Une lettre d’un inspecteur d’académie aux instituteurs, en 1904

Aristide Guéry

Aristide Guéry a été nommé inspecteur d’Académie à Saint-Brieuc, en 1904. À son arrivée, il s’est adressé aux institutrices et instituteurs du département, par un courrier dans lequel il leur indique « ce que nous sommes en droit d’attendre, vous de moi et moi de vous ». Une lettre qu’il est intéressant de relire aujourd’hui, en pleine période de débat sur le « mariage pour tous », et après un quinquennat marqué par des attaques en règle de la laïcité de la part de l’ancien président de la République.

Il est intéressant de savoir qu’Aristide Guéry a été  déplacé d’office et « envoyé » dans la Creuseà Guéret. Le francs-maçons du Grand Orient de France, qui avaient pris fait et cause pour lui (qui n’était pas franc-maçon) indique que durant les deux années passées dans le département « il a travaillé avec l’ardeur et la conviction d’un apôtre pour faire de l’Ecole Laïque une réalité évidente ». Ils ajoutent : « … (cela) lui a valu un blâme du Conseil Général réactionnaire qui lui reprochait son attitude républicaine au sujet de l’enseignement de la morale dans les écoles primaires ».

Depuis 1982, une école porte son nom, à Guéret (23). Le site de l’école Aristide-Guéry indique : « Aristide Guéry a été Inspecteur d’Académie du département de la Creuse de 1906 à 1910. Artisan de l’École Publique, il possédait un sens aigu des valeurs morales et en particulier de la justice. Devenu figure nationale, il poursuivit la réalisation de son idéal laïc : il a ébauché les premières commissions paritaires et créé une Université Populaire. »

Enfin, petit rappel qui a son importance : cette lettre est datée d’octobre 1904. Soit un an avant la loi sur la séparation des Églises et de l’État !

Merci à Bernard Etienne d’avoir communiqué cette information !

A mon arrivée au milieu de vous, je tiens tout d’abord à vous adresser mon salut le plus cordial ; ensuite à vous dire brièvement ce que nous en sommes en droit d’attendre, vous de moi et moi de vous.

Je me suis profondément réjoui d’avoir été appelé par la confiance de Monsieur le Ministre et de Monsieur le Directeur de l’Enseignement primaire à remplir les fonctions d’Inspecteur d’Académie dans le département des Côtes du Nord. D’instinct j’aimaisla Bretagneà travers les poètes et les peintres, à travers les mélodies où le peuple lui-même a chanté ses douleurs ou ses joies. Il est bon d’avoir à travailler dans un pays qui nous plait ; il est meilleur d’avoir à y faire œuvre utile. Et quelle tâche plus urgente s’impose à nous, que celle de travailler au développement et à la prospérité de l’enseignement laïque ? Certes, sur cette terre de Bretagne qui par tant de liens tient encore à la tradition, ce n’est pas en un jour que nous arriverons à imposer à tous et à toutes la confiance et le respect auxquels ont droit les écoles dela République. Maispar l’énergie et la persévérance, par une action douce et ferme, par la dignité de notre vie et l’élévation de notre enseignement, il nous est permis d’espérer conquérir peu à peu à notre cause tous les esprits épris de progrès et de liberté.

Dans l’œuvre que nous allons poursuivre ensemble, il ne s’agit pas de partir en guerre à tout propos contre l’Eglise et contre Dieu. L’Eglise, vous la jugerez impartialement sans prendre une « voix de violents ou de doctrinaires absolus. » Son histoire se compose à la fois de services à l’origine, de cruautés dans la suite, d’efforts – toujours – pour diriger et pour dominer l’Etat. Devant ces prétentions, la société civile tour à tour se courbe, compose, résiste. A l’heure actuelle, elle semble vouloir s’acheminer définitivement vers sa libération. C’est le dernier acte d’une « lutte séculaire » qui va sans doute se jouer dans notre pays. L’écho des discussions doit s’arrêter devant vos classes ; mais vous êtes mêlés à la vie sociale et vous pouvez être appelés à vous prononcer sur des questions brûlantes ; que ce soit toujours avec calme, avec sang froid, en hommes préoccupés de faire avant tout la lumière, de dissiper les malentendus, de montrer que l’Etat ne veut pas, quoi qu’on dise, la mort de l’Eglise, qu’il ne demande au prêtre qu’une chose : c’est de se renfermer dans son rôle, qui est un rôle religieux, essentiellement religieux, uniquement religieux. « Rendons à César ce qui appartient à César »…

Et pour ce qui est de Dieu, eh bien, pour ce qui est de Dieu, vous n’êtes ni l’école pour Dieu – elle est à côté, ni l’école contre Dieu – vous devez les premiers donner l’exemple de la tolérance ; vous êtes, nous sommes l’école sans Dieu. Cette appellation, on nous l’a jetée à la face pour nous flétrir ; nous la revendiquons comme un titre d’honneur. Elle exprime notre raison d’être et résume toute une partie de notre programme. Elle veut dire que pour l’éducation des enfants qui nous sont confiés, nous ne nous appuyons en rien sur les dogmes religieux. Pour fonder notre morale, nous nous passons de Dieu, et sur des bases purement humaines nous entreprenons de dresser, debout, conscient, fraternel, l’homme de la société future.

Que si parmi vous il se trouve des croyantes et des croyants, c’est leur droit d’élever, dans le silence de leur âme, leurs pensées vers le Dieu de leur foi : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses. » Ils peuvent également pratiquer la religion qu’ils trouvent bonne, mais à titre purement individuel, jamais du fait de leurs fonctions, jamais en tant qu’instituteurs, jamais en tant qu’institutrices.

A plus forte raison, si vous ne croyez pas, devez-vous vous abstenir de suivre, par convenance, par faiblesse, ou simple politique, des pratiques que votre conscience réprouve, que vous respectez chez les autres, mais auxquelles vous ne sauriez condescendre sans subir une diminution de vous-mêmes, et signer, en quelque sorte, votre propre déchéance.

De même dans votre enseignement, vous vous garderez – à tous également – d’emprunter à d’autres ou leur méthodes ou leurs principes. Ce n’est pas en inclinant son drapeau qu’on le conduit à la victoire. Notre premier devoir, tout de loyauté et de franchise, c’est de dire qui nous sommes et quelle fin nous poursuivons. Le dogme impose : nous, nous proposons. Nous ne prêchons pas une vérité qui nous serait donnée, nous la cherchons ensemble, et c’est à la triple source de la science, de la raison et de la conscience que nous allons puiser les principes suivant lesquels nous voulons organiser le monde et orienter la vie morale. Ces principes, plus d’une fois, dans nos réunions, dans nos conférences, dans nos fêtes même, nous aurons l’occasion de les définir, de les expliquer, d’en montrer la valeur et la fécondité. Mais déjà, nous pouvons les résumer en quelques mots : respect de la liberté de l’enfant, sentiment de la valeur de la personne, nécessité impérieuse de réaliser en nous-mêmes et dans la cité, la grande vertu sociale : la justice.

