Nice, I like not, par Pierre Tartakowsky

Le dernier numéro de la revue de la Ligue des droits de l’Homme, « Hommes et Libertés », contient un remarquable dossier intitulé « le handicap : regards croisés », composé de plusieurs articles, parmi lesquels « Handicap : droit(s) devant ! », « pour le respect des droits cuturels », « handicap psychique : de l’enfermement à l’autonomie », « pour une société inclusive »…

Ce dernier numéro s’ouvre sur un éditorial du président de la LDH, Pierre Tartakowsky, qui revient sur ce fait divers qui a défrayé la chronique et donné l’occasion à la droite de distiller ses clichés désormais bien connus ; mais aussi, et c’est grave, à une certaine gauche, de les reprendre à son compte. Une certaine « gauche » incarnée bien entendu par le ministre de l’intérieur, qui a décidément davantage de points communs avec ses derniers prédécesseurs du dernier septennat qu’avec de grands ministres tels que Pierre Joxe.

Rappelons, avant de reproduire l’éditorial de Pierre Tartakowsky, que Hommes et Libertés est une revue trimestrielle, dont l’abonnement coûte 25€ (un an, quatre numéros), et qu’elle est une véritable mine d’informations pour les défenseurs des droits. Son existence est précaire : son équilibre financier est très fragile, et elle a besoin de nouveaux abonnés (s’adresser au siège de la LDH, 138 rue Marcadé, 75018 Paris).

Nice, I like not, par Pierre Tartakowsky

Le fait divers a ses lettres de noblesse. Comme production sociale, il nous renseigne sur le contexte dont il participe, sur les « seuils de tolérance » de la cité comme lieu politique, sur les hiérarchies subtiles et implicites dont le bon sens populaire est porteur. Ce pourquoi il est tenant d’en faire un exemple, un épitomé des problématiques collectives, et, partant, d’imposer des solutions valables pour le fait divers en question, et plus largement pour la société. C’est particulièrement vrai lorsque la société en question a le sentiment exaspérant de se heurter a d’insupportables injustices, de tourner en rond et d’étouffer à petit feu sans que l’État, les pouvoirs publics, la représentation politique soient d’une aide quelconque.

C’est dans ces moments que les démagogues et les esprits simples, adeptes de la loi de Lynch et de la vengeance, se déchainent  pour imposer une autre conception de la justice, plus expéditive, légitimant des méthodes plus efficaces, plus individuelles, faisant l’économie de l’analyse des causes et des situations au bénéfice d’une escalade sécuritaire sans fin… La responsabilité des élus de la République est de le savoir, et de s’y opposer. On sait que l’ex-président Nicolas Sarkozy avait au contraire, dans la lignée d’un Bush et d’une Thatcher, fait le choix stratégique de flatter ces pulsions malsaines et, tout en flétrissant la magistrature, d’exacerber les pulsions sécuritaires les plus régressives au sein de l’opinion publique.

Il faut ranger l’affaire de Nice au rang des dividendes de ce choix. Elle indique, hélas, que ces pulsions n’ont plus besoin aujourd’hui de maitre à penser présidentiel pour s’épanouir et se revendiquer légitimes.

On connait les faits ; un bijoutier cambriole, deux malfrats à la petite semaine, un tir soigneusement ajuste, dans le dos de deux fuyards motorises, et un mort. Jusque-là, rien qui ne déborde du cercle de travail banal de la justice.

Mais voilà que, de façon plus ou moins spontanée, des soutiens au commerçant se mettent en place, singulièrement sur Internet, ou se déchaine un festival de propos nauséeux, haineux, racistes, apologétiques de l’autodéfense, et incitatifs au meurtre. Et que d’un peu partout, des voix s’élèvent – au mépris des faits eux-mêmes – pour plaider la légitime défense.

Curieuse «  légitime défense »…

On aurait pu s’attendre à ce que les responsables gouvernementaux et les élus locaux se mobilisent pour rappeler les termes de la loi, qui n’est pas la vengeance, disent la gravité d’un homicide et soulignent que nul n’est autorisé à l’appliquer lui-même.

