Scandale de corruption au Parlement européen : « Certains pensent que l’on peut acheter des députés comme on achète des clubs de foot »

35 000 lobbyistes travaillent à Bruxelles, au plus près des institutions européennes, autour du Parlement, pour tenter de peser sur les prises de décisions…  : Boeing, Airbus, DuPont, Dow Chemicals, British Petroleum, Philip Morris…  de nombreuses entreprises et associations-écrans, comme BASF, US Chamber of Commerce, Unilever, Bromine Science and Environmental Forum (société-écran de l’industrie du Brome), UNICE et European Service Forum… Rue Froissart : Transtlantic Policy Network…Parc Léopold : Friends of Europe, Complexe militaro-industriel bruxellois… Place et rue du Luxembourg : Grayling, European Seeds Association, Centre for a New Europe, la bataille du lobbying BiotechIl est une fois de plus démontré que contrairement à ce qu’a affirmé la vice présidente socialiste du Parlement Européen, le Qatar est un état où les droits humains son bafoués en permanence sans oublier les droits des travailleurs sur les chantiers de la coupe du monde de football…

Publié sur tv5monde le 12 décembre 2022

La vice-présidente socialiste du Parlement européen sous les verrous. Trois autres personnes également incarcérées. Le Parlement européen est sous le choc après le coup de filet mené en Belgique autour d’accusations de corruption dans une affaire liée au Qatar. L’eurodéputée française Manon Aubry n’est pas surprise par cette affaire. Depuis de longs mois, elle s’était ouvertement étonnée de la mansuétude de certains de ses collègues à l’égard du Qatar. Entretien avec Manon Aubry

De nombreuses multinationales et sociétés écrans entourent le Parlement européen : 35 000 lobbyistes y travaillent.

TV5MONDE : Avez-vous été surprise par les révélations de ce week-end ? 

Manon Aubry, eurodéputée française (Gauche radicale) : J’ai été choquée mais pas surprise !
Choquée, d’abord, par l’ampleur du scandale. C’est évidemment inégalé dans l’histoire du Parlement européen, c’est le plus gros scandale de corruption de son histoire. Mais je ne suis pas surprise car, comme je l’ai raconté sur Twitter, j’ai pu assister à des situations éclairantes lors de discussions sur une résolution concernant le Qatar.
Pendant plus d’un an, alors que j’essayais d’obtenir cette résolution (condamnant, notamment, les violations des droits humains dans le pays, NDLR), les groupes socialistes et PPE (Droite) s’y sont systématiquement opposés.

Ensuite, dans le cours des négociations, ils ont systématiquement profité du huis clos des discussions pour défendre les intérêts du Qatar, jusqu’à nier l’existence de plusieurs milliers de victimes sur les chantiers de la Coupe du monde !
Ils ont aussi absolument tenu à ajouter dans la résolution la bonne qualité des relations diplomatiques entre l’Union européenne et le Qatar, son rôle énergétique, son rôle vis-à-vis des réfugiés afghans, bref des choses qui n’avaient rien à voir avec le sujet et qui démontraient comment ces députés voulaient à tout prix protéger les intérêts du Qatar.
J’ai été tellement choquée que, pour la première fois, dans le cours des négociations, j’ai pris des notes très éclairantes et j’ai réalisé (le 24 novembre 2022, NDLR) une vidéo dans laquelle je me demandais si le Qatar avait infiltré les négociations du Parlement européen. Je pense avoir la réponse à ma question désormais.  

TV5MONDE : Comment ce genre d’affaires est-il rendu possible au Parlement européen ?  

Manon Aubry : Il y a d’abord le lobbying extrêmement agressif d’ambassades et de pays qui pensent que l’on peut acheter des députés comme on achète des clubs de football. J’ai envie de leur répondre que notre démocratie n’est pas à vendre.
Ensuite, il y a des députés qui acceptent de se conduire de cette manière-là, sans scrupules, et qui souillent la démocratie européenne.

