Congrès du Mans : Réintégrons les fusillés pour l’exemple, mutins, engagés étrangers et soldats coloniaux dans la mémoire nationale

Gilles Manceron

La quatrième résolution adoptée par le congrès de la Ligue des droits de l’Homme, au Mans, rappelle un des grands combats menés par la LDH, dès la fin de la guerre. Un combat tout aussi fondateur pour la Ligue que l’affaire Dreyfus.

Il est mené aujourd’hui par le groupe de travail Histoire de la LDH, et singulièrement par son co-animateur, l’historien Gilles Manceron, qui a défendu devant le congrès cette résolution qui, outre la réhabilitation des soldats victimes de la barbarie de l’Etat-major, demande la reconnaissance de toutes les autres victimes de cette barbarie : les mutins, les engagés étrangers, les soldats coloniaux… Et la résolution rappelle que le centenaire de la Grande Guerre est peut-être la dernière occasion de rendre justice à toutes ces victimes.

Réintégrons les fusillés pour l’exemple, mutins, engagés étrangers et soldats coloniaux dans la mémoire nationale

La dénonciation des injustices commises par les tribunaux militaires durant la Première Guerre  mondiale a été l’un des grands combats de la Ligue des droits de l’Homme, dans le prolongement de l’affaire Dreyfus. Il a permis d’obtenir jusqu’en 1935 la réhabilitation d’un certain nombre de fusillés pour l’exemple. Nous déplorons qu’en 2014 le centenaire officiel de ce conflit n’ait pas été l’occasion d’un acte fort vis-à-vis de tous ceux non encore réhabilités, qui ont été victimes d’ordres arbitraires et injustes.

La création au musée de l’Armée, à l’Hôtel national des Invalides, d’espaces consacrés à cette question doit être saluée comme une avancée. Elle va dans le sens du souhait exprimé le 5 novembre 1998 à Craonne, par le Premier ministre Lionel Jospin, qui avait demandé que les fusillés pour l’exemple « réintègrent notre mémoire collective nationale ».

Mais cela ne répond pas à notre demande de réhabilitation de tous les soldats injustement condamnés qui voulaient, comme l’avait demandé Jaurès, être traités comme des citoyens sous l’uniforme. Avec le centenaire, pour les trois ans qui viennent avant 2018, une nouvelle et sans doute dernière fenêtre s’ouvre pour que soit posé un acte politique permettant la réhabilitation des fusillés pour l’exemple. Une vraie réhabilitation implique l’annulation judiciaire des condamnations et donc une série de décisions individuelles.

La Ligue des droits de l’Homme constate que ce combat continue. Les recherches à leur sujet doivent être poursuivies, leurs sépultures doivent être identifiées et dignement traitées, le transfert de leurs restes dans les communes dont ils étaient originaires doit contribuer à leur rendre justice, comme cela s’est produit, avec l’appui de la LDH de l’Oise et de la Corse, pour le soldat Sylvestre Marchetti, dans son village natal de Taglio d’Isolaccio.

Le travail doit aussi être poursuivi sur des questions occultées ou méconnues de la Grande Guerre qui ne présentent pas seulement un intérêt pour l’Histoire mais aussi pour nos enjeux contemporains. C’est le cas notamment des civils injustement accusés d’espionnage, pour lesquels la LDH, après la guerre, a mené de fortes campagnes pour leur réhabilitation ; celui des mutineries de 1917, qui ont affecté les deux tiers des divisions d’infanterie du front ; celui des bagnes coloniaux, des compagnies de discipline et des bataillons d’exclus, qui ont concerné des dizaines de milliers de soldats et ont provoqué beaucoup plus de morts parmi eux que les fusillés pour l’exemple ; celui des engagés volontaires étrangers européens, victimes de traitements brutaux dans des régiments de marche de la Légion étrangère ; celui des soldats coloniaux victimes de recrutements forcés, de promesses non tenues, d’un emploi inconsidéré et d’un quasi-abandon après-guerre ; et celui de l’ « importation » de dizaines de milliers d’indigènes militarisés, qui ont connu une mortalité très élevée dans les usines d’armement.

En ce qui concerne les mutineries, il importe d’éclairer en particulier le rôle joué par Philippe Pétain, nommé général en chef le 15 mai 1917, qui a eu recours à des procédures exceptionnelles en supprimant les recours en grâce pour hâter les exécutions, et en isolant les soldats considérés comme « meneurs » pour les envoyer sans procès dans des bagnes coloniaux, où beaucoup sont morts de traitements inhumains et dégradants.

Force est de constater, enfin, que les « poilus venus d’ailleurs », étrangers européens et travailleurs ou combattants coloniaux, absents de nos monuments aux morts, ne sont pas reconnus par notre mémoire nationale à la mesure du sort qui a été le leur. Seules de nombreuses tombes musulmanes en témoignent, au sein de nos nécropoles militaires. Il importe qu’un siècle plus tard, eux aussi « réintègrent aujourd’hui pleinement notre mémoire collective nationale ». La Ligue des droits de l’Homme et du Citoyen réclame de réintégrer les fusillés pour l’exemple, mutins, engagés étrangers et soldats coloniaux dans la mémoire nationale.

Résolution adoptée à l’unanimité moins 28 voix contre et 17 abstentions

Congrès du Mans : rassembler et relever les défis

Le congrès du Mans a voté deux autres résolutions très politiques : Rassembler pour un avenir solidaire, et Relever tous les défis lancés à la démocratie. Elles ont toutes les deux été largement adoptées par le congrès.

Rassembler pour un avenir solidaire

Dans une société secouée par les crises et travaillée par les doutes, les deux années qui nous séparent d’échéances majeures s’annoncent difficiles et décisives. Les défenseurs des droits, de la démocratie et de la citoyenneté ne veulent ni ne peuvent céder à la peur et au découragement ; d’autant moins que des alternatives sont possibles. Mais contribuer à leur émergence suppose d’affronter les périls présents avec lucidité.

L’humanité est entrée dans une crise écologique majeure et vit une désagrégation des équilibres mondiaux, dont témoignent l’intensité des contradictions, la multiplicité des conflits et des guerres. Le sentiment de régression de la place de l’Europe domine, tandis que le « nouveau capitalisme » globalisé et financiarisé, porté par la « révolution conservatrice », sape chaque jour le compromis social construit au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. La répétition de crises financières, économiques et sociales exacerbe inégalités, précarisation et mise en concurrence de tous avec tous.