Qu’a-t-on vu? Le contraire: des élus locaux, président du conseil général en tête, s’honorer d’être partie prenante de cette surenchère haineuse, justifier leur engagement par une « solidarité naturelle » avec un « Niçois », ignorant superbement que la victime était, elle aussi, « niçoise » dénoncer une criminalité galopante, qu’ils prétendaient jusque-là avoir endiguée grâce à un quadrillage méthodique de vidéosurveillance, stigmatiser, enfin. Une justice complice des voyous, puisque refusant de caractériser un coup de feu dans le dos d’un fuyard comme de la légitime défense…

Légitime défense? On imagine la scène, ce dos qui s’enfuit, menaçant, sur une moto, qui est déjà à quinze, vingt mètre; et ce revolver opportunément à portée de main, et ce commerçant battu, humilié, qui considère que cela ne doit pas se passer comme ça, que cela ne va pas se passer comme ça, ah, mais non, et qui ajuste, tir ; touché !

Oh, on peut comprendre. C’est même tout le travail de la justice que s’y atteler et de prononcer la sanction qu’appelle tout homicide. Légitime colère, sans doute ; légitime défense, certainement pas. L’homme ne risquait plus rien. Il s’est vengé, tuant un homme que son statut de voleur ne soustrayait pas à l’humanité.

Pour un strict respect de l’Ordre public

Il faut grandement s’inquiéter de cette affaire, où l’on voit des élus courir après un peuple en furie pour rivaliser en propos incendiaires ; ou la voix Internet révèle et nourrit une justice ramenée à une sorte de jeu vidéo, moderne jeu du cirque.

La fabrication médiatique, dont la base répétitive et sensationnelle exclut beaucoup le recul, la réflexion et le débat, alimente de fait l’établissement d’une norme qui semble autoriser tout un chacun à introduire de plus en plus de violence dans le droit, la loi, les rapports sociaux. Il est d’autant plus incompréhensible, dans ce contexte préoccupant, que le ministre de l’Intérieur ait choisi, avant même de se rendre sur place, d’affirmer sa compréhension vis-à-vis des « petits commerçants excédés ».

Faute grave. Car il ne s’agit pas ici-sauf à entrer dans des considérations politiques électorales aussi peu honorables que dangereuses – de comprendre qui que ce soit, mais de combattre et les cambriolages, et les exécutions sommaires. Autrement dit, de refuser de traiter les enjeux de sécurité au prisme des prochaines consultations électorales, en faisant strictement respecter ordre public. C’est d’autant plus important que cet ordre public est de plus en plus souvent malmené par une série de déclarations et d’attitudes extrêmement préoccupantes, sans que cela semble émouvoir les pouvoirs publics.

Rappelons, pour mémoire, les propos du député-maire de Cholet, Gilles Bourdouleix- à ce jour toujours membre de UDI -, à propos des Roms : « Hitler n’en q peut-être pas tué assez,» Rappelons également la toute récente déclaration de Régis Cauche, maire de Croix, dans le Nord, affirmant que si l’un de ses administrés « commettait l’irréparable», il le soutiendrait. L’édile s’est empresse de corriger par le tir, par un convenu « je ne défendrai que des gens en légitime défense ». Mais l’alerte niçoise nous montre que d’ores et déjà, certains interprètent cette notion de façon plus qu’extensive.

Rappelons, enfin, la tentative de Nathalie Kosciusko-Morizet, députée UMP candidate à la mairie de Paris, de gagner des parts de marché sur la dénonciation d’un «  harcélement» des Parisiens par les « Roms »…

Éloigner peurs et haines

Ne laissons pas Nice devenir une sorte de « répétition générale » des campagnes électorales à venir, en privilégiant les peurs, les haines et leur corollaire sécuritaire, sur les enjeux d’égalité et de justice.

Ne laissons pas la haine devenir un programme électoral, et la stigmatisation un outil d’0pposition des uns contre les autres et de tous contre tous. La Ligue des droits de l’Homme met en garde contre cette multiplication de propos irresponsables, qui, chacun à leur façon, contribuent à précipiter le pire. Elle invite les citoyens, les médias et les élus de la République à les prendre au sérieux, et à les dénoncer sans complaisance. Elle appelle les forces démocratiques, les organisations syndicales et le mouvement associatif, les femmes et les hommes de notre pays, à relever les défis de iustice, d’égalité et de démocratie, exacerbes par la crise financière et les politiques d’austérité, en inscrivant leurs investissements sociaux et politiques dans l’affirmation d’une société de droit, solidaire et fraternelle.

