Depuis 2009, la Fédération française de football (FFF) s’obstine à appliquer, de manière erronée, les dispositions de l’article 19 du Règlement de la Fédération internationale de football association (Fifa), qui porte sur le statut et le transfert des joueurs et la lutte contre le trafic des jeunes joueurs dans le monde.
La FFF adapte cet article à la réglementation française, de manière discriminatoire. Elle exige de tout enfant non français qu’il justifie de l’identité et de la nationalité de ses parents, de ses liens de filiation avec ceux-ci et de leur résidence en France, ainsi qu’une attestation de sa présence continuelle en France lors des cinq années précédentes. Cette règle absurde bloque des centaines de licences. Un enfant sans papiers n’existe pas. Il y a simplement des enfants : la Convention internationale des droits de l’enfant rappelle que l’intérêt supérieur de l’enfant prime sur toute autre considération.
La Ligue des droits de l’Homme, qui a contribué à révéler les discriminations qui se cachent (mal) dans certains milieux du sport, a poursuivi cette année son action contre le refus de délivrance, par la Fédération française de football (FFF), de licences à des enfants qui veulent pratiquer ce sport. La raison ? Ils sont, disent-ils, étrangers.
Dans une lettre adressée à la LDH, la FFF tente de se justifier. Cette lettre montre que s’il advenait que ses dirigeants aient besoin d’une formation, ce serait bien en droit ! Le directeur général adjoint attaque vivement la LDH pour avoir déclenché une campagne médiatique défavorable. Et de s’en indigner… et de tenter ainsi un retournement en réponse aux accusations de discriminations, en l’occurrence celles que subissent certains mineurs parce que leurs parents sont étrangers, dans leur demande de délivrance d’une première licence. C’est une défense classique mais dérisoire que celle qui consiste à s’offusquer d’être critiqué, alors que le fondement de la critique est avéré. La FFF refuse de délivrer des licences à des jeunes enfants au vu de leur nationalité, et cela porte un nom déplorable, cela s’appelle une discrimination, et aboutit, pour une entité sociale, à se donner le droit de créer son propre droit au mépris de la loi.
La situation ainsi créée montre un curieux paradoxe. Il apparaît que dans le cas de jeunes joueurs dont les clubs souhaitent s’attacher les talents alors qu’ils viennent de l’étranger, l’intervention auprès de la Fifa consiste à lever le blocage de la licence. Autrement dit, la circulaire Fifa et sa déclinaison nationale ne s’appliquent pas lorsqu’elles le devraient, et s’appliquent lorsqu’elles ne le devraient pas. En ce qui concerne la protection des mineurs provenant de certains pays et trompés par de faux agents qui les abandonnent par la suite, si une solution protectrice doit être trouvée, elle ne peut consister à refuser une première licence de football à ceux qui en font la demande. C’est en effet une dérive dangereuse pour les libertés que celle qui consiste à incriminer tout un groupe au prétexte de sanctionner un délit. A la pratique de la discrimination, la FFF ajoute l’ignorance des règles fondamentales et habituelles du droit.
Si la LDH critique la réglementation et la pratique administrative de la FFF, c’est parce que la démonstration est faite qu’elle invente des actes administratifs dans un sens défavorable aux personnes, qu’elle les différencie en fonction de leur origine supposée ou réelle. Appliquées aux enfants, ces règles sont une violation de la Convention internationale des droits de l’enfant, qui dit qu’en toute situation c’est « l’intérêt supérieur de l’enfant » qui s’impose à toute autre disposition. La solution qui consiste à construire la protection de certains jeunes joueurs, venus de l’étranger, sur la stigmatisation d’enfants d’étrangers vivant en France ne garantit pas l’égalité de traitement de tous.
En ce qui concerne la pratique de ses services, le directeur général adjoint mentionne un examen au « cas par cas des dossiers », dans une sorte de reconnaissance honteuse qu’il y a bien problème. S’agit-il d’actionner une baguette magique, qui, bien agitée, rétablirait dans le bon sens une mauvaise situation d’arbitraire ? Dans un maintien dans l’ignorance des demandeurs, la FFF adapte soit les critères généraux, soit la situation de la personne. Quant à la demande d’une attestation de résidence, si elle voit sa durée de cinq ans réduite à trois ans, c’est sans mettre en cause la présentation d’un acte administratif qui n’existe pas. Par ailleurs la mention « attestation de cinq ans » figure dans la réglementation à l’annexe 1, et le secret est bien gardé sur les détails du logiciel employé.
La FFF aurait renoncé, dit-elle, à un certain nombre d’exigences à fournir. Rappelons que lorsqu’il s’agit d’un enfant, il s’agit d’une illégalité, puisqu’il n’existe pas d’enfants sans papiers, mais juste des enfants. Cette analyse est corroborée par la demande de présentation d’une preuve de résidence des parents, ce qui revient à dire que pour avoir le droit de pratiquer le football, il ne faut pas être fils ou fille de SDF, il ne faut pas être fille ou fils de sans-papiers et, absolument éviter d’être fils ou fille de sans-papiers SDF…
En outre, alors que la FFF affirme que les demandes ne sont pas cumulatives, on peut constater que l’ensemble des réponses flottent dans un flou général, au point que la FFF s’empêtre dans sa démonstration et reconnaît qu’il y a bien des discriminations, mais qu’elles ne sont pas intentionnelles, mais exceptionnelles comme si le fait qu’elles soient telles les rendait moins condamnables.
La FFF prétend n’établir un contrôle effectif qu’à partir de l’âge des U13. Cette assertion est fausse. De nombreux enfants dès l’âge de 6 ans, même nés en France, ont subi un refus de délivrance de licence en début de saison et ont bénéficié d’un déblocage uniquement grâce à l’intervention volontariste des responsables de clubs. Un certain nombre d’entre eux seraient tellement lassés par ce travail de bénévoles accompli à longueur de temps, qu’ils renoncent à inscrire désormais de jeunes mineurs étrangers signant leur première licence. Ainsi à la perte de temps s’ajoute une aggravation et un enracinement dans la pratique, et plus seulement dans la réglementation, de la discrimination. Dès lors, la LDH se sent confortée dans son rappel à l’ordre de la Convention internationale des droits des enfants, un jeune est « enfant » jusqu’à l’âge de 18 ans, et aucune différence ne devrait être faite pour tout mineur qui doit avoir le droit de s’inscrire dans le sport qu’il désire pratiquer.