Enfin, tout cela est rendu possible par des règles éthiques largement insuffisantes au niveau européen. On le constate depuis des années et on en voit aujourd’hui les conséquences concrètes. Il n’y a pas de registre de transparence obligatoire, pas d’autorité éthique indépendante, ce que notre groupe avait demandé au début du mandat. La Commission européenne l’avait d’ailleurs mis sur sa feuille de route mais elle l’a mis à la poubelle depuis.
Pour moi, cela questionne de la cave au grenier les méthodes de négociations du Parlement européen qui favorisent l’opacité et ce type de pratiques. Dans ces conditions, certains députés rendent davantage de comptes au Qatar qu’à leurs concitoyens car il n’y a aucun moyen de les observer.  

TV5MONDE : La question du lobbying massif à Bruxelles n’est-elle pas soulevée par ce scandale ?  

Manon Aubry : Oui, très clairement. Bruxelles est la deuxième place mondiale en termes de lobby (derrière Washington DC, NDLR) avec sept lobbyistes pour un député ! On en voit les conséquences concrètes aujourd’hui, mais ce n’est que la face émergée de l’iceberg.
Depuis que je suis élue au Parlement européen, j’ai mille et un exemples de cas dans lesquels les lobbyistes ont eu une influence directe dans des décisions européennes. Je pense, par exemple, à des négociations sur la transparence des multinationales pour lutter contre l’évasion fiscale au cours desquelles nous nous sommes aperçus que le document officiel dans lequel la France exprimait sa position avait été écrit par le MEDEF (la principale organisation patronale française, NDLR).
Des histoires comme celle-là, on en a à la pelle au sein des institutions européennes !

Que ce soit au Parlement mais aussi au sein du Conseil (institution qui réunit les chefs d’État ou de gouvernement des vingt-sept États membres, NDLR) , tout se discute loin des yeux du public, dans la plus grande opacité.
Il y a une volonté délibérée de ne pas exposer au grand jour les discussions et les méthodes de délibérations européennes permettant de préserver des intérêts privés et, parfois, les intérêts d’ambassades ou de pays.  

TV5MONDE : Vous dites qu’il faut “tout revoir de la cave au grenier”. Concrètement, que peut-on mettre en place ? 

Manon Aubry : Dans l’immédiat, tout d’abord, il faut une commission d’enquête sur les défaillances des règles éthiques européennes. Ensuite, il faut en tirer toutes les conclusions, c’est à dire la mise en place de nouvelles règles éthiques, comme le registre de transparence obligatoire, ou encore l’interdiction d’accès au Parlement européen pour les anciens députés puisque l’homme au cœur du réseau de corruption est, semble-t-il, un ancien eurodéputé italien qui continue d’accéder librement au Parlement.
Nous souhaitons aussi la mise en place d’une autorité éthique indépendante disposant de suffisamment de moyens pour enquêter sur les conflits d’intérêts et prendre les sanctions adéquates. L’ampleur du scandale en démontre l’urgence.  

Le Parlement et la Commission doivent voter ces dispositifs puis ils doivent ensuite pouvoir fonctionner de manière indépendante à l’image de ce qui existe en France avec la Haute autorité de la transparence de la vie publique (HATVP, fondée en France en 2013 après un scandale impliquant le ministre Jérôme Cahuzac) même si elle n’a pas encore assez d’indépendance à mon sens. Mais dans l’urgence, je réclame trois choses. La première, c’est la démission de la vice-présidente et son remplacement par une nouvelle vice-présidente à qui on pourrait ajouter la fonction de lutte contre la corruption.
Je souhaite ensuite un débat et une résolution dès cette semaine au Parlement européen puis la mise en place d’une commission d’enquête. Je pense que tout doit être acté dès cette semaine pour montrer la fermeté de notre réaction. C’est absolument incontournable, nous n’avons simplement pas le choix car, si l’on n’agit pas, le peu de croyance dans les institutions européennes va continuer de s’effondrer et la démocratie européenne est définitivement fragilisée.  