 

 

J’ai jeté ma baleine à la mer : une pièce militante et un outil de prévention des violences conjugales

Muriel Le Goff et Manuela Charles (en bas à gauche) ont animé le débat, auquel les acteurs de la troupe Les Poules qui lèvent la tête ont participé.

La pièce de théâtre « J’ai jeté ma baleine à la mer » créée et mise en scène par la troupe de théâtre engagé « Les poules qui lèvent la tête » a conquis les spectateurs dimanche à la salle de fêtes de Plumieux. Une pièce qui s’appuie sur le récit autobiographique d’une femme, Laura Granny (pseudonyme), victime de violences conjugales édité aux éditions Récits. Sujet parfaitement documenté, mise en scène originale et dynamique, mise en lumière remarquable : tout concourt à ce que le spectateur ne sorte pas indemne de ce spectacle. Et c’est tant mieux : le sujet, les violences conjugales, est, hélas, toujours d’actualité.

Organisée par la section Loudéac centre Bretagne de la Ligue des droits de l’Homme, la séance a été suivie d’un débat animé par Manuela Charles, directrice de l’association Adalea et Murielle Le Goff, qui a longtemps travaillé avec des femmes victimes de violences conjugales à Adalea. Un débat très suivi, auquel les acteurs de la troupe ont participé activement, et qui a suscité de très nombreuses questions dans le public. Anne Cojean, responsable de la troupe, souhaiterait que cette pièce soit diffusée notamment auprès des publics jeunes (en particulier les lycées) : il s’agit en effet d’un remarquable outil de sensibilisation et de prévention, et plus on agit tôt, plus on a des chances de venir à bout de ce fléau qui continue à sévir, malgré les campagnes de prévention et malgré une arsenal législatif qui s’enrichit progressivement et permet aujourd’hui aux femmes de trouver plus facilement l’aide et la protection dont elles ont besoin.

Le spectacle est toujours disponible : renseignements auprès de Cac Sud 22 (Rue Nationale, 22600 Saint-Caradec, 02-96-28-93-53). La pièce sera jouée samedi 30 novembre, à la salle des fêtes de Scaër, invitée par l’association l’Abri cotier, qui s’occupe de femmes victimes de violences.

Rétention : une politique massive d’enfermement et d’expulsion confirmée (CIMADE)

Communiqué de la Cimade, après la publication du nouveau marché public sur l’intervention associative en centres de rétention.

Le nouveau marché public qui régit l’intervention associative dans les centres de rétention vient d’être publié. Il traduit la volonté de poursuivre une politique similaire à celle conduite en 2012.

Ce marché a pour objet de garantir aux personnes enfermées une aide à l’exercice de leurs droits. Présente dans 12 centres de rétention sur les 25 existants, La Cimade assure cette mission, porte un regard vigilant et témoigne au quotidien des atteintes aux droits fondamentaux dont sont victimes les personnes étrangères.

Fin 2012, le nouveau gouvernement annonçait une remise à plat du dispositif d’expulsions au travers d’un marché reconfiguré dans sa globalité. Un marché transitoire a donc été conclu dans l’intervalle.

Pourtant, l’appel d’offres fraichement publié démontre la volonté du gouvernement de faire tourner la machine à expulser à plein régime. 24 des 25 centres de rétention demeurent ouverts et de même taille. La prévision du nombre de personnes qui y seront enfermées est basée sur les chiffres des années 2011-2012, une référence lourde de sens s’agissant d’une période où les expulsions ont été particulièrement massives.

Sur le terrain, la continuité de cette politique se traduit chaque jour par la violation des droits fondamentaux des personnes ou par des pratiques inhumaines. Les exemples récents s’enchaînent : séparation des familles, expulsion d’étrangers malades, charters quasi hebdomadaires.

Enfin, Mayotte, 101ème département, continue à subir un régime d’exception à l’abri des regards. Le marché ne prévoit pas d’aide à l’exercice des droits dans le pire des centres de rétention de France. Ce dernier rassemble à lui seul autant de personnes enfermées chaque année que dans tous ceux de la métropole réunis. Mayotte, où le régime dérogatoire, déterminé par ordonnance, prive les personnes étrangères expulsées de quasiment tout droit.
La Cimade appelle une nouvelle fois le gouvernement à une refonte urgente de sa politique migratoire, notamment pour s’engager vers la fermeture des centres de rétention.

