Concarneau, le 15 janvier : « Economie sociale, solidaire, et droits de l’Homme » par D. Guibert

Dominique Guibert

« A l’heure d’une crise systémique, économique, sociale et environnementale, dans un monde globalisé, l’économie sociale ne peut se présenter comme une alternative à la gestion dominante du travail, du capital, de la biosphère que si la question des droits est immédiatement posée. Et si l’une est de retour et que les autres sont inévitables, pourquoi ne pas les poser ensemble ? ». Cette phrase de Dominique Guibert, secrétaire général de la Ligue des droits de l’Homme, introduit parfaitement la conférence qu’il donnera mardi 8 janvier, à 20h30, salle du C.A.C. à Concarneau (29). Une conférence intitulée « Economie sociale, solidaire et droits de l’Homme », organisée par la section Concarneau – Quimperlé – Riec – de la ligue des droits de l’Homme.

Mariage pour tous : le président de la Ligue des droits de l’Homme écrit au député Le Fur

Une photo désormais célèbre, prise pendant une manifestation de catholiques intégristes, contre le mariage pour tous, à Marseille.

A la veille de la manifestation contre le mariage pour tous, il est bon de relire ce que Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des droits de l’Homme, écrivait au député de la 3ème circonscription des Côtes d’Armor après son intervention indigne à l’Assemblée nationale. La voici.

Le député de la 3ème circonscription des Côtes d’Armor, Marc Le Fur, est intervenu, le 28 novembre, à l’assemblée nationale, pendant les questions au gouvernement, au sujet du projet de loi sur le mariage pour tous.

Alerté par la section Loudéac centre Bretagne, le président de la Ligue des droits de l’Homme, Pierre Tartakowsky, a écrit, ce mardi 4 décembre, au député. Voici la lettre qu’il lui a adressée (Vous pouvez la télécharger ici. Vous pouvez télécharger ici l’intervention du député à l’Assemblée nationale et la réponse que lui a faite la ministre, Dominique Bertinotti).

 LE PRESIDENT
Réf 577/12/PT/VP/CP

 Monsieur Marc Le Fur
Député des Côtes-d’Armor
Assemblée nationale
126 rue de l’Université
75355 Paris 07 SP
Paris, le 4 décembre 2012,

Monsieur le Député,

Lors de la séance des questions au gouvernement du 28 novembre dernier, vous êtes intervenu pour exprimer votre opposition au projet de loi sur le « mariage pour tous », en des termes qui sont non seulement inacceptables, mais de plus en contradiction flagrante avec l’appel à l‘apaisement que vous prétendez rechercher.

Si votre opinion de citoyen est libre, votre responsabilité en tant que législateur ne devrait pas vous permettre de pratiquer l’amalgame, la désinformation, et de jeter le discrédit sur une partie de nos concitoyens. En effet, votre argumentation, marquée par un ordre moral éculé et réactionnaire, tend à attiser des passions malsaines en reprenant les menaces et discours apocalyptiques sur le devenir de la famille et la protection de l‘enfant.

Comme Madame Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la Famille, vous l’a rappelé en séance, ces prévisions de fin du monde étaient déjà les mêmes lors des débats sur le Pacs, ou à l‘époque, pour s‘opposer au divorce, à la contraception, ou à l’interruption volontaire de grossesse. Elles ne se sont évidemment pas réalisées, et tous s‘accordent aujourd’hui sur les avancées indéniables qu’ont représenté ces mesures de progrès et de liberté.

Les évolutions constatées dans notre société posent déjà la réalité d’une diversité des compositions des familles, qui ne se posent plus en un modèle unique depuis des décennies. La reconnaissance juridique des couples de même sexe ne vient que confirmer un état de fait et un principe d’égalité. Le mariage pour tous permet à celles et ceux qui le désirent d’offrir la possibilité d’un statut juridique a des dizaines de milliers de couples, et autant d‘enfants vivant déjà au sein de telles familles.

Vos inquiétudes sur l‘adoption sont non seulement malveillantes mais surtout infondées, car l’évolution législative proposée ne change pas les règles applicables en France en la matière. Elles resteront régies par la convention de La Haye, ratifiée par la France en 1998, qui prévoit que toute adoption est prononcée par un juge, qui vérifie toutes les garanties nécessaires à la protection des droits de l’enfant. De plus, il convient de vous rappeler qu’elle est autorisée aux personnes célibataires, et que l‘adoption ne peut être entravée en raison de l‘orientation sexuelle du ou des demandeurs, qui reste indépendant du projet parental.

Enfin, les exemples étrangers viennent aussi démentir vos fantasmes. Vingt-deux pays disposent déjà d‘une législation posant le mariage et l’adoption sans discrimination, comme l’Afrique du Sud, l’Argentine, le Canada, neuf États américains, mais aussi en Europe : les Pays-Bas, la Belgique, la Norvège, la Suède ou le Portugal et l‘Espagne. Dans chacun d‘entre eux, la lutte contre l’homophobie, contre les discriminations, pour l’égalité entre les sexes, a progressé. Ni la « famille » ni la « protection des enfants » n’y sont mises en péril. La France ne sera donc pas pionnière sur le sujet, mais elle confirmera ainsi son attachement à une république laïque, fondée sur les principes de liberté et d‘égalité.

C’est pourquoi la Ligue des droits de l’Homme appelle tous les parlementaires et les citoyens à se mobiliser pour défendre l‘État de droit, à faire échec aux campagnes de haines, de peurs et d’exclusions, et à soutenir le projet de mariage pour tous.

Je vous prie d‘agréer, Monsieur le Député, l‘expression de mes salutations républicaines.

 Pierre Tartakowsky

Président de la Ligue des droits de l’Homme

Ballon d’or et droit de vote : l’actualité d’une comparaison

Bien que le président de la République semble manquer singulièrement d’enthousiasme pour réaliser la promesse qu’il avait faite, pendant la campagne pour l’élection présidentielle, de donner le droit de vote et d’égibilité aux étrangers non communautaires, la pétition lancée par la Ligue des droits de l’Homme pour exiger le vote d’une loi le permettant a déjà recueilli 10000 signatures, et elle continue d’en recevoir.

La désignation de Lionel Messi comme meilleur joueur de football par la délivrance du « Ballon d’or » est l’occasion de revenir sur ce sujet, et de compare la situation de plusieurs joueurs professionnels célèbres : c’est ce qu’a fait la Ligue des droits de l’Homme, et le résultat, c’est qu’on atteint les limites de l’absurdité.

Lisez plutôt. Et aussitôt après, allez signer la pétition, dont l’adresse est en fin d’article !

En ce début janvier, pour la quatrième fois, un vote a permis à Lionel Messi d’être élu meilleur joueur de football par la délivrance du « Ballon d’or ». Argentin, il joue à Barcelone. Conformément à la loi espagnole et à la clause de réciprocité, il pourra, s’il le décide, voter aux prochaines élections locales de son pays d’adoption.