En France et dans l’Union européenne, le cap mis sur l’austérité accompagne ou accélère ces processus, au motif qu’il n’y aurait pas d’autre politique possible. Ce choix alimente l’impuissance – voire les renoncements – du politique, débouche sur des alternances sans réelles alternatives, creuse le fossé entre gouvernants et citoyens et accroît la démobilisation citoyenne, produit une parole politique d’autant plus moralisatrice qu’elle est ineffective. La démocratie, l’égalité, la liberté et la fraternité s’en trouvent dangereusement fragilisées. La conjonction du recul du politique et de l’extension des discriminations et des exclusions alimente la montée du racisme, de la xénophobie, de l’antisémitisme, de l’islamophobie, du sexisme et de l’homophobie. Les thèmes d’extrême droite prônant l’exclusion de ceux présentés comme « différents » (immigrés, étrangers, chômeurs …) ont contaminé un large champ de l’espace politique et social. La recherche de boucs émissaires (Roms, musulmans, juifs, étrangers, « minorités visibles ») est devenue l’axe d’une remise en cause de la nature ouverte et démocratique de notre société. Corrélativement, la perte des repères et des solidarités, la précarisation des conditions de vie et de travail engendrent une désocialisation porteuse de désarrois, de replis et d’enfermements, parfois de haine et de violence, voire de déshumanisation. Les parcours de ceux qui ont plongé dans le fanatisme et l’obscurantisme témoignent de ces dérives mortifères, elles aussi antidémocratiques. Les agressions terroristes perpétrées en France ont ainsi alimenté de façon criminelle et traumatisante les actes de haine, les crispations identitaires, les obsessions sécuritaires et le doute sur la démocratie et ses valeurs. La levée en masse du peuple de France a montré qu’il choisissait – plutôt que la terreur et l’enfermement sécuritaire –, les valeurs de liberté et de fraternité. Le risque est néanmoins réel de voir s’instaurer une véritable « politique de la peur », tissée d’une surveillance et d’une répression généralisées et sans cesse croissantes.

Rien ne nous condamne à subir ces logiques régressives. Le monde est riche d’avenirs possibles, de pratiques solidaires, d’alternatives et de créativité, bref, d’une humanité toujours en devenir. Libérer ces potentialités suppose de s’attaquer d’un même élan aux défis de l’urgence écologique, de l’urgence sociale, de la défense solidaire des libertés  de tous, enfin, de la refondation démocratique de la citoyenneté, tant dans l’espace local et national qu’européen et global.

Face à l’urgence écologique, nous appelons à construire un autre système productif fondé sur l’intérêt général de l’espèce humaine et la promotion des « communs », à placer les entreprises en situation de responsabilité sociale et environnementale, à repenser les modes de travail, de transport et de consommation. La prise de conscience salutaire de l’importance de la lutte contre le réchauffement climatique souligne la fin inéluctable d’un modèle de production et d’échange, et fait de la transition vers un véritable « développement soutenable » un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs, une condition essentielle de la défense des droits de l’Homme.

Face à l’urgence sociale, nous réaffirmons que seule l’égalité des droits peut fonder les constructions démocratiques et solidaires à venir. Nous ne renonçons ni au droit de tous au « travail décent », à un emploi non précaire et dont la rémunération cesse d’être une simple variable d’ajustement ; ni à l’égalité devant la protection sociale, qu’il s’agisse du droit à une retraite « digne », au logement, de l’accès aux soins, de l’indemnisation du chômage, qui ne sauraient être abandonnés à l’assurance individuelle calibrée en fonction des moyens ; ni au droit effectif pour tous à l’éducation et à la formation ; ni au développement des services publics, qui réduisent les inégalités par la consommation socialisée de biens communs. Nous refusons que les cotisations sociales et les ressources fiscales qui fondent la solidarité nationale soient sacrifiées sur l’autel des « baisses de charges ». Nous réclamons au contraire que soit enfin conduite une réforme d’ampleur, conduisant à davantage de justice sociale et fiscale.

Face aux périls qui pèsent sur le pacte républicain et la fraternité, nous nous dressons contre la démagogie, les préjugés qui divisent, aveuglent et menacent notre avenir commun. Nous appelons à rompre avec l’accumulation des lois répressives, qui font reculer toujours plus nos droits et organisent la stigmatisation sécuritaire des « classes dangereuses » ; à sortir de la méfiance généralisée et du contrôle social autoritaire. Plus que jamais, nous avons besoin, collectivement, de défendre les libertés égales de tous. Plus que jamais, nous restons mobilisés contre le sexisme et pour l’égalité de genre. Ces engagements sont inséparables de la défense du droit d’asile, des droits des étrangers, de l’obtention de leur droit de vote et d’éligibilité aux élections locales, enfin, de la régularisation des « sans-papiers », pour en finir avec les situations inhumaines. La montée des idées d’extrême droite est la principale traduction dans le champ politique des crises multiples que connaît notre pays. Parce que ces idées sont dangereuses, une mobilisation spécifique et unitaire contre elles est nécessaire. La LDH devra y contribuer, notamment dans le cadre de Pour un avenir solidaire. Parce qu’il y a une réelle urgence démocratique, nous appelons à en finir avec les scandales, la monopolisation des mandats, l’hégémonie patriarcale et la sous-représentation de la jeunesse, des femmes, de la diversité et des milieux populaires, les procédures vidées de contenus, les conflits d’intérêts, le mépris du débat, l’éloignement des citoyens. Au moment où certains prônent l’exclusion des plus pauvres, des plus faibles, la démocratie doit être mobilisée au service des intérêts collectifs, de l’accès effectif aux droits pour toutes et tous. Cela passe par la mise en échec de la concurrence des territoires entre eux. Il est nécessaire de renouveler les formes de vie démocratique, d’aller vers de nouvelles articulations entre la démocratie représentative (légitime et nécessaire) et d’autres formes de démocratie participative des citoyens aux décisions, d’encourager le développement d’un dialogue social et d’un dialogue civil effectifs, de créer les conditions de la primauté du processus de décision politique sur l’affirmation de puissances privées et d’intérêts particuliers.

Convaincus que rien ne se fera sans une intervention forte des citoyennes et des citoyens, nous entendons tenir notre part et toute notre part dans ces nécessaires débats, confrontations et mobilisations présents et à venir. Nous entendons participer aux efforts de promotion de la citoyenneté dans tous les domaines de la vie publique, qu’il s’agisse d’éducation civique, de formation, d’éducation populaire.

Nous sommes déterminés à jouer pleinement notre rôle d’association généraliste de défense et de promotion des droits, indépendante des forces politiques et gouvernementales, que ce soit à l’école, dans la cité, aux côtés des travailleurs dans les entreprises, des exclus du travail, du logement, de la santé, de l’éducation.