Dimanche 27 octobre, théâtre à Plumieux : « j’ai jeté ma baleine à la mer », des mots sur les maux des femmes

Dimanche 27 octobre, à 15h, la troupe de théâtre engagé du Cac Sud 22 « les poules qui lèvent la tête » jouera sa pièce « J’ai jeté ma baleine à la mer », à la salle des fêtes de Plumieux, invitée par la section de Loudéac centre Bretagne de la Ligue des Droits de l’Homme.

Les violences faites aux femmes, qu’elles aient lieu dans le cadre conjugale ou ailleurs, sont un problème majeur que les différentes campagnes menées par les gouvernements successifs ou par les associations ne parviennent pas à résoudre.

La pièce de théâtre « j’ai jeté ma baleine à la mer » traite de ce problème. Elle est originale à plus d’un titre. Par son histoire d’abord : il s’agit du témoignage direct d’une femme victime, qui a accepté que la troupe de théâtre engagé « les poules qui lèvent la tête » le mette en scène. Et précisément, la mise en scène de la pièce est elle aussi originale, et parvient à sensibiliser le spectateur souvent de façon très subtile.

Les acteurs expliquent que «  cette pièce a été écrite pour dénoncer, faire prendre conscience et éventuellement tendre la main aux victimes ». Durant une heure ils dénoncent les cinq formes de violences faites aux femmes : les coups, le viol, la violence verbale, la violence psychologique, la violence économique (ou financière). Les acteurs ont mis en scène toutes ces formes de violence, ils les jouent sous forme de saynètes. Elles sont mises en lumière par une création forte et originale, accompagnée de musiques adaptées et liées par le témoignage enregistré d’une femme, victime, il y a plus de 25 ans et qui a accepté de participer à leur aventure.

La pièce tourne depuis 2009, elle a été jouée dans la région mais aussi à Saint-Malo, Dinan, Paimpol et à chaque représentation, le public est bouleversé par  la justesse de l’analyse et la qualité de la mise en scène et du jeu des acteurs.

Après la pièce, les acteurs se tiendront à la disposition du public pour échanger dans le cadre d’un débat animé par  la section Loudéac centre Bretagne de la Ligue des droits de l’Homme, et  l’association ADALEA, avec Manuela Charles, directrice, et Muriel Le Goff, coordinatrice du pôle hébergement, qui a longtemps travaillé avec des femmes victimes de violences.

Ci-dessous, la bande annonce de la pièce.

Entrée, 5€.

httpv://youtu.be/8Xb5z_EZC2g

La France condamnée par la CEDH pour des expulsions de familles du voyage

La cour européenne des droits de l’Homme vient de condamner une nouvelle fois la France, dans un arrêt qu’elle a rendu le 17 octobre dernier, et dans une affaire d’expulsions de familles du voyage : « L’expulsion de gens du voyage des terrains sur lesquels ils étaient établis de longue date a violé leur droit au respect de leur vie privée et familiale et de leur domicile » titre la cour dans la présentation de son arrêt. Elle rappelle les faits : Les requérants sont d’une part vingt-cinq ressortissants français, en leur nom et au nom de leurs enfants mineurs et d’autre part le Mouvement ATD Quart Monde. Pour la plupart issus du monde du voyage, les requérants résident sur la commune d’Herblay (Val d’Oise). Les 95 personnes concernées logeaient sur des terrains appartenant à la commune depuis de nombreuses années, ou y étaient nées. En 2003 et 2005 le maire prit deux arrêtés, interdisant le stationnement de caravanes sur la commune. En 2004, le maire assigna les personnes en référé, mais le juge rejeta la demande, du fait que ces familles habitaient là bien avant le plan d’occupation des sols le leur interdisant. Après de nombreuses péripéties judiciaires, le dossier a enfin été examiné par la cour européenne des droits de l’Homme, dont l’arrêt conclut :

« La Cour conclut qu’il y a eu, pour l’ensemble des requérants, violation de l’article 8 dans la mesure où ils n’ont pas bénéficié dans le cadre de la procédure d’expulsion d’un examen convenable de la proportionnalité de l’ingérence dans leur droit au respect de leur vie privée et familiale et de leur domicile conforme aux exigences de cet article. Il y a eu également violation de l’article 8 pour ceux des requérants qui avaient demandé un relogement sur des terrains familiaux, leurs besoins n’ayant pas été suffisamment pris en compte ». (l’arrêt peut être téléchargé ici).