A chacun de ses matchs avec le PSG, son club actuel, Zlatan Ibrahimovic fait l’actualité et le résultat. Suédois, conformément à la réglementation communautaire et à sa transposition en droit français, il pourra, s’il le souhaite, voter aux prochaines élections municipales en 2014 dans sa commune de résidence.

Dans le même PSG, Javier Pastore fait preuve de tout son talent stratégique pour assurer spectacle et conduite du jeu. Mais Argentin, il ne pourra pas, s’il le souhaitait, s’exprimer ou se présenter, puisque la France ne donne pas le droit de vote aux élections locales aux étrangers non membres d’un pays de l’Union européenne.

Dans l’effectif des Girondins de Bordeaux, Fahid Ben Khalfallah est un incontournable de la sélection. Tunisien, lui non plus ne pourra pas s’exprimer sur un autre terrain que celui du jeu, et s’il le souhaitait, accentuer sa participation à la vie locale dans tous ses aspects. Conformément à la Constitution de la France, ressortissant d’un Etat non membre de l’Union européenne, il ne bénéficie pas du droit de vote.

A Marseille, l’OM est le club aux multiples couleurs. André Ayew fait partie de ces joueurs africains dont on admire la dextérité et le sens du jeu. Guanéen, il ne votera pas, même si éventuellement il le souhaitait. Malgré sa parfaite participation à la vie du pays qui plaiderait en ce sens, la loi étant ce qu’elle est, il fait partie de ces personnes dont on parle tout le temps, mais dont la citoyenneté de résidence n’est pas reconnue.

Absurde, non ? Cet état de choses doit changer !

La Ligue des droits de l’Homme, avec le collectif « Droit de vote 2014 », appelle tous celles et ceux qui considèrent qu’une extension du droit de vote à tous les résidents de France serait une amélioration de la démocratie et un apport considérable à l’égalité des droits, à participer à la campagne pour gagner ce droit dès maintenant et faire de 2014 l’année où la France, d’une façon ou d’une autre, par une voie ou par une autre, aura su être à la hauteur des exigences de la composition de sa population.

Pour signer la pétition ou participer à la campagne de mobilisation :

–        visiter le site de la LDH : http://www.ldh-france.org

–        visiter le site du collectif « Droit de vote 2014 » : http://www.droitdevote2014.org

 

Migrants en Guadeloupe, Guyane et Mayotte : la France à nouveau condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme

La Cour européenne des droits de l’Homme vient de condamner une nouvelle fois la France, pour les expulsions de migrants auxquelles elle procède en Guyane, Guadeloupe et Mayotte. Ces territoires ressemblent désespérément à des zones de non droit, et le jugement de la Cour, qui a été adopté à l’unanimité, dans sa formation la plus solennelle, a réaffirmé que la législation d’exceptions qui y est appliquée viole le droit à un recours effectif garanti par la Convention européenne des droits de l’Homme. Le collectif Migrants Outre-mer analyse cet arrêt dans un communiqué.
Arrêt de Souza Ribeiro c. France, 13 décembre 2012, n° 22689/07
Chaque année plusieurs dizaines de milliers de mesures d’éloignement sont exécutées à partir de la Guyane, la Guadeloupe et Mayotte (ainsi que Saint-Martin et Saint-Barthélemy) sans aucun contrôle juridictionnel, en dérogation au droit commun applicable en France métropolitaine qui prévoit le caractère suspensif du recours contre les mesures administratives d’éloignement.
À l’unanimité, la Cour européenne des droits de l’Homme réunie en sa formation la plus solennelle, vient d’affirmer que cette législation d’exception violait le droit à un recours effectif garanti par l’article 13 de la Convention : en l’espèce, le requérant 1 – un ressortissant brésilien – avait été reconduit à la frontière de Guyane avant que le tribunal administratif de Cayenne ait pu se prononcer sur le recours qu’il avait formé et dans lequel il invoquait la violation du droit au respect de sa vie familiale.
La Cour de Strasbourg réunie en section ayant rejeté cette requête par quatre voix contre trois (CourEDH, 31 juin 2011, n° 22689 07, De Souza Ribeiro c. France), l’affaire a été renvoyée devant la Grande chambre ; la Cimade, le Gisti et la LDH étaient tiers intervenants. La décision prise le 13 décembre 2012 renverse la précédente.
La Cour estime en effet que l’article 13 combiné avec l’article 8 de la Convention « exige que l’État fournisse à la personne concernée une possibilité effective de contester la décision d’expulsion ou de refus d’un permis de séjour et d’obtenir un examen suffisamment approfondi et offrant des garanties procédurales adéquates des questions pertinentes par une instance interne compétente fournissant des gages suffisants d’indépendance et d’impartialité ».
En citant abondamment la tierce intervention, la Cour relève les pratiques expéditives que dénotent les circonstances de l’affaire et balaie de surcroît les arguments rituels justifiant un droit d’exception en outre-mer.
« […], interpellé le matin du 25 janvier 2007, le requérant fit l’objet d’un APRF (arrêté préfectoral de reconduite à la frontière) et fut placé en rétention administrative le même jour à 10 heures, pour être ensuite éloigné le lendemain à 16 heures. Il a donc été éloigné de Guyane moins de trente-six heures après son interpellation », sur la base d’un arrêté motivé de façon succincte et stéréotypée qui atteste « le caractère superficiel de l’examen de la situation du requérant effectué par l’autorité préfectorale ».
Tout en se disant « consciente de la nécessité pour les États de lutter contre l’immigration clandestine et de disposer des moyens nécessaires pour faire face à de tels phénomènes », la Cour estime que cette nécessité ne justifie pas « de dénier au requérant la possibilité de disposer en pratique des garanties procédurales minimales adéquates visant à le protéger contre une décision d’éloignement arbitraire ».
Cette atteinte au droit au recours effectif garanti par l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’Homme combiné avec le droit au respect de leur vie privée et familiale concerne de très nombreuses personnes interpellées et reconduites de manière expéditive depuis l’outre-mer.
Pour la seconde fois en 20122, la Cour condamne la France sur une question relative à l’effectivité des procédures nationales de recours en matière d’immigration et à leur fonctionnement. L’État français doit mettre fin aux procédures condamnées par la Cour notamment aux régimes d’exceptions applicables aux étrangers en outre-mer incompatibles avec le respect des droits de l’Homme garantis par la Convention européenne sur tous les territoires de la République française.
Collectif migrants outre-mer (MOM) :
ADDE : avocats pour la défense des droits des étrangers ; AIDES ; CCFD : Comité catholique contre la faim et pour le développement ; Cimade : service œcuménique d’entraide ; Collectif Haïti de France ; Comede : comité médical pour les exilés ; Gisti : groupe d’information et de soutien des immigrés ; Elena : les avocats pour le droit d’asile ; LDH : Ligue des droits de l’homme ; Médecins du monde ; Mrap : mouvement français contre le racisme et pour l’amitié entre les peuple ; OIP : Observatoire international des prisons ; Secours Catholique.

