Fifine Le Caër, 14 ans en 1944, le Bourg

Les noirs étaient libres de circuler durant la journée. Ils parlaient assez bien français, avec un fort accent. Ils allaient dans la campagne, un peu partout. Ils étaient bien vus par les habitants. Certains finissaient par avoir leur maison. Comme ils étaient bien accueillis, ils y retournaient. Il y avait des officiers parmi les prisonniers. Ils logeaient au couvent avec leur ordonnance. Je me rappelle d’ une ordonnance qui venait chercher le lait pour Monsieur et Madame Morinville. Il avait sympathisé avec les parents. Un jour, il a demandé à Maman s’il elle avait des œufs à vendre. Maman, lui en a vendus. L’ordonnance a voulu qu’elle fasse l’omelette sur-le-champ et que je mange les œufs avec lui. Il ne voulait pas manger seul. Avait-il peur d’être empoisonné ? Il était très gentil cet homme. Il nous parlait de son pays… Il avait hâte de rentrer chez lui. Il se plaignait du froid.

Les noirs étaient habillés en soldat : un uniforme kaki, un gros manteau et des bandes molletières. Ils faisaient leur lessive au bord du Kerbiguet, le ruisseau à l’emplacement de l’étang aujourd’hui.

Les noirs aimaient bien les gamines. Ils étaient amoureux, disait-on. Ils couraient après les adolescentes… Les parents étaient sur leur garde.

Les prisonniers n’avaient pas le droit de boire d’alcool. Ça faisait partie du règlement. Les gens qui les accueillaient avaient pour consigne de ne pas leur servir d’alcool. L’alcool, nous disait-on, les rendait fous.

Les prisonniers avaient une heure pour rentrer au camp le soir.

Jean Auffret, 19 ans en 1944, Kergohy

Jean Auffret

On le voyait, alors on se demandait pourquoi puisqu’il ne parlait pas du tout. Il faisait son petit tour dans les écuries, il manœuvrait par là sans parler. On était inquiets. Il y avait aussi quelqu’un, un des Sénégalais qui venait à la ferme avec qui le père discutait beaucoup. Je crois bien qu’il était instituteur. C’était un homme qui parlait beaucoup. En famille, on disait qu’il y avait peut être un peu de jalousie entre les noirs. C’était bizarre cette ordonnance là qui ne parlait pas mais qui venait quand même. Il s’en allait comme ça quand il était servi avec son lait et son beurre. A l’époque, l’autre, l’instituteur venait raconter sa vie mais nous on ne participait pas tellement à ça ! Le père était très curieux car il lisait beaucoup, il aimait bien.

Le noir lui faisait découvrir.

Monique Lallican, 9 ans en 1944, le bourg de Trévé

Monique Lallican

Il y avait une grande cheminée avec une grande fouée. Quand j’arrivais de l’école, c’était au moment du froid, il me faisait monter sur ses genoux. Maman me préparait à goûter et j’étais sur les genoux du Sénégalais. Je ne sais pas son nom mais je l’appelais Doudou.

Papa était charron et « Doudou » était là avant que j’arrive à l’atelier à regarder travailler. Il y avait une très grande cheminée dans la maison et il donnait un coup de main au soufflet quand on cerclait les roues des charrettes.

Maison d’arrêt de Saint-Malo : la loi du silence

L'entrée de la maison d'arrêt de Saint-Malo (photo ministère de la justice).

Jeanine Pichavant, présidente de la section de Saint-Malo, siège, en tant que représentante de la Ligue des droits de l’Homme, au comité de surveillance de la maison d’arrêt de Saint-Malo.

Elle vient d’adresser une lettre au directeur de cet établissement pénitentiaire, à la suite d’un événement tragique qui s’y est déroulé en 2007. Le comité de surveillance de la maison d’arrêt aurait dû en être informé : il n’en a jamais été question.

Nous publions ci-dessous la lettre adressée par Jeanine Pichavant au directeur de la maison d’arrêt, lorsqu’elle a appris cet événement.

Elle précise : « J’ai reçu deux réponses, dont une de très mauvaise foi ».

Jeannine Pichavant

Présidente de la section malouine de la
Ligue des Droits de l’Homme

A Monsieur le Directeur de la Maison d’Arrêt de Saint-Malo.

« Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels ou inhumains ou dégradants. »
(Article 5 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme)

Monsieur,

Je fais partie, au nom de la Ligue des Droits de l’Homme, du Comité de surveillance de la Maison d’arrêt de Saint-Malo ; j’assiste donc chaque année à la réunion annuelle durant laquelle il nous est présenté le bilan de la vie de ce lieu dit de « privation de liberté ».Ce bilan, je le croyais sincère mais j’ai récemment eu la preuve qu’il ne l’était pas.

J’ai en effet appris qu’en l’année 2007 un fait grave avait eu lieu dont on ne nous avait jamais parlé.

Un jeune homme écroué pour délinquance routière, à savoir annulation de son permis de conduire, est condamné par les juridictions malouines à passer un mois en prison.

Mais là, il va devoir subir une double peine. Et quelle peine ! Il se va trouver enfermé dans la même cellule que deux autres détenus dont le casier judiciaire portait mention de 18 condamnations pour l’un et de 20 pour l’autre.

Ce dernier avait commis des faits relevant des Assises.

Jugé particulièrement dangereux, il avait fait pendant une année, l’objet d’une détention particulièrement signalée (DPS).