Chers collaborateurs, qui demain, je l’espère, serez mes amis, je sais quels trésors de dévouement, d’enthousiasme et cependant de sagesse, il y a dans vos âmes d’éducateurs et de républicains. De mon côté, je vous apporte – avec l’amour de ce peuple de France que vous êtes chargés d’élever à la pleine conscience de se droits et de ses devoirs, – toute ma bonne volonté, qui est grande, tout mon ardent désir de vous aider, de vous soutenir dans votre tâche, et la résolution ferme de vous défendre contre les attaques injustifiées dont vous pourriez être l’objet

Je compte sur vous ; comptez sur moi.

L’Inspecteur d’Académie, Guéry

(Bulletin de l’Instruction primaire – Côtes du Nord – Octobre 1904)

 

Saint-Brieuc, 8 décembre : Laïcité et lutte contre les disciminations, avec Jean Baubérot

Photo Agence France presse.

« Laïcité et lutte contre les discriminations, entre complémentarités et contradictions » : c’est le titre de la conférence que Jean Baubérot donnera, samedi 8 décembre, à 15h30, à l’amphithéâtre du lycée Ernest-Renan, 2 Boulevard Hérault à Saint-Brieuc.

Jean Baubérot est historien et sociologue, titulaire depuis 1991 d’une chaire « d’histoire et sociologie de la laïcité » à l’école pratique des hautes études. Il est d’ailleurs le fondateur de la « sociologie de la laïcité », et il a siégé à la « commission Stasi », qui, en 2003, avait été chargée par Jacques Chirac, alors président de la République, de réfléchir à « l’application du principe de laïcité dans la République ». Il tient un blog, « Laïcité et regard critique sur la société », et il est l’auteur, entre autres nombreux ouvrages, d’un « que sais-je » intitulé « la laïcité expliquée à M. Sarkozy », et co-auteur de « Laïcités sans frontières ».

Cette conférence est organisée dans le cadre de l’anniversaire de la loi de séparation des églises et de l’Etat, par la Ligue de l’enseignement des Côtes d’Armor, la Ligue des droits de l’Homme, la Libre pensée, le Grand Orient de France, et l’Union des délégués départementaux de l’éducation nationale. Ces associations ont par ailleurs pour but commun l’élaboration d’un document sur la Laïcité, à destination des établissements scolaires du département.

 

Photo Agence France presse.

Le discours de Djemila Benhabib, prix de la laïcité 2012

Djemila Benhabib vit au Québec. Elle est née d’une mère chypriote grecque et d’un père algérien, elle a vécu son enfance à Oran. En octobre 2012, elle a reçu le Prix international de la laïcité, décerné par le Comité Laïcité République, pour ses travaux sur la laïcité et le droit des femmes.  Djemila Benhabib est notamment l’auteure de Ma vie à contre-Coran et Les soldats d’Allah à l’assaut de l’Occident.

Dans le discours qu’elle a prononcé lors de la remise du prix, Djemila Benhabib expose sa conception de la laïcité : son point de vue est passionnant. Cliquer ici pour voir la vidéo de ce discours.

Prix de la laïcité 2012. Discours de Djemila Benhabib, lauréate du Prix international

« Le dialogue n’est rien là où la dignité humaine n’est pas »

Pour une perspective laïque et féministe du monde

C’est à travers un regard de femme, celui d’une féministe laïque vivant en Amérique du Nord, fortement imprégnée des valeurs républicaines, ayant grandi en Algérie que je me propose d’aborder cette réflexion sur la laïcité qui est d’emblée, je le dis et je l’assume le fruit aussi bien d’un cheminement subjectif que d’une véritable analyse proprement factuelles marquée par mon vécu dans trois type de sociétés distinctes :

  • nord-africaine, en Algérie ;
  • européenne en France et
  • nord-américaine au Québec

où les façons d’organiser les rapports entre l’État et la religion sont de nature différente.

En Algérie, l’islam est religion de l’État. Du coup, la source du droit peut devenir l’islam. C’est en effet le cas avec le code de la famille qui puise son principal référent dans la charia islamique. En France pays laïque et républicain, l’État est régi par une stricte séparation entre la sphère politique et religieuse. Et finalement le Québec, province assujettie à la Constitution canadienne et au multiculturalisme qui connaît un parcours singulier entre une volonté, du moins populaire, de s’affranchir du multiculturalisme, et une obligation institutionnelle de se soumettre au jugement de la Cour suprême du Canada. Pari difficile compte tenu du fait que nulle-part dans notre aménagement constitutionnel, le caractère laïc, séculier ou neutre de l’État, qu’il soit canadien ou québécois d’ailleurs, n’est proclamé ; avec ceci de particulier « la suprématie de Dieu » est évoquée dans le Préambule de la Charte canadienne des droits et libertés. Ce sont les juges qui, à la pièce, comme dans tous les pays anglo-saxons d’ailleurs, ont façonné la reconnaissance de fait du principe de la séparation de l’Église et de l’État.

Ces trois expériences nous démontrent clairement, à des degrés variés, bien évidemment, et sous des formes différentes, à quel point les velléités politiques sous couvert du religieux peuvent se mettre en marche à un moment ou un autre de l’histoire dans un pays quelconque pour entrer en concurrence avec l’ordre politique établi soit pour le fragiliser, l’ébranler voire carrément le remplacer pour changer le destin d’un pays, la nature même de son État et le devenir de son peuple.

Rappelons-nous de cette offensive islamiste qui s’est mise en place en Algérie au tout début des années 1990 pour faire de ce pays un État théocratique.

Rappelons-nous de ce bras de fer orchestré en 1989, en France, entre la République et des groupes islamistes à travers quelques élèves voilées qui n’avaient qu’un seul objectif celui de liquider l’héritage de l’école républicaine laïque.

Rappelons-nous de l’agitation de quelques chauds partisans de la charia au Canada pour remplacer les lois civiles par une justice d’abattoir lorsqu’il est question du droit familial ? L’idée des tribunaux islamiques qui avait fait son chemin à partir de 2004 a été abandonnée en raison d’une forte mobilisation. Pour combien de temps ? La question demeure entière. Pour rappel, ce projet a été validé par un certain nombre de personnalités de gauche, en premier lieu, l’ancienne ministre déléguée à la Condition féminine, Marion Boyd et au Québec, par Charles Taylor, co-président de la commission Bouchard-Taylor sur les accommodements dit raisonnables.

