Flash-ball contre manifestants : sortir de l’impunité !

Le candidat sortant sort de son chapeau « une présomption de légitime défense », qui a le mérite de bien faire rigoler tous les juristes. Il y a quelques jours, un procès s’est tenu à Nantes : celui d’un policier auteur d’un tir de flash-ball qui a provoqué la perte d’un oeil à un jeune manifestant. Le policier a été relaxé. La Ligue des droits de l’Homme s’était constituée partie civile dans cette affaire, et elle accompagnera le jeune homme en appel : il faut lui reconnaître le statut de victime, et l’usage de cette arme doit être reconnu dangereux. Voici le communique publié à cette occasion par la LDH.

Communiqué LDH

Flash ball contre manifestants : sortir de l’impunité !

Le 27 novembre 2007, un lycéen âgé de 16 ans était grièvement blessé à l’œil alors qu’il participait à une manifestation à Nantes contre la loi Pécresse sur « les libertés et responsabilités des universités ». La blessure a entraîné une incapacité totale de travail de six mois. L’acuité visuelle de l’œil de l’intéressé est presque totalement perdue, sans amélioration possible

L’intéressé et sa famille ayant porté plainte ; le 3 avril 2012, le tribunal correctionnel de Nantes a jugé que la blessure avait bien été occasionnée par l’usage d’une arme − un lanceur de balle de défense, à l’époque en cours d’expérimentation, proche du Flash-ball − par une personne dépositaire de l’autorité publique dans l’exercice de ses fonctions.

Cependant, le policier auteur du tir a été relaxé par le tribunal. En effet, l’ordre de tirer ayant été donné par un supérieur hiérarchique, le policier n’est pas pénalement responsable sauf si cet acte est manifestement illégal.

Or, pour le tribunal, tirer avec une arme de type Flash ball sur un manifestant n’est pas illégal dès lors que le tir a été réalisé dans un temps voisin de jets de projectiles en direction de la police, et avait pour finalité de les faire cesser dans le cadre d’une opération de maintien de l’ordre.  Enfin, il aurait été enseigné au policier que l’emploi de cette arme était justifié dans un tel cadre. Dès lors, il ne pouvait pas savoir que cette arme était susceptible de causer une blessure aussi grave.

Pour le tribunal, la blessure du manifestant a été occasionnée dans le cadre d’une opération de police administrative et les demandes de la victime ne sont pas de la compétence d’un tribunal pénal mais d’un tribunal administratif. Le tribunal a reçu la constitution de partie civile de la LDH, mais, compte tenu de la relaxe prononcée, elle a été déboutée de ses demandes.

Quand ils  protestent ou manifestent, les étudiants et lycéens, expriment comme les adultes, une des nombreuses formes de la citoyenneté, de la démocratie et de leur apprentissage. Dans un conflit social et collectif, comme dans une manifestation, les comportements individuels se situent, et doivent être restitués dans leur dimension d’implication collective.

L’action de la police ne doit pas avoir pour effet de dissuader les citoyen(ne)s de participer à des manifestations, car c’est une des libertés fondamentales que de pouvoir contester collectivement ce que l’on estime injuste. Le droit de manifester n’est pas respecté si les manifestants peuvent être gravement blessés.

Plusieurs manifestants, jeunes pour la plupart, ont été gravement blessés, ces dernières années, du fait de tirs de Flash-ball. Cette situation doit cesser. Les jeunes ne sont pas une classe dangereuse dont il faudrait avoir peur. La police doit accomplir sa mission de service public et de maintien de l’ordre, de manière adaptée et proportionnée. A défaut, si des abus sont commis dans l’exercice des compétences policières, ceux-ci constituent des violences policières illégitimes, qui, dans un Etat de droit, doivent être condamnées.

Le Flash-ball est une arme de tir. L’utilisation de cette arme ne peut être légitime dans les conditions d’une manifestation comme celle du 27 novembre 2007 qui a abouti à la mutilation d’un jeune âgé de 16 ans. Depuis, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) a recommandé « de ne pas utiliser cette arme lors de manifestations sur la voie publique [estimant] qu’elle présente un degré de dangerosité totalement disproportionné ». Le Défenseur des droits, qui a succédé à la CNDS, « recommande aux responsables policiers de s’interroger sur l’opportunité d’emploi de tous les lanceurs de balles de défense ».

La procédure judiciaire ne doit pas se terminer par une relaxe qui deviendrait une référence pour l’avenir. Il n’est pas acceptable que la très grave blessure de ce jeune du fait de l’utilisation du Flash-ball, demeure impunie et que son statut de victime ne soit pas reconnu. La Ligue des droits de l’Homme accompagnera les actions demandant à la justice de se prononcer sur l’illégitimité de l’utilisation d’une arme de tir comme le Flash-ball lors de manifestations, d’affirmer que cette utilisation est un abus qui doit être condamné dans un État de droit.

 

Quand les mots n’ont plus de sens

Le numéro de mars de la revue trimestrielle de la Ligue des droits de l’Homme, « Hommes et libertés », s’ouvre sur un éditorial signé par son président, Pierre Tartakowsky. Écrit au début de la campagne pour l’élection présidentielle, et, de surcroît, avant les tueries de Montauban et de Toulouse, le texte a conservé une actualité saisissante, et le lire aujourd’hui, à la lumière de ce qui s’est passé depuis sa rédaction, lui apporte une autre dimension.

Entendre le président de la République se présenter comme candidat du peuple, en figure de la France qui se lève tôt, en apôtre du gagner plus…

Entendre Jean-François Copé expliquer, main sur le cœur, que la crise – que dis-je ? – les crises, étaient totalement imprévisibles.

Entendre un ministre de l’intérieur, intime parmi les intimes du Président, expliquer que certaines civilisations valent « évidemment « mieux que d’autres…

On peut évidemment en rire, tant les ficelles sont grosses et la pensée épaisse. Et miser sur le bon sens politique du peuple, sur l’expérience pour estimer que ces boniments de bas étage trouveront bientôt leur juste sanction électorale.

On peut aussi s’inquiéter. Du contenu même des propos tenus, tant ils sont incroyablement racoleurs et mensongers. Qui pourrait accepter l’idée que les crises financières étaient « imprévisibles », alors même que des dizaines d’ouvrages entassés sur les rayons de nos bibliothèques en avaient, à l’avance, démonté les mécanismes? Qui pourrait avaler que Nicolas Sarkozy est un enfant des faubourgs ouvriers, «très simple », comme le confie si délicieusement sa femme aux médias qui veulent bien l’entendre ? Qui voudrait, enfin, croire que ce gouvernement a pris le parti du travail et non des acteurs de la mondialisation financière?