Centres de rétention : pas de droits pour les personnes, pas de liberté pour les associations ?

La Ligue des droits de l’Homme prend à son tour position contre l’appel d’offre que vient de lancer le ministère de l’intérieur aux associations qui interviennent dans les centres de rétention administrative. Dans un communiqué, elle dénonce les mesures qu’elle estime inacceptables, et demande le retrait pur et simple de cet appel d’offre et l’arrêt de l’enfermement des étrangers sans papiers.

La Ligue des droits de l’Homme a eu connaissance des nouvelles dispositions que le gouvernement a prises en ce qui concerne les centres de rétention administrative. Les conditions dans lesquelles les associations concernées vont devoir répondre au nouvel appel  d’offre sont inacceptables : liberté d’action limitée, droit à investigation dénié, limitation du droit des personnes à bénéficier d’une aide. Au lieu d’une amélioration des conditions de fonctionnement et du respect des personnes, le gouvernement accentue les mesures restrictives.

Alors qu’aucune diminution du nombre de personnes retenues dans les centres de rétention n’est attendue, compte tenu du chiffrage du nombre d’expulsés d’ores et déjà annoncé par le ministère de l’Intérieur,  l’intervention des associations contractantes est rendue plus difficile, en recourant à un contrôle étroit de leurs activités.

Ainsi, elles devront par exemple prévenir les chefs des centres de rétention, dès qu’une des personnes enfermées qu’elles accompagnent osera déposer un recours, et les personnes étrangères enfermées ne pourront plus s’entretenir avec les associations accompagnées d’un co-retenu de leur choix, ce qu’elles souhaitent pourtant très fréquemment.

Enfin, en matière de liberté d’information, les associations seront soumises à un « devoir de réserve » et une « obligation de discrétion », et devront exprimer « de manière mesurée, des opinions dans le domaine des politiques publiques relatives à l’immigration ».

L’empilement de ces mesures de restriction signifie que le regard critique et de dénonciation que portaient les associations est largement mis en cause. Ainsi, tout affichage dans leurs bureaux est soumis à l’autorisation préalable du chef du centre de rétention. De même, le prêt de moyens de communication vers l’extérieur est interdit, mettant ainsi en cause le droit de correspondre pour se  défendre. 

Enfin le texte de l’appel prévoit des sanctions, des pénalités financières, l’interdiction définitive pour les salariés d’accéder au centre de rétention, voire la résiliation des contrats des associations. Ces sanctions seront prononcées par la police ou le ministère de l’Intérieur, sans moyen de recours compte tenu de la liberté d’appréciation qui leur est laissée.

En matière de rétention des étrangers, l’orientation va donc dans le sens de la répression : expulsions collectives, absence d’amélioration du traitement des étrangers malades, création, après l’arrêt du conseil d’État sur la garde à vue, d’une nouvelle disposition de retenue, au mépris du droit commun, poursuite de l’enfermement d’enfants dans le centre de rétention de Pamandzi à Mayotte, mise à l’écart des Cra de Mayotte et de Martinique du marché public. Ce faisant, les mesures d’assouplissement de la politique antérieure sont noyées dans un ensemble défavorable.

La Ligue des droits de l’Homme se prononce pour la fin de la politique d’enfermement des étrangers sans papiers, et pour le retrait de l’appel d’offre du marché  public de la rétention, tel qu’il est proposé  aux associations intervenant dans les centres de rétention.

 

« Garde à vue bis » pour les étrangers, centres de rétention : pour Valls, le changement, ça n’est pas maintenant !

Sale temps pour les demandeurs d’asile et les sans-papiers.

Alors que le ministère de l’intérieur vient d’adresser aux associations habilitées à pénétrer dans les centres de rétention son appel d’offre pour l’année prochaine, l’assemblée vient de voter la « retenue » des étrangers pour vérifier leur identité (le conseil d’Etat avait reconnu illégale la garde à vue).

Les centres de rétention tout d’abord. L’appel d’offre n’est pas public, seules les associations concernées le recevront. Le site Médiapart a cependant réussi à en avoir connaissance, et ça n’est pas triste…

Parmi les nouveautés : un devoir de réserve, ou de discrétion, est imposé aux intervenants, mandatés pour informer et apporter un soutien aux personnes retenues. La violation de ce devoir sera punie d’une amende de 500€…

Lorsqu’une personne retenue voudra déposer un recours, l’intervenant devra prévenir le chef de centre. Les personnes retenues ne pourront être entendues qu’une par une par les avocats ou les intervenants : sauf qu’il arrive qu’un retenu maîtrisant le français pouvait servir d’interprète…

La conclusion de la Cimade est sévère : « Ce régime d’exception risque fort de devenir le nouvel outil des préfectures et de la police. Il s’ajoutera à l’arsenal déjà mis à leur disposition sous l’ère Sarkozy et toujours en vigueur en devenant le premier maillon d’une chaîne visant à enfermer en rétention et expulser au détriment des droits » (lire ici). « La Cimade demande au gouvernement de retirer cet appel d’offre et d’adopter de nouvelles dispositions qui garantissent l’accès effectif aux droits des personnes étrangères enfermées en rétention ainsi que l’indépendance d’associations exerçant un rôle essentiel de vigilance citoyenne, de regard de la société civile  sur ces lieux d’enfermement ». En conclusion, l’association considère qu’il s’agit ni plus ni moins d’une « garde à vue bis spéciale étrangers ».

Passons au texte de loi sur la retenue des étrangers. Il avait déjà été adopté par le sénat, et l’Assemblée nationale vient de le finaliser. Première chose, la retenue ne pourra pas excéder 16h : c’est un progrès. C’est bien le seul !

La discussion a été vive à l’Assemblée. La droite a évidemment entamé son refrain xénophobe. Mais c’est de la gauche qu’est venue l’opposition la plus intéressante. Elle a permis notamment d’autoriser la présence d’un avocat, pour un entretien de 30 minutes : « Il est ainsi prévu explicitement que l’étranger peut demander à être assisté par un avocat, que l’avocat peut, dès son arrivée, communiquer pendant trente minutes avec la personne retenue, que l’étranger retenu peut demander que l’avocat assiste à ses auditions au cours desquelles celui-ci peut prendre des notes et qu’à la fin de la retenue l’avocat peut, à sa demande, consulter le procès-verbal de retenue ainsi que le certificat médical annexé. La première audition ne pourra débuter sans la présence de l’avocat avant l’expiration d’un délai d’une heure, sauf si elle porte uniquement sur les éléments d’identité ». Le Monde poursuit : « S’il a reconnu « une avancée extrêmement importante » avec ces amendements, le chef de file des députés radicaux de gauche, Roger-Gérard Schwartzenberg, a pointé avec insistance un traitement moins favorable à ses yeux pour les sans-papiers retenus que pour les gardés à vue, vu la possibilité d’une audition pendant une heure sans présence d’un avocat sur les éléments d’identité, « cœur de cible » à ses yeux des auditions dans le cas de la retenue » (article ici).