La Ligue des droits de l’Homme se réjouit bien évidemment de cet arrêt, et l’explique dans une communiqué qu’elle vient de publier :

« Dans un arrêt du 17 octobre 2013, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a condamné la France pour violation de l’article 8 (droit à la vie privée et familiale, et droit à un domicile) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, à propos d’expulsions de familles du voyage. La Ligue des droits de l’Homme se réjouit de pouvoir disposer, dans son action, d’une telle jurisprudence.

Au-delà des faits de l’espèce, la Cour rappelle que la perte d’un logement est une des atteintes les plus graves au droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile, droit fondamental pour garantir à l’individu la jouissance effective des autres droits fondamentaux qui lui sont reconnus. Son importance cruciale pour l’identité de la personne, l’autodétermination de celle-ci, son intégrité physique et morale, le maintien de ses relations sociales ainsi que la stabilité et la sécurité de sa position au sein de la société oblige l’Etat à des actions positives de relogement, lorsque l’expulsion s’avère absolument nécessaire.

Comme le souligne la Cour, des textes internationaux ou adoptés dans le cadre du Conseil de l’Europe insistent sur la nécessité, en cas d’expulsions forcées de Roms et Gens du voyage, de leur fournir un relogement. Leur vulnérabilité implique d’accorder une attention spéciale à leurs besoins et à leur mode de vie propre.

Cet arrêt porte condamnation des pratiques passées et actuelles de l’Etat en la matière. Celles-ci, faites au mépris des engagements internationaux et européens de la France, doivent immédiatement cesser. La LDH saura utiliser, autant que de besoin, un arrêt dont elle espère que le gouvernement français prendra toute la mesure. »

 

 

L’Association européenne de défense des droits de l’Homme écrit aux chefs d’Etat avant le sommet européen

Un sommet européen se tient les 24 et 25 octobre. La question de l’immigration figure à l’ordre du jour du sommet. L’association européenne pour la défense des droits de l’Homme a adressé un courrier aux chefs d’Etats et de gouvernements qui doivent y participer, pour leur rappeler que l’Europe a un devoir de protection à l’égard des réfugiés qui quittent leurs pays simplement pour sauver leur vie. La réponse faite aux drames successifs de Lampedusa, qui se résument à une augmentation des contrôles des frontière est un scandale qui a été dénoncé par de nombreuses associations. Ce courrier rappelle leurs devoirs aux responsables européens.

Lettre aux Chefs d’État et de gouvernement pour le Conseil européen des 24 et 25 octobre 2013

Bruxelles, 23 octobre 2013

Au lendemain du naufrage qui a coûté la vie a plus de 300 personnes à proximité des côtes de l’îIe de Lampedusa le 3 octobre, l’Association Européenne pour la Défense des droits de l’Homme (AEDH), avec un grand nombre d’organisations du sud et du nord de la Méditerranée, a interpellé l’opinion sur la responsabilité des États européens et des pays qui collaborent à la politique migratoire de l’UE (lire ici la tribune : « L’Europe assassine » parue dans Libération du 4 octobre 2013), et les membres du Parlement européen sur le rôle joué par l’Agence européenne des frontières, Frontex (voir le communiqué : « Frontex : surveiller ou sauver des vies ? » du 9 octobre 2013)

A la veille du Conseil européen, l’AEDH demande aux chefs d’État et de gouvernement de renoncer aux politiques sécuritaires et répressives qui ont jusqu’ici tenu lieu de politique d’asile et d’immigration.

Les deux récents naufrages près des côtes italiennes de bateaux transportant des personnes migrantes ont couté la vie a près de 400 personnes. Ils ont ouvert un débat sur les politiques européennes d‘asile et d‘immigration et suscité les réactions officielles de représentants de la Commission européenne et de responsables politiques des États membres appelant à une réforme de ces politiques.

Le souhait des responsables politiques européens de renforcer les moyens de l’agence Frontex inquiète les organisations de la société civile qui travaillent pour le respect des droits des personnes migrantes. C’est une fausse solution. En effet, Frontex n‘a pas pour mandat le secours en mer ou la protection des droits des personnes migrantes. Les morts en mer n’ont cessé d’augmenter ces dernières années malgré l’augmentation des moyens de cette agence. Frontex est le symbole de politiques européennes répressives qui criminalisent le fait migratoire (pénalisation du séjour irrégulier; rétention administrative; considérations administratives passant avant les besoins de protection internationale).