Notre inquiétude va plus loin.

Aussi étrange que cela puisse paraitre à l’ère de la société du spectacle, nous considérons qu’il n’est pas fatal que la démocratie chemine aux côtés de la démagogie, et moins encore d’une anomie portée à un niveau de saturation permanente.

Tordre les mots pour piétiner le réel

La campagne présidentielle est loin d’être terminée, au moment où nous écrivons ces lignes, mais elle aura été marquée par deux séquences politiques assez singulières en termes de représentation.

La première, évoquée par l’image du «capitaine à la barre», visait à nous présenter un président de la République trop absorbé par les tâches urgentes de la conjoncture pour se livrer au jeu de la démocratie. Les alternatives possibles, les débats d’idées, la possibilité même d’une rupture avec les dogmes en cours, tout cela était renvoyé au domaine du futile : foin de bavardages, en quelque sorte. il faut insister sur la violence symbolique et politique que cela constitue, de la part d’un élu aux affaires depuis dix années, et président de la République depuis cinq !

La seconde phase, tout aussi catastrophique pour l’idée démocratique, a été constituée par ce que l’on a appelé la «droitisation » du discours – réaffirmation de la hiérarchie entre les civilisations, Dénonciation de l’immigration comme « problème », centralité de la viande hallal… -,doublée d’un populisme débridé avec la condamnation convenue des retraites chapeau, et autres outrances » de la finance ».

Ces deux moments partagent en commun de tordre les mots pour mieux piétiner le réel. Là est le risque majeur.

Certes, ni le mensonge ni l’approximation ne sont des maux nouveaux en démocratie; mais la systématisation de leur mésusage, alliée aux souffrances qui travaillent le corps social, constituent un mélange stuporeux, pathogène.

Dit plus simplement, le risque est énorme que les gens n’y comprennent plus rien, pire encore, qu’ils doutent de tout. Cette pédagogie de la désespérance est déjà à l’œuvre ; elle se lit dans l’abstention, elle nourrit les dérives les plus outrancières, les plus régressives. Car si plus rien n’est vrai, plus rien n’est faux et tout se vaut. Dans ces conditions, pourquoi ne pas expérimenter le Front national? Pourquoi ne pas sortir de l’euro, revenir au franc, taxer les chômeurs, expulser plus encore et toujours plus? Ainsi l’hubris sarkozienne conduit-elle tout droit à une novlangue à la puissance dix, un monde d’apparences, d’autant plus cruel et injuste qu’il n’est que d’apparences: un débat mais sans raison, un ordre mais sans justice, une démocratie mais sans sanction populaire…

Une presse qui rassemble les intelligences

Dans ce contexte assez délétère, la presse écrite nationale, si l’on excepte Le Figaro, tristement ramèné par son propriétaire à un rôle de chien couchant, joue un rôle d’éclairage non négligeable. Au gré de la crise de la représentation politique, elle en est venue a assumer un rôle nouveau, de « rassembleur d’intelligences », au travers de grandes réunions nationales, tables rondes, rencontres d’intellectuels. C’est un phénomène relativement neuf auquel il convient de réfléchir, tant il témoigne d’un intérêt pour un débat d’idées au détriment d’une information jugée comme trop pauvre, trop uniforme. À cet égard, la vigueur de la presse Internet, notamment avec Mediapart, doit également être soulignée.

En ce sens, la réflexion sur les médias, les contradictions qui les traversent, les rapports de connivence et de pouvoir qu’ils entretiennent à la représentation politique ne cessent de se modifier, contraignant ainsi les citoyens à revisiter en permanence l’analyse qu’ils ont de leur fonctionnement.

Reste que le réel n’est pas fait d’apparences. Un élément frappant de la présente phase électorale tient sans doute au décalage fascinant qui se confirme, de sondage en sondage, entre les efforts médiatiques du Président sortant, ses «coups », « sorties » et autres petites phrases calibrées, et l’impact négligeable qu’ils ont sur l’opinion publique. La crise, évoquée comme un mantra par Nicolas Sarkozy pour échapper à ses responsabilités, pèse réellement et appelle de vraies réponses, de celles qui, justement, passent par de vrais débats, peuplés de mots ayant un sens, et permettant de ce fait d’échanger des désaccords qui valent toujours mieux que des malentendus.

Hugo, en son temps, se targuait d’avoir « mis un bonnet rouge au dictionnaire ». Sans doute est-il temps de penser aux bonnets que nous entendons faire portera la représentation politique, aux mots qu’elle choisira pour incarner son projet, au fonctionnement médiatique qui en assurera la vitalité en l’exposant aux vents salutaires de la confrontation.

Cet éditorial, écrit avant les tueries de Montauban et de Toulouse, n’a pas été modifié. À sa façon, il en éclaire le contexte.

 

La démocratie maintenant : appel pour un front républicain

Après avoir publié une lettre ouverte à N. Sarkozy, Pascal Maillard prolonge aujourd’hui sa démarche par un appel qu’il justifie ainsi : « Cet article qui prend la forme d’un appel pour un Front républicain contre Sarkozy et l’extrême droite constitue le prolongement de « Nous n’oublierons pas ! », Lettre ouverte au Président Sarkozy. Il sera suivi d’un troisième volet, à paraître le 1er mai. Ces contributions offertes à Mediapart sont sans lien avec quelque parti politique que ce soit. Il s’agit à chaque fois d’un engagement libre et citoyen. Je dédie ces textes à tous les étudiants étrangers qui ont eu et ont encore à souffrir de la politique d’expulsion voulue par le président Sarkozy et mise en œuvre par son gouvernement ».

Voici cet appel, consultable également ici.

Pétain a multiplié les timbres à son éfigie, tout comme les pièces de monaie

Quelle que soit l’issue du scrutin du 6 mai, la volonté de Nicolas Sarkozy de mener campagne sur le terrain de l’extrême droite et d’en assumer les thèses aura des conséquences majeures sur l’avenir de la démocratie en France et en Europe. Une recomposition profonde du paysage politique est en cours. Elle répond à la volonté du Président qui a dès longtemps fait le choix de suivre la stratégie de son idéologue, Patrick Buisson, et de la nouvelle « famille politique » de l’UMP, les « patriotes » de la Droite populaire (43 élus). Ce choix, nul n’en doute plus aujourd’hui, sera assumé jusqu’à son terme. Les conséquences en seront incalculables s’il n’est pas mis un point d’arrêt à la plus grave dérive idéologique qu’a connue la France depuis 70 ans. La radicalisation à droite du président Sarkozy, encore en exercice, est extrême et sans limites. Elle transgresse toutes les valeurs de la république et appelle en urgence un sursaut démocratique, de tous les républicains, de droite, du centre, comme de gauche. Un Front républicain contre Sarkozy et l’extrême droite, contre l’idéologie d’extrême droite que porte et qu’incarne désormais le président-candidat, est devenu aujourd’hui une impérieuse nécessité.

