Fête des mères : attention aux roses !

Pollution du lac Naïvacha par les fermes de rose (http://www.desdemonadespair.net/2010/03/drought-agriculture-and-pollution-are.html)

Fête des mères… avec la Saint-Valentin, c’est sans doute la date à laquelle le commerce de fleurs est le plus actif. Le problème, c’est que ni février ni mai ne sont les meilleures dates pour récolter des roses, une des fleurs les plus vendues à ces deux occasions. Les horticulteurs industriels ont trouvé la parade : ils partent en Afrique, et notamment au Kenya. C’est ainsi qu’un ancien président du syndicat français des horticulteurs a créé, sur les rives du lac Naïvacha, une « ferme de rose ».

Le lac Naïvacha, à 1800m d’altitude, est infesté par ces fermes où les roses, profitant d’un climat particulièrement adapté, peuvent être produites toute l’année. Cultivées sous serres, elles partent de l’aéroport de Naïrobi pour la Hollande, avant d’être acheminées vers les grands marchés européens, dont évidemment Rungis. Un voyage dont la durée, qui n’excède pas plus de que quelques heures permet aux fleurs d’arrivée en « bon état ».

Ce n’est pas le cas des ouvrières (les femmes représentent l’immense majorité de la main d’œuvre) qui cultivent ces fleurs. Leurs salaires, scandaleusement bas (à peine quelques euros par semaine) permettent aux propiétaires de fermes, exclusivement européens (essentiellement des Hollandais) de réaliser des profits insensés. Leurs conditions de travail les exposent à des problèmes sanitaires majeurs : bien qu’ils prétendent le contraire, les propriétaires continuent d’utiliser des substances toxiques (engrais, pesticides…) et les conséquences sont catastrophiques pour la santé des ouvrières. Elles sont d’ailleurs doublement exposées : directement par leur travail bien entendu, mais aussi indirectement, par les conséquences de cette pollution sur l’eau du lac Naïvacha, qui a été pratiquement privatisé : ses rives sont devenues inaccessibles pour la population locale (occupées par les « ranches » et autres parcs animaliers). La faune subit directement les conséquences de cette population, et les rapports des organismes internationaux sont sans appel : l’avenir du lac et de sa faune sont directement menacés, et à cours terme.

Deux articles très intéressants traitent de ce problème : le premier est paru le 13 février 2011 dans Politis, le second, le 14 février de la même année, dans Le Monde (à l’occasion de la Saint-Valentin).

L’article d’Audrey Garric, dans Le Monde, explique : « L’usage massif de pesticides et autres engrais par les cultivateurs empoisonne par ailleurs son eau et par conséquent la faune, la flore ainsi que les habitants. « Si les choses continuent de la sorte, si aucune régulation n’est mise en place, dans moins de dix ans, le lac ne sera plus qu’un étang boueux malodorant, avec des communautés humaines appauvries vivant difficilement sur ses rives dénudées. Au fur et à mesure que sa surface et sa profondeur se réduiront, il se réchauffera, entraînant la prolifération de micro-algues. Ce n’est plus qu’une question de temps pour que ce lac devienne toxique », déplore le biologiste, qui mène depuis trente ans des études sur l’hydrologie de la région ».

Dans son article paru dans Politis, Claude-Marie Vadrot explique pour sa part que « D’après des écologistes locaux et des organisations non gouvermentales, le lac pourrait ne plus être qu’un cloaque boueux dans une quinzaine d’années. Il est pourtant théoriquement protégé depuis 1995 par la Convention internationale Ramsar qui veille sur les plus belles zones humides du monde. Mais cela ne préoccupe guère les autorités et les industriels de l’horticulture ».

Autre article, qui donne évidemment un tout autre point de vue : il est paru dans l’Epansion

Un anecdote, révélatrice. En octobre 2013, nous avons fait un voyage au Kenya avec un couple d’amis. Avant de partir, nous avions lu un ouvrage écrit par l’ancien président du syndicat français des horticulteurs (voir plus haut), dont le fils possède une de ces fermes, de 57ha, près du lac Naïvacha. Nous avons souhaité la visiter, en expliquant que nous avions lu ce livre. Nous nous apprêtions à démarrer la visite avec le chef de production (un scientifique indien spécialiste des roses). Au dernier moment, il a appris que nous étions tous les quatre membres de la Ligue française des droits de l’Homme. Visite instantanément annulée : « j’ai une réunion »… Commentaire de notre guide, un Kenyan : « Vous leur faites vraiment peur ! »

 

« Grand marché transatlantique » : empêcher la régression des droits et le contournement de la démocratie

Communiqué de la Ligue des droits de l’Homme

Paris, le 5 mai 2014

La Commission européenne s’est engagée depuis plus d’un an, dans des négociations avec les Etats-Unis, sur un projet de traité (dit Tafta) portant sur le commerce et sur les flux financiers transatlantiques.