Ce n’est pas un hasard si c’est ce même intellectuel qui chapeaute l’école de pensée de la laïcité dite ouverte avec l’objectif de légitimer la présence du religieux dans les institutions publiques. Cette imposture intellectuelle qui consiste à multiconfessionnaliser l’espace civique vise ni plus ni moins à sabrer les acquis de cette formidable Révolution tranquille qui a mené le Québec, à partir des années 1960, à se moderniser et à sortir de l’emprise de l’église catholique.

Il va sans dire que le principe des accommodements soi-disant raisonnables a souvent tourné en un arbitrage entre la liberté religieuse et le principe d’égalité entre les femmes et les hommes qui est, en passant, un droit constitutionnel, nouvellement inscrit dans le préambule de la Charte des droits et libertés depuis 2008. Les tribunaux québécois et surtout canadiens donnent presque systématiquement préséance à la liberté de religion.

Les intégrismes religieux ont trouvé là une niche confortable qui leur a permis d’étendre leurs tentacules à travers une configuration sociale qui consiste à segmenter et fragmenter les sociétés en fonction d’appartenances ethniques et religieuses pour aboutir fatalement à l’effritement du lien social. J’entends et vous l’aurez deviné : cette aberration monumentale qu’est le multiculturalisme dont l’équivalent n’est autre que le « multicommunautarisme » c’est-à-dire un « multiracisme » institutionnalisé.

Ce vecteur de l’organisation sociale qui a promu la différence en culte, a érigé la diversité en dogme et a noyé le culturel dans le cultuel, considère que le meilleur moyen de favoriser l’intégration des populations issues de l’immigration est de les encourager à maintenir et perpétuer leurs propres structures culturelles. Cette conception est devenue, par la force des choses, la mécanique la plus efficace à déconstruire le lien social, à désintégrer la société et a y a semé des pathologies incurables.

Quand les intégrismes religieux se nichent dans le multiculturalisme

Comment bâtir une société sans pour autant partager une langue commune, une culture commune, une histoire commune et un minimum de mémoire partagée ? Système pervers par définition, le multiculturalisme a ethnicisé les problèmes sociaux et politiques, a poussé les immigrants à se réfugier dans une identité exclusive préfabriquée d’appartenance d’origine.

Cette confrontation vient mettre à nu la nature profonde entre deux visions du monde antagonistes, l’une mettant l’individu et ses préoccupations au centre de la cité, faisant de lui un acteur de changement et l’autre mettant la Cité sous la tutelle de communautés assujetties chacune à son propre dieu, faisant de lui le régisseur de nos consciences et ouvrant la porte à une surenchère entre tous les Dieux possibles et inimaginables.

Cette prolifération des religions s’illustre notamment par un exemple évocateur, où les débats à Queen’s Park, le parlement provincial de l’Ontario, sont précédés chaque jour par la récitation intégrale de 8 prières ! En effet, depuis 2008, on a décidé de conserver le Notre Père et d’y ajouter d’autres prières : autochtone, bouddhiste, hindouiste, musulmane, juive, baha’ie et sikhe. Par comparaison, au Québec, depuis 1976, les travaux à l’Assemblée nationale débute par une minute de silence c’est-à-dire un moment de recueillement.

Même la secte des mormons en Colombie britannique défie le Code Criminel en revendiquant la polygamie au nom de leur liberté de religion. En 2010, deux polygames mormons, qui avaient respectivement 19 et 3 épouses, ont soutenu que la loi violait leur liberté de religion, ont décidé de contester l’article 293 du Code criminel devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique pour demander que la polygamie soit décriminalisée. Fait sidérant, croyez-le ou pas, les mormons prétendent que la polygamie est avantageuse pour les femmes. D’ailleurs, des universitaire femmes de l’université montréalaise de McGill sont venues appuyer leurs propos !

On devine à travers tous ces exemples, un lien évident entre les droits des femmes et la laïcité. Le féminisme ne s’inscrit pas dans le vide et ne prend pas racine dans le néant. Il se projette dans un espace-temps bien défini dans lequel s’articulent toutes ces problématiques sociétales. Ces convulsions s’enracinent également dans un contexte international marqué par le retour du religieux aussi bien à l’échelle des pays pris individuellement qu’à l’échelle des institutions onusiennes.

Je réalise, jour après jour, le degré des préoccupations communes des citoyens du monde. Ici comme ailleurs, le débat est marqué par la présence d’éléments récurrents et de questionnements déterminant pour l’avenir : quelle étendue donner à la liberté religieuse ? Quel contenu donner à la laïcité, quels gestes poser face à l’exacerbation des particularismes et à la montée des communautarismes ? Quelles balises établir pour consolider le vivre ensemble ? Doit-on insuffler davantage de religieux dans le lien social pour gérer la diversité ? Une question qui nous préoccupe de part et d’autre de l’Atlantique : que faire avec le multiculturalisme ? Une autre interrogation relative aux soulèvements dans le monde arabe qui sont porteurs d’une aspiration réelle de changement démocratique mais pas seulement malheureusement, nous interpelle grandement. Sur quelle base organiser les solidarités ?

Les jihadistes ne sont que le prolongement des Frères musulmans

Au printemps de l’année 2012, j’ai vécu au rythme de l’Égypte et de la Tunisie. Je voulais aller à la rencontre de leurs peuples, sentir leurs fluctuations intérieures et capter leurs émotions ; sortir des dépêches de journaux ; saisir à chaud des réalités complexes et contradictoires ; humer l’air ambiant ; arrêter de vivre à distance les bouleversements historiques qu’a connus la région et surtout, être portée par ce souffle de liberté. J’ai eu l’impression que tout a changé sans toutefois avoir changé. Une chose est sûre : la laïcité et la place des femmes sont au cœur des débats. Plus encore, grâce au statut des femmes, on est à même de comprendre les configurations politiques postrévolutionnaires, de cerner les « blocages » qui crispent les sociétés arabes ainsi que les espoirs qui les animent. En d’autres mots, le statut des femmes a ce pouvoir incroyable de réveiller en chacun son côté un peu obscur ! Le sexe est une affaire politique et la sexualité une fixation qui occupe tous les esprits, celle des femmes est l’affaire de tous, son contrôle relève de la pathologie collective. Dans l’esprit des islamistes, la cause profonde de la régression et du sous-développement est l’absence de morale ou encore l’éloignement de la morale islamique. Bref, « Trop de sexe » a désaxé la Oumma !

L’islam de la Confrérie des frères musulmans a brimé le processus de sécularisation de l’islam qui était bel et bien en marche avec l’arrivée au pouvoir de Mustapha Kemal Atatürk dans les années 1920. Il a totalement noyé « l’islam ordinaire » en plus de paver la voie à l’islam djihadiste. Il ne fait aucun doute que les sanguinaires « djihadistes » ne sont que les dérivés d’autres brutes : les « Frères ». En déterrant le concept du djihad armé, ces derniers l’ont remis au goût du jour. C’est peu dire qu’entre les « Frères » et les « djihadistes » il n’y a guère de rupture. Les seconds ne sont que le prolongement des premiers. Prolongement naturel qui révèle une forme d’évolution logique dans les structures ainsi que dans les méthodes et une répartition tacite des rôles et des tâches. Entre les uns et les autres, nulle ambiguïté ne subsiste, le projet de société est le même : bâtir la oumma islamiya. Le modus operandi ainsi que la distribution du travail sont orientés vers un double objectif : faire plier l’Occident en le culpabilisant et maintenir l’Orient dans les ténèbres.