SÉNÉGAL. LA VAGUE D’ARRESTATIONS ARBITRAIRES D’OPPOSANTS ET D’ACTIVISTES PORTE GRAVEMENT ATTEINTE AUX DROITS HUMAINS

Communiqué d’Amnesty International Publié le 05.03.2021

  • Ousmane Sonko arbitrairement détenu
  • Cinq morts lors de manifestations
  • Des individus identifiés aux côtés de la police agressent des manifestants
  • Deux chaînes de télévision suspendues pour 72 heures, une radio privée et le siège du quotidien national attaqués


Les autorités sénégalaises doivent immédiatement cesser les arrestations arbitraires d’opposants et d’activistes, respecter la liberté de réunion pacifique et la liberté d’expression, et faire la lumière sur la présence d’hommes armés de gourdins aux côtés des forces de sécurité, a déclaré Amnesty International aujourd’hui.

L’opposant Ousmane Sonko a été arrêté le 3 mars à Dakar la capitale et inculpé pour troubles à l’ordre public et participation à une manifestation non autorisée alors qu’il se rendait au tribunal pour répondre à une convocation d’un juge d’instruction dans le cadre d’une plainte sur une affaire pénale distincte. Suite à son arrestation, des heurts entre les soutiens de l’opposant et les forces de sécurité ont été notés dans plusieurs villes du pays, occasionnant de nouvelles arrestations et des scènes de pillages, et la mort d’un manifestant.

« Ousmane Sonko se dirigeait vers le tribunal à la suite d’une convocation de l’autorité judiciaire, lorsqu’il a été arbitrairement arrêté dû à la présence sur son itinéraire de manifestants et sympathisants. Les charges de trouble à l’ordre public et de manifestation non autorisée qui pèsent sur lui doivent être abandonnées et, tant que ce sont les seules charges justifiant sa détention, il doit être immédiatement libéré, ainsi que les trois individus qui ont été arrêtés en même temps que lui, » a déclaré Samira Daoud, directrice régionale d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale.

Arrêté alors qu’il se trouvait dans son véhicule

Le convoi d’Ousmane Sonko a été arrêté par les gendarmes à l’ouest de la capitale sur ordre du préfet de Dakar. Après plusieurs minutes pendant lesquelles les gendarmes ont par moment tiré des grenades lacrymogènes pour disperser les soutiens de l’opposant, Ousmane Sonko a été arrêté et inculpé alors qu’il se trouvait dans son véhicule. 

Trois de ses gardes du corps ont également été arrêtés avec lui. Durant l’arrêt du convoi et en prélude à l’arrestation, les gendarmes ont fait un usage excessif de la force contre l’un des gardes du corps, lui administrant des coups et posant une grenade lacrymogène dans sa veste.

Durant cet incident, le préfet de Dakar a demandé aux forces de sécurité de « charger » (tirer des grenades lacrymogènes) les manifestants y compris les journalistes présents sur les lieux. Un caméraman d’une chaîne de télévision régionale a reçu une grenade occasionnant une blessure au tibia.

Après leur arrestation, des heurts entre forces de sécurité et manifestants ont eu lieu dans plusieurs quartiers de Dakar et d’autres villes du pays. Des manifestants ont pillé des commerces, jeté des pierres sur les forces de l’ordre et brûlé des pneus.

Hommes en tenue civile armés de gourdins

Des hommes en tenue civile, armés de gourdins et à bord de véhicules pick-up ont également été aperçus aux côtés des forces de sécurité dans plusieurs lieux à Dakar. Ces hommes ont pourchassé des manifestants, et frappé ceux qu’ils arrêtaient, devant les forces de sécurité, dans nombre de ces cas. Dans une intervention à la radio, le ministre de l’Intérieur n’a pas nié la présence de ces hommes en tenue civile mais suggéré que les forces de l’ordre ont pu ne pas être en uniformes.

Amnesty international rappelle que les Lignes directrices de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) stipulent que les agents déployés dans le cadre des manifestations doivent porter des marques d’identification individuelle visibles en opération. D’autre part, si ces personnes étaient des agents des force de l’ordre, elles ont également fait preuve d’un usage excessif de la force contre les manifestants, en violation du droit international.