Le processus d’élaboration de ce Traité est inquiétant. D’abord, du point de vue démocratique : non seulement la Commission européenne a commencé à négocier en mars 2013 sans aucune légitimité, le mandat pour le faire ne lui ayant été conféré qu’en juillet 2013, mais les tenants et aboutissants de la négociation sont entourés d’une opacité incompatible avec tout contrôle démocratique sérieux sur ce qui se prépare au nom de plus de cinq cent dix millions de citoyens. Ainsi, aucun projet ni document précis n’ont été ni publiés ni même mis à la disposition du Parlement européen. En revanche, la Commission européenne va jusqu’à chiffrer à l’euro près le montant d’un prétendu bénéfice que chaque Européen retirerait de ce Traité, et les gouvernements banalisent le processus, comme s’il était sans grands enjeux.

Cette façon de faire qui tend à la désinformation aboutit à exclure les citoyens, les parties prenantes de la société civile et à laisser champ libre aux représentants des lobbies et des grandes entreprises transnationales. Elle jette un doute sérieux sur les buts recherchés par les négociateurs.

Il y a plus préoccupant. Ce qui a fini par transpirer du projet permet de le caractériser comme un outil de soumission de la démocratie vis-à-vis des acteurs financiers et entrepreneuriaux. De fait, il s’agit non seulement d’abaisser des droits de douane, au demeurant déjà très faibles, mais surtout, au titre de la suppression des « obstacles non tarifaires » au commerce et à l’investissement, de soumettre toute législation protectrice des salariés, des producteurs, des consommateurs, de l’environnement, de la santé publique, etc., aux bons vouloirs d’un « Conseil de coopération réglementaire », qui n’est responsable devant aucun citoyen. Corrélativement, toute entreprise pourrait attaquer un Etat devant un mécanisme ad hoc de règlement des différends pour paralyser le fonctionnement d’un service public, d’une entreprise publique, ou l’application d’une politique publique qui gênerait ses intérêts commerciaux ou financiers.

Ce Traité vise clairement à court-circuiter les pouvoirs démocratiquement légitimes pour faire les lois et les juridictions indépendantes et impartiales chargées d’appliquer le droit. L’objectif est de subordonner l’intérêt général et la protection des droits fondamentaux aux intérêts commerciaux et financiers. Certes, la France a obtenu que les biens culturels soient pour le moment retirés du mandat de la Commission européenne. Mais cette exclusion n’est ni certaine ni définitive et les normes sociales, sanitaires et environnementales sont, elles, menacées d’un alignement sur la protection la plus faible des salariés, des consommateurs et de l’ensemble de la population.

La Ligue des droits de l’Homme considère qu’un tel projet, qui engage l’avenir de tous les citoyens européens, ne saurait être poursuivi sans un débat sérieusement informé, contradictoire et public. Elle appelle les citoyennes et les citoyens à se saisir de cet enjeu, à interpeller l’ensemble des candidats aux prochaines élections européennes sur ce que sera leur vote, le jour où ce texte sera soumis pour approbation ou rejet au prochain Parlement européen. Car la crise de confiance entre l’Union et ses citoyens ne peut que s’aggraver, tant que les gouvernants de l’Europe ne prendront pas au sérieux la garantie des droits fondamentaux et les conditions minimales de l’effectivité démocratique. Le 25 mai, le pouvoir de les y contraindre sera entre nos mains à toutes et tous.

 

TAFTA : danger !

La section L’Hay-les-Roses de la Ligue des droits de l’Homme organise un débat sur les dangers du « Grand marché transatlantique » qui est en ce moment en cours de négociation avec les Etats-Unis, dans une totale opacité (les textes du traité ne sont pas publics). Elle publie, en introduction de ce débat, un texte de présentation critique du traité, avec ses partenaires, ATTA, le Mouvement de la paix et l’ARAC.

Depuis juillet 2013, l’Union européenne et les États-Unis ont ouvert des négociations en vue de conclure un accord commercial bilatéral, le PTCI (Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement), en anglais TTIP (Transatlantic trade and investment partnership) ou TAFTA (Transatlantic free trade area – Zone de libre échange transatlantique). C’est l’aboutissement d’un intense lobbying – qui se poursuit auprès des négociateurs – des groupes industriels et financiers européens et américains.