Les associations ne pourront qu’être déçues par ces deux nouvelles, qui viennent s’ajouter à plusieurs événements inquiétants : démantèlement des camps de roms sans relogement, renoncement au récépissé pour les contrôles d’identité (Valls s’est contenté d’une « réécriture » du code de déontologie de la police et de la gendarmerie)…

Au ministère de l’intérieur, le changement, ça n’est décidément pas maintenant…

Une lettre d’un inspecteur d’académie aux instituteurs, en 1904

Aristide Guéry

Aristide Guéry a été nommé inspecteur d’Académie à Saint-Brieuc, en 1904. À son arrivée, il s’est adressé aux institutrices et instituteurs du département, par un courrier dans lequel il leur indique « ce que nous sommes en droit d’attendre, vous de moi et moi de vous ». Une lettre qu’il est intéressant de relire aujourd’hui, en pleine période de débat sur le « mariage pour tous », et après un quinquennat marqué par des attaques en règle de la laïcité de la part de l’ancien président de la République.

Il est intéressant de savoir qu’Aristide Guéry a été  déplacé d’office et « envoyé » dans la Creuseà Guéret. Le francs-maçons du Grand Orient de France, qui avaient pris fait et cause pour lui (qui n’était pas franc-maçon) indique que durant les deux années passées dans le département « il a travaillé avec l’ardeur et la conviction d’un apôtre pour faire de l’Ecole Laïque une réalité évidente ». Ils ajoutent : « … (cela) lui a valu un blâme du Conseil Général réactionnaire qui lui reprochait son attitude républicaine au sujet de l’enseignement de la morale dans les écoles primaires ».

Depuis 1982, une école porte son nom, à Guéret (23). Le site de l’école Aristide-Guéry indique : « Aristide Guéry a été Inspecteur d’Académie du département de la Creuse de 1906 à 1910. Artisan de l’École Publique, il possédait un sens aigu des valeurs morales et en particulier de la justice. Devenu figure nationale, il poursuivit la réalisation de son idéal laïc : il a ébauché les premières commissions paritaires et créé une Université Populaire. »

Enfin, petit rappel qui a son importance : cette lettre est datée d’octobre 1904. Soit un an avant la loi sur la séparation des Églises et de l’État !

Merci à Bernard Etienne d’avoir communiqué cette information !

A mon arrivée au milieu de vous, je tiens tout d’abord à vous adresser mon salut le plus cordial ; ensuite à vous dire brièvement ce que nous en sommes en droit d’attendre, vous de moi et moi de vous.

Je me suis profondément réjoui d’avoir été appelé par la confiance de Monsieur le Ministre et de Monsieur le Directeur de l’Enseignement primaire à remplir les fonctions d’Inspecteur d’Académie dans le département des Côtes du Nord. D’instinct j’aimaisla Bretagneà travers les poètes et les peintres, à travers les mélodies où le peuple lui-même a chanté ses douleurs ou ses joies. Il est bon d’avoir à travailler dans un pays qui nous plait ; il est meilleur d’avoir à y faire œuvre utile. Et quelle tâche plus urgente s’impose à nous, que celle de travailler au développement et à la prospérité de l’enseignement laïque ? Certes, sur cette terre de Bretagne qui par tant de liens tient encore à la tradition, ce n’est pas en un jour que nous arriverons à imposer à tous et à toutes la confiance et le respect auxquels ont droit les écoles dela République. Maispar l’énergie et la persévérance, par une action douce et ferme, par la dignité de notre vie et l’élévation de notre enseignement, il nous est permis d’espérer conquérir peu à peu à notre cause tous les esprits épris de progrès et de liberté.

Dans l’œuvre que nous allons poursuivre ensemble, il ne s’agit pas de partir en guerre à tout propos contre l’Eglise et contre Dieu. L’Eglise, vous la jugerez impartialement sans prendre une « voix de violents ou de doctrinaires absolus. » Son histoire se compose à la fois de services à l’origine, de cruautés dans la suite, d’efforts – toujours – pour diriger et pour dominer l’Etat. Devant ces prétentions, la société civile tour à tour se courbe, compose, résiste. A l’heure actuelle, elle semble vouloir s’acheminer définitivement vers sa libération. C’est le dernier acte d’une « lutte séculaire » qui va sans doute se jouer dans notre pays. L’écho des discussions doit s’arrêter devant vos classes ; mais vous êtes mêlés à la vie sociale et vous pouvez être appelés à vous prononcer sur des questions brûlantes ; que ce soit toujours avec calme, avec sang froid, en hommes préoccupés de faire avant tout la lumière, de dissiper les malentendus, de montrer que l’Etat ne veut pas, quoi qu’on dise, la mort de l’Eglise, qu’il ne demande au prêtre qu’une chose : c’est de se renfermer dans son rôle, qui est un rôle religieux, essentiellement religieux, uniquement religieux. « Rendons à César ce qui appartient à César »…

Et pour ce qui est de Dieu, eh bien, pour ce qui est de Dieu, vous n’êtes ni l’école pour Dieu – elle est à côté, ni l’école contre Dieu – vous devez les premiers donner l’exemple de la tolérance ; vous êtes, nous sommes l’école sans Dieu. Cette appellation, on nous l’a jetée à la face pour nous flétrir ; nous la revendiquons comme un titre d’honneur. Elle exprime notre raison d’être et résume toute une partie de notre programme. Elle veut dire que pour l’éducation des enfants qui nous sont confiés, nous ne nous appuyons en rien sur les dogmes religieux. Pour fonder notre morale, nous nous passons de Dieu, et sur des bases purement humaines nous entreprenons de dresser, debout, conscient, fraternel, l’homme de la société future.

Que si parmi vous il se trouve des croyantes et des croyants, c’est leur droit d’élever, dans le silence de leur âme, leurs pensées vers le Dieu de leur foi : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses. » Ils peuvent également pratiquer la religion qu’ils trouvent bonne, mais à titre purement individuel, jamais du fait de leurs fonctions, jamais en tant qu’instituteurs, jamais en tant qu’institutrices.

A plus forte raison, si vous ne croyez pas, devez-vous vous abstenir de suivre, par convenance, par faiblesse, ou simple politique, des pratiques que votre conscience réprouve, que vous respectez chez les autres, mais auxquelles vous ne sauriez condescendre sans subir une diminution de vous-mêmes, et signer, en quelque sorte, votre propre déchéance.