Tout citoyen, tout observateur, historien ou non, est en mesure de constater que le discours de Nicolas Sarkozy réactive sciemment les principaux schèmes idéologiques des régimes politiques les plus sombres, en particulier le régime de Vichy.

La devise instituée par Pétain, « Travail, Famille, Patrie », et le continu même entre ces trois concepts, ont été placés au cœur des discours des 23 et 24 avril, et repris dans celui du 25 avril. Ces trois discours, extrêmement proches dans leur forme et leur contenu, sont exemplaires de la logique du renversement qui est au cœur de la manipulation qu’entend exercer Nicolas Sarkozy sur l’opinion publique et les français les moins vigilants. Cette manipulation et cette dérive antirépublicaine doivent être vigoureusement dénoncées.

Le danger d’un pouvoir d’extrême-droite en France est aujourd’hui une réalité. L’enjeu n’est rien moins que la survie de nos valeurs démocratiques. Il suffit pour le comprendre d’analyser la rhétorique du président-candidat. Elle est, formellement et explicitement, une rhétorique d’extrême droite, adossée à une idéologie d’extrême droite. L’euphémisme de « droite extrême » n’est plus de mise. Et ce serait une grave erreur d’analyse que de soutenir la thèse selon laquelle Nicolas Sarkozy et l’UMP courent conjoncturellement après les voix du Front National avec seulement une visée électoraliste. La pensée d’extrême droite est structurelle chez Nicolas Sarkozy. Elle fait système. La politique sécuritaire qu’il conduit depuis 10 ans et la xénophobie d’Etat qu’il a mises en œuvre pendant son quinquennat en sont les illustrations les plus fortes. Démonstration en a été faite. Les discours de ces trois derniers jours montrent que le Roi est nu.

Aujourd’hui, en ce début de campagne électorale du second tour, la grossièreté et la radicalité des procédés de la rhétorique sarkoziste n’ont d’égal que sa tentative pour rendre les Français amnésiques. Tout comme sa rage d’être réélu n’a d’égal que sa volonté de conserver une précieuse immunité. Il est donc stratégique que tous les discours de Sarkozy répondent à cette nécessité de faire oublier son bilan, rappelé ici, dans une lettre ouverte. Pour cela Nicolas Sarkozy met en œuvre ce qu’on pourrait appeler un palimpseste des oublis : faire oublier les résultats du premier tour pour faire oublier son bilan politique et derrière celui-ci, toutes les affaires judiciaires qui poursuivront l’ex-président. Alors que la campagne électorale pourrait être centrée sur les affaires, la corruption d’Etat et les conflits d’intérêts qui n’ont cessé de se multiplier – ça viendra peut-être ! -, il s’agit clairement de la propulser, telle une planète désorbitée, dans le trou noir de l’extrême-droite, vers lequel Sarkozy conduit les restes de la droite républicaine, et derrière elle toute une partie de l’opinion publique, en particulier les Français qui ont le plus souffert de la politique conduite ces dernières années.

Le discours du 23 avril commence donc par camper l’image d’un homme seul, devant affronter une multitude d’ennemis : « La campagne du premier tour, nous l’avons faite à 1 contre 9 », proclame-t-il, comme si tous les autres candidats s’étaient ligués contre lui et comme s’il était anti-démocratique de devoir affronter seul son bilan et assumer sa position de sortant. « Contre un système médiatique absolument déchainé », poursuit celui qui omet de dire toute la servilité des grands médias qu’il a annexés depuis 5 ans à son pouvoir ou ses caprices. « Contre les pronostiqueurs, contre les observateurs », ajoute-t-il, stigmatisant ainsi les instituts de sondage et les analystes politiques qui, dans les faits, l’ont bien plus servi que desservi. « Contre la caricature, contre le mensonge », dit encore celui qui ne cesse de pratiquer la caricature et de mentir impunément. Et comme si cela ne suffisait pas, la chute est une hyperbole, toute honte bue : « Aucun président n’avait subi un tel matraquage. Et de fait ils n’ont reculé devant rien, ils n’ont hésité devant aucun mauvais coup, devant aucune manipulation ». Qui donc est le grand Manipulateur ?

Cette ouverture n’a pu tromper que ceux qui auront succombé à la fascination pour le chef ou au leurre des procédés : le mensonge, le retournement des situations, la victimisation et l’érection d’une statue de héros ayant affronté, presque vainqueur, l’adversité du monde politico-médiatique. Derrière cette stratégie rhétorique, dont les procédés sont des archétypes des discours d’extrême droite, se dissimule bien sûr une attaque directe contre la démocratie et son fonctionnement.

Les médias, et d’abord ceux du Service public, sont dans la ligne de mire. Le président de France culture a été attaqué ce jour pour sa supposée partialité. Hier c’était France 2 et

La mention "République Française" a été supprimée. Elle l'a été à nouveau pendant le septennat de Giscard d'Estaing, puis il y a quelques années

France Inter. De fait, les services publics auront été les boucs émissaires de la politique de Sarkozy pendant tout son quinquennat. Dans le discours du 23 avril les médias sont incriminés pour être « de gauche et d’extrême gauche ». C’est sans commentaires. L’on rappellera simplement que la dénonciation « du système médiatique, du système politique » (termes de Sarkozy lui-même le 24 mars sur France TV Info), constitue le fonds de commerce du Front national.

Mais il y a infiniment plus grave dans les discours des 23 et 24 avril. Y sont à l’œuvre une logique d’identification et un associationnisme qui sont directement importés des rhétoriques habituelles de l’extrême droite. Tout d’abord l’identification du chef au Peuple. Sarkozy ne cesse en effet d’identifier son propre sujet, sa propre voix à celle du peuple de France, que la gauche voudrait ignorer et diviser :  « J’ai vu que M. Hollande parlait au peuple de gauche, dit-il. C’est une différence entre nous. Je parle au peuple de France. J’ai vu hier soir qu’il reprochait leur vote à ceux qui ont émis ce vote pour le Front National ».  Outre que c’est inexact, reprocher à François Hollande d’être le diviseur en ne parlant qu’au peuple de gauche procède d’un nouveau renversement : qui a divisé les français toutes ces dernières années? Diviser pour adopter ensuite la figure du rassembleur, telle est la manipulation de celui qui ne cesse de mettre en danger l’unité nationale.