S’il voit le jour, cet accord de libre échange et de libéralisation de l’investissement serait le plus important jamais conclu, représentant la moitié du PIB mondial et le tiers des échanges commerciaux.

Mais cet accord, qui se négocie dans l’opacité la plus totale, pourrait avoir de graves conséquences pour les consommateurs, les salariés, les citoyens… mais aussi sur la démocratie (cf. ci-dessous).

Des mobilisations citoyennes se construisent en Europe et aux États-Unis pour s’y opposer. En France, un Collectif Stop TAFTA a été créé, réunissant les associations, des organisations syndicales et des partis politiques. Et d’ores et déjà, les deux plus grandes régions françaises (Île-de-France et PACA) ont demandé l’arrêt de ces négociations.

Le Partenariat transatlantique pour le Commerce et l’Investissement, PTCI, c’est :

 

Une vaste entreprise de déréglementation

Au-delà de l’abaissement des droits de douanes qui subsistent encore, qui affectera surtout l’agriculture et poussera à la généralisation du modèle agroexportateur, l’objectif principal de cet accord est d’éliminer les obstacles non-tarifaires au commerce. Cela concerne les normes et réglementations visant à protéger les consommateurs, les salariés ou l’environnement mais que les entreprises étrangères considèrent comme des mesures de protection du marché intérieur. Cette élimination passera par un alignement sur la norme la plus basse. Or en matière alimentaire, sanitaire et environnementale, tout comme en matière sociale, les normes les moins protectrices sont les normes américaines.

Quelques exemples :

  • introduction dans nos assiettes du bœuf aux hormones, des poulets chlorés, des OGM (sans indication sur l’étiquette) qui sont la règle aux États-Unis….
  • remise en cause du droit du travail : les États-Unis n’ont pas ratifié les conventions de l’OIT sur les libertés syndicales et la négociation collective ;
  • affaiblissement de la protection des données personnelles aujourd’hui mieux assurée en Europe qu’aux États-Unis ;
  • ouverture à la concurrence de secteurs relevant encore du service public (eau, électricité, éducation, santé, recherche, transports, l’aide aux personnes, cantines scolaires…) avec obligation pour les collectivités locales de lancer des appels d’offre ouverts aux multinationales et l’impossibilité de favoriser la production locale ou le mieux-disant social ou environnemental.

Une attaque sans précédent contre la démocratie

Un volet essentiel de cet accord est la mise en place d’un mécanisme de règlement des différends, qui permettrait aux multinationales de porter plainte contre un État ou une collectivité territoriale en saisissant une instance d’arbitrage ad-hoc et non les tribunaux nationaux, dès lors qu’elles considéreraient qu’une loi ou une réglementation ferait entrave au commerce et à l’investissement.

Pour les multinationales, l’enjeu est immense. Il s’agit d’obtenir la possibilité de pouvoir éliminer tout obstacle à leurs profits présents mais aussi futurs ; des obstacles tels que des normes sanitaires, écologiques, sociales, votées démocratiquement, et remises en cause au nom du principe sacré du droit des investisseurs !

On trouve de nombreux exemples de plaintes de multinationales dans le cadre d’accords bilatéraux d’investissement déjà conclus.

Certains États ont ainsi été condamnés à des amendes très dissuasives, se chiffrant souvent en millions, voire en milliards, de dollars (Nouvelle-Zélande, Uruguay, Argentine…).

Quelques exemples :

  • les entreprises américaines d’exploitation du gaz de schiste pourront attaquer l’État français qui leur refuse des permis ;
  • les universités américaines privées qui souhaitent s’installer en France pourront attaquer l’Éducation nationale pour concurrence déloyale ; la même démarche pourra viser d’autres services publics.

On comprend mieux dés lors pourquoi ces négociations se déroulent dans le plus grand secret !

Pacte de responsabilité : l’analyse de Pierre Tartakowsky, président de la LDH

Les droits économiques et sociaux font partie des droits fondamentaux, et il est donc normal que la Ligue des droits de l’Homme s’en soucie au même titre que tous les autres droits. La récente annonce par le président de la République de la mise en place d’un « pacte de responsabilité », qui consisterait à apporter une aide substantielle aux entreprises, en échange de… rien, ne pouvait pas laisser de marbre la Ligue des droits de l’Homme. Dans son éditorial du numéro de février de LDH Info, l’organe interne de la Ligue des droits de l’Homme, Pierre Tartakowsky revient sur ce pacte, et en fait une analyse critique. Très critique.

Sincérité, absence cruelle. . .