De même dans votre enseignement, vous vous garderez – à tous également – d’emprunter à d’autres ou leur méthodes ou leurs principes. Ce n’est pas en inclinant son drapeau qu’on le conduit à la victoire. Notre premier devoir, tout de loyauté et de franchise, c’est de dire qui nous sommes et quelle fin nous poursuivons. Le dogme impose : nous, nous proposons. Nous ne prêchons pas une vérité qui nous serait donnée, nous la cherchons ensemble, et c’est à la triple source de la science, de la raison et de la conscience que nous allons puiser les principes suivant lesquels nous voulons organiser le monde et orienter la vie morale. Ces principes, plus d’une fois, dans nos réunions, dans nos conférences, dans nos fêtes même, nous aurons l’occasion de les définir, de les expliquer, d’en montrer la valeur et la fécondité. Mais déjà, nous pouvons les résumer en quelques mots : respect de la liberté de l’enfant, sentiment de la valeur de la personne, nécessité impérieuse de réaliser en nous-mêmes et dans la cité, la grande vertu sociale : la justice.

Chers collaborateurs, qui demain, je l’espère, serez mes amis, je sais quels trésors de dévouement, d’enthousiasme et cependant de sagesse, il y a dans vos âmes d’éducateurs et de républicains. De mon côté, je vous apporte – avec l’amour de ce peuple de France que vous êtes chargés d’élever à la pleine conscience de se droits et de ses devoirs, – toute ma bonne volonté, qui est grande, tout mon ardent désir de vous aider, de vous soutenir dans votre tâche, et la résolution ferme de vous défendre contre les attaques injustifiées dont vous pourriez être l’objet

Je compte sur vous ; comptez sur moi.

L’Inspecteur d’Académie, Guéry

(Bulletin de l’Instruction primaire – Côtes du Nord – Octobre 1904)

 

Saint-Brieuc, 8 décembre : Laïcité et lutte contre les disciminations, avec Jean Baubérot

Photo Agence France presse.

« Laïcité et lutte contre les discriminations, entre complémentarités et contradictions » : c’est le titre de la conférence que Jean Baubérot donnera, samedi 8 décembre, à 15h30, à l’amphithéâtre du lycée Ernest-Renan, 2 Boulevard Hérault à Saint-Brieuc.

Jean Baubérot est historien et sociologue, titulaire depuis 1991 d’une chaire « d’histoire et sociologie de la laïcité » à l’école pratique des hautes études. Il est d’ailleurs le fondateur de la « sociologie de la laïcité », et il a siégé à la « commission Stasi », qui, en 2003, avait été chargée par Jacques Chirac, alors président de la République, de réfléchir à « l’application du principe de laïcité dans la République ». Il tient un blog, « Laïcité et regard critique sur la société », et il est l’auteur, entre autres nombreux ouvrages, d’un « que sais-je » intitulé « la laïcité expliquée à M. Sarkozy », et co-auteur de « Laïcités sans frontières ».

Cette conférence est organisée dans le cadre de l’anniversaire de la loi de séparation des églises et de l’Etat, par la Ligue de l’enseignement des Côtes d’Armor, la Ligue des droits de l’Homme, la Libre pensée, le Grand Orient de France, et l’Union des délégués départementaux de l’éducation nationale. Ces associations ont par ailleurs pour but commun l’élaboration d’un document sur la Laïcité, à destination des établissements scolaires du département.

 

Photo Agence France presse.

Le discours de Djemila Benhabib, prix de la laïcité 2012

Djemila Benhabib vit au Québec. Elle est née d’une mère chypriote grecque et d’un père algérien, elle a vécu son enfance à Oran. En octobre 2012, elle a reçu le Prix international de la laïcité, décerné par le Comité Laïcité République, pour ses travaux sur la laïcité et le droit des femmes.  Djemila Benhabib est notamment l’auteure de Ma vie à contre-Coran et Les soldats d’Allah à l’assaut de l’Occident.

Dans le discours qu’elle a prononcé lors de la remise du prix, Djemila Benhabib expose sa conception de la laïcité : son point de vue est passionnant. Cliquer ici pour voir la vidéo de ce discours.

Prix de la laïcité 2012. Discours de Djemila Benhabib, lauréate du Prix international

« Le dialogue n’est rien là où la dignité humaine n’est pas »

Pour une perspective laïque et féministe du monde

C’est à travers un regard de femme, celui d’une féministe laïque vivant en Amérique du Nord, fortement imprégnée des valeurs républicaines, ayant grandi en Algérie que je me propose d’aborder cette réflexion sur la laïcité qui est d’emblée, je le dis et je l’assume le fruit aussi bien d’un cheminement subjectif que d’une véritable analyse proprement factuelles marquée par mon vécu dans trois type de sociétés distinctes :

  • nord-africaine, en Algérie ;
  • européenne en France et
  • nord-américaine au Québec

où les façons d’organiser les rapports entre l’État et la religion sont de nature différente.

En Algérie, l’islam est religion de l’État. Du coup, la source du droit peut devenir l’islam. C’est en effet le cas avec le code de la famille qui puise son principal référent dans la charia islamique. En France pays laïque et républicain, l’État est régi par une stricte séparation entre la sphère politique et religieuse. Et finalement le Québec, province assujettie à la Constitution canadienne et au multiculturalisme qui connaît un parcours singulier entre une volonté, du moins populaire, de s’affranchir du multiculturalisme, et une obligation institutionnelle de se soumettre au jugement de la Cour suprême du Canada. Pari difficile compte tenu du fait que nulle-part dans notre aménagement constitutionnel, le caractère laïc, séculier ou neutre de l’État, qu’il soit canadien ou québécois d’ailleurs, n’est proclamé ; avec ceci de particulier « la suprématie de Dieu » est évoquée dans le Préambule de la Charte canadienne des droits et libertés. Ce sont les juges qui, à la pièce, comme dans tous les pays anglo-saxons d’ailleurs, ont façonné la reconnaissance de fait du principe de la séparation de l’Église et de l’État.

Ces trois expériences nous démontrent clairement, à des degrés variés, bien évidemment, et sous des formes différentes, à quel point les velléités politiques sous couvert du religieux peuvent se mettre en marche à un moment ou un autre de l’histoire dans un pays quelconque pour entrer en concurrence avec l’ordre politique établi soit pour le fragiliser, l’ébranler voire carrément le remplacer pour changer le destin d’un pays, la nature même de son État et le devenir de son peuple.

Rappelons-nous de cette offensive islamiste qui s’est mise en place en Algérie au tout début des années 1990 pour faire de ce pays un État théocratique.

Rappelons-nous de ce bras de fer orchestré en 1989, en France, entre la République et des groupes islamistes à travers quelques élèves voilées qui n’avaient qu’un seul objectif celui de liquider l’héritage de l’école républicaine laïque.