La seconde identification est d’une toute autre portée. Après une série de « nous » en anaphore qui réalisent l’unité des électeurs du Front national et du sujet du discours, Nicolas Sarkozy produit une association-identification, proprement hallucinante, entre la spéculation financière, la bureaucratie et les corps intermédiaires : « nous ne supportons plus les spéculateurs, nous ne supportons plus les bureaucrates, nous ne supportons plus les corps intermédiaires qui veulent tout le temps décider à notre place ». Dans le plus grand amalgame qui défie la raison, l’idéologue expérimentateur construit un monstre de la pensée : la définition d’un ennemi commun, ligué contre le peuple souffrant, et prenant la forme d’un pouvoir oppresseur, pour ne pas dire d’une dictature. Où l’on retrouve les attaques habituelles contre les syndicats. Il est peut être utile de rappeler que l’anti-syndicalisme historique et idéologique est l’une des caractéristiques de l’Italie fasciste et du régime de Vichy.

La suite du discours parachève la stratégie de confusion au moyen du motif de la Frontière, au cœur d’un grand éloge de la Nation et de la Patrie : « Nation et frontière sont des questions inséparables », affirme le président. Parlant des dangers de la mondialisation financière Nicolas Sarkozy produit alors une association entre la finance et l’immigration : « L’Europe qui ne maîtrise pas ses flux migratoires, c’est fini, l’Europe qui ouvre ses marchés sans contre-partie, c’est fini… ». C’est là certainement le schème le plus grave de la pensée du président, dont on doit rappeler qu’il est encore en exercice. Car associer le monde de la finance à l’étranger, au-delà de la figure de langage qui a pu produire peut-être involontairement cette association, relève d’une pensée qui a marqué les années plus sombres du 20ème siècle.

Enfin, le procédé le plus propre des discours de Nicolas Sarkozy consiste à incriminer systématiquement ce dont il est responsable, ou même ce qui est imputable à son propre bilan et à ses échecs. L’imposture est sans limite et vise à priver ses adversaires politiques des arguments qu’ils sont en droit d’utiliser contre lui :

  • il a aggravé la crise financière : il l’attaque.
  • il est responsable du chômage : il stigmatise l’assistanat et oppose travailleurs et chômeurs.
  • il a développé l’insécurité et il se nourrit d’elle.
  • il exploite les sondages et les rejette.
  • il utilise les médias et les incrimine.
  • il a provoqué et entretenu la montée de l’extrême-droite : il se met à l’écoute des électeurs du Front national et en propage les idées.

En définitive, le manipulateur est un grand autophage : il se nourrit des monstres qu’il a créés. On pourrait rire de ce théâtre de la manipulation s’il n’avait une véritable efficacité sur l’opinion et un pouvoir délétère de division, que symbolise encore cette atteinte inadmissible portée contre la fête du 1er Mai, et dont Laurent Mauduit a justement rappelé la signification historique. Diviser les travailleurs en deux catégories, opposer les travailleurs aux chômeurs, les salariés « sous statut » aux employés du privé, célébrer le « vrai travail » en détournant la journée internationale de tous les travailleurs, c’est inepte, éthiquement inadmissible. Une grave faute morale pour un chef d’Etat en exercice. On est en droit de se demander si derrière le « vrai travail » il n’y a pas l’ombre du « vrai Français ». Oui, « l’ombre de Pétain » est bien inscrite dans les derniers discours de Nicolas Sarkozy. Mais nous ne devons pas oublier qu’il y eut d’autres discours lors de ce quinquennat, tout aussi funestes, Dakar et Grenoble. Nous ne devons pas oublier, ni le sombre été 2010, ni la chasse aux Roms, ni l’odieuse circulaire Guéant contre les étudiants étrangers. Autant de discours et de lois qui ont conduit Nicolas Sarkozy à renier bien des valeurs que des siècles d’humanisme et plusieurs révolutions ont permis de conquérir et de faire vivre. Un homme seul, fût-ce contre tous, ne les fera pas disparaître. Que cet homme ait pu à ce point les avilir le discrédite complément dans sa prétention à occuper la plus haute des fonctions. Nicolas Sarkozy ne peut plus être président.

A l’occasion de cette campagne de second tour, le président-candidat aura donc choisi de jouer son élection sur le tapis de l’extrême droite. Comme trop souvent, il a sacrifié l’intérêt général à son intérêt personnel : être réélu, quoi qu’il en coûte à la République et à ses valeurs. Mais par là-même il aura commis la transgression de trop, la transgression ultime. Non le pacte avec un Front national promis, grâce à ses soins, à un très bel avenir politique. Mais l’inscription dans son discours des schèmes idéologiques de l’extrême droite. Ce n’est pas seulement une rhétorique de l’imposture, d’une violence inouïe, qui est donnée à entendre à tous nos concitoyens, c’est aussi une insulte à la raison, alors même que ce discours se réclame de la raison et du « bon sens ». Et c’est encore et surtout une insulte à la mémoire et à l’histoire de notre pays. Car cette rhétorique de la vérité, identifiée à la parole d’un chef, protecteur et sauveur, n’est pas que le vernis déposé sur une piètre tentative pour faire oublier un  passif très lourd. Elle renoue explicitement avec des forces obscures qui continuent de travailler en profondeur la société française. Elle confronte chacun de nous à l’inadmissible. Et c’est pourquoi tous les républicains authentiques sont aujourd’hui mis devant une lourde responsabilité : accepter l’inadmissible ou le dénoncer. Or, on ne transige pas avec l’inadmissible : certains silences ont valeur de reniement, d’autres sont lamentablement opportunistes, mais tous vaudront approbation devant l’histoire. Un appel et un Front républicain contre la pensée d’extrême droite s’imposent, avant qu’il ne soit trop tard. Si nous capitulons maintenant devant cette idéologie délétère, si l’homme qui la promeut et l’incarne aujourd’hui, Nicolas Sarkozy, devaient être au pouvoir le 6 mai, le pire serait possible. Et le pire est toujours sûr, avec Nicolas Sarkozy.