Nous restons vigilants et mobilisés face à toutes les agressions qui visent la démocratie et dont le ressort est la haine, qu’il s’agisse d’exclusion, de racisme ou de xénophobie ; face à toutes les tentatives de rogner sur les droits et les libertés d’expression, de création ; face enfin aux politiques s’en prenant à des boucs émissaires. Nous le ferons en rassemblant, en lien avec tous nos partenaires de la société civile, et notamment dans le cadre de « Pour un avenir solidaire ».

Notre conception et notre pratique de la citoyenneté sont exigeantes ; elles portent sur les contenus réels des politiques proposées plus que sur leurs affichages. Nous souhaitons que le débat porte sur des choix de fond et non des pis-aller ; nous entendons peser enfin réellement sur les pratiques parlementaires et les politiques mises en œuvre par les exécutifs, en toute indépendance.

Ces choix sont exigeants, à la hauteur des défis. Ils sont aussi réalistes. Changer vraiment, pour le meilleur et non le pire, est possible. A condition que les citoyennes et les citoyens mettent en commun leurs énergies pour imposer le respect de leurs droits ; à condition que cette dynamique d’égalité s’articule à son tour à des décisions courageuses en matière d’économie et de politiques sociales, à condition, enfin, que soient créées les conditions d’une fraternité assurant dynamisme et rayonnement à la France.

Le futur n’est écrit nulle part ; il est entre nos mains. Quels que soient les obstacles et les difficultés, la Ligue des droits de l’Homme entend tenir ce cap, rassembler et relever les défis de la période, avec ce que cela suppose d’exigence démocratique, de justice sociale et d’espoir dans un avenir commun et fraternel.

Résolution adoptée à l’unanimité moins 22 abstentions

Relever tous les défis lancés à la démocratie

Les attentats terroristes de janvier 2015 ciblaient la République, la démocratie, la liberté et la fraternité. Leur ambition était de substituer à ces valeurs celles d’un état de guerre, d’une vérité révélée, du mépris de l’autre.

A l’inverse, des plus petites communes aux grandes agglomérations, la véritable levée en masse du 11 janvier a exprimé la solidarité de la population avec toutes les victimes, l’attachement à la liberté d’expression, le refus de la haine, de la violence, de l’antisémitisme et de la vengeance. Même ternie par la présence de plusieurs chefs d’Etat et de gouvernement non respectueux des libertés dans leur propre pays, cette mobilisation citoyenne est de celles qui marquent la mémoire d’un pays, et la LDH y a tenu toute sa place sur l’ensemble du territoire français.

Cette riposte ne dispense pas d’analyser avec lucidité ce qui s’est passé. La personnalité même des assassins, leur parcours, posent la question des mécanismes qui ont rendu possible dans notre pays l’émergence et la maturation d’un terrorisme islamiste intégriste dans ses dimensions internationales, mais aussi sociales, territoriales, d’appartenance communautaire ou idéologique… Dénoncer ce que diffuse le réseau Internet est insuffisant, il faut aussi se pencher sur les maux de la société française et les défis qu’elle doit relever.

Ces défis complexes procèdent d’un très grand nombre de facteurs et de logiques. Il serait à la fois inefficace et dangereux de se contenter de réponses trop simples, sécuritaires ou strictement administratives ou de laisser le terrain libre aux organisations qui veulent mettre en œuvre une politique de stigmatisation et une stratégie de tension. Le premier de ces défis touche à nos libertés. Les démocraties qui envisagent d’abaisser le niveau des libertés font ce qu’attendent celles et ceux qui les ont frappées. La LDH s’était félicitée de ce que le Parlement ne légifère pas dans la précipitation. Mais les mesures sécuritaires déjà adoptées en matière d’apologie du terrorisme et de surveillance du Net, et celles envisagées concernant la répression du racisme ou le contrôle des individus portent en elles d’importantes dérives liberticides. La Ligue des droits de l’Homme dénonce le projet de loi sur le renseignement en discussion accélérée au Parlement, porteur d’une vision sécuritaire élargissant une surveillance généralisée et instrumentalisant l’esprit du 11 janvier.

Le deuxième défi est celui de l’égalité. Pour que chacun et chacune aime la République, y trouve sa place, il faut que cette dernière les accueille toutes et tous. Cela suppose que la réalité ne contredise pas les principes républicains. La relégation dans des ghettos territoriaux et scolaires, l’augmentation des inégalités, la précarisation de pans entiers de la population − et notamment des jeunes − le désenchantement, la perte de confiance dans l’avenir menacent quotidiennement la démocratie, l’exercice de la citoyenneté, l’idée même d’un intérêt général et d’un avenir commun. La construction d’une société solidaire, l’effort pour tendre à la justice sociale, vers des possibilités identiques pour chacun d’avoir sa place dans la société suppose une volonté politique, des politiques publiques et des moyens budgétaires et humains en cohérence avec ces objectifs.

Le troisième défi touche à la fraternité, à l’ensemble des règles, lois, modes de vie qui font d’un territoire, notre pays, et de notre destin, une aventure commune. En janvier dernier, une grande partie de l’opinion publique s’est spontanément mobilisée pour la défense de la liberté d’expression. Ce consensus ne saurait effacer, ni enfermer dans le deuil les débats qui traversent la société française. Rien ne serait pire que d’entrer dans un jeu de fragmentations et de stigmatisations. La démocratie se construit sur la base de valeurs et de procédures qui, justement, font place à la différence, à la contradiction et à la confrontation des idées.

Au lendemain même des manifestations qui exprimaient le choix d’une France solidaire et démocratique, une multiplication d’actes antisémites et islamophobes a cherché à exacerber les peurs, les haines et les réflexes de repli de chacun dans sa communauté, son identité… réelles ou supposées. Pour affronter ces forces, nous avons besoin d’un exercice effectif et actif de la citoyenneté.

La mobilisation pour la laïcité est un enjeu central de cette construction. La LDH s’implique depuis sa naissance dans ce combat, et elle le fait aujourd’hui en analysant avec la lucidité nécessaire les changements que connaît le monde. Avec la loi de 1905, la République a fait le choix de la laïcité. D’une part, celle-ci se caractérise par le fait d’assurer la liberté de conscience et des cultes, et donc la possibilité d’exprimer toutes les convictions, religieuses ou non, y compris l’athéisme, en privé ou en public. D’autre part, les seules limites de la liberté d’expression, en cette matière comme en toute autre, c’est qu’elle ne doit ni mettre en cause l’ordre public, ni inciter au mépris ou à la haine. Enfin, la séparation des cultes et de l’Etat est assurée : « l’Eglise chez elle », hors de l’Etat, mais entièrement libre, comme tous les autres acteurs de la société civile et avec les mêmes contraintes.