L’éditorial de Pierre TARTAKOWSKY, président de la LDH

Il revient évidemment d’abord aux partenaires sociaux de s’exprimer sur ce que le président de la République a qualifié de Pacte de responsabilité. Évidemment, dis-je, puisqu’il s’agit d’un projet dont l’entreprise est le prétexte, le cœur et le bénéficiaire. Chacun comprend bien pour autant que le projet impacte la vie de toutes celles et ceux qui travaillent et vivent sur le territoire français ainsi que ce que j’appellerai, pour faire vite et simple, leur qualité de droits. J’entends par là le contenu intrinsèque de ces droits, ainsi que la capacité pour tous d’y avoir accès. Il n’est donc pas totalement illégitime de poser deux questions, au vu de l’information disponible et du jeu des acteurs.

La première porte sur le financement de ce Pacte ; quelque cinquante milliards d’économies vont devoir être réalisées par l’État. Ces économies seront de fait prélevées sur des budgets existants. Ce que l’on prépare à donner à certains, on prévoit donc de l’enlever à d’autres. Au vu des sommes en jeu, ces choix de gestion constituent des enjeux politiques majeurs et il n’est pas certain, c’est une litote, qu’ils relèvent d’un débat public documente et éclaire.

La seconde nous amène à douter du sens des mots. « Pacte » renvoie e un accord entre parties, « responsabilité » indique que ces parties entendent assumer la parole donnée. À entendre Pierre Gattaz, on en est loin, le président du Medef expliquant avec une belle franchise que l’idée même de contreparties a de l’argent public lui était éthiquement insupportable. L’éthique a de ces refuges… Comprenons-nous bien : le Medef, les conseils d’administration des grandes entreprises sont parfaitement libres, si cela leur est insupportable, de refuser l’argent public. De fait, ils le font rarement. En revanche, il semble assez naturel que la collectivité se donne les moyens de faire en sorte que cet argent ne soit pas retourne contre elle. Garant de l’intérêt général, c’est ce que le gouvernement, président de la République en tête puisque c’est le jeu pervers des institutions, devrait défendre bec et ongles.

Mais le pouvoir a-t-il encore un bec, a—t-il encore des ongles ? La sincérité — et c’est la vraie question — est-elle bien au rendez-vous du politique ? Les cyniques souriront du caractère naïf de la question. Ils auront tort, comme toujours. Car sans sincérité, le projet devient un prétexte et l’engagement un calcul, juste avant d’être un recul. La défaite est alors annoncée, toujours présentée comme un moindre mal. Cela vaut face au « monde de la finance », pour citer le discours du Bourget, comme face aux adversaires idéologiques, singulièrement ceux qui s’acharnent contre l’idée même d’égalité, qu’il s’agisse de l’apprendre, voire de la penser.

La situation malsaine que nous affrontons dans les débats publics, et qui va se traduire dans les élections à venir — tant municipales qu’européenne —, participe de cette insupportable anomie de la pensée progressiste, face aux agressions dont elle est la cible. Elle s’alimente du désespoir social, de l’absence d’horizon d’attente politique et du doute sur le bien-fondé des valeurs qui fondent la République. En retour, elle nourrit les stratégies d’opposition des uns contre les autres, qui, hélas, ne viennent pas toutes de droite. Elle provoque les tentations de replis communautaires, vécus comme seuls efficaces. Enfin, elle crée l’illusion que la gravite de la période autoriserait à subordonner les luttes pour les droits, et le progrès social a un engagement plus consensuel contre les manifestations de haine, d’où qu’elles viennent.

Dans ce contexte, le courage et l’intelligence ne consistent pas à adopter les tropismes de l’adversaire, mais à porter son propre projet et ses propres valeurs, celles qui répondent à l’intérêt général. Face à l’adversité, une pensée molle ne conduit qu’a une action molle, autrement dit au statu quo, celui-là même qui se tisse d’injustices et qui nourrit l’abstention, signal de désaveu civique.

Pour sa part, la Ligue des droits de l’Homme entend poursuivre à la fois le débat sur les alternatives immédiates, l’engagement contre les résurgences immondes, le rassemblement pour la justice et l’effectivité des droits. C’est sa sincérité, et elle s’y tient.

 

Trégunc : « La violence des riches », samedi 22 février au Stérenn, à Trégunc (29)

« Qu’est-ce que la violence? Pas seulement celle des coups de poing ou des coups de couteau, des agressions physiques directes, mais aussi celle qui se traduit par la pauvreté des uns et la richesse des autres. Qui permet la distribution des dividendes en même temps que le licenciement de ceux qui les ont produits. Qui autorise les rémunérations pharaoniques en millions d’euros et des revalorisations du SMIC qui se comptent en centimes…

L’accaparement d’une grande partie des richesses produites par le travail dans l’économie réelle, est organisé dans les circuits mafieux de la finance gangrenée. Les riches sont les commanditaires et les bénéficiaires de cette violence aux apparences savantes et impénétrables, qui confisque les fruits du travail… »

Voilà ce que démontrent Monique et Michel Pinçon-Charlot, dans leur dernier ouvrage La violence des riches.