Le Sommet européen des 24 et 25 octobre représente une occasion pour l‘Union européenne de lancer un débat sur le changement d’orientation des politiques européennes d’asile et d’immigration.

Une approche répressive des migrations internationales, en décalage avec la réalité

Depuis plus de dix ans, la fermeture des voies d’accès légales au territoire européen s’est accompagnée de la mise en place de mesures répressives visant à empêcher les migrants, réfugiés et demandeurs d’asile d’accéder au sol européen. Entre janvier 1993 et mars 2012, plus de 16 000 personnes sont mortes aux frontières de l’UE.

L’Union européenne n’est pas menacée par des flux migratoires qui iraient uniquement du Sud vers le Nord. La part des migrations internationales est restée stable ces 50 dernières années, autour de 3% de la population mondiale ; 1/3 seulement de ces migrants internationaux s’est déplacé d’un pays en développement à un pays développé. De plus, sur 15 millions de réfugiés dans le monde, 4/5 sont accueillis par des pays en développements ; l’Afrique sub-saharienne a elle seule accueille 25% des réfugiés dans le monde, et l’Union européenne 15%. Construit sur la base d‘analyses erronées, l’objectif irréaliste d‘une étanchéité des frontières a servi de ligne directrice a la politique migratoire de l’Union européenne depuis 2002. L’absence de voies d’entrée légale sur le territoire européen a renforcé  les réseaux de trafic de traite des êtres humains. L‘externalisation des contrôles migratoires s’est traduite par la délocalisation et la sous-traitance des contrôles des frontières européennes aux pays voisins de l’UE, sans aucune garantie en termes de respect des droits des personnes migrantes, des réfugiés et des demandeurs d’asile.

La coopération avec les pays tiers s’est trop souvent traduite par l’utilisation de l‘Aide Publique au Développement à des fins de contrôle des flux migratoires, souvent en échange de la signature d’accords de réadmission. Les pays membres de l‘UE n’ont pas hésité a signer des accords avec des dictateurs, notamment en Tunisie et en Libye. L’Agence Frontex a été mise en place en 2005 pour contrôler les frontières extérieures : au fur et à mesure que son budget a augmenté, le nombre de morts en Méditerranée a augmenté en parallèle (source: Migreurop). Frontex, qui a une personnalité juridique, peut aujourd’hui signer des accords avec les pays tiers sans validation préalable du parlement européen. Ces accords visent à détecter les migrants en amont dans les pays frontaliers et entrainent des pratiques qui violent les droits fondamentaux des migrants : violation du droit d’asile et du principe de non refoulement ; enfermement sans base légale ; non accès à un avocat et non effectivité des droits ; traitements inhumains et dégradants ayant entrainé la mort de plusieurs migrants.

Changer le paradigme de la politique migratoire européenne

Il est urgent d‘agir au niveau européen en réaffirmant l’intangibilité du droit international : les pays membres de l’Union européenne ont signé la convention de Genève sur la protection des réfugiés : seule une application effective de cette convention, notamment par la délivrance de visas, permettra d‘éviter les drames en Méditerranée. L’UE ne doit pas confier la responsabilité des demandeurs d’asile et des réfugiés aux pays tiers qui ne leur assurent aujourd’hui aucune protection effective. Cela pousse les personnes fuyant les conflits, comme les Syriens, ou les réfugiés du camp de Choucha en Tunisie, et prendre la mer au péril de leur vie. Au contraire, les États membres doivent renforcer la solidarité entre eux et ne pas laisser assumer l‘accueil des réfugiés aux seuls pays européens situés sur les frontières extérieures. Le rôle de l’Agence Frontex doit aussi être questionné : il ne s’agit pas d’une agence de secours en mer mais bien d’un instrument répressif charge d’empêcher les migrants, demandeurs d’asile et réfugiés d’entrer en Europe. Les moyens qui lui sont dévolus n`assurent pas la protection des personnes en mer, protection pourtant garantie par les conventions internationales. Des cas de non-assistance a personne en danger ont été rapportés, tandis qu’un flou absolu règne sur la prise en charge des personnes interceptées

Enfin le soutien aux pays du sud de la Méditerranée ne doit pas s’inscrire dans une dynamique de contrôle des flux migratoires, mais dans une coopération d’égal à égal entre pays partageant historiquement un même espace commun ou échanges humains, culturels, économiques ont toujours été la règle. À ce titre les Partenariats pour la mobilité proposés à plusieurs pays de la région après les révolutions en Tunisie et en Égypte sont totalement déséquilibrés, et tournés uniquement vers l’intérêt de l‘Union européenne. L’Europe doit porter une autre vision de la coopération avec ses voisins au sud de la Méditerranée.