Rappelons-nous de l’agitation de quelques chauds partisans de la charia au Canada pour remplacer les lois civiles par une justice d’abattoir lorsqu’il est question du droit familial ? L’idée des tribunaux islamiques qui avait fait son chemin à partir de 2004 a été abandonnée en raison d’une forte mobilisation. Pour combien de temps ? La question demeure entière. Pour rappel, ce projet a été validé par un certain nombre de personnalités de gauche, en premier lieu, l’ancienne ministre déléguée à la Condition féminine, Marion Boyd et au Québec, par Charles Taylor, co-président de la commission Bouchard-Taylor sur les accommodements dit raisonnables.

Ce n’est pas un hasard si c’est ce même intellectuel qui chapeaute l’école de pensée de la laïcité dite ouverte avec l’objectif de légitimer la présence du religieux dans les institutions publiques. Cette imposture intellectuelle qui consiste à multiconfessionnaliser l’espace civique vise ni plus ni moins à sabrer les acquis de cette formidable Révolution tranquille qui a mené le Québec, à partir des années 1960, à se moderniser et à sortir de l’emprise de l’église catholique.

Il va sans dire que le principe des accommodements soi-disant raisonnables a souvent tourné en un arbitrage entre la liberté religieuse et le principe d’égalité entre les femmes et les hommes qui est, en passant, un droit constitutionnel, nouvellement inscrit dans le préambule de la Charte des droits et libertés depuis 2008. Les tribunaux québécois et surtout canadiens donnent presque systématiquement préséance à la liberté de religion.

Les intégrismes religieux ont trouvé là une niche confortable qui leur a permis d’étendre leurs tentacules à travers une configuration sociale qui consiste à segmenter et fragmenter les sociétés en fonction d’appartenances ethniques et religieuses pour aboutir fatalement à l’effritement du lien social. J’entends et vous l’aurez deviné : cette aberration monumentale qu’est le multiculturalisme dont l’équivalent n’est autre que le « multicommunautarisme » c’est-à-dire un « multiracisme » institutionnalisé.

Ce vecteur de l’organisation sociale qui a promu la différence en culte, a érigé la diversité en dogme et a noyé le culturel dans le cultuel, considère que le meilleur moyen de favoriser l’intégration des populations issues de l’immigration est de les encourager à maintenir et perpétuer leurs propres structures culturelles. Cette conception est devenue, par la force des choses, la mécanique la plus efficace à déconstruire le lien social, à désintégrer la société et a y a semé des pathologies incurables.

Quand les intégrismes religieux se nichent dans le multiculturalisme

Comment bâtir une société sans pour autant partager une langue commune, une culture commune, une histoire commune et un minimum de mémoire partagée ? Système pervers par définition, le multiculturalisme a ethnicisé les problèmes sociaux et politiques, a poussé les immigrants à se réfugier dans une identité exclusive préfabriquée d’appartenance d’origine.

Cette confrontation vient mettre à nu la nature profonde entre deux visions du monde antagonistes, l’une mettant l’individu et ses préoccupations au centre de la cité, faisant de lui un acteur de changement et l’autre mettant la Cité sous la tutelle de communautés assujetties chacune à son propre dieu, faisant de lui le régisseur de nos consciences et ouvrant la porte à une surenchère entre tous les Dieux possibles et inimaginables.

Cette prolifération des religions s’illustre notamment par un exemple évocateur, où les débats à Queen’s Park, le parlement provincial de l’Ontario, sont précédés chaque jour par la récitation intégrale de 8 prières ! En effet, depuis 2008, on a décidé de conserver le Notre Père et d’y ajouter d’autres prières : autochtone, bouddhiste, hindouiste, musulmane, juive, baha’ie et sikhe. Par comparaison, au Québec, depuis 1976, les travaux à l’Assemblée nationale débute par une minute de silence c’est-à-dire un moment de recueillement.

Même la secte des mormons en Colombie britannique défie le Code Criminel en revendiquant la polygamie au nom de leur liberté de religion. En 2010, deux polygames mormons, qui avaient respectivement 19 et 3 épouses, ont soutenu que la loi violait leur liberté de religion, ont décidé de contester l’article 293 du Code criminel devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique pour demander que la polygamie soit décriminalisée. Fait sidérant, croyez-le ou pas, les mormons prétendent que la polygamie est avantageuse pour les femmes. D’ailleurs, des universitaire femmes de l’université montréalaise de McGill sont venues appuyer leurs propos !

On devine à travers tous ces exemples, un lien évident entre les droits des femmes et la laïcité. Le féminisme ne s’inscrit pas dans le vide et ne prend pas racine dans le néant. Il se projette dans un espace-temps bien défini dans lequel s’articulent toutes ces problématiques sociétales. Ces convulsions s’enracinent également dans un contexte international marqué par le retour du religieux aussi bien à l’échelle des pays pris individuellement qu’à l’échelle des institutions onusiennes.

Je réalise, jour après jour, le degré des préoccupations communes des citoyens du monde. Ici comme ailleurs, le débat est marqué par la présence d’éléments récurrents et de questionnements déterminant pour l’avenir : quelle étendue donner à la liberté religieuse ? Quel contenu donner à la laïcité, quels gestes poser face à l’exacerbation des particularismes et à la montée des communautarismes ? Quelles balises établir pour consolider le vivre ensemble ? Doit-on insuffler davantage de religieux dans le lien social pour gérer la diversité ? Une question qui nous préoccupe de part et d’autre de l’Atlantique : que faire avec le multiculturalisme ? Une autre interrogation relative aux soulèvements dans le monde arabe qui sont porteurs d’une aspiration réelle de changement démocratique mais pas seulement malheureusement, nous interpelle grandement. Sur quelle base organiser les solidarités ?

Les jihadistes ne sont que le prolongement des Frères musulmans

Au printemps de l’année 2012, j’ai vécu au rythme de l’Égypte et de la Tunisie. Je voulais aller à la rencontre de leurs peuples, sentir leurs fluctuations intérieures et capter leurs émotions ; sortir des dépêches de journaux ; saisir à chaud des réalités complexes et contradictoires ; humer l’air ambiant ; arrêter de vivre à distance les bouleversements historiques qu’a connus la région et surtout, être portée par ce souffle de liberté. J’ai eu l’impression que tout a changé sans toutefois avoir changé. Une chose est sûre : la laïcité et la place des femmes sont au cœur des débats. Plus encore, grâce au statut des femmes, on est à même de comprendre les configurations politiques postrévolutionnaires, de cerner les « blocages » qui crispent les sociétés arabes ainsi que les espoirs qui les animent. En d’autres mots, le statut des femmes a ce pouvoir incroyable de réveiller en chacun son côté un peu obscur ! Le sexe est une affaire politique et la sexualité une fixation qui occupe tous les esprits, celle des femmes est l’affaire de tous, son contrôle relève de la pathologie collective. Dans l’esprit des islamistes, la cause profonde de la régression et du sous-développement est l’absence de morale ou encore l’éloignement de la morale islamique. Bref, « Trop de sexe » a désaxé la Oumma !