La question du terrorisme, intimement liée à celle de l’islam politique, ne pourra se dénouer sans lever le voile sur certains tabous inhérents à l’islam, dont la nature du texte coranique, son impact et sa portée ainsi que la place de la charia dans le corpus législatif. Cet enjeu place autant l’Occident face à ses contradictions que les musulmans face à leurs limites. Pour dépasser ces limites, il faudra inéluctablement s’affranchir du règne de « l’intouchable », de « l’indiscutable », de « l’islamophobie » et de la « stigmatisation ».

Ceci confirme au moins une chose, la nécessité d’arrêter le naufrage politique aussi bien de l’Orient que celui l’Occident et d’ouvrir un large débat, un débat éclairé et sincère qui jettera, sans doute, des ponts entre les deux versants.

Les noces islamo-gauchistes se célèbrent sur les cendres de l’Orient

Et nous, qu’en est-il de nous ? Sommes-nous réduits à n’être que de simples figurants ? Sommes-nous devenus les spectateurs d’une désolation abominable qui ne dit pas encore son nom ? Par nous, j’entends des citoyens d’ici et là qui voyons un monde se défaire et des valeurs s’effilocher, peu à peu, sans pour autant être en mesure d’insuffler de véritables dynamiques de changement pour arrêter la progression de ce mal planétaire qui a quitté le Levant, sans nostalgie aucune, pour enjamber le siècle et se nicher au cœur de l’Occident. Que faire contre les Tartuffe de la polygamie et du voile islamique qui n’ont jamais été aussi exubérants et volubiles sous le dôme de la « tolérance » et de « la liberté religieuse » occidentales ? Que leur dire lorsqu’ils nous chantent, sans complexe, les louanges d’un islam fantasmé alors qu’il n’est que pure désolation d’un bout à l’autre de la planète ? Comment réagir lorsque l’arsenal des partisans du relativisme culturel, dans l’indifférence totale et obstinée du sort réservé à des millions de musulmans à travers le monde qui subissent les affres de l’islamisme dans leur chair, se met au service de cette idéologie totalitaire pour traiter de raciste et de xénophobe quiconque ose encore défendre les valeurs universelles ? Comment, quand et pourquoi cette alliance liberticide s’est-elle orchestrée ? Une chose est sûre, volant au secours de la barbarie islamiste, lâchant au passage les musulmans laïques et féministes, ces nouveaux potentats pétris de culpabilité coloniale ont décerné au fascisme vert les titres de noblesses que l’Histoire lui a toujours refusés. En confondant les bourreaux avec les victimes et en déguisant les fondamentalistes en progressistes, ils ne font que participer à la mise en échec des seconds. Les premiers peuvent s’en réjouir. Les brèches ouvertes par la vigilance défaillante de leurs nouveaux « camarades » ne sont pas prêtes à se refermer. Tout compte fait, qu’importe que l’islam politique sème le chaos et la mort sur une échelle infiniment plus grande ! Tant pis si ces nouvelles noces islamo-gauchistes se célèbrent sur les décombres et les cendres de l’Orient.

Je sais bien qu’en dépit de tout cela, certains nous disent : « C’est en intégrant les islamistes dans le processus démocratique qu’ils finiront par apprendre et comprendre les règles du jeu. » Pourquoi les peuples arabes seraient-ils tenus de réussir là où les peuples européens ont totalement échoué, c’est-à-dire à transformer des fascistes en démocrates ? Si cette possibilité en était réellement une, il aurait fallu la mettre en application lorsque Hitler, Mussolini et Franco se sont lancés dans leur course folle. Il aurait fallu « contenir » leurs ambitions et à terme, les rediriger dans le processus électoral. Rien de cela n’a même été envisagé. Comment ne comprend-on pas, à la lumière de l’expérience européenne, l’impossibilité d’associer des fascistes à l’organisation et à la gestion des affaires de la Cité ? Comment ne voit-on pas dans cette reconduction des fossoyeurs d’hier une insulte aux jeunes de la place Tahrir du Caire et une offense au sacrifice suprême du jeune vendeur ambulant tunisien Mohamed Bouazizi ? Comment accepter de réinjecter du Moyen Age dans des sociétés déjà trop entravées par la chape de plomb du religieux ? Qu’y a-t-il de si difficile à conjuguer liberté et arabité ?

Les femmes portent sur leurs dos le fardeau politique des compromis et des trahisons perpétuels

Ni le refoulement, ni l’amnésie ne permettent de tirer des leçons de l’Histoire. Seule la mémoire alimente le présent et pave la voie à un avenir garant du changement. Vous l’aurez deviné, je parle ici de l’Histoire européenne. Le vrai problème pour les Occidentaux n’est pas tant de relever les défis que pose la modernité à l’islam, mais de ne pas oublier leur propre histoire.

Des épisodes historiques fondateurs semblent se perdre dans les dédales de notre temps incertain et trop frileux. Qui se souvient encore de la terrible violence du combat contre le primat du religieux et de la fabuleuse révolution des Lumières ? Qui si non vous, chers amis, pour marteler à répétition ces quelques épisodes ? Comment ne pas penser que l’islam devra subir aussi cette épreuve décisive et essentielle ? Si nul ne peut prédire l’avenir, il faut au moins se souvenir de son passé.

Après avoir énoncé tous ces arguments, certains persistent dans leur aveuglement et insistent encore : « Pourquoi ne pas réessayer, encore une fois, de dialoguer avec les islamistes et de les intégrer dans la joute démocratique ? » Les vertus « du dialogue » seront toujours mises de l’avant comme si « le dialogue » était une fin en soi, une forme de moralité dont la transgression serait rédhibitoire. Le dialogue n’est rien là où la dignité n’est pas. Le dialogue alimente l’esprit de ceux qui y adhèrent sans a priori alors que, pour les islamistes, il n’est qu’une tactique temporaire pour asseoir leur hégémonie. Fatalement, les démocrates sortiront encore plus amochés qu’ils ne l’étaient de cette confrontation inégale avec les islamistes. Car il est bien là le problème, dans la répartition du fardeau de l’effort et des concessions. Dans le monde arabe et musulman, les femmes sont toujours appelées à en faire davantage. Encore un plus. Un petit chouiya. Elles portent sur leurs dos le fardeau politique des compromis et des trahisons perpétuels.