  1. Migreurop (2012) Atlas des migrants en Europe. Géographie critique des politiques migratoires, Paris, Armand Collin
  2. Chiffres : rapport du PNUD 2009, Lever les barrières, mobilité et développement humain
  3. Haut-Commissariat des Nations Unies aux réfugiés, rapport 2012 par Frontex et notamment leur accès effectif au droit d‘asile. Frontex est l’une des causes des morts en mer : pour éviter ses patrouilles, les embarcations prennent des routes de plus en plus longues et dangereuses.

 

Le conseil constitutionnel ne reconnaît pas « l’objection de conscience » des maires contre le mariage homo

C’est fait : le conseil constitutionnel a validé la loi sur l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe. Les maires « objecteurs de conscience » vont donc être contraints de laisser la loi s’appliquer : c’est tout ce qu’on leur demande, mais c’est, semble-t-il beaucoup pour eux…

Le journal Mariane met un bémol en rappelant le 10ème article de la déclaration des droits de l’Homme d’août 1789 : «nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas lordre public établi par la loi». Certes. Mais cet article précise bien : « pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». Il semble bien qu’empêcher un mariage troublerait l’ordre public.

Les fanatiques homophobes de la manif pour tous et autres gesticulations en sont donc pour leurs frais. Ils feront peut-être (sans doute ?) appel à la justice européenne ? C’est en tout cas ce qu’annonce le collectif des « maires pour l’enfance » qui a l’intention d’aller plaider sa cause devant la cour européenne de justice. On entend beaucoup moins ces maires s’indigner contre les expulsions d’enfants vers des pays où leur sécurité, parfois même leur vie sont menacées… Il y a comme ça des indignations sélectives… On piaffe d’impatience d’entendre la réaction de Frigide Barjot !

 

Leonarda solidaire de ses frères et soeurs

Léonarda va pouvoir, « si elle en fait la demande », poursuivre sa scolarité en France. Soit. Mais elle ne pourra rentrer en France que « seule ».

Seule, ça veut dire sans ses parents.

Seule, ça veut dire qu’elle aura le statut de « mineure étrangère isolée ». Pas brillant, mais bon.

Seule, ça veut aussi, et peut-être surtout, dire sans ses frères et sœurs.

Ils ne mériteraient donc pas la clémence du président ?

Curieuse décision. Ou plutôt décision très claire : d’un côté on veut calmer ces lycéens chahuteurs et leur permettant de retrouver leur copine, et de l’autre, on flatte le meilleur apprenti sorcier de France, par ailleurs ministre de l’intérieur.

Et on pense sans doute que ça fera reculer le front national…

Le conseiller général de Brignoles a été élu il y a moins d’une semaine,  et on a l’impression que la leçon est déjà oubliée…

Le président de la République avait l’occasion de se situer clairement par rapport au problème (est-ce vraiment un problème ? Ne serait-ce pas plutôt une chance ?) de l’immigration… occasion ratée… une de plus.

Evidemment, les critiques fusent de toute part.

Leonarda a déjà pris sa décision : elle reste avec sa famille, elle reste avec ses frères et sœurs. Elle prouve une nouvelle fois qu’elle est une fille bien. Elle aurait pu faire du bien à la République : on l’en empêche.

Elle va mal, la République !

Journée mondiale du refus de la misère à Loudéac (22) : conférence passionnante de Michel Miné

Michel Miné, à gauche, et Daniel Bessonnat, modérateur, à droite.

Organisée par le conseil général des Cötes d’Armor, la version loudéacienne de la journée mondiale du refus de la misère s’est déroulée en deux temps.

Jeudi 17 octobre, Michel Miné, responsable avec Nadia Doghramadjian du groupe de travail sur les discriminations à la Ligue des droits de l’Homme a traité de la reconnaissance de la discrimination basée sur la misère, au cours d’une conférence passionnante qui, malgré un auditoire qui aurait mérité d’être plus nombeux, a soulevé de nombreuses questions. Michel Miné, après avoir montré la complexité du problème, a insisté sur un outil trop rarement utilisé pour défendre les droits : le droit européen, qui peut dans de nombreuses situations, pallier les insuffisances du droit national, y compris dans des situations de discriminations basées sur l’origine ou la condition sociales. La vidéo de la conférence sera mise en ligne sur ce site en début de semaine prochaine.