L’islam de la Confrérie des frères musulmans a brimé le processus de sécularisation de l’islam qui était bel et bien en marche avec l’arrivée au pouvoir de Mustapha Kemal Atatürk dans les années 1920. Il a totalement noyé « l’islam ordinaire » en plus de paver la voie à l’islam djihadiste. Il ne fait aucun doute que les sanguinaires « djihadistes » ne sont que les dérivés d’autres brutes : les « Frères ». En déterrant le concept du djihad armé, ces derniers l’ont remis au goût du jour. C’est peu dire qu’entre les « Frères » et les « djihadistes » il n’y a guère de rupture. Les seconds ne sont que le prolongement des premiers. Prolongement naturel qui révèle une forme d’évolution logique dans les structures ainsi que dans les méthodes et une répartition tacite des rôles et des tâches. Entre les uns et les autres, nulle ambiguïté ne subsiste, le projet de société est le même : bâtir la oumma islamiya. Le modus operandi ainsi que la distribution du travail sont orientés vers un double objectif : faire plier l’Occident en le culpabilisant et maintenir l’Orient dans les ténèbres.

La question du terrorisme, intimement liée à celle de l’islam politique, ne pourra se dénouer sans lever le voile sur certains tabous inhérents à l’islam, dont la nature du texte coranique, son impact et sa portée ainsi que la place de la charia dans le corpus législatif. Cet enjeu place autant l’Occident face à ses contradictions que les musulmans face à leurs limites. Pour dépasser ces limites, il faudra inéluctablement s’affranchir du règne de « l’intouchable », de « l’indiscutable », de « l’islamophobie » et de la « stigmatisation ».

Ceci confirme au moins une chose, la nécessité d’arrêter le naufrage politique aussi bien de l’Orient que celui l’Occident et d’ouvrir un large débat, un débat éclairé et sincère qui jettera, sans doute, des ponts entre les deux versants.

Les noces islamo-gauchistes se célèbrent sur les cendres de l’Orient

Et nous, qu’en est-il de nous ? Sommes-nous réduits à n’être que de simples figurants ? Sommes-nous devenus les spectateurs d’une désolation abominable qui ne dit pas encore son nom ? Par nous, j’entends des citoyens d’ici et là qui voyons un monde se défaire et des valeurs s’effilocher, peu à peu, sans pour autant être en mesure d’insuffler de véritables dynamiques de changement pour arrêter la progression de ce mal planétaire qui a quitté le Levant, sans nostalgie aucune, pour enjamber le siècle et se nicher au cœur de l’Occident. Que faire contre les Tartuffe de la polygamie et du voile islamique qui n’ont jamais été aussi exubérants et volubiles sous le dôme de la « tolérance » et de « la liberté religieuse » occidentales ? Que leur dire lorsqu’ils nous chantent, sans complexe, les louanges d’un islam fantasmé alors qu’il n’est que pure désolation d’un bout à l’autre de la planète ? Comment réagir lorsque l’arsenal des partisans du relativisme culturel, dans l’indifférence totale et obstinée du sort réservé à des millions de musulmans à travers le monde qui subissent les affres de l’islamisme dans leur chair, se met au service de cette idéologie totalitaire pour traiter de raciste et de xénophobe quiconque ose encore défendre les valeurs universelles ? Comment, quand et pourquoi cette alliance liberticide s’est-elle orchestrée ? Une chose est sûre, volant au secours de la barbarie islamiste, lâchant au passage les musulmans laïques et féministes, ces nouveaux potentats pétris de culpabilité coloniale ont décerné au fascisme vert les titres de noblesses que l’Histoire lui a toujours refusés. En confondant les bourreaux avec les victimes et en déguisant les fondamentalistes en progressistes, ils ne font que participer à la mise en échec des seconds. Les premiers peuvent s’en réjouir. Les brèches ouvertes par la vigilance défaillante de leurs nouveaux « camarades » ne sont pas prêtes à se refermer. Tout compte fait, qu’importe que l’islam politique sème le chaos et la mort sur une échelle infiniment plus grande ! Tant pis si ces nouvelles noces islamo-gauchistes se célèbrent sur les décombres et les cendres de l’Orient.

Je sais bien qu’en dépit de tout cela, certains nous disent : « C’est en intégrant les islamistes dans le processus démocratique qu’ils finiront par apprendre et comprendre les règles du jeu. » Pourquoi les peuples arabes seraient-ils tenus de réussir là où les peuples européens ont totalement échoué, c’est-à-dire à transformer des fascistes en démocrates ? Si cette possibilité en était réellement une, il aurait fallu la mettre en application lorsque Hitler, Mussolini et Franco se sont lancés dans leur course folle. Il aurait fallu « contenir » leurs ambitions et à terme, les rediriger dans le processus électoral. Rien de cela n’a même été envisagé. Comment ne comprend-on pas, à la lumière de l’expérience européenne, l’impossibilité d’associer des fascistes à l’organisation et à la gestion des affaires de la Cité ? Comment ne voit-on pas dans cette reconduction des fossoyeurs d’hier une insulte aux jeunes de la place Tahrir du Caire et une offense au sacrifice suprême du jeune vendeur ambulant tunisien Mohamed Bouazizi ? Comment accepter de réinjecter du Moyen Age dans des sociétés déjà trop entravées par la chape de plomb du religieux ? Qu’y a-t-il de si difficile à conjuguer liberté et arabité ?

Les femmes portent sur leurs dos le fardeau politique des compromis et des trahisons perpétuels

Ni le refoulement, ni l’amnésie ne permettent de tirer des leçons de l’Histoire. Seule la mémoire alimente le présent et pave la voie à un avenir garant du changement. Vous l’aurez deviné, je parle ici de l’Histoire européenne. Le vrai problème pour les Occidentaux n’est pas tant de relever les défis que pose la modernité à l’islam, mais de ne pas oublier leur propre histoire.

Des épisodes historiques fondateurs semblent se perdre dans les dédales de notre temps incertain et trop frileux. Qui se souvient encore de la terrible violence du combat contre le primat du religieux et de la fabuleuse révolution des Lumières ? Qui si non vous, chers amis, pour marteler à répétition ces quelques épisodes ? Comment ne pas penser que l’islam devra subir aussi cette épreuve décisive et essentielle ? Si nul ne peut prédire l’avenir, il faut au moins se souvenir de son passé.