La confusion, entretenue ou involontaire, entre pratique de l’islam et « islamisme politique », alors qu’on n’utilise pas l’expression de « christianisme politique » à propos de nombreux gouvernements européens, laisse croire à un lien indissoluble entre la religion musulmane et un refus définitif de la séparation entre les religions et l’Etat. En réalité, dans notre société, les individus ont des identités multiples et refusent d’être définis par leur seule appartenance communautaire ou religieuse. Cette réalité du pluralisme culturel et religieux est non seulement compatible avec la laïcité, mais le signe même de sa réussite. La laïcité crée les conditions de la neutralité de l’Etat, mais pas de la société, et garantit le respect du pluralisme parmi les citoyens.

Sans ce pluralisme des convictions, à égalité et sans discrimination, sans la libre expression et le débat comme seuls modes de fonctionnement acceptables, il n’y a pas de démocratie effective. Dans le contexte de pluralisme qui est le nôtre, le seul antidote efficace aux tensions et aux replis est une laïcité qui s’appuie sur une mémoire partagée, éclairée par l’Histoire, qui tienne la promesse républicaine de liberté de conscience et d’opinion, d’égalité de droits, de fraternité universelle, avec ce que cela suppose de politiques publiques contre l’antisémitisme, l’islamophobie, le racisme et toutes les discriminations, mais aussi en faveur d’une éducation porteuse d’émancipation qui prenne en compte toutes les composantes de la société.

La Ligue des droits de l’Homme, de longue date, inscrit ses propositions dans un effort de mobilisation citoyenne, autour d’une éthique du politique, de la défense des droits et des libertés et de leur effectivité. C’est autour de ces valeurs qu’elle doit développer son activité associative et d’éducation populaire, dans les écoles, les terrains de sport et les quartiers, autour des bidonvilles majoritairement occupés par des Roms, aux côtés des sans-papiers, pour l’égalité des droits entre les femmes et les hommes… partout où les libertés sont à défendre, les droits à protéger, la République à faire vivre.

Résolution adoptée à l’unanimité moins 14 abstentions et une voix contre

Congrès du Mans : le témoignage de Fatou et Aminata, coiffeuses au 57 bd de Strasbourg

httpv://youtu.be/T2RMXzTLwb0

Ils étaient 18. 18 salariés sans salaires, surtout des femmes, pour beaucoup africaines, coiffeuses, manucures. Elles travaillaient au 57 boulevard de Strasbourg, dans le quartier du Château-d’eau à Paris. Ils travaillaient sans salaire, ou alors avec quelques euros que les patrons daignaient leur céder de temps en temps. Ils travaillaient 60 heures par semaine.

Et ils se sont révoltés.

Sur leur chemin Ils ont rencontré des syndicalistes, la CGT, la Ligue des droits de l’Homme, l’association « collectif des cinéastes pour les sans-papiers ». Ils se sont mis en grève. Au bout de 10 mois, Ils ont gagné.

Deux d’entre eux, Fatou Doumbia et Aminata Soumaoro, sont venues raconter leur histoire au congrès de la Ligue des droits de l’Homme, samedi 23 mai au palais des congrès du Mans.

Elles y ont délivré un message d’espoir,  de solidarité, de confiance dans la lutte collective. Un autre moment fort de ce congrès.

Cliquer sur l’image pour lancer la vidéo.

 

Attentat au Bardo à Tunis : réécouter la conférence de Souhayr Belhassen du 25 mai 2011 à Rennes

Au lendemain de l’attaque terroriste menée au musée le Prado de Tunis, il est particulièrement intéressant de réécouter ce que disaient Souhayr Behlassen, le 25 mai 2011 à Rennes, soit quatre mois à peine après la révolution tunisienne. Ancienne présidente de la Ligue des droits de l’Homme tunisienne, elle était alors présidente de la Fédération internationale des Ligues de droites de l’Homme (FIDH). Vous pouvez regarder ci-dessous sa conférence, donnée à l’invitation de la section de Rennes de la Ligue des droits de l’Homme. La vidéo est coupée en 6 partie : à l’époque Youtube n’autorisait pas de séquences vidée de durée supérieure à 20mn.

Partie 1

httpv://youtu.be/AENSST8IQqQ

Partie 2

httpv://youtu.be/3xl48H7ZGVE

Partie 3

httpv://youtu.be/kOcTrcfjk4Y

Partie 4

httpv://youtu.be/6Y2tMU6EyMk

Partie 5

httpv://youtu.be/APuvicJK3E0

Partie 6

httpv://youtu.be/QTHt1NLvbIk

 

Stop le contrôle au faciès !

On s’y attendait : les attentats de janvier ont aggravé les atteintes aux droits et les discriminations dont sont victimes prioritairement les jeunes, singulièrement les jeunes de couleur. À commencer par les « contrôles au faciès », dénoncés par de nombreuses associations depuis des années, et dont le président de la République avait promis de les supprimer pendant sa campagne électorale. Résultat, le ministre de l’Intérieur du gouvernement Mauroy avait remplacé cette mesure par une prétendue « charte de déontologie » destinée aux policiers, qui, pour résumé, se contentait de faire coudre leur numéro matricule sur leur uniforme aux policiers. C’était encore trop pour eux.

Fort opportunément, le nouveau défenseur des droits, M. Toubon, revient sur cette mesure, et a publié des observations qui démontrent l’urgence de réformer ce système, et que le harcèlement qui découle de cette situation et dont sont victimes les jeunes cesse au plus vite. Ce harcèlement est naturellement contre-productif, et ne peut aboutir qu’à des situations conflictuelles qui peuvent vite dégénérer.

La Ligue des droits de l’Homme, qui se soucie depuis de nombreuses années de ce problème essentiel a publié lundi, avec d’autres associations, un communiqué qui expose clairement quelles devraient être les mesures propres à apaiser les relations jeunes – police.

Contrôles d’identité abusifs et discriminatoires : les observations du Défenseur des droits doivent aboutir à une réforme en profondeur des contrôles d’identité

(Paris – 13 février 2015) Les huit organisations signataires se réjouissent des observations que le Défenseur des droits vient de rendre publiques le 9 février. Elles constituent une contribution essentielle au débat sur les contrôles d’identité en affirmant clairement que, pour respecter ses obligations en matière de droits humains, la France doit en réformer le régime.

