’abolition de la peine de mort ? Qu’est-ce qui continue à faire débat aujourd’hui dans le champ pénal ?
Nous avons plutôt envie de répondre : tout et rien ! La question n’est pas tant sur le terrain du champ pénal que sur le terrain du politique, à un niveau macro !
La société a les comportements journalistiques, politiques et judiciaires qu’elle décide. Alors voilà, si nous acceptons de rester à la surface des petites horreurs qui dépassent de la norme, pour ne pas nous occuper de leur source, nous allons ergoter ardemment pour « négocier » que les enfants bénéficient d’accompagnement scolaire en prison (quelle honte), que des victimes puissent être présentes dans les commissions d’application des peines (quelle souffrance), que nos prisons soient plus sécurisées, plus fiables (quel mensonge) et qu’il en soit construites 50 de plus pour palier à la surpopulation pénale (quelle imposture), que les droits fondamentaux [les règles européennes] soient respectés (oui absolument !)…
Nous allons juste participer de plus en plus à la perfectibilité d’une machine sociale, qui punit tout ce qu’elle est incapable d’accueillir, tout ce qu’elle a déjà rejeté par impuissance, tout ce qu’elle a réduit au malheur, par la discrimination sociale (le racisme au sens large !), la discrimination économique (l’impossibilité pour certains d’être les premiers !), la discrimination idéologique (les théories essentialistes), la discrimination culturelle (l’aptitude à la « modernité » incessante !)…
Les crimes passionnels, les attaques à main armée et la pédophilie ont bon dos pour nous faire avaler toute la machine répressive entière. Incapable de prévention, incapable d’égalité, incapable de solidarité, incapable de démocratie participative, la société nous enjoint de nous pencher avec les yeux bandés sur des ersatz, les incidents de parcours, les boutons de fièvre, tout ce qui dépasse trop et fait « désordre ». Alors que le désordre est dans la structure, dans les fondements de l’architecture !
La société Française ne s’intéresse pas à elle-même. En Norvège, lorsqu’un tueur fou et inspiré va au bout de ses idées ou de ses démences, toute la société s’interroge sur les conséquences et les origines de ses motivations, philosophiques, éthiques, idéologiques, sociales. Quand est-ce que le viol, les agressions physiques, les conduites en état d’alcoolémie, la dépendance aux stupéfiants, la prostitution, la grande précarité, les psychoses… soulèveront une fois le désir collectif de débattre de nos mœurs, de nos idées, de nos façons de vivre, de nos institutions, de nos règles… et de nous mobiliser, dans la rue, les facultés, les écoles, les lieux de travail ?
Le combat qu’il nous faut ? Se mettre debout ensemble.
Nicolas Frize
Coresponsable du groupe de travail « Prisons » de la LDH
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