Venez nombreux en débattre le 22 février à Trégunc (Finistère)- MJC Le Sterenn- 20H.

Cette soirée sera précédée d’un colloque animé par le Café économique de Pont-Aven sur « Capitalisme et démocratie », à partir de 14H.

Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) : l’examen critique de Raoul-Marc Jennar

L’Union européenne et les Etats-Unis sont en pleine négociation d’un traité intitulé « partenariat transatlique de commerce et d’investissement », connu aussi sous l’acronyme anglais TTIP, que l’Union européenne qualifie sur son site de « plus important accord commercial au monde ».

Curieusement, la diffusion de ce traité est restreinte, et il n’y a pour le moment pas de traduction officielle en français.

Raoul-Marc Jennar, docteur en sciences politiques, chercheur, militant altermondialiste et essayiste, a décortiqué ce traité, et en a livré une critique passionnante. Passionnante, et terrifiante. Parce que ce traité vise rien moins que « réaliser complètement les objectifs des accords de l’OMC, et même aller au-delà ». Il s’agit ni plus ni moins d’élever le libéralisme économique au rang de dogme mondial. L’opacité des négociations est révélatrice des enjeux. Raoul-Marc Jennar a pris son bâton de pèlerin, et multiplie les conférences à travers la France, pour alerter la population sur ce qu’on lui prépare de façon presque secrète : il a fait plusieurs conférences en Bretagne en janvier 2014 (Pontivy, Vannes, Rennes, Saint-Brieuc, Quimper…), et on peut voir la captation vidéo de celle qu’il a donnée en décembre dernier à Perpignan.

Parallèlement à ces conférences, Raoul-Marc Jennar écrit aussi beaucoup. Il a notamment fait la critique du document « daté du 17 juin 2013 du Conseil de l’UE qui a été adopté le 14 juin par la section Commerce du Conseil des Affaires étrangères où siégeait pour la France Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur. La version officielle du document n’existe qu’en anglais et sa diffusion est interdite ». Nous publions ici une version allégée de ce document, qui est, dit l’auteur, « est un résumé du mandat avec les critiques qu’il m’inspire. Une sorte de synthèse ». Et il conseille de le « partager sans modération. Sans modifier le contenu, s’il vous plaît » !

Nous le faisons avec plaisir : les droits économiques et sociaux font partie des droits de l’Homme, et ce projet les met gravement en péril.

Raoul-Marc Jennar : Le Partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement.

C’est sous cet intitulé (en anglais Transatlantic Trade and Investment Partnership) qu’a commencé, le 8 juillet 2013 une négociation entre l’Union européenne et les Etats-Unis d’Amérique.

Il s’agit d’un projet préparé de longue date, dont les prémisses remontent à 1990, lorsqu’au lendemain de la guerre froide et de la division du monde en deux blocs, la Communauté européenne (12 Etats) et les USA signent ensemble une « Déclaration transtlantique .»  Celle-ci annonce le maintien de l’existence de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, prévoit l’organisation de sommets annuels et de rencontres ministérielles bisannuelles et l’intensification de rencontres entre acteurs politiques et hauts fonctionnaires. Par la suite, d’autres initiatives seront prises par les instances européennes et le gouvernement américain : la création en 1995 d’un groupe de pression du monde des affaires, le TransAtlantic Business Dialogue, (TABD) à l’initiative des pouvoirs publics des deux rives de l’océan, la création en 1998 d’un organe de concertation, le Partenariat Economique Transatlantique (PET), la création en 2007 du Conseil économique transatlantique où se retrouvent des représentants de firmes présentent des deux côtés de l’Atlantique pour conseiller la Commission européenne et le gouvernement des USA et enfin, en 2011, la création d’un groupe d’experts « de haut niveau » dont les conclusions, déposées le 11 février 2013, recommandent le lancement de la négociation d’un vaste accord de libre-échange UE-USA. Deux jours plus tard, le Président des Etats-Unis, M. Obama, le Président du Conseil européen M. Van Rompuy et le Président de la Commission européenne M. Barroso signent une déclaration par laquelle ils s’engagent à entamer la procédure en vue de commencer les négociations.

À la différence du Congrès des États-Unis, les parlements des Etats membres de l’Union européenne ne sont pas consultés.