Comment vos services pouvaient-ils ignorer une telle situation ?

Le jeune homme a dû subir une maltraitance quotidienne, jusqu’au moment où ses codétenus se sont acharnés sur lui au point de le laisser sur son lit dans un état comateux.

Transporté à l’hôpital, il attendra d’être sorti de prison pour déposer une plainte qu’il retirera par la suite par peur des représailles.

Ces faits se sont donc passés en 2007 et nous n’en avons rien su ! Le rapport d’activité de 2008 n’en fait pas mention.

Ils étaient pourtant passibles d’une plainte pour non assistance à personne en danger, sur le fondement de l’article 223-6 du Code pénal qui dispose que « Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle de la personne, s’abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d’emprisonnement. »

C’est donc lors du procès, en 2010, que nous avons appris cela… grâce à la presse.

Je m’interroge donc sur la confiance que nous pouvons accorder à l’administration pénitentiaire dans sa façon d’assumer ses fonctions à l’intérieur de la prison, mais également sur la sincérité qui doit exister dans nos relations mutuelles lors de ces rencontres, ainsi que dans la rédaction du rapport annuel d’activité.

Ces faits seront présentés et débattus lors de la prochaine réunion de la section malouine de la Ligue. Le dossier sera aussi l’objet d’un examen juridique précis par un avocat membre de notre section.

Dans l’attente de vous lire, veuillez croire, Monsieur, en mes salutations distinguées.

Une copie de la présente sera adressée à : M. le Préfet de Région, M. Michel Cadot, M. le Procureur général près de la Cour d’Appel, M. le Procureur de la République près du Tribunal de grande Instance de Saint-Malo et enfin, M. le Directeur régional de l’Administration pénitentiaire.

Oubliés d’hier, oubliés d’aujourd’hui : appel à témoins

De gauche à droite, Annie Lagadec, Michelle Paul, Jérôme Lucas, Noël Lagadec, François Cojean, Annaïs Laudren et Jacques Paul. (Photo Le Télégramme)

La section Loudéac centre Bretagne organise, le samedi 16 avril, une journée intitulée « Oubliés d’hier, oubliés d’aujourd’hui« , autour du film « Oubliés et trahis, les prisonniers de guerre coloniaux et nord-africains », écrit par Armelle Mabon, historienne.

300 prisonniers africains, venus de Morlaix, ont été enfermés dans un camp à Trévé, de novembre 1944 à janvier 1945.

Nous recherchons des personnes qui ont été témoins (ou ayant conne des témoins) de cet événement, mal connu dans la région. Nous en avons déjà retrouvé quelques unes. Notre objectif est de collecter leurs témoignages, sous la forme d’enregistrements audio et vidéo, et par écrit. Ce collectage fera, s’il est suffisamment fructueux, l’objet de l’édition d’une bochure.

Si vous avez été témoins, ou si vous connaissez des personnes qui ont été témoins de ces événements, n’hésitez pas à contacter la section, par mail (ldhloudeac@orange.fr) ou par téléphone (02-96-25-62-91). Vous pouvez aussi vous adresser au CAC Sud 22, qui est partenaire de la Ligue des droits de l’homme pour l’organisation de cette journée.

D’avance, merci.

Oubliés d’hier, oubliés d’aujourd’hui, le 16 avril à Trévé

Samedi 16 avril, à Trévé, la section Loudéac centre Bretagne organise une journée intitulée « Oubliés d’hier, oubliés d’aujourd’hui », autour du film « Oubliés et trahis, les prisonniers de guerre coloniaux et nord-africains », écrit par Armelle Mabon, et réalisé par Violaine Dejoie-Robin. Armelle Mabon est également l’auteure de l’ouvrage « Prisonniers de guerre indigènes, visages oubliés de la France occupée ».

Après la débâcle de juin 1940, les combattants de l’armée française sont faits prisonniers. Tandis que les métropolitains partent pour l’Allemagne, les prisonniers coloniaux et nord-africains prennent le chemin des frontstalags, répartis dans la France occupée. En 1941, près de 70000 hommes sont internés dans vingt-deux frontstalags » (source : 4ème de couverture du livre d’Armelle Mabon).

Armelle Mabon poursuit : « En novembre 1944, lorsque les prisonniers de guerre tirailleurs sénégalais ont été invités à quitter la France à Morlaix après, pour certains d’entre eux, 4 ans de captivité en France (et non en Allemagne), ceux qui ont refusé d’embarquer parce que leurs droits d’anciens prisonniers de guerre n’étaient pas respectés, ont été envoyés à Trévé et à nouveau placés derrière des barbelés et gardés par des gendarmes et des FFI. Parmi ces ex prisonniers certains devaient être aussi FFI.
Pour cette raison et d’autres encore gouvernées par la trahison, la France a mis une chape de plomb sur l’histoire de ces prisonniers « indigènes ». Ceux qui ont quitté Morlaix ont été « mitraillés » à Thiaroye proche de Dakar pour avoir là encore réclamé leurs légitimes droits…

Cette journée permettra de découvrir le livre d’Armelle Mabon, et le film qu’elle a écrit et qui a été réalisé par Violaine Dejoie-Robin. Un débat, auquel participera Armelle Mabon, suivra la projection du film.

Nous publierons des informations sur cette journée au fur et à mesure de l’avancement de son organisation.

Prisonniers de guerre « indigènes », Visages oubliés de la France occupée, Éditions La Découverte, 2010, ISBN 978-2-7071-5078-3.