C’est ce que réclament, depuis de nombreux mois, nos huit organisations (Graines de France, Groupe d’Information et de Soutien des Immigrés, Human Rights Watch, Ligue des droits de l’Homme, Maison communautaire pour un développement solidaire, Open Society Justice Initiative, Syndicat des avocats de France, Syndicat de la magistrature). C’est pourquoi elles invitent le gouvernement, de toute urgence, à :

  • modifier l’article 78-2 du Code de procédure pénale qui encadre les contrôles ;
  • mettre en place une traçabilité des contrôles – donc un récépissé – assurant un recours effectif en cas de dérive.

Le 9 février 2015, le Défenseur des droits a déclaré dans un communiqué avoir présenté des observations devant la cour d’Appel de Paris, dans la procédure initiée par 13 personnes qui ont intenté une action visant à engager la responsabilité de l’État pour des contrôles d’identité discriminatoires. Son intervention rappelle que l’État français doit prendre des mesures pour lutter de manière efficace contre les contrôles au faciès.

Les observations du Défenseur des droits soulignent que les autorités doivent non seulement éviter toute discrimination, mais également adopter des mesures fermes et concrètes, propres à prévenir et à réprimer de telles pratiques. L’absence de ces mesures constitue un manquement équivalent « à fermer les yeux sur la gravité de tels actes et à les considérer comme des actes ordinaires… ». Il précise qu’il est nécessaire d’encadrer suffisamment les pratiques de contrôles, de sorte que tout contrôle soit basé sur des critères objectifs, et non sur des critères subjectifs, tels que le « ressenti » ou l’ « instinct » » des agents, comme c’est actuellement le cas. En effet, ces critères subjectifs donnent régulièrement lieu à des contrôles d’identité basés sur des critères discriminatoires tels que l’origine ethnique, comme nos organisations l’ont démontré à maintes reprises.

Le Défenseur des droits souligne par ailleurs l’importance de garanties suffisantes contre le risque d’arbitraire, qui impose, en particulier, un aménagement de la charge de la preuve et la garantie d’un contrôle effectif par le juge. Il note à cet égard que : « L’absence de motivation et de procédure écrite, en particulier de toute trace du contrôle effectué (précisant a minima la date et le lieu du contrôle, le nom de l’agent contrôleur et de la personne contrôlée et les raisons ayant  justifié la mesure), […] entrave l’accès au contrôle juridictionnel et peut priver celle-ci de la possibilité de contester utilement la légalité de la mesure et de dénoncer son caractère discriminatoire. »

Au regard de ces observations, nos huit organisations demandent au gouvernement de prendre des initiatives réellement efficaces pour lutter contre ces pratiques discriminatoires, et ainsi a minima :

  • proposer au Parlement de modifier l’article 78-2 du Code de procédure pénale. Cet article définit les circonstances autorisant les contrôles d’identité et les motifs légaux justifiant de tels actes. La généralité et l’imprécision de sa rédaction actuelle favorisent les dérives qui contribuent aux violations graves et répétées des droits fondamentaux. Plusieurs alinéas de cet article devraient être abrogés ou amendés afin de limiter le champ des contrôles aux stricts impératifs de la prévention ou la répression d’actes de délinquance ;
  • instaurer une traçabilité des contrôles qui fournirait à une personne contrôlée des informations sur les raisons ayant motivé son contrôle afin qu’elle puisse, le cas échéant, contester la légalité du contrôle et dénoncer son caractère discriminatoire.

Nos organisations affirment qu’une telle réforme ne réduirait en rien l’efficacité des forces de police, bien au contraire, et rappellent, en ce sens, que les expériences réalisées dans d’autres pays ont clairement démontré la possibilité à la fois de réduire la prévalence des pratiques discriminatoires et d’améliorer l’efficacité des contrôles de police, expériences d’autant plus probantes qu’elles ont associé tous les acteurs concernés : élus locaux, magistrats et avocats, policiers, associations, citoyens, experts.

Le candidat à la Présidence de la République, François Hollande, s’était engagé en 2012 à faire une réforme pour lutter « contre le « délit de faciès » par la mise en place d’une « procédure respectueuse des citoyens ». Cependant, depuis son élection, les différents gouvernements n’ont adopté aucune mesure susceptible de mettre fin aux contrôles d’identité discriminatoires.

Avec ces observations du Défenseur des droits, le gouvernement n’a plus à décider « si » il doit respecter son engagement de reformer les contrôles d’identité, mais seulement « quand » il le fera. Compte tenu des impacts dévastateurs de ces contrôles sur les personnes contrôlées, le sentiment d’injustice et d’humiliation qu’ils alimentent chez des personnes qui se sentent discriminées, nos huit organisations réaffirment fermement que cela doit être fait désormais sans plus tarder.

Terrorisme : savoir raison garder !

Communiqué publié par la Ligue des droits de l’Homme, ce lundi 2 février

Un gamin traîné au commissariat pour « apologie de terrorisme », un prof de philo suspendu et incriminé sur la base d’un propos indirect, et à ce jour non porté à la connaissance de l’enseignant en question, des agents municipaux inquiétés pour avoir refusé de participer à une minute de silence, des syndicalistes menacés de licenciement… Il est temps de se reprendre et de revenir à la raison ! Quoi de plus déraisonnable, en effet, que la confusion qui s’installe entre vigilance nécessaire et chasse aux sorcières ! Ni la restriction de la liberté de parole des adultes, ni les interrogatoires policiers d’enfants de 8 ans ne favoriseront notre sécurité. Ces mesures, à l’inverse, exacerbent un climat de défiance tous azimuts, incitent chacune et chacun à chercher autour de soi qui un terroriste, qui un terroriste potentiel… Un tel climat de recherche à tout va de boucs émissaires est insupportable ; pire, il est hautement contre-productif. Promouvoir les valeurs de liberté, de fraternité, expliquer au quotidien ce qu’est la laïcité, bref, vivre la République, implique de pouvoir en débattre, de façon libre, ouverte, confiante.

Privilégier la dénonciation et la mise à l’écart, c’est au contraire engendrer des situations insupportables au regard des droits élémentaires des personnes visées, alimenter amertumes et contentieux, donner finalement le sentiment d’une République essentiellement répressive.

La Ligue des droits de l’Homme avait déjà poussé un cri d’alarme après les invraisemblables décisions rendues en comparution immédiate, qui ont entraîné parfois des peines lourdes pour une divagation alcoolique.

Il est temps de calmer les esprits. Le gouvernement doit s’y employer et se rappeler que la lutte contre le terrorisme ne saurait trouver une quelconque efficacité en dehors du respect de la lettre et du principe de l’Etat de droit.

Steeve Briois honoré par le Trombinoscope : la LDH entend rafraîchir les mémoires !