Le 14 juin 2013, la section Commerce du Conseil des Affaires étrangères, où siègent les ministres du Commerce extérieur des 27 Etats membres (ils seront 28 à partir du 1 juillet 2013 avec l’adhésion de la Croatie), adopte le mandat de négociation que lui a soumis la Commission européenne. Celle-ci, en vertu de l’article 207 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, devient le négociateur unique, assisté d’un comité où sont représentés les Etats membres.

Le mandat de négociation n’existe officiellement qu’en langue anglaise et sa diffusion est restreinte. Grâce à des fuites, le document a pu être connu et traduit en français. La description qui suit du mandat conféré à la Commission européenne par les gouvernements des Etats membres de l’Union européenne est basée sur une de ces traductions.

Le document comporte 46 articles, répartis en 18 sections. La lecture des titres qui introduisent ces sections rappelle, dans un vocabulaire identique, les différents accords de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Les 5 premiers articles concernent la nature et la portée de l’accord recherché. On relèvera surtout les articles 2 et 3 qui indiquent qu’il s’agit de s’inscrire dans le cadre des accords de l’OMC, « avec un haut niveau d’ambition d’aller au-delà des engagements actuels de l’OMC ». Le but de la négociation est donc clairement affirmé : réaliser complètement les objectifs des accords de l’OMC, et même aller au-delà.

Un article 6 est consacré au texte qui devrait servir de préambule à cet accord dans lequel devraient être mises en évidence les valeurs communes à l’UE et aux USA.

La suite du mandat rassemble les trois grands objectifs que les 28 gouvernements européens poursuivent dans cette négociation.

1) le premier objectif, c’est d’éliminer au maximum les droits de douane entre Union européenne et USA. C’est déjà presque fait dans la plupart des cas, sauf dans l’agriculture où ils demeurent  élevés.

2) le deuxième objectif, c’est de réduire, voire d’éliminer ce qu’on appelle, dans le jargon, les barrières non tarifaires. On entend par là les normes constitutionnelles, légales, réglementaires, susceptibles d’entraver une concurrence érigée en liberté fondamentale suprême à laquelle aucune entrave ne peut être apportée. Ces normes peuvent être de toute nature : éthique, démocratique, juridique, sociale, sanitaire, environnementale, financière, économique, technique,…

Plusieurs articles du mandat (art. 14, 18, 19, 21, 25, 29, 31, 32, 33) expriment le vœu que les normes sociales, sanitaires et environnementales en vigueur en Europe soient protégées. Il est fait explicitement référence aux conventions de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), aux conventions internationales sur l’environnement et à la convention de l’UNESCO sur la diversité culturelle.

Un article indique que l’audiovisuel n’entre pas dans le cadre de l’accord.

3) le troisième objectif, c’est de permettre aux firmes privées d’attaquer les législations et les réglementations des Etats quand ces firmes considèrent qu’il s’agit d’obstacles inutiles à la concurrence, à l’accès aux marchés publics, à l’investissement et aux activités de service. Elles pourront le faire, non plus devant les juridictions nationales, mais devant des groupes d’arbitrage privés appelés « mécanismes de règlement des différends ». Les articles 23 (investissement), 32 (normes sociales et environnementales) et 45 (pour l’ensemble de l’accord) demandent la création d’un tel mécanisme.

Le calendrier et la ratification

Les négociations se déroulent en cycles d’une semaine en alternance à Bruxelles et à Washington. L’espoir des négociateurs est d’en terminer en 2015.

Il faudra alors que les 28 gouvernements approuvent en Conseil des ministres de l’UE le texte négocié. Le Parlement européen sera ensuite amené à se prononcer. Il dispose du pouvoir de l’approuver ou de le rejeter.

Une polémique s’est développée sur la question de savoir si les Parlements nationaux devront eux aussi ratifier ce texte. En France l’article 53 de la Constitution indique que les traités de commerce ne peuvent être ratifiés qu’en vertu d’une loi. Aux USA, le Congrès devra ratifier.

Les critiques

Ce projet suscite de nombreuses critiques tout d’abord dans les milieux altermondialistes favorables à la notion d’Etat régulateur et redistributeur et hostiles aux libéralisations et déréglementations qui sont les objectifs de l’OMC et des accords qu’elle gère. Mais l’hostilité est grande aussi dans les milieux de la gauche antilibérale et des écologistes.