Lorsqu’on tiendra davantage compte des aspirations des femmes, des laïcs, des minorités linguistiques, religieuses et sexuelles, le dialogue deviendra effectif. Je reste convaincue que le progrès social implique nécessairement des ruptures significatives.

À quand un aggiornamento musulman ?

S’il ne fait aucun doute que la confession musulmane, en Occident, a droit à l’égalité devant la loi quant à l’exercice du culte, elle n’est pas égale au regard de l’histoire avec le christianisme. La reconnaissance de la liberté de pensée et de conscience est le principal défi des musulmans. Le règne de la censure, des assassinats et de la lapidation doit cesser. Les fatwas qui rendent sataniques les livres et les écrivains révolues. L’interdiction de penser et de débattre doit être levée. La dénégation de l’individu et l’apologie de la tribu doivent être dépassées. Bien qu’il y ait eu, qu’il y ait, et qu’il continuera à y avoir en son sein des courants rationalistes, l’islam ne s’est jamais vraiment réformé. Encore faudrait-il que l’on ose invoquer cette nécessaire réforme au lieu d’accepter l’islam tel qu’il se présente aujourd’hui, c’est-à-dire comme une fatalité, comme l’otage des islamistes.

Cette fatalité des musulmans, eux-mêmes la refusent, qu’ils soient croyants, laïques, agnostiques ou encore militants du rationalisme athée. Nous sommes nombreux à partager cette même conviction avec une certitude : on ne peut continuer de se tenir à l’écart du destin universel de l’humanité. Le chemin que nous poursuivons mènera un jour, fut-ce cent ans après notre mort, à l’affranchissement du règne de l’absolu. Pour l’heure, l’islam, gangrené par l’islamisme, ankylosé par des siècles d’une pensée dogmatique, attend toujours son médecin. À quand maintenant un aggiornamento musulman ?

Un projet commun pour la défense de la laïcité et des droits des femmes

Aujourd’hui, plus que jamais, je demeure convaincue que nous pouvons encore faire beaucoup dans ce monde embrumé et injuste pour transmettre et implanter une perspective véritablement humaniste, laïque et féministe. En réalité, tout est encore possible, pour autant que l’on comprenne les véritables enjeux et les dynamiques géopolitiques qui sous-tendent l’avènement et la progression de l’islam politique. En chacun de nous loge un espoir qui ne demande qu’à grandir. Cet espoir ne pourra prendre son envol sans votre engagement. Ce qu’il faudrait désormais, c’est moins un goût de révoltes individuelles qu’une volonté collective copernicienne. Il faut avant toute chose faire converger nos aspirations dans un projet commun pour la défense de la laïcité et des droits des femmes. En sommes-nous si loin ? Pour ma part, je reste convaincue qu’il n’est pas moins urgent aujourd’hui qu’il y a trois siècles de lutter contre les tentations obscurantistes, la bigoterie, la censure et le fanatisme. Les défis de ce début de siècle nous imposent une lucidité et un engagement encore plus grands que par le passé.

Grâce à l’étendue de la sympathie que vous m’exprimez, jour à jour, je suis apaisée. Une force tranquille m’habite, je suis surtout traversée par le sentiment que résister est un honneur parce que cet acte vous renvoie non seulement à votre propre existence mais aussi à celle des autres, à une existence plus collective, celle d’une humanité en mouvement qui s’enracine et se projette dans l’universel. Je suis consciente aussi que la sympathie que vous m’exprimez est un hommage rendu à tous ceux et celles qui partagent le même combat que moi dans le monde arabe et musulman. Camus disait : « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde, la mienne sait pourtant qu’elle ne le fera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. » Je peux dire la même chose de la mienne. Je marche résolument vers ce but, certaine d’avance de mes défaillances, sur un si long chemin. Certaine aussi de mes limites. Consciente que je ne suis pas grand-chose dans tout cela. Consciente aussi de l’urgence d’agir avec le même engagement, coûte que coûte, avec force, conviction et passion. Il me reste à vous faire la promesse de fidélité que je me fais à moi-même dans le silence, tous les soirs après avoir couché ma fille Frida de 7 ans, celle de ne jamais abandonner.

 

Elie Geffray, prêtre et maire : un homme courageux

Photo Hervé Queillé, Le Télégramme.

Elie Geffray est maire d’Eréac (22) depuis 2008.

Il est aussi prêtre.

Le 8 mai 2012, il avait eu des paroles fortes pour exprimer l’inquiétude que lui causait le score du front national dans sa commune : «  Nous avons été particulièrement complaisants à l’égard de ces thèses. J’ai ressenti comme une humiliation et comme un déshonneur qu’Eréac leur ait accordé 20% de ses suffrages le 22 avril ».

Aujourd’hui, il reprend la parole, dans le quotidien Le Télégramme, sous la plume d’Hervé Queillé,  pour s’exprimer au sujet du projet de loi instituant le mariage pour tous. Non qu’il y soit particulièrement favorable. Mais pour deux raisons essentielles.

La première concerne la fameuse « clause de conscience » que certains élus voudraient introduire dans la loi pour ne pas être contraints de célébrer de mariages entre personnes du même sexe : «Un maire doit appliquer les lois, en vertu du principe de la laïcité, beaucoup trop négligé aujourd’hui. Il n’a pas à faire intervenir ses convictions religieuses dans l’exercice de ses fonctions. Ou alors il démissionne», déclare-t-il.

La seconde, c’est simplement le réalisme : « Imaginez ce que serait la société française si on n’avait pas réglementé le divorce, la contraception ou l’avortement… En Espagne, où le mariage gay existe, c’est plus la crise financière qui perturbe la société que cette question-là. À cet égard, je préférerais que les évêques français mettent plus leur énergie à lutter contre une société qui détruit des familles et supprime toute perspective à la jeunesse qu’à combattre le mariage homosexuel ». Et il conclut : Même si je comprends leurs réticences, il faut une hiérarchie des urgences…». 

Merci, Monsieur le Maire !

 

Circulaire « régularisations » : tout ça pour ça !

La publication hier de la tant attendue circulaire sur la « régularisation des sans-papiers » suscite, comme on pouvait le supposer, de nombreuses réactions. Et la plupart sont au minimum très réservées quand ce n’est pas carrément hostile. Laissons évidemment de côté les âneries des commentaires de droite et d’extrême droite qui recyclent des arguments usés jusqu’à la corde et pour la plupart fondés sur des statistiques fausses ou manipulée. Les critiques portent sur l’espoir suscité que la circulaire ne satisfait pas, sur la timidité des mesures, sur la continuité de la politique de l’immigration par rapport aux précédents gouvernements, sur la sévérité et l’irréalisme des conditions posées (demander des fiches de paye à un travailleur sans papiers !).