Après avoir énoncé tous ces arguments, certains persistent dans leur aveuglement et insistent encore : « Pourquoi ne pas réessayer, encore une fois, de dialoguer avec les islamistes et de les intégrer dans la joute démocratique ? » Les vertus « du dialogue » seront toujours mises de l’avant comme si « le dialogue » était une fin en soi, une forme de moralité dont la transgression serait rédhibitoire. Le dialogue n’est rien là où la dignité n’est pas. Le dialogue alimente l’esprit de ceux qui y adhèrent sans a priori alors que, pour les islamistes, il n’est qu’une tactique temporaire pour asseoir leur hégémonie. Fatalement, les démocrates sortiront encore plus amochés qu’ils ne l’étaient de cette confrontation inégale avec les islamistes. Car il est bien là le problème, dans la répartition du fardeau de l’effort et des concessions. Dans le monde arabe et musulman, les femmes sont toujours appelées à en faire davantage. Encore un plus. Un petit chouiya. Elles portent sur leurs dos le fardeau politique des compromis et des trahisons perpétuels.

Lorsqu’on tiendra davantage compte des aspirations des femmes, des laïcs, des minorités linguistiques, religieuses et sexuelles, le dialogue deviendra effectif. Je reste convaincue que le progrès social implique nécessairement des ruptures significatives.

À quand un aggiornamento musulman ?

S’il ne fait aucun doute que la confession musulmane, en Occident, a droit à l’égalité devant la loi quant à l’exercice du culte, elle n’est pas égale au regard de l’histoire avec le christianisme. La reconnaissance de la liberté de pensée et de conscience est le principal défi des musulmans. Le règne de la censure, des assassinats et de la lapidation doit cesser. Les fatwas qui rendent sataniques les livres et les écrivains révolues. L’interdiction de penser et de débattre doit être levée. La dénégation de l’individu et l’apologie de la tribu doivent être dépassées. Bien qu’il y ait eu, qu’il y ait, et qu’il continuera à y avoir en son sein des courants rationalistes, l’islam ne s’est jamais vraiment réformé. Encore faudrait-il que l’on ose invoquer cette nécessaire réforme au lieu d’accepter l’islam tel qu’il se présente aujourd’hui, c’est-à-dire comme une fatalité, comme l’otage des islamistes.

Cette fatalité des musulmans, eux-mêmes la refusent, qu’ils soient croyants, laïques, agnostiques ou encore militants du rationalisme athée. Nous sommes nombreux à partager cette même conviction avec une certitude : on ne peut continuer de se tenir à l’écart du destin universel de l’humanité. Le chemin que nous poursuivons mènera un jour, fut-ce cent ans après notre mort, à l’affranchissement du règne de l’absolu. Pour l’heure, l’islam, gangrené par l’islamisme, ankylosé par des siècles d’une pensée dogmatique, attend toujours son médecin. À quand maintenant un aggiornamento musulman ?

Un projet commun pour la défense de la laïcité et des droits des femmes

Aujourd’hui, plus que jamais, je demeure convaincue que nous pouvons encore faire beaucoup dans ce monde embrumé et injuste pour transmettre et implanter une perspective véritablement humaniste, laïque et féministe. En réalité, tout est encore possible, pour autant que l’on comprenne les véritables enjeux et les dynamiques géopolitiques qui sous-tendent l’avènement et la progression de l’islam politique. En chacun de nous loge un espoir qui ne demande qu’à grandir. Cet espoir ne pourra prendre son envol sans votre engagement. Ce qu’il faudrait désormais, c’est moins un goût de révoltes individuelles qu’une volonté collective copernicienne. Il faut avant toute chose faire converger nos aspirations dans un projet commun pour la défense de la laïcité et des droits des femmes. En sommes-nous si loin ? Pour ma part, je reste convaincue qu’il n’est pas moins urgent aujourd’hui qu’il y a trois siècles de lutter contre les tentations obscurantistes, la bigoterie, la censure et le fanatisme. Les défis de ce début de siècle nous imposent une lucidité et un engagement encore plus grands que par le passé.

Grâce à l’étendue de la sympathie que vous m’exprimez, jour à jour, je suis apaisée. Une force tranquille m’habite, je suis surtout traversée par le sentiment que résister est un honneur parce que cet acte vous renvoie non seulement à votre propre existence mais aussi à celle des autres, à une existence plus collective, celle d’une humanité en mouvement qui s’enracine et se projette dans l’universel. Je suis consciente aussi que la sympathie que vous m’exprimez est un hommage rendu à tous ceux et celles qui partagent le même combat que moi dans le monde arabe et musulman. Camus disait : « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde, la mienne sait pourtant qu’elle ne le fera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. » Je peux dire la même chose de la mienne. Je marche résolument vers ce but, certaine d’avance de mes défaillances, sur un si long chemin. Certaine aussi de mes limites. Consciente que je ne suis pas grand-chose dans tout cela. Consciente aussi de l’urgence d’agir avec le même engagement, coûte que coûte, avec force, conviction et passion. Il me reste à vous faire la promesse de fidélité que je me fais à moi-même dans le silence, tous les soirs après avoir couché ma fille Frida de 7 ans, celle de ne jamais abandonner.

 

Elie Geffray, prêtre et maire : un homme courageux

Photo Hervé Queillé, Le Télégramme.

Elie Geffray est maire d’Eréac (22) depuis 2008.

Il est aussi prêtre.

Le 8 mai 2012, il avait eu des paroles fortes pour exprimer l’inquiétude que lui causait le score du front national dans sa commune : «  Nous avons été particulièrement complaisants à l’égard de ces thèses. J’ai ressenti comme une humiliation et comme un déshonneur qu’Eréac leur ait accordé 20% de ses suffrages le 22 avril ».

Aujourd’hui, il reprend la parole, dans le quotidien Le Télégramme, sous la plume d’Hervé Queillé,  pour s’exprimer au sujet du projet de loi instituant le mariage pour tous. Non qu’il y soit particulièrement favorable. Mais pour deux raisons essentielles.

La première concerne la fameuse « clause de conscience » que certains élus voudraient introduire dans la loi pour ne pas être contraints de célébrer de mariages entre personnes du même sexe : «Un maire doit appliquer les lois, en vertu du principe de la laïcité, beaucoup trop négligé aujourd’hui. Il n’a pas à faire intervenir ses convictions religieuses dans l’exercice de ses fonctions. Ou alors il démissionne», déclare-t-il.

La seconde, c’est simplement le réalisme : « Imaginez ce que serait la société française si on n’avait pas réglementé le divorce, la contraception ou l’avortement… En Espagne, où le mariage gay existe, c’est plus la crise financière qui perturbe la société que cette question-là. À cet égard, je préférerais que les évêques français mettent plus leur énergie à lutter contre une société qui détruit des familles et supprime toute perspective à la jeunesse qu’à combattre le mariage homosexuel ». Et il conclut : Même si je comprends leurs réticences, il faut une hiérarchie des urgences…». 

Merci, Monsieur le Maire !