A propos de l’abaissement des droits de douane sur les produits agricoles, l’analyse de l’agroéconomiste Jacques Berthelot est très largement partagée : ce sera une catastrophe pour l’agriculture européenne et pour les consommateurs. Selon lui, une telle décision «accélérerait le processus de concentration des exploitations pour maintenir une compétitivité minimale, réduirait drastiquement le nombre d’actifs agricoles augmenterait fortement le chômage, la désertification des campagnes profondes, la dégradation de l’environnement et de la biodiversité et mettrait fin à l’objectif d’instaurer des circuits courts entre producteurs et consommateurs. »

En ce qui concerne les barrières non-tarifaires, les adversaires du projet sont convaincus que ce qui est programmé, c’est le démantèlement complet de l’appareil législatif et réglementaire des 28 Etats de l’UE chaque fois qu’une norme sera considérée comme un obstacle excessif à la libre concurrence. Et cela vise aussi bien les normes sociales, alimentaires, sanitaires, phytosanitaires, environnementales, culturelles que les normes techniques. Ce qui est redouté, c’est un alignement sur les normes américaines qui sont, dans l’immense majorité des cas, plus faibles et moins protectrices qu’en Europe.

Les garanties fournies par le mandat ne sont pas crédibles à leurs yeux puisque les politiques de l’Union européenne, en interne visent, au nom d’une concurrence « libre et non faussée » à démanteler les normes sociales et les services publics. Les arrêts de la Cour de Justice de l’UE ont consacré le primat de la concurrence sur les droits sociaux. Invoquer les conventions de l’OIT, les conventions environnementales et celle de l’UNESCO ne sont en rien des garanties puisque les USA ne les ont pas ratifiées.

En matière de normes sanitaires et techniques, les adversaires de cette négociation soulignent que la mesure du danger est radicalement différente des deux côtes de l’Atlantique : aux USA, tant qu’il n’a pas été prouvé scientifiquement qu’un produit ou un procédé est nocif, il est libre d’accès. En Europe, tant qu’on n’a pas prouvé que le produit ou le procédé est sain, il est interdit d’accès. On sait que les firmes américaines considèrent que les critiques formulées contre les produits génétiquement modifiés, le bœuf traité aux hormones de croissance, le poulet chloré et le porc traité à la rectopamine n’ont pas le moindre fondement scientifique.

En outre, les adversaires de cette négociation observent que si l’audiovisuel échappe pour le moment à la négociation, tous les autres domaines de la culture (théâtres, opéras, musées, archives, bibliothèques, patrimoine) vont y être soumis.

Quant au mécanisme de règlement des différends, il aura pour conséquence à leurs yeux que ce seront les firmes privées qui définiront progressivement les normes de la vie en société. L’exemple de semblable mécanisme dans le cadre de l’Accord de libre-échange de l’Amérique du Nord (ALENA) est mis en avant pour démontrer que ce mécanisme profite toujours aux firmes privées des USA.

Raoul Marc Jennar

 

 

 

Vidéo : la conclusion de Pierre Tartakowsky à la journée d’hommage à V. et I. Basch

C’est Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des droits de l’Homme, qui a conclut la journée d’hommage à Victor et Ilona Basch, au lycée qui porte leur nom à Rennes. L’occasion pour lui de regretter, en voyant les lycéens qui avaient assisté pour certains, et participé pour d’autres à cette journée, de ne pas avoir eu l’occasion d’en vivre une semblable pendant sa scolarité.

httpv://youtu.be/jGu3LRaBHbg

La Saga des Contis au Cithéa : Jérôme Palteau en visio-conférence

C’était une première pour le cinéma le Cithéa de Plouguenast, ça l’était aussi pour le mois du film documentaire dans la région, et c’en était une également pour la section Loudéac centre Bretagne de la Ligue des droits de l’Homme : Jérôme Palteau, réalisateur du film La Saga des Contis n’a pas pu se déplacer pour animer le débat qui a suivi le film. Mais il y a tout de même participé, grâce à une connexion par Skype, retransmise via le projecteur de la salle sur le grand écran. Résultat : remarquable ! Un confort même supérieur pour les spectateurs qui ont bénéficié d’une image certes un peu saccadée (connexion wifi un peu éloignée), mais tout à fait correct, et un son de très bonne qualité.

Une idée à retenir pour vos débats futurs, à condition bien entendu de disposer d’une connexion Internet dans la salle.

Et il aurait été dommage que ce débat n’ait pas pu avoir lieu. Jérôme Palteau a répondu avec intelligence et sensibilité aux nombreuses questions des spectateurs, qui avaient déjà été conquis par la qualité exceptionnelle du film, aussi bien sur le fond que la forme !

Un grand film, que toutes les sections de la Ligue des droits de l’Homme devraient projeter !