La Ligue des droits de l’Homme a pour sa part publié un communiqué, reproduit ci-dessous, dès hier après-midi. Et elle l’a accompagné du texte intégral de la circulaire qu’on peut télécharger ici. Chacun pourra donc se faire son opinion à partir du document original.

Circulaire régularisation : tout ça pour ça !

Le ministre de l’Intérieur vient de présenter, au Conseil des ministres, le projet de circulaire dite de « régularisation ». La Ligue des droits de l’Homme condamne à la fois la méthode employée et le contenu des critères retenus envers l’ensemble des catégories d’étrangers qui auraient pu en être bénéficiaires.

La méthode choisie renvoie malheureusement les associations et les syndicats à une place de dupes. Alors qu’un temps long avait été donné avant la publication de ce texte, parce qu’il semblait nécessaire à la discussion et à la confrontation tant avec les organisations associatives que syndicales, il n’a guère été tenu compte des propositions alternatives qu’elles opposaient à celles défendues dès le départ par le ministère.

Sur le fond, la logique des critères pour obtenir un titre de séjour est particulièrement restrictive. En fixant des chiffres très élevés de présence constatée, la circulaire apporte certes des améliorations par rapport à la situation précédente et ouvre la possibilité d’un nombre notable d’issues positives, mais pas dans les catégories les plus difficiles. Que ce soit pour les enfants et les jeunes majeurs en cours d’études, pour leurs familles, que ce soit pour les salarié(e)s, les durées demandées sont incompatibles avec la réalité des demandes déposées ou exprimées. De plus, les autres conditions demandées ajoutent une très rigoureuse limitation des situations éligibles à la régularisation, telle l’exigence de bulletins de salaire sur toute la durée de référence.

Le ministère dit avoir voulu fixer des critères stables et pérennes applicables par toutes les préfectures. On ne peut qu’apprécier cette orientation. Mais compte tenu des critères retenus, rien ne garantit que l’arbitraire des préfectures ne puisse perdurer, sachant que l’éloignement du territoire demeure la règle. Il est de la responsabilité du ministère de l’Intérieur de s’assurer que les dérives de ces dernières années cessent.

Pourtant, l’attente d’une politique différente de celle du gouvernement précédent était forte. Cette circulaire avait suscité un grand espoir, notamment pour les familles, les jeunes et les travailleurs sans papiers. Cet espoir est largement déçu.

Alors qu’elle a été reçue à plusieurs reprises au ministère de l’Intérieur, soit en son nom propre, soit au sein des collectifs qui luttent pour les droits des étrangers, la LDH entend réaffirmer la nécessité d’un débat sur l’immigration, et d’une réforme législative du droit au séjour, du droit d’asile et du contentieux de l’éloignement respectueuse des droits fondamentaux.

 

Le squat de Pacé a été évacué dans la « dignité ». C’est quoi, au juste, la dignité ?

Photo Philippe Chérel, Ouest-France.

Le squat de Pacé. Le « plus grand squat » de France. Il a été évacué hier. Ce qui a permis aux  » humanistes  » de Novopress de titrer : « Évacués du squat de Pacé, les 250 clandestins seront relogés aux frais des contribuables ».

Les premiers articles de presse ont fait état du calme dans lequel s’est déroulée l’évacuation. Le préfet a indiqué, après l’opération : «Tout s’est passé sans incident, dans le respect des personnes et dans le calme » (Libération). Dans un reportage diffusé par FR3, une femme venant d’être évacuée déclarait : « On s’attendait au pire, ça s’est bien passé ». Le maire de Pacé confirme : « Cette évacuation s’est faite avec humanité et respect des personnes et des biens ».
Heureusement, M., une militante de Droit au logement, qui a soutenu avec beaucoup d’autres les migrants depuis leur arrivée au mois de mai dans l’ancienne maison de retraite de Pacé, vient nous remettre les idées en place. Parce qu’il n’y a pas eu de violences physiques, pas de blessés, pas de coups, on en arriverait à considérer que ça s’est bien passé, que ça a été digne… Nous serions-nous laissés contaminer par l’idéologie ambiante de chasse à l’étranger ?
Merci, M., d’autoriser la publication de votre beau texte.
« Alors, il faut toujours essayer d’être objectif, hein? Donc oui il y a sûrement des choses bien quand même dans ce qui s’est passé ce matin. Vous savez, l’expulsion de 250 personnes qui allait se régler avec dignité…
Alors il y a déjà  le côté froid et silencieux de l’expulsion du matin : les familles sont invitées à aller à la préfecture avec un petit papier attestant qu’elles viennent du squat de Pacé. Elles sont dehors dès 6h15 pour les premières, une cinquantaine de voitures de policiers, mais pas l’idée d’avoir fait venir une navette qui emmènerait tout le monde à la préfecture… C’est sûrement tellement plus digne de laisser les familles, les bébés dans les bras des mamans et les gamins dans les poussettes dans le froid et la nuit noire à 6h30 dehors. À attendre le bus 52 qui arrive déjà quasi plein de gens du coin qui partent au boulot… Et puis tous les gens qui portent des sacs, des matelas tout ça tout ça. Le petit crachin du matin a rajouté un peu à la dignité ambiante, c’était super. Mais attention, ça s’est fait dans le calme, donc hein, vous voyez bien qu’on traite bien les gens !
Arrivée des familles à la préfecture : ils rentrent au compte-goutte, les autres attendent dehors. C’est vrai, c’est tellement digne de voir 12 policiers regarder les femmes enceintes et les bébés, les personnes inquiètes et fatiguées, là, dehors debout devant la porte. Par contre à l’intérieur apparemment c’est le monde des bisounours : chocolat chaud, croissants offerts à tout le monde, les gens attendent sereinement, le personnel se met en 4 pour s’occuper de tout le monde, même le préfet nous dit-on met la main à la pâte. Et puis après on leur dit où ils vont et on les met dans un taxi qui les accompagne jusqu’au lieu. Jusque-là, ça va, c’est chouette, le préfet a fait ce qu’il a dit, vous voyez bien!
Sauf que sauf que, les gens dans les taxis passent par l’arrière de la préfecture, pas de possibilité de voir les soutiens qui étaient là à les accompagner, devant la pref’ car eux n’avaient pas le droit de les suivre dans la pref’. Et puis quand les soutiens commencent à arrêter les taxis pour demander aux gens où ils allaient, pour combien de temps, voire s’ils souhaitaient récupérer leurs affaires qui étaient dans les coffres de voiture sur le parking, les chauffeurs au début s’arrêtaient. Mais l’autre douzaine de policiers, en faction eux devant la grille de sortie des taxis, ont  commencé à grogner par contre. Et puis finalement ils ont interdit qu’on arrête les taxis. C’est vrai, c’est tellement plus digne de partir dans un taxi qui ne s’arrête pas, sûrement pour qu’ils puissent s’imaginer stars de cinéma en voyage incognito? Oui sûrement, car ça ne peut pas être pour couper complètement les migrants de leurs soutiens divers, non, ça se serait vraiment être mauvaise langue.
Et puis après on commence à voir que certains n’ont pas de notion de durée de leur séjour à Petaouchnok, euh pardon, dans le gîte rural machin de la baie du Mont-Saint-Michel, mais bon c’est tellement digne d’être emmenés vers la campagne du bord de mer. Donc on ne sait pas si c’est pour 1, 2 3 nuits ou plus. Pour d’autres c’est plus clair : 5 jours à Vern-sur-Seiche, 3 jours au foyer bidule. Et pour d’autres vraiment plus clair: rendez-vous à l’Hôtel-Dieu à 18h. Et jusqu’à 18h? Ben euh, j’sais pas moi, c’est pas digne de rester dans la rue avec tous vos sacs?
Ah et puis on commence à recevoir des coups de fil intéressants, comme celle qui accompagnait une famille au Rheu, un couple avec 2 bébés. Le lieu d’hébergement qui refuse d’ouvrir avant 17h… C’est bien, c’est très digne d’attendre 5 heures de suite debout devant une porte fermée avec ses 2 bébés sous le bras. Alors certains invitent les personnes chez elles jusqu’à 17h…
Ah et puis ces migrants sans papiers qui n’ont pas osé rester la nuit dernière à Pacé, peur de la PAF (Police de l’air et des frontières) du petit matin, difficile de leur en vouloir. Alors on les accompagne jusqu’à la porte de la préfecture et on dit aux policiers qui bloquent l’accès « la dame enceinte là et sa petite fille étaient au squat de Pacé, mais n’ont pas le papier distribué ce matin, par contre ils ont bien été recensés par la préfecture la semaine passée, pourraient-ils rentrer s’il vous plaît, car on va quand même pas laisser une femme enceinte à ce point dehors, hein ? » On reprendrait presque espoir quand un des messieurs devant la porte (Renseignements généraux ?) finit par accepter d’aller se renseigner.
Puis on commence à être remis très vite dans la réalité quand on entend les policiers ricaner en disant « sympas les Pacéens, ils en récoltent dans la rue et ils nous les amènent maintenant ». On explique au policier que c’est mal de se moquer ainsi des gens qui sont en plus devant lui et qui l’entendent. Et puis de toute façon on laisse tomber, car la personne ne revient et confirme que les migrants qui n’ont pas le papier distribué le matin à Pacé ne seront pas reçus. Même pas les femmes enceintes, et ça c’est vraiment décidément de plus en plus digne.
Bon allez, stop, excusez-moi de ce long message, c’est fou comme la dignité m’en met gros sur la patate aujourd’hui… »
M.