Vendredi midi 18 octobre, c’est une soupe partagée qui a rassemblée le public. Servie par des élèves du lycée Xavier-Grall et de la maison familiale au foyer municipal de Loudéac, elle a été l’occasion pour les associations partenaires de l’opération d’exposer leurs documents et travaux, et d’échanger. Le puzzle réalisé par la section Loudéac centre Bretagne de la Ligue des droits de l’Homme a une fois encore rencontré un vif succès.

 

Léonarda : l’expulsion de trop ?

L’expulsion de trop ? en tous cas, l’expulsion de la jeune lycéenne Léonarda Dibrani vers le Kosovo continue de soulever indignation et colère un peu partout : dans les associations de soutien aux demandeurs d’asile, évidemment, mais aussi jusqu’au parti socialiste, qui jusqu’ici, soutenait le ministre de l’intérieur dans tous ses errements. Et aujourd’hui, ce sont les lycéens qui se mobilisent pour faire revenir leur camarade. La Ligue des droits de l’Homme vient d’ailleurs de leur apporter son soutien avec un communiqué publié en début d’après-midi (lire en fin d’article).

Survenant après les deux drames successifs de Lampedusa (plusieurs centaines de demandeurs d’asiles morts pendant une traversée), l’histoire de Léonarda réunit effectivement tous les ingrédients pour soulever cette indignation. Et ce ne sont pas les déclarations du ministre qui affirme que tout s’est déroulé avec « humanité »… cela fait un peu penser, toutes proportions gardées,  au récit de l’exécution du dernier condamné à mort par une magistrate qui y a assisté :  elle raconte que, le condamné, à quelques secondes de la mort, demandant une troisième cigarette, le boureau répond « On a déjà été très bienveillants avec lui, très humains, maintenant il faut en finir », avant de l’exécuter, avec humanité évidement. Et cela fait aussi penser à la réponse de l’Europe aux drames de Lampédusa : sa seule préoccupation reste la sécurité des frontières.

On annonce une enquête administrative pour définir les responsabilités dans cette affaire. Il s’agira sans doute de trouver un fusible, en la personne d’un policier un peu zélé. Mais le véritable responsable de ce scandale, on le connaît : c’est le ministre, qui, même s’il n’a pas piloté personnellement la procédure qui a conduit à l’expulsion de la jeune fille, a créé par ses déclarations successives les conditions qui ont permis que cela se déroule ainsi. N’oublions pas que Leonarda n’est pas seulement étrangère : elle est aussi Rom…

Un blogueur, François Delapierre, rappelle très opportunément les déclarations de M. Valls dans un livre qu’il a écrit en 2008 : « Le jour où j’accepterai qu’on piège des sans-papiers pour les virer de chez nous (…) je serai foutu. Il faudra mieux que je fasse autre chose.  » « Et la droite c’est quoi ? C’est la saloperie qui consiste à convoquer un mec pour le piéger ? C’est cela incontestablement. Oui c’est une vision assez cynique de ce que peut être le rôle de l’Etat. Ça, c’est la droite. »

Communiqué de la Ligue des droits de l’Homme :

Arrêter la Valls des expulsion

La Ligue des droits de l’Homme salue la mobilisation des lycéens qui manifestent aujourd’hui en France, en soutien à Leonarda Dibrani et Khatchik Kachatryan, et se tient résolument à leurs côtés.

Devant l’interpellation de collégiens ou lycéens étrangers dans leur environnement scolaire, la LDH réaffirme le droit à la scolarité et à la vie en famille des jeunes étrangers.

La LDH le répète : il est temps de rompre avec les politiques migratoires du passé, politiques qui piétinent des droits fondamentaux, tel le droit à l’éducation, politiques qui nourrissent les discriminations et les discours de haines racistes.

Il est grand temps que le gouvernement rompe avec ces politiques du passé, pour faire respecter les droits des mineurs isolés étrangers, des enfants scolarisés, des familles, des travailleurs étrangers, afin de faire vivre la solidarité et la fraternité.