 

La Saga des Contis au Cithéa de Plouguenast c’est demain, dimanche 24

L’information n’a pas fait la une des journaux, elle est pourtant d’importance : Xavier Mathieu, figure charismatique de la révolte des Contis, les ouvriers de l’usine Continental de Clairoix contre la fermeture du site pour des raisons de profit des actionnaires, vient de remporter une nouvelle victoire.

Continental tentait de le licencier alors qu’il n’a jamais été réintégré, contrairement à ses collègues représentants du personnel, comme lui, l’inspection du travail vient de dresser un procès-verbal constatant la discrimination dont il est victime de la part de la direction de l’entreprise.

Cela peut sembler anecdotique, mais c’est loin de l’être. Parce que derrière cela, se cache un projet inavoué de la direction, comme l’explique Xavier Mathieu : il s’agit ni plus ni moins de faire disparaître le plus rapidement possible le comité d’entreprise, qui continue de venir en aide aux 500 salariés qui sont toujours à Pôle emploi. « Les autres délégués seront en fin de droits en février. Ils ne seront plus là pour entretenir le lien social. Moi, je pourrai servir de relais pour continuer l’action et ça, la direction ne le veut pas. Elle veut gagner du temps. », explique Xavier Mathieu (Source : Le Parisien et le bulletin du PCF de l’Oise).

Cette victoire intervient plusieurs semaine après une autre : fin août, les prudhommes avaient constaté l’illégalité des licenciements, qu’aucun problème économique ne justifiait, contrairement à ce que prétendait la direction. Et l’entreprise va donc devoir indemniser les salariés licencier beaucoup plus largement qu’elle ne l’avait prévu. Elle a bien entendu fait appel, mais on voit mal comment la justice pourrait contredire cette décision.

Jérôme Palteau, réalisateur du film « La Saga des Contis », que la section Loudéac centre Bretagne projette dimanche 24 novembre au cinéma le Cithéa de Plouguenast, dans le cadre du mois du film documentaire, avec Cac sud 22, sera certainement en mesure de nous donner des informations plus précises sur l’évolution de ce dossier, pendant le débat auquel il participera après la projection en visio-conférence, puisqu’il ne peut pas faire le déplacement.

Dimanche 24 novembre, Le Cithéa à Plouguenast, à 14h30, la Saga des Contis avec Jérôme Palteau

La Saga des Contis, c’est une fresque, cinématographique, réalisée par Jérôme Palteau. Le film, comme son titre l’indique, retrace les années de lutte des salariés de l’usine de pneus Continental, de Clairoix, licenciés par la multinationale dont le seul souci est de faire gagner encore davantage d’argent à ses actionnaires : le motif prétendument « économique » des quelque 700 licenciements a été rejeté par les Prudhommes, qui ont condamné l’entreprise à réintégrer les salariés : elle devra donc les licencier selon la procédure normale, et les indemniser en conséquence. Quand ce jugement est tombé, en août 2013, Xavier Mathieu, le leader charismatique de cette lutte, déclarait : « c’est une victoire, mais c’est une victoire amère »… Et pour cause : on reconnaissait le caractère abusif des licenciements, sans pouvoir les empêcher. Et, ajoutait Xavier Mathieu, le pire dans l’histoire, c’est que malgré les sommes astronomiques que l’entreprise va devoir débourser, l’opération reste rentable pour elle.

À l’heure où certains récupèrent la détresse ouvrière, et réussissent le tour de force de faire défiler  patrons et ouvriers dans la même manifestation, où la peur du chômage est telle que des ouvriers licenciés se font agresser par leurs collègues qui ont conservé leur emploi, la Saga des Contis, malgré l’issue dramatique du conflit, apporte une lueur d’espoir : la capacité de révolte est encore intacte , et la solidarité existe toujours. D’autres informations ici:

Continental s’acharne contre Xavier Mathieu.

680 licenciements annulés par les Prudhommes : la belle victoire des Contis.

Emission Là-bas si j’y suis du 12 septembre 2013, « l’amère victoire des Contis ».

A noter que le film a reçu le prix du film documentaire décerné par le journal La Croix, en octobre dernier (lire ici).

La projection du film sera suivie d’un débat, avec la participation de Jérôme Palteau, réalisateur.

Pratique

Organisé par la section Loudéac centre Bretagne, en partenariat avec le cinéma Le Cithéa de Plouguenast, dans le cadre du mois du film documentaire, organisé par CAC Sud 22 Marc Le Bris, Double Vue, et le Conseil général des Côtes d’Armor.

Au cinéma Le Cithéa, à Plouguenast, à 14h30. Entrée, 4€.

La bande annonce du film.

httpv://youtu.be/btX3Z5D_eEo