Circulaire Valls sur l’immigration : bien timide…

Stéphane Maugendre, président du Gisti.

Stéphane Maugendre

On l’attendait avec impatience. Manuel Valls l’a présentée ce matin en conseil des ministres : on a quelques informations sur la nouvelle circulaire concernant la régularisation des migrants sans papiers.
Interrogé par France-Inter au journal de mi-journée, Stéphane Maugendre, président du Groupe d’information et de solidarité avec les travailleurs immigrés (le GISTI) fait une première remarque : il s’agit d’une circulaire. Or une circulaire n’est pas une loi. « Elle n’est pas opposable à l’administration », rappelle Stéphane Maugendre. Ce qui signifie en clair que si une préfecture ne l’applique pas, le tribunal administratif ne pourra pas lui en faire reproche.  Une circulaire, « ce sont des instructions données aux préfets, qui les appliqueront ou ne les appliqueront pas ».
C’est la première faiblesse de la procédure. Ça n’est pas la seule.
Manuel Valls avait annoncé la définition de critères objectifs, assurant aux sans-papiers un traitement identique dans tout le pays.
Or que constate-t-on ?
Pour les jeunes adultes, qui viennent d’avoir leur majorité : ils devront justifier d’une scolarisation « sérieuse et assidue » pendant 2 ans. « Sérieuse » : critère objectif ?
Des conditions de ressources « suffisantes » : objectif ?
Les parents devront prouver qu’ils contribuent « efficacement » à l’éducation de leur enfant : objectif ?
Par ailleurs, les travailleurs sans papiers devront prouver qu’ils ont travaillé, en présentant soit le contrat de travail, soit des fiches de paye, soit une promesse d’embauche. Rares sont, évidemment, les travailleurs sans papiers qui travaillent régulièrement, dans le respect du code du travail, et rares sont les employeurs qui leur signent un contrat ou leur délivrent des fiches de payes. Dans ce domaine, la preuve sera quasiment impossible à établir.
Quelques progrès à relever cependant : le conjoint d’un ressortissant français devra justifier d’une vie commune d’un an et demi au lieu de cinq ans auparavant. Par ailleurs, « pour les familles, l’une des principales avancées du texte – qui entrera en vigueur le 3 décembre – concerne l’ouverture de la régularisation à celles justifiant d’une présence d’au moins cinq ans sur le territoire français et ayant au moins un enfant scolarisé depuis trois ans » (Le Monde). Autre progrès : « Une autre avancée de la circulaire pour les familles concerne la possibilité de déposer un dossier même si les deux parents sont en situation irrégulière. Il fallait auparavant qu’au moins un des deux soit en règle ».
Il faudra bien sûr lire en détail le texte de la circulaire, mais il semble bien qu’elle se situe dans la droite ligne de celles qu’ont pu signer les Besson, Hortefeu et Guéant : le gouvernement ne change pas de politique en ce qui concerne l’immigration. Il faut, une fois encore, et comme dans le domaine de la sécurité, donner des gages à la droite, quitte à en reprendre au moins en partie la philosophie… On ne peut pas dire qu’on n’était pas prévenus : le candidat Hollande s’est appliqué, pendant la campagne, à esquiver le sujet de l’immigration.
Lire aussi le site du Nouvel Observateur et le site du journal Le Monde.

Le squatt de Pacé (35) a été évacué ce matin

Photo Philippe Chérel, Ouest-France.

Les forces de l’ordre sont arrivées très tôt sur le site du squat de Pacé, cette ancienne maison de retraite réquisitionnée depuis plusieurs mois par Droit au logement, et où ont trouvé refuge quelque 200 migrants : dès trois heures ce matin, mardi 27 novembre, elles ont isolé le bâtiment, empêchant militants et journalistes de s’en approcher et naturellement d’y pénétrer. A 6h, elles ont demandé aux occupants de quitter les lieux, après leur avoir distribué des tickets de bus leur permettant de se rendre à la préfecture, où ils étaient convoqués pour connaître leur destination.