La distinction attribuée au maire d’Hénin-Beaumont (front national) qui a été nommé « élu local de l’année » par « le Trombinoscope » continue de faire des vagues. Si certains hommes politiques et commentateurs s’en réjouissent, la grande majorité s’en offusque.

Il est utile de rappeler que cette « distinction » doit récompenser notamment « l’action accomplie » par l’élu distingué. En l’occurrence, en seulement quelques mois, M. Briois a certes été actif, mais d’une manière, disons, plutôt négative : expulsion, dès son  élection, de la Ligue de droits de l’Homme du local dont elle disposait depuis des dizaines d’année, arrêté « anti mendicité agressive » (qui a été annulé par le tribunal administrif qui également condamné Briois à 1000€ de dommages et intérêts à verser à la Ligue des droits de l’Homme), organisation en conseil municipal d’une pétition contre une enseignante, interdiction à un élu de l’opposition de participer à une commémoration patriotique…

L’attitude pitoyable des membres du jury de cette mascarade était pathétique : incapable d’assumer leur décision, ils ont fait appel à une salariée de l’entreprise (Le Trombinoscope est une entreprise qui édite chaque année l’annuaire des élus) pour remettre son prix à Briois, qui, de son côté, bien entendu, jubilait, tandis que la petite fille Le Pen proférait des menaces contre un journaliste…

La section de la Ligue des droits de l’Homme d’Hénin-Beaumont a bien entendu réagi à cette mascarade, par la publication d’un communiqué dont voici le texte :

Steeve Briois honoré par le Trombinoscope :

la LDH entend rafraîchir les mémoires !

Ainsi donc le jury du Trombinoscope a décerné à Steeve Briois, maire d’Hénin-Beaumont, Vice-président du FN, le prix de « l’élu local de l’année », destiné en principe à saluer « l’action et le professionnalisme de personnalités politiques qui se sont particulièrement illustrées durant l’année écoulée dans le cadre de leur mandat ou de leur fonction ».

Décision pour le moins surprenante, pour ne pas dire ahurissante, pour nombre d’observateurs. Car il ne s’agit hélas pas d’un canular et même si Arlette Chabot, présidente du jury, a pris la peine de rappeler qu’il s’agit « non pas de récompenser un bilan mais de mettre en évidence la percée du FN et son implantation locale », on ne peut ignorer la portée d’une telle décision.

C’est d’ailleurs bien ainsi que l’a compris le maire d’Hénin-Beaumont.

À cet égard, la section LDH d’Hénin-Carvin tient à saluer la décision de Claude Bartolone, Président de l’Assemblée nationale, de ne pas assister à la cérémonie de remise des prix.

Que Monsieur Briois ait, des années durant, « labouré le terrain », qu’il ait fait en 2014 une campagne « lisse » et banalisée en jouant à fond la carte rassurante de « l’enfant du pays », n’est certes pas niable.

De là à estimer que cela suffise à expliquer son élection est tout de même un peu court.

C’est faire bon ménage du terreau économique et social de la ville mais surtout de l’impensable division des forces démocratiques, des coups bas, des trahisons, des réactions à contre temps, des maladresses impardonnables qui ont permis au FN de conquérir la mairie d’Hénin-Beaumont.

Qui a-t-on ainsi voulu mettre à l’honneur ?

Le maire FN qui, à peine élu, a pris la décision inouïe de chasser de son local la LDH, provoquant une immense onde de choc, jusqu’au-delà de nos frontières ?

Celui qui, après avoir déclaré à la presse qu’il serait respectueux de ses adversaires, dénigre et brocarde systématiquement ses opposants, allant jusqu’à interdire à l’un d’eux d’être physiquement présent lors des manifestations patriotiques ?

Celui qui permet qu’une enseignante fasse l’objet d’une motion en conseil municipal réclamant pour elle des sanctions de l’administration ?

Celui qui prend un arrêté « anti-mendicité agressive, arrêté qui a depuis lors été suspendu par décision de justice, la ville se voyant condamnée à verser 1000 euros à la Ligue des droits de l’Homme ?

Celui qui est Vice-président d’un parti dont le président d’honneur avait osé qualifier les chambres à gaz de « point de détail de l’Histoire » ?

Résultat de l’opération dont Monsieur Briois doit se réjouir : il fait désormais partie de « l’establishment », aux côtés de personnalités du Nord comme Pierre Mauroy ou Jean-Louis Borloo ! Comment le FN pourra-t-il dès lors continuer à dénoncer le système politico-médiatique comme il le fait depuis des années ?

Le 29 janvier 2015

Apologie du terrorisme : « fermeté de signifie pas prison ferme ! »

L’application du nouveau délit « d’apologie du terrorisme » aboutit, depuis la semaine dernière, à des sentences démesurées, qui visent aussi bien des individus vraiment dangereux, que des pauvres types, et même des enfants.

À propos d’enfant, le témoignage d’une éducatrice, qui s’est occupée d’un garçon de 14 ans placé en garde à vue pendant 24h pour avoir dit « ils ont eu raison » (les terroristes ) pendant la minute de silence au collège. Ce qui ne l’a pas empêché de faire cette minute de silence quelque temps plus tard avec son équipe de foot : « c’était bien, on était tous en rond, on se tenait tous par le cou », raconte-t-il. Tout s’emballe : le principal reçoit l’ordre de l’académie de porter plainte : « J’ai porté plainte sur consigne de l’académie mais je croyais que les policiers allaient faire un rappel à la loi, que ça s’arrêterait là. »

Ça ne s’est pas arrêté là : conseil de discipline (le principal demandera une exclusion avec sursis, garde à vue de 24h, menottes… Tout s’emballe. L’éducatrice conclut : «  J’ai peur pour ce petit poisson, pour ses parents. Je suis effrayée par la réaction Vigipirate des institutions de la République, sans plus de raison, de discernement, chacun suivant les directives de sa hiérarchie, démultipliant la rigueur pour mieux exposer aux médias la réaction des institutions. Parce qu’un des arguments pour ces réactions en chaîne, le premier souvent avancé, c’est celui-là : « On est sous le regard des médias, de l’opinion publique. »

Boris Manenti  recense, dans un article publié sur le site Temps réel Le Nouvel observateur, 17 condamnations déjà prononcées. Que constate-t-on ?

  • Que le délit d’apologie du terrorisme accompagne généralement un autre délit : vol, agression, conduite en état d’ébriété…
  • Que les individus sont généralement déjà connus et ont été déjà condamnés (pas forcément pour cela).
  • Qu’il s’agit pratiquement uniquement d’hommes (une jeune fille est en attente de jugement), jeunes (entre 19 et 38 ans, le plus âgé ayant 51 ans).
  • La plupart du temps cela se produit dans des situations de grande tension et d’énervement.