Il est temps que les Français se réveillent du leurre mortifère du sarkozisme, de ses pièges, de ses manipulations grotesques et ineptes, de son illusionnisme et de son outrance. Il est temps de mettre un terme à cette escalade vers l’inadmissible. Et il est plus que temps que toutes les forces républicaines et sociales, citoyennes et militantes, se rassemblent, le 1er Mai, mais aussi avant et après, et autant qu’il le faudra, pour dire « NON » à la banalisation des thèses de l’extrême droite que des apprentis sorciers cherchent à faire prospérer, ici en France comme dans de nombreux pays européens, ici plus fortement peut-être que dans d’autres pays. Il est impératif enfin – faut-il le redire ? – que nos concitoyens se saisissent de leur bulletin de vote comme d’une arme pour retrouver le chemin de la démocratie dont certains dirigeants politiques de droite, anti-républicains, opportunistes ou corrompus, inconscients, irresponsables ou consentants, sont en train de déliter méthodiquement tous les fondements. Le temps est venu de dire tous ensemble : « La démocratie maintenant ! »

Pascal Maillard

Un site pour voir la prison autrement

www.carceropolis.fr

 

UNE INITIATIVE CITOYENNE POUR VOIR AUTREMENT LA PRISON

 Site soutenu par la LDH

Le 17 avril 2012 a été mise en ligne une plate-forme multimédia inédite, dont l’objectif est de proposer un nouveau regard sur la prison et ainsi inviter le grand public à la réflexion sur la condition carcérale en France.

Comment fonctionnent les prisons françaises ? Comment se compose la population carcérale ? Quel est le quotidien des détenus et du personnel pénitentiaire ? Ces questions, pourtant nécessaires à la réflexion sur le sens et l’efficacité des peines d’emprisonnement, sont peu présentes dans les débats de la campagne présidentielle et plus globalement dans le débat public.

Entre deux faits divers, le traitement réservé à la prison oscille entre fantasme, stigmatisation ou ignorance. Pourtant, beaucoup d’autres regards existent : de nombreux auteurs, réalisateurs et producteurs se sont intéressés au sujet, proposant des représentations variées et de réelles informations sur la nature de la condition carcérale en France.

Convaincu que le sujet de la prison mérite une attention plus accrue, car il questionne le thème majeur du vivre ensemble, et soutenu dans sa démarche par des associations*, un groupe de citoyens bénévoles s’est attelé à regrouper sur une seule et même plate-forme web de nombreuses ressources, jusque-là éparpillées et parfois difficilement diffusables : reportages photographiques, reportages vidéo, web-documentaires, documents audio, …

Les différentes œuvres, mises à disposition gratuitement par plus d’une trentaine d’auteurs, sont proposées en accès libre et classées par thèmes (femmes, mineurs, travail, santé, culture…). Le site propose également la visite modélisée d’une prison, des infographies de chiffres clés, ainsi que des cartes présentant l’implantation des prisons en France et leur taux de densité carcérale.

Cette plate-forme multimédia, qui a vocation à accueillir de nouvelles contributions, propose ainsi un ensemble de regards sur la prison, dans un unique but citoyen : permettre à chacun de se construire une opinion sur le sujet, et ainsi nourrir la nécessaire réflexion que doit mener notre société sur sa politique carcérale.

LES ASSOCIATIONS PARTENAIRES

Acat France . Act Up . Banc Public . Bibliothèque Philippe Soummeroff . Genepi . La Cimade . Ligue des droits de l’Homme . Observatoire international des prisons . Raidh .

Consultez le site www.carceropolis.fr

 

 

Une plaquette, un livre, une revue : trois publications de la Ligue des droits de l’Homme

L’activité éditoriale de la Ligue des droits de l’Homme est riche en ce moment, puisque viennent de sortir, presque simultanément, une plaquette, un livre, et le dernier numéro de la revue Hommes et libertés.

La plaquette : c’est un outil militant, qui arrive opportunément en cette période d’élection présidentielle, puisqu’elle s’intitule : 2007-2012, bilan d’une législature sécuritaire. Télécharger la plaquette ici (4 pages).

Il convient là de rappeler une donnée essentielle : la Ligue des droits de l’Homme, si elle est indépendante de tout parti politique et de toute religieux, est bien une organisation politique. Politique, et non partisane. La Ligue milite pour des valeurs clairement situées à gauche, mais il ne faut pas compter sur elle pour appeler à voter pour tel candidat de gauche plutôt que pour tel autre.

On ne s’étonnera donc pas que ce bilan d’une législature sécuritaire soit un bilan à charge. En voici l’introduction :

La législature 2007- 2012 restera marquée par le vote d’un grand nombre de lois qui ont encore accentué le caractère sécuritaire de la législature précédente.

Elles ont continué d’organiser la surveillance de toute la population, de créer de nouveaux délits, de désigner un certain nombre de boucs-émissaires, qu’il s’agisse des Roms, des étrangers ou des chômeurs…

En termes de lutte contre la délinquance, l’efficacité de toutes ces lois est loin d’être démontrée. En revanche, elles ont rendu la vie toujours plus difficile pour les victimes de la xénophobie d’État, d’une précarité croissante. Au-delà, elles ont aggravé les injustices, agressé l’égalité et asphyxié la démocratie en France.

Elle se découpe en plusieurs parties :

Les libertés, avec le recensement des mesures qui les mettent en péril (contrôle social et société de surveillance généralisée, Internet sous haute surveillance, libertés de la presse et agents de renseignements, pression policière de plus en plus inquiétante, augmentation des pouvoirs du préfet), la justice (recul des garanties judiciaires, nouveaux délits et peines toujours plus lourdes, justice des mineurs), le ciblage des populations les plus « fragiles », avec notamment la réforme des soins psychiatriques, et enfin le durcissement de la législation envers les étrangers.

La deuxième publication est celle d’un livre, ouvrage collectif qui paraît désormais chaque année, intitulé « l’état des droits en France en 2011 », sous-titré cette année « un autre avenir ? »

Le journal Libération lui a consacré un article.

En fin d’article, la présentation du livre suivie de la table des matières. Notez que Stéphane Hessel a cosigné un article avec Jean-Pierre Dubois, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme.

Troisième publication, le dernier numéro de la revue « Hommes et Libertés », qui consacre un article aux médias : « Atouts technologiques, défis démocratiques ». A lire ici.

