Comme Valérie Pécresse, qui l’a précédé au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, Laurent Wauquiez a réussi faire l’unanimité contre lui. Mais, comme l’ancienne ministre, cela ne semble pas l’atteindre.
Cette fois, il s’agit d’une mesure qui rassemble les caractéristiques de la politique sarkoziste : mesure de circonstance, improvisée, et imposée sans la moindre concertation.
Laurent Wauquiez a décidé d’introduire une nouvelle discipline à celles qui sont enseignées à l’université : la criminologie. Et ceci à un mois de l’élection présidentielle : on voit bien sûr l’intérêt politique de cette mesure pour l’image de celui qui se pose depuis les événements tragiques de Toulouse en protecteur de la nation et des victimes.
C’est tout d’abord la commission permanente du Conseil national des universités qui s’est opposé à cette mesure. Première critique : « Le projet de création d’une section de criminologie n’a fait l’objet d’aucun débat sérieux impliquant l’ensemble de la communauté scientifique. » Ensuite, « la CP-CNU estime que la création de la section de criminologie est motivée par des préoccupations étrangères à la logique scientifique ». La CP-CNU entend apporter son soutien au développement de études en criminologie, mais « comme champ d’étude pluridisciplinaire ». Elle précise, avec des mots durs : « Mais elle refuse d’en faire une science de gouvernement et de l’enfermer dans une école de pensée marquée idéologiquement, ou dans un paradigme particulier comme le concept de « sécurité globale » défendu par les promoteurs de la nouvelle section de criminologie2. La création politique d’une section 75 de « criminologie » au sein du CNU, suscite notre réprobation et notre indignation, car elle va à l’encontre des valeurs essentielles qui fondent la vie scientifique et universitaire : le débat, la transparence, la collégialité et la responsabilité. » Et la commission permanente de la CNU conclut : « Pour toutes ces raisons, la Commission permanente du Conseil national des universités dénie toute légitimité à une section du CNU créée dans ces conditions. Elle souhaite que les universitaires ne rejoignent pas la nouvelle section de « criminologie » ».
C’est ensuite l’Association de droit pénal qui monte au créneau : cela vaut la peine de publier in extenso la motion qu’elle a adoptée à l’unanimité en janvier dernier et intitulée « Motion de l’Association française de droit pénal contre la création d’une section « expérimentale » de criminologie au sein du Conseil national des universités ». La voici :
L’association française de droit pénal (AFDP) tient à exprimer son indignation face à la création d’une section interdisciplinaire dite « expérimentale » de Criminologie au sein du CNU, doublée de la mise en place d’un Institut National de la Criminologie.
L’AFDP met en garde contre l’instrumentalisation de la criminologie à des fins politiques et dénonce tant la méthode, qui a présidé à la mise en place de cette nouvelle instance, que l’inconsistance de son objet:
- La nomination des 48 membres de cette section, en marge des élections au CNU, est un contournement inacceptable du processus démocratique, mise en place par le décret n°92-70 du 16 janvier 1992 relatif au Conseil national des Universités.
- La criminologie ne saurait constituer l’objet d’une section du CNU, dès lors qu’elle n’est qu’un champ d’étude au croisement de nombreuses disciplines et non une discipline à part entière.
L’AFDP reconnait cependant que la formation et la recherche en criminologie dans l’Université française souffrent d’une grande disparité et d’une faible visibilité et soutient en conséquence la conférence élargie des directeurs d’Instituts de sciences criminelles et de centres de recherche en droit pénal en criminologie, qui formulera en 2012 des propositions concrètes pour revaloriser les diplômes universitaires de criminologie et redynamiser la recherche universitaire en ce domaine.
L’association a été reçue depuis au ministère, et a publié le compte-rendu de cette audience téléchargeable ici. Un communiqué a ensuite été publié (version pdf). La conclusion de ce communiqué daté du 16 mars : « Nous déposons, contre ces arrêtés, un recours devant la juridiction compétente, afin d’en obtenir l’annulation ». C’est dire la gravité du désaccord.
C’est enfin (il y en a tellement d’autres qu’il est impossible de les citer toutes. On en trouvera des liens dans le compte-rendu d’audience de l’Association française de droit pénal) l’association « Qualité de la Science Française », créée en 1982 à l’initiative de Laurent Schwartz, et qui « a pour mission de défendre et de promouvoir la qualité et la créativité de l’enseignement supérieur et de la recherche en France, conditions indispensables de la compétitivité de la science, du développement de l’économie, et de la diffusion de la culture ». On peut lire son communiqué ici.
Jusqu’au dernier jour du quinquennat, ce pouvoir tentera de faire passer en force de projets les plus contestables, et le domaine de la justice et de l’enseignement et la recherche ont été particulièrement touchés ! ça n’est peut-être pas un hasard… La dernière trouvaille : le concept de « réitération » : il s’agit de crimes et délité répétés, mais, contrairement à la récidive, différents ; lire ici l’article qu’y consacre François Nadiras dans le site de la section de Toulon. Lire aussi le passionnant article de Véronique Soulé sur son blog.
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