On est quand-même loin du profil des frères Kouachi ! L’apologie du terrorisme n’est en fait qu’une manière d’insulter les forces de l’ordre, exceptées peut-être lorsque les propos sont tenus sur Facebook, cas dans lequel on peut imaginer que la personne est dans son état « normal ».

Le Syndicat de la magistrature a appelé, mardi 20 janvier, « la justice » à faire preuve de « sérénité » et « à résister à l’injonction de la répression immédiate ». Et il ajoute : « Il y a un défaut d’individualisation. Réponse ferme ne veut pas dire prison ferme ».

Le célèbre blogueur Maître Eolas, avocat, dont les avis éclairés sont toujours passionnants, s’élève avec ironie contre cette escalade : « Heureusement, face à la menace terroriste, la justice sait frapper promptement et sévèrement à côté de la cible » ! Et il apporte une explication à cette frénésie judiciaire : « Une enquête terroriste prend beaucoup de temps. L’instruction de l’affaire Merah est, par exemple, toujours en cours. Ici, après les événements tragiques qui se sont produits, pour de pures raisons de communication, il faut donner l’impression de réagir vite. » (Source, Temps réel le Nouvel observateur). Et c’est la raison pour laquelle il conseille à ses collègues avocats de refuser la comparution immédiate, pour reculer le procès dans le temps, en espérant que la sérénité soit revenue.

Pendant ce temps-là, Boris Le Lay, ce fasciste autonomiste breton qui répand son vomi sur son blog « breizato »  à longueur de journées coule des jours heureux chez sa maman. Que fait-il, sinon l’apologie du terrorisme, et ce depuis des années ? Menaces de mort accompagnées de photos de tombe et de poteaux d’éxécution, menaces de viols, toutes adressées nominativement à des militants des droits de l’Homme, propos antisémites et racistes d’une rare violence, projet « politique » ( ?) dont le préalable consiste à « liquider » physiquement les opposants (sa liste est prête)… Le Lay, dont le blog est naturellement hébergé hors de France, ce qui rend sa fermeture difficile, a été condamné à plusieurs reprises, à plusieurs milliers d’euros d’amendes et de dommages et intérêt, à de la prison avec sursis, et tout récemment à de la prison ferme, continue de sévir. Les nouvelles lois vont-elles permettre de mettre cet individu dangereux et ses quelques fidèles hors d’état de nuire ? Il ne faut pas oublier que certains des mouvements qui gravitent autour de Le Lay organisent des stages dans lesquels les sports de combat ont une large place (Le Télégramme).

Alors, les 24h de garde à vue de ce garçon de 14 ans laissent un peu rêveur…

 

 

Combattre le terrorisme, ce n’est pas restreindre les libertés

Photo Cécilia Crobeddu

Les souvenirs des impressionnantes marches du week-end sont encore intacts dans nos têtes, les victimes des attentats ne sont encore tous inhumés que déjà, les excités du code pénal gonflent leurs petits muscles pour appeler à davantage de répression, à l’invention de nouveaux délits, à l’aggravation des peines, à la restriction des libertés publiques… Il va falloir être vigilants, les jours et les semaines qui viennent !

Les premières condamnations sont déjà tombées : des mois de prison ferme, voire des années pour certains. Tout cela en comparution immédiate, évidemment, avec tous les effets pervers de cette procédure. Mais pour qui ? parfois de pauvres types, des ivrognes, qui profèrent leurs « apologies du terrorisme » comme ils profèreraient des insultes ou des insanités…

Heureusement, des voix se lèvent, qui rappellent simplement quelques évidences.

De nouvelles lois ? on en a assez comme ça, commençons par appliquer celles qui existent. Mais cela occupe l’espace médiatique, et permet d’éviter de parler de la première nécessité absolue : les moyens.

Hier soir, Joaquim Pueyo, l’ancien directeur de la prison de Fleury-Mérogis parlait, à Canal+ (émission le Grand journal du 14 janvier, dont on peut voir des extraits ici), de ce qu’il a vécu là : la promiscuité, l’insuffisance de personnel… Karim Mokhrari, un ancien détenu venu avec lui a déclaré : « tout ce qui est interdit à l’extérieur est obligatoire en prison », et il témoignait du rôle que jouent les dirigeants islamistes dans la prison : c’est pour eux du pain béni puisque les jeunes détenus n’ont qu’eux à qui se confier, et n’ont qu’eux pour les « protéger ». Abdelali Mamoum, imam du Val-de-Marne, y a expliqué le discours qu’il tient aux jeunes tentés par le djihad. Fadela Amara, ancienne secrétaire d’Etat à la ville a dénoncé le saupoudrage des moyens destinés à aider les « quartiers », les zones sensibles à ne plus être de guettos. Farid Benettiou ancien émir de la filière des Buttes-Chaumont, pas un enfant de chœur, celui-là, a témoigné de l’aide que lui a apportée la République à sa sortie de prison. La preuve de l’efficacité de mesures éducatives sérieuses.

Bref, tous ces témoignages tournaient autour de deux thèmes : manque de moyen, importance de la prévention et de l’éducation.

Photo Cécilia Crobeddu

Dans Ouest-France ce matin, Franck Leroy, essayiste, met en garde : « surveiller davantage Internet ? Attention ! », et il conseille de « ne pas défendre la liberté en la restreignant ». Rappelons-nous le scandale provoqué par les révélation d’Edouard Snowden sur les écoutes téléphoniques de la CIA : ça n’est pas si vieux ! Russel Banks, auteur américain et ancien président du Parlement des écrivains créé par Salmann Rushdie met lui aussi en garde : « ne tombez pas dans la paranoïa ». Il en sait quelque chose : il a vécu le « patriot act » mis en place par Busch après le 11 septembre : on a vu le résultat. C’est pourtant ce dont rêvent quelques députés, prêts une nouvelle fois à laisser une loi être dictée par l’émotion.

La Ligue des droits de l’Homme, pour qui la liberté d’expression fait partie des droits fondamentaux a publié dès hier un communique qui rappelle très clairement le danger qu’il y aurait à « s’enfermer dans le cercle de la peur », et « regrette qu’après l’élan du 11 janvier, ces réponses sécuritaires restent la seule voie empruntée par les pouvoirs publics ».