Après cinq années d’un Président dont la politique a consisté à mettre en cause les droits, cette nouvelle livraison fait le point sur la logique qui expliquerait une telle accumulation, dont la devise pourrait être : « Moins il y a de social, plus il y a de sécuritaire. »

L’année 2011 a été marquée à la fois par l’approfondissement de la crise économique, sociale et écologique, par la révolte des peuples arabes et par la préparation d’échéances démocratiques majeures en France. Pour relever ces défis, la Ligue des droits de l’Homme, dans la logique du Pacte pour les droits et la citoyenneté qu’elle a signé avec quarante-neuf autres organisations associatives et syndicales, pense qu’il est temps de porter, à côté de ses « indignations » et de ses critiques des régressions des droits, des propositions pour construire ensemble un avenir différent. Non pas un programme politique pour une alternance, mais des pistes pour des alternatives à la hauteur des enjeux.

La LDH affirme ici la nécessité de relégitimer le politique comme fondateur de démocratie ; de prendre au sérieux l’effectivité des droits sociaux et de réinvestir dans le service public ; de changer d’ère face à l’urgence écologique ; d’en finir avec la politique de la peur et du soupçon, de rendre la justice indépendante du politique et de mettre la police au service des droits des citoyens ; de refuser les logiques de discrimination, de racisme et de xénophobie pour choisir un avenir partagé, en France comme dans le nouveau monde qui naît, en agissant fermement pour l’universalité des droits.

Les citoyens ont envie de cette nouvelle donne. La société civile, dans sa diversité, est porteuse d’énergies, d’idées, de possibles. Elle cherche à les exprimer, à dire les mots du changement, elle veut être entendue. Ce livre n’a d’autre ambition que de mettre en débat ces ambitions et ces attentes, et le nouveau contrat social garantissant l’effectivité des droits pour un « autre avenir ».

Et en voici la table des matières :

Introduction. 2011-2012 : crises, indignations… et agenda électoral par Pierre Tartakowsky

  • Retour sur l’année 2011 et sur les tares qui minent la République
  • La probité et l’intérêt général dévoyés
  • Des cibles offertes à la stigmatisation pour instaurer la division
  • Redonner de l’oxygène à la démocratie
  • Lassitude de la politique et souhaits d’un « autrement politique »
  • Le projet partagé d’une pleine citoyenneté civique et sociale

1. Face à la crise, la démocratie : réactiver le politiquepar Stéphane Hessel et Jean-Pierre Dubois

  • Une demande universelle : face au despotisme comme à la « gouvernance financière », l’effectivité démocratique
  • Singularités françaises : « monarchie élective », cumul des mandats, éloignement du politique
  • Urgences : refonder la démocratie en France et dans l’Union européenne
  • L’avenir humain : démocratiser la mondialisation

2. Face à la crise, la solidarité : garantir les droits et investir dans le service public par Gérard Aschieri

  • Année sociale, annus horribilis ?
  • Impératifs incontournables ou choix délibérés ?
  • Penser autrement les droits
  • Prendre l’offensive

3. Face à l’urgence écologique, changer d’ère par Jean-Louis Galzin

  • Droits fondamentaux et développement durable
  • Environnement : des engagements frileux solubles dans la crise économique
  • Les entreprises, des acteurs qui ont aussi leur place
  • Urgences économique et écologique : opposition ou possible synergie ?
  • Un impératif : concilier démocratie et urgence écologique
  • Conclusion

4. Contre la politique de la peur. Pour une justice indépendante du politique et une police au service des citoyens par Evelyne Sire-Marin

  • « Étranger, nous avons tout pour te recevoir, un hôtel, une prison et un cimetière »
  • « N’ayez pas peur, on n’est pas de la police »
  • Résistance et désobéissance
  • La justice, un business ?
  • L’âme du parquet

5. étrangers: la névrose obsessionnelle par Catherine Teule

  • Les concepts sarkoziens fondateurs
  • Arithmétique politique
  • Si l’étranger n’existait pas, le xénophobe l’inventerait
  • Interdire, précariser, expulser… la trilogie

6. Face au nouveau monde qui se dessine, agir ensemble par Michel Tubiana

  • Révoltes pour les droits et la démocratie dans le monde arabe
  • Droits et démocratie en Méditerranée : regards de la rive Nord, réalités de la rive Sud
  • Universalité des droits, diversité des sociétés, défis démocratiques

Chronologie de l’année 2011 par Gilles Manceron et François Nadiras

Auteurs et directeurs d’ouvrage

 

 

Universités : Laurent Wauquiez fait l’unanimité contre lui

Comme Valérie Pécresse, qui l’a précédé au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, Laurent Wauquiez a réussi faire l’unanimité contre lui. Mais, comme l’ancienne ministre, cela ne semble pas l’atteindre.

Cette fois, il s’agit d’une mesure qui rassemble les caractéristiques de la politique sarkoziste : mesure de circonstance, improvisée, et imposée sans la moindre concertation.

Laurent Wauquiez a décidé d’introduire une nouvelle discipline à celles qui sont enseignées à l’université : la criminologie. Et ceci à un mois de l’élection présidentielle : on voit bien sûr l’intérêt politique de cette mesure pour l’image de celui qui se pose depuis les événements tragiques de Toulouse en protecteur de la nation et des victimes.

C’est tout d’abord la commission permanente du Conseil national des universités qui s’est opposé à cette mesure. Première critique : « Le projet de création d’une section de criminologie n’a fait l’objet d’aucun débat sérieux impliquant l’ensemble de la communauté scientifique. » Ensuite, « la CP-CNU estime que la création de la section de criminologie est motivée par des préoccupations étrangères à la logique scientifique ».  La CP-CNU entend apporter son soutien au développement de études en criminologie, mais « comme champ d’étude pluridisciplinaire ». Elle précise, avec des mots durs : « Mais elle refuse d’en faire une science de gouvernement et de l’enfermer dans une école de pensée marquée idéologiquement, ou dans un paradigme particulier comme le concept de « sécurité globale » défendu par les promoteurs de la nouvelle section de criminologie2. La création politique d’une section 75 de « criminologie » au sein du CNU, suscite notre réprobation et notre indignation, car elle va à l’encontre des valeurs essentielles qui fondent la vie scientifique et universitaire : le débat, la transparence, la collégialité et la responsabilité. » Et la commission permanente de la CNU conclut : « Pour toutes ces raisons, la Commission permanente du Conseil national des universités dénie toute légitimité à une section du CNU créée dans ces conditions. Elle souhaite que les universitaires ne rejoignent pas la nouvelle section de « criminologie » ».

C’est ensuite l’Association de droit pénal qui monte au créneau : cela vaut la peine de publier in extenso la motion qu’elle a adoptée à l’unanimité en janvier dernier et intitulée « Motion de l’Association française de droit pénal contre la création d’une section « expérimentale » de criminologie au sein du Conseil national des universités ». La voici :

L’association française de droit pénal (AFDP) tient à exprimer son indignation face à la création  d’une section interdisciplinaire dite « expérimentale » de Criminologie au sein du CNU, doublée de la mise en place d’un Institut National de la Criminologie.