Le préfet d’Ille-et-Vilaine, Michel Cadot, assure que tout s’est passé « en toute humanité ». Il a précisé : « Aucune mise à la rue ne résultera évidemment de l’application de la décision de justice ainsi effectuée conformément à la loi ».
De fait, un reportage réalisé par France 3 et mis ligne sur son site confirme les dires du préfet : les migrants interrogés reconnaissent que tout s’est passé dans le calme, mais s’inquiète pour l’avenir : où seront-ils logés, les familles ne seront-elles pas séparées… Les militants de Droit au logement et du Réseau éducation sans frontière regrettent que l’évacuation ait été fait en novembre, alors que le début des travaux prévus par la société HLM propriétaire du bâtiment ne doivent débuter qu’au mois de janvier prochain.
On peut lire le récit de l’évacuation et les craintes de l’association sur le site de Droit au logement.

Cinq associations présentes dans les centres de rétention dressent un constat alarmant

L’ASSFAM (association service social familial migrants), France terre d’asile, le Forum réfugiés-Cosi, la Cimade et l’Ordre de Malte sont cinq associations habilitées à être présentes dans les centres de rétention administratives, où elles apportent aux personnes « retenues » (c’est mieux de dire « retenu » que « enfermé »…) un soutien psychologique, et juridique, en leur disant leurs droits. Elles viennent de publier un rapport très complet et très précis sur la situation dans les centres, qu’ils ont analysés un par un. Elles résument dans le communiqué ci-dessous leurs observations, et font part de leurs inquiétudes. Intitulé « Centres et locaux de rétention administrative, rapport 2011 », il analyse aussi bien les conditions matérielles que les conditions psychologique de la rétention.

Le rapport complet est téléchargeable ici.

Rapport 2011 sur les centres et locaux de rétention administrative

UN BILAN CRITIQUE QUI APPELLE UNE REFORME URGENTE

En métropole, un quart des personnes étrangères placées en rétention à compter de juillet 2011 ont été éloignées avant le cinquième jour d’enfermement, c’est-à-dire avant d’avoir pu voir le juge judiciaire. En Outre-mer, le contrôle des juges relève de l’exception. C’est l’un des constats alarmants que dressent les cinq associations présentes en rétention dans leur rapport 2011
Ce deuxième rapport commun apporte, chiffres et témoignages à l’appui, une analyse inédite de l’application de la loi Besson, entrée en vigueur en juillet 2011. Il met en évidence le contournement voire la mise à l’écart des juges au profit du pouvoir de l’administration, des situations de droits bafoués, d’éloignements expéditifs, d’interpellations abusives, d’enfermement inutile qui en devient parfois punitif. Ce constat, sans appel, est plus grave encore en Outre-mer. Durant cette même année 2011, ces pratiques ont été à plusieurs reprises sanctionnées par les plus hautes juridictions françaises et européennes. Pour les personnes enfermées qui ont malgré tout pu exercer des recours, les juridictions nationales ont fréquemment sanctionné des procédures illégales.

Les Roumains et les Tunisiens ont particulièrement été ciblés en 2011, quand bien même les premiers sont des ressortissants de l’Union européenne et les seconds disposaient souvent des documents légalisant leur accès au territoire français. Le rapport révèle que l’éloignement de ces ressortissants permet à l’administration de faire du chiffre beaucoup plus facilement en s’affranchissant largement, une fois encore, du contrôle des juges.

La dernière loi sur l’immigration a donc sophistiqué un peu plus la machine à expulser, réglée pour répondre essentiellement aux objectifs de la politique du chiffre. Or, ce rapport sur les centres et les locaux de rétention administrative démontre les violations des droits toujours plus graves que produit ce dispositif.

Le document s’attache enfin à décrire l’impact sur les personnes enfermées de cette poursuite à tout prix d’objectifs quantitatifs.

Le rapport ne se contente pas de décortiquer un système : il permet de souligner l’urgence d’une réforme profonde des procédures d’éloignement. Selon les promesses de François Hollande et en conformité avec les engagements européens de la France, la rétention administrative doit devenir une exception.

 

ASSFAM
France terre d’asile
Forum réfugiés-Cosi
La Cimade
Ordre de Malte 

Mariage pour tous : la déclaration de François Hollande inquiète

Photo AFP - Sud-Ouest.

La déclaration du président de la République devant le congrès de l’Association des maires de France au sujet de la « clause de conscience » qui pourrait amener un maire à refuser de célébrer lui-même un mariage entre personnes du même sexe a suscité beaucoup d’émois, dans les associations comme dans les partis politiques (lire ici l’interview de Noël Mamère dans Libération), y compris au parti socialiste.

Voici tout d’abord le texte exact de cette déclaration : « Les maires sont des représentants de l’Etat. Ils auront, si la loi est votée, à la faire appliquer. Mais, je le dis aussi, vous entendant, des possibilités de délégation existent, elles peuvent être élargies, et il y a, toujours, la liberté de conscience. Ma conception de la République vaut pour tous les domaines. Et d’une certaine façon, c’est la laïcité, c’est l’égalité, c’est-à-dire, la loi s’applique pour tous, dans le respect, néanmoins, de la liberté de conscience ».
Cette déclaration est en effet étrange : un maire a déjà la possibilité de refuser de célébrer lui-même un mariage. Et certains ne s’en privent pas. Il a même la possibilité de déléguer, non seulement à un adjoint, mais également à un conseiller municipal. Alors, pourquoi cette déclaration ? Espérons que ce ne sont pas les gesticulations de quelques agités du goupillon qui font frémir le président…
La Ligue des droits de l’Homme est elle aussi inquiète, et vient de publier ce communiqué :
« La Ligue des droits de l’Homme exprime sa consternation après les propos du président de la République sur le mariage pour tous, devant le congrès de l’Association des maires de France (AMF). En avançant l’idée que « le respect des consciences des maires » pourrait justifier un refus de procéder en personne à un mariage, François Hollande apparaît comme faisant une concession aux manifestants de l’ordre moral opposés au projet de loi. A-t-il pris la mesure que, ce faisant, il armait une machine redoutable contre l’égalité des droits ? Dans un État de droit, un maire est au service de la loi et dans notre république laïque, le mariage est un acte civil depuis 1792. L’oublier, ce serait oublier qu’un maire ne marie pas en son nom propre, mais en vertu du mandat qui lui a été confié dans le cadre républicain. Ce serait aussi ouvrir largement la porte à toutes les discriminations. Qui peut prétendre aujourd’hui que des maires ne refuseront pas, au nom de la liberté de conscience, un mariage entre divorcés, un mariage jugé trop « mixte », ou trop « bizarre » ? Ce serait, enfin, instituer une inégalité territoriale devant un acte civil. Pour la Ligue des droits de l’Homme, attachée au principe d’égalité et au projet de loi de mariage pour tous, le changement a besoin de conviction, d’échange public. Il paraît que le courage politique c’est dire ce qu’on va faire et faire ce qu’on dit. Mais le courage n’est pas de le dire, il consiste à le faire ».