Voici ce communiqué :

Combattre le terrorisme, ce n’est pas restreindre les libertés

Le peuple de France est descendu dans la rue pour dire non au terrorisme et défendre les libertés. L’un et l’autre. Dans ce qui est devenu une sorte de réflexe pavlovien, la classe politique française souhaite ajouter encore à l’arsenal législatif de nouvelles mesures contre le terrorisme. Alors même que quinze lois ont été adoptées depuis 1986 et que les décrets d’application de la dernière ne sont pas publiés, notre sécurité serait, en effet, mieux assurée par de nouveaux pouvoirs confiés aux forces de l’ordre. Il n’en est rien. C’est un mensonge de prétendre que les dramatiques événements que nous venons de vivre seraient la conséquence d’une insuffisance législative. Il est exact en revanche que la déficience de moyens, les erreurs d’analyse, même si le travail des forces de sécurité française reste remarquable, méritent débat ; mais rien ne justifie les nouvelles dispositions envisagées.

La LDH regrette qu’après l’élan du 11 janvier, ces réponses sécuritaires restent la seule voie empruntée par les pouvoirs publics.

C’est d’une autre ambition dont nous avons besoin : de réponses de fond qui permettent de comprendre comment notre société a pu faire que de tels actes soient commis ; pas pour excuser, encore moins pour absoudre, mais pour éviter réellement qu’ils ne se reproduisent. Nous avons besoin surtout de réponses préventives. Toutes doivent renforcer l’esprit et la lettre de notre démocratie.

La LDH appelle les citoyens à ne pas se laisser enfermer dans le cercle de la peur. Elle les invite à rappeler aux pouvoirs publics, à la représentation politique française qu’à chaque fois que nous avons concédé de nos libertés, il s’en est suivi moins de démocratie, sans pour autant nous assurer plus de sécurité.

La fraternité qui s’est exprimée le 11 janvier exige un autre horizon que celui que l’on nous propose.

 

Photo Cécilia Crobeddu

Nous sommes Charlie : pour une République effective (communiqués)

Vous trouverez ci-dessous deux communiqués cossignés par la Ligue des droits de l’Homme, le premier a été publié par des syndicats, associations et partis politiques, et le second par des associations (les listes des signataires figurent au bas de chaque communiqué).

Communiqué commun

Paris, le 9 janvier 2015

 

Nous sommes Charlie : défendons les valeurs de la République !

L’attentat terroriste, qui a décimé avant-hier la rédaction de Charlie Hebdo et coûté la vie à des fonctionnaires de police, est un crime inqualifiable qui porte atteinte aux valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité.

Nous – associations, organisations syndicales, partis politiques – appelons tous les citoyens à une marche républicaine silencieuse le dimanche 11 janvier, à 15 heures, de la place de la République à la place de la Nation.

Face à la barbarie, défendons les valeurs de la République !

Premiers signataires :

CFDT – CFE-CGC – CFTC – CGT – EELV – Ensemble – Fondation Copernic – Front démocrate – FSU – Gauche unitaire – LDH – Licra – MDP – Modem – Mrap – MRC – Nouvelle Donne – PCF – PG – PRG – PS – SNJ – SNJ – CGT – SOS Racisme – UDI – UMP – Unsa

Pour une République effective

Aucun mot, aucune formule ne peuvent traduire notre peine : nous pleurons la mort de ceux et celles qui n’avaient qu’un crayon pour toute arme, et de ceux qui les protégeaient contre ce que nous pensions impossible. Les individus qui ont ainsi entonné un abominable hymne à la mort ont touché juste car c’est tout ce que nous aimons qu’ils ont assassiné : l’impertinence, le rire, l’inventivité, la joie de vivre, la liberté de penser, sans laquelle il n’est pas d’humanité. Et nous avons besoin que cette peine soit partagée entre tous, ici en France comme partout dans le monde. Ce monde qui a ressenti que cet événement n’était pas hexagonal mais notre histoire commune.

Bien sûr, il faudra enquêter, juger et sanctionner. Aucune démocratie ne peut accepter de plier face au fanatisme, à la violence, encore moins quand elle est dirigée contre un de ses piliers, la liberté d’expression. Bien sûr, c’est dans le cadre de l’Etat de droit que doivent agir les forces de l’ordre. C’est aussi sans stigmatisation des personnes se réclamant de l’islam que nous devons exprimer notre rejet de cette barbarie, si nous ne voulons pas entretenir des solidarités malsaines.

L’émotion ne suffit pas. Des voix s’élèvent pour appeler au rassemblement au nom des principes dela République. Maisde quelle République s’agit-il ? Il n’est pas certain que le mot suffise, en effet, à partager les mêmes principes ni les mêmes valeurs.

Le constat est terrible : sur fond de crise sociale permanente, la cohésion de notre pays a éclaté. Racisme et antisémitisme, stigmatisation d’une partie de la population, retour de la vieille antienne du bouc émissaire dont on ne retient que l’origine, relégation dans des ghettos territoriaux et scolaires, replis identitaires, ignorance de notre histoire, qu’elle concerne l’esclavage, la collaboration ou le colonialisme, et ces mots d’exclusion devenus si quotidiens au nom d’une conception dévoyée de la liberté d’expression. Pire, certains détenteurs de la parole publique n’ont pas su, et parfois pas voulu, respecter les symboles de l’égalité républicaine.

Ne le dissimulons pas, nous sommes tous responsables de cette situation. Cet échec nous est commun et nous ne saurions nous dispenser d’un regard critique sur nos propres actions.

Lorsque les principes mêmes dela Républiquesont contredits par la réalité, chacun interpelle celle-ci dans une sorte de sauve-qui-peut généralisé en lui délivrant injonction d’agir pour son propre sort sans référence à l’intérêt commun.

S’il est bien que les partis politiques, acteurs essentiels de la vie démocratique, s’emparent de ce débat, c’est d’abord au citoyen de le mener. Avant même de rassembler les institutions et les organisations, c’est d’abord les hommes et les femmes de ce pays qu’il faut rassembler autour non d’une incantation, mais d’une République effective pour tous.

Parce que nous voulons vivre ensemble, sans racisme et sans discriminations, quelles que soient nos origines, parce que la laïcité sans adjectif, celle qui accueille sans exclure, est la garantie de la paix civile, parce que nous sommes attachés à chacun des termes fondateurs dela République– Liberté, Egalité et Fraternité –, nous avons décidé de le dire dans la rue dimanche 11 janvier, sans slogans ni bannières, simplement pour dire ensemble notre peine mais aussi notre adhésion à une République dans laquelle chacun peut, sans distinctions, se retrouver. Tel est le sens de notre appel.

Alain Jakubowicz, président de la Licra, Pierre Mairat, co-président du Mrap, Dominique Sopo, président de SOS Racisme, Pierre Tartakowsky, président de la LDH