L’AFDP met en garde contre l’instrumentalisation de la criminologie à des fins politiques et dénonce tant la méthode, qui a présidé à la mise en place de cette nouvelle instance, que l’inconsistance de son objet:

  • La nomination des 48 membres de cette section, en marge des élections au CNU, est un contournement inacceptable du processus démocratique, mise en place par le décret n°92-70 du 16 janvier 1992 relatif au Conseil national des Universités.
  • La criminologie ne saurait constituer l’objet d’une section du CNU, dès lors qu’elle n’est qu’un champ d’étude au croisement de nombreuses disciplines et non une discipline à part entière.

L’AFDP reconnait cependant que la formation et la recherche en criminologie dans l’Université française  souffrent d’une grande disparité et d’une faible visibilité et soutient en conséquence la conférence élargie des directeurs d’Instituts de sciences criminelles et de centres de recherche en droit pénal en criminologie, qui formulera en 2012 des propositions concrètes pour revaloriser les diplômes universitaires de criminologie et redynamiser la recherche universitaire en ce domaine.

L’association a été reçue depuis au ministère, et a publié le compte-rendu de cette audience téléchargeable ici. Un communiqué a ensuite été publié (version pdf). La conclusion de ce communiqué daté du 16 mars : « Nous déposons, contre ces arrêtés, un recours devant la juridiction compétente, afin d’en obtenir l’annulation ». C’est dire la gravité du désaccord.

C’est enfin (il y en a tellement d’autres qu’il est impossible de les citer toutes. On en trouvera des liens dans le compte-rendu d’audience de l’Association française de droit pénal) l’association « Qualité de la Science Française », créée en 1982 à l’initiative de Laurent Schwartz, et qui « a pour mission de défendre et de promouvoir la qualité et la créativité de l’enseignement supérieur et de la recherche en France, conditions indispensables de la compétitivité de la science, du développement de l’économie, et de la diffusion de la culture ». On peut lire son communiqué ici.

Jusqu’au dernier jour du quinquennat, ce pouvoir tentera de faire passer en force de projets les plus contestables, et le domaine de la justice et de l’enseignement et la recherche ont été particulièrement touchés ! ça n’est peut-être pas un hasard… La dernière trouvaille : le concept de « réitération » : il s’agit de crimes et délité répétés, mais, contrairement à la récidive, différents ; lire ici l’article qu’y consacre François Nadiras dans le site de la section de Toulon. Lire aussi le passionnant article de Véronique Soulé sur son blog.

Une soirée passionnante avec Bertrand Rothé

Bertrand Rothé et Gaëlle Gouérou, pendant le débat.

Bertrand Rothé était vendredi soir l’invité de la section Loudéac centre Bretagne de la Ligue des droits de l’Homme. Après la

Michèle Paul, présidente de la section, et Jérôme Lucas, du Cithé, ont présenté la soirée.

projection du film d’Yves Robert, la Guerre des boutons, dans le cadre du festival « Films et terres d’ici et d’ailleurs » organisé par le cinéma Le Cithéa de Plouguenast, il a présenté son livre « Lebrac, 3 mois de prison », et débattu avec les spectateurs. Un débat riche pendant lequel on a mesure l’évolution qui a eu lieu entre 1912, date de publication du roman de Pergaud, 1962, date du tournage du film, et aujourd’hui : évolution du regard sur l’enfance et l’adolescence, évolution des comportements, évolution de la tolérance vis à vis de ces comportements, et évidemment évolution de la législation qui concerne les mineurs, avec notamment la destruction progressive mais déterminée de la circulaire de 1945, qui plaçait la prévention et l’éducation en tête des préoccupations en ce qui concerne le traitement de la « délinquance juvénile ». Bertrand Rothé a aussi insisté sur le fait que, contrairement à ce que les médias nous assènent à longueur de temps, la violence n’a pas augmenté. Et il note que « plus un journal connaît de difficultés financières, plus il va parler de violence » : c’est un fond de commerce très intéressant.

La prochaine animation de la section aura lieu cet automne, avec une projection débat du film « Amoureux au ban public », réalisé par Nicolas Ferran, et qui traite des harcèlements dont sont souvent victimes les couples « mixtes », souvent accusés de vouloir faire des mariages « blancs ». Ou gris, selon cette ridicule invention du regrettable Eric Besson.

Lebrac, 3 mois de prison, vendredi 30 au Cithéa de Plouguenast

Soirée exceptionnelle, vendredi 30 mars, au cinéma le Cithéa de Plouguenast. Pour l’occasion, la section Loudéac centre Bretagne a conclu un partenariat avec l’association le Cithéa, dans le cadre de la 5ème édition de son festival « Terres et films d’ici ou d’ailleurs », qui se tient du 23 mars au 1er avril.

Vendredi 30, nous projetterons le film d’Yves Robert, « La guerre des boutons ». Tourné en 1962, Yves Robert a mis en scène le roman de Louis Pergaud, écrit en 1912. Et en 2009, Bertrand Rothé, titulaire d’un CAP de cuisine et d’une agrégation d’économie, a réécrit le roman de Pergaud : il en a conservé les personnages, et la trame du récit. Mais il l’a transposé au début de XXIème siècle, en confrontant les personnages à l’arsenal juridique qui a commencé à se mettre en place depuis une dizaine d’années, et qui s’applique méthodiquement à détricoter ce que l’on appelle « l’ordonnance de 1945 ». Cette ordonnance, signée par De Gaulle, constitue le socle de la justice des mineurs, et place l’éducation et la prévention en tête des mesures prévues, loin devant la répression pour traiter la « délinquance juvénile ». Cette ordonnance existe toujours, mais, à force de réformes et de réécritures, sa version actuelle n’a plus grand chose à voir avec la version original, avec les peines plancher, l’abaissement de l’âge de la majorité pénale, les lois sur la récidive etc… Pour quelle efficacité ? c’est ce que mettent en doute des chercheurs spécialistes de ces problèmes, comme Laurent Bonelli ou Laurent Muchielli, ou des personnalités telles que Pierre Joxe, qui, après avoir été ministre de l’intérieur, puis membre du conseil constitutionnel, est aujourd’hui avocat (bénévole) pour enfants.

Pour réécrire le roman (et il reste un roman), Bertrand Rothé s’est entouré de spécialistes : avocats, juges, éducateurs, policiers. Et tout ce qu’il dit dans le roman est vérifiable dans les faits : comme le dit Bertrand Rothé dans sa conclusion, « en trente ans, nos héros sont devenus des délinquants ».

Après la projection du film, Gaëlle Gouérou, membre de la section, animera un débat, avec Bertrand Rothé, qui se déplace spécialement pour cette soirée, qui promet d’être passionnante.

Terres et films d’ici ou d’ailleurs : un festival exceptionnel !

Vous trouverez ci-dessous le programme du festival « Terres et films d’ici ou d’ailleurs » (vous pouvez le télécharger ici). Un programme exceptionnel : treize films seront projetés pendant la dizaine de jours du festival, et quelques uns d’entre eux feront l’objet d’une animation particulière avec notamment la présence du réalisateur.

Riposte laïque condamnée pour provocation à la haine raciale

Mardi 23 mars. Le groupuscule d’extrême droite « Riposte laïque », maquillé en défenseur de la laïcité, vient d’être condamné par le tribunal correctionnel de Paris pour « provocation à la haine raciale à l’encontre des Musulmans ».

La Ligue des droits de l’Homme, qui avait déposé la plainte à l’origine de cette condamnation, se réjouit de cette décision qui rappelle que nul ne saurait s’en prendre, sous couverte d’une fausse laïcité, à la liberté de conscience et prôner l’exclusion.

Le détail de la condamnation :

Pierre Cassen, fondateur du groupuscule est condamné à 4000€ d’amende, son complice Pascal (Hilout ?) à 1500€. Ils sont également condamnés à verser solidairement 1500€ de dommages et intérêts à la Ligue des droits de l’Homme, et 2000€ de frais de justice. Ils devront par ailleurs verser 800€ de remboursement de frais de justice aux associations qui s’étaient associées à cette plainte. Enfin, le jugement devra être publié sur le site du groupuscule dans un délai de 15 jours pour une durée de 3 mois. Les personnages annoncent qu’ils vont faire appel, et dans une vidéo publiée sur leur site, lancent un appel au peuple (je crois qu’ils acceptent les saucissons).


Notes de lecture : « Pas de quartier ? », de Pierre Joxe

Quand il a quitté le conseil constitutionnel, Pierre Joxe a commencé par dénoncer l’entreprise de démolition de l’ordonnance de 1945 sur la justice des mineurs, qui plaçait l’éducation et la prévention devant la répression. Le conseil constitutionnel avait été complice de cette entreprise de démolition, et Pierre Joxe l’a expliqué dans son ouvrage « Cas de conscience », paru en 2010. Il a alors décidé de devenir avocat. Mais pas n’importe quel avocat : avocat des enfants, et qui plus est, bénévole. Il fait ainsi partie de cette catégorie d’avocats que l’on dit « commis d’office », qui, bien souvent, ne prennent connaissance du dossier de leur client qu’au dernier moment.

Cette nouvelle profession a été pour lui le moyen de voir de l’intérieur les dégâts causés par la casse de l’ordonnance de 1945. Dans « Pas de quartier ? », il décrit plusieurs exemples de dossiers qu’il a eu en charge, et analyse les raisons et la méthode de cette casse. Une analyse passionnante, qui fait craindre le pire : la France est en train de glisser inexorablement vers le modèle américain qui est capable de condamner un mineur à la prison à vie.

Il analyse par exemple l’effet pervers des fameuses « peines plancher », inventer pour lutter contre la récidive. Voici cette analyse, pages 250 et 251 de son livre :

« … Décortiquons le raisonnement : Tanu (prénom d’emprunt, NDLR) est connu de la justice des mineurs depuis son enfance difficile, mais la « présentation immédiate » (de notre nouveau droit) ne le présente pas à « sa juge », comme disent les enfants habitués de ces prétoires… Elle le verra, en effet, mais dans quinze jours : c’est le parquet qui décide. Si Tanu est jugé coupable, il sera récidiviste. S’il est récidiviste, il encourt une peine plancher (d’après notre nouveau droit). S’il craint une peine plancher, très lourde – des mois de prison avant d’espérer un aménagement significatif -, il va s’enfuir, ou du moins on peut le craindre. Donc il n’offre pas de garantie de représentation. Donc, pour éviter la fuite de cet adolescent qui va à l’école et dont on ne vérifie pas les dires, il faut l’embastiller vite fait. Ce qui fut fait ».

Il faut préciser que Tanu était innocent, et l’enquête, concernant un vol de téléphone portable, avait été bâclée.

Cet ouvrage nous ramène évidemment à celui de Bertrand Rothé, « Lebrac, 3 mois de prisons », reprise de la Guerre des Boutons avec le nouvel arsenal juridique mis en place depuis une dizaine d’années, qui fait passer les protagonistes du roman de Pergaud à la moulinette de ces nouvelles lois.

« Pas de quartier » : à lire de toute urgence, pour bien mesurer un des enjeux de ce qui se joue en ce moment, avec les élections, présidentielle et législatives.

On peut écouter ici l’interview de Pierre Joxe par Patrick Cohen, à France Inter, au sujet de cet ouvrage.

En exergue de son livre, Pierre Joxe cite Charles de Gaulle, signataire de l’ordonnance de 1945, et ancien président de la république :

« Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l’enfance, et parmi eux, ceux qui ont trait au sort de l’enfance traduite en justice. La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains. »

Et ce sont des gens qui se réclament de son idéologie qui procèdent à la mise en pièce de l’ordonnance de 1945…

La quatrième de couverture :

Le 2 février 1945 le chef du Gouvernement provisoire d‘une France à peine libérée du nazisme motivait ainsi une ordonnance historique sur la justice des mineurs, inspirée par le programme du Conseil national de la Résistance.

Depuis 2002, un demi-siècle plus tard, une majorité parlementaire et des gouvernements se réclamant pourtant du gaullisme démantèlent méthodiquement par des lois successives la célèbre ordonnance de 1945.

Au Conseil constitutionnel, entre 1992 et 2010, Pierre Joxe a tenté de s‘opposer à cette entreprise de démolition.

Devenu avocat des enfants en 2010, pour pouvoir observer cette justice des mineurs de l’intérieur, il témoigne ici et prend position contre la destruction programmée d’une de nos plus belles institutions sociales.

Pierre Joxe fut ministre de l’Industrie puis ministre de l’intérieur, enfin ministre de la Défense au cours des deux septennats de François Mitterrand. Ancien président de la Cour des comptes, il a siégé au Conseil constitutionnel de 2001 à 2010.