Usage d’arme léthale au sud du pays

Le 4 mars, des manifestations ont également eu lieu à Bignona, une ville du sud, lors desquelles les forces de sécurité et de défense ont tiré à balles réelles sur les manifestants. Cheikh Coly, l’un des manifestants a été atteint par balles avant de succomber à ses blessures à l’hôpital de Bignona. Son père a déclaré à Amnesty International que le corps de son fils était toujours à l’hôpital et qu’une autopsie devait être menée. Cette mort a également été confirmée par le préfet de Bignona dans une interview à la radio où il a également indiqué qu’une enquête allait être ouverte par la gendarmerie. 

« Nous appelons les autorités à mener une enquête crédible et indépendante sur les circonstances de la mort de Cheikh Coly et à ce que les responsables soient poursuivis selon les normes de procès équitables. Conformément au droit international, les forces de l’ordre ne doivent utiliser la force léthale que dans des circonstances exceptionnelles, en cas de risque imminent de blessure grave ou de mort, et non pour le maintien de l’ordre, » a déclaré Seydi Gassama, directeur exécutif d’Amnesty International au Sénégal.

Atteintes à la liberté des médias

Amnesty International s’inquiète des menaces relevées depuis le 3 mars qui pèsent sur la liberté des médias, et de la suspension des signaux de certaines chaines. Hier soir, des individus ont attaqué l’immeuble abritant les locaux de la radio privée RFM et du quotidien d’information ‘’L’Observateur’’ du Groupe Futurs Médias (GFM). De nombreux dégâts matériels ont été notés à la devanture et sur les murs de l’immeuble. Les locaux du quotidien national ‘’Le Soleil’ auraient également été attaqués.

Les signaux des télévisions WALF TV et SEN TV ont par ailleurs été coupés hier pour 72 heures par le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) qui avait mis en garde dans un communiqué ces deux chaines locales et une autre, la 2STV, en déclarant la veille, avoir constaté dans leur retransmission, des « appels répétés au soulèvement populaire en diffusant des images d’insurrection en boucle », les appelant à « cesser cette couverture irresponsable ».

Tout en dénonçant l’attaque de l’immeuble de GFM et du « Le Soleil », Amnesty International demande aux autorités de lever la suspension des signaux télévisuels et respecter la liberté de la presse et le droit à l’information des populations, en particulier la liberté des médias, afin qu’ils puissent faire leur travail de manière indépendante.

Arrestations arbitraires et entraves à la liberté de réunion pacifique

Les évènements des deux derniers jours ont eu lieu dans un contexte tendu au Sénégal avec de nombreuses arrestations, durant les semaines précédentes.  Amnesty International considère par ailleurs comme arbitraire, la détention de 17 militantes du parti “Pastef-Les patriotes” qui avaient été interpellées le vendredi 26 février devant le domicile d’Ousmane Sonko à qui elles rendaient visite, après la levée de son immunité parlementaire. Empêchées d’accéder au domicile, elles ont été arrêtées pour troubles à l’ordre public et détenues pendant sept jours sans être présentées devant un juge, avant d’être libérées durant la soirée du 3 mars.

L’activiste Guy Marius Sagna, un militant et membre fondateur du Mouvement ‘Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine’ (FRAPP- France Dégage) arrêté le 20 février, est accusé d’ « association de malfaiteurs », « organisation d’un mouvement insurrectionnel » et de « menaces de troubles à l’ordre public ».

Placé en détention le 2 mars, Guy Marius Sagna est depuis ce jour en grève de la faim pour protester contre ses mauvaises conditions de détention à la prison du Cap Manuel. Selon son avocat, Guy Marius Sagna a été placé en isolement dans une cellule sans lumière après avoir rédigé une lettre à l’autorité pénitentiaire dénonçant les mauvaises conditions de détention des prisonniers.

« Les charges contre Guy Marius Sagna sont infondées et il doit être libéré immédiatement et sans conditions. En outre, les autorités sénégalaises doivent garantir des conditions de détention conformes aux normes internationales et aux recommandations du Comité contre la torture dans ce contexte de COVID-19. Tous les détenus doivent notamment avoir accès à leurs familles, leurs avocats et des soins médicaux adéquats, » a déclaré Seydi Gassama.

Ce vendredi 5 mars, une coalition de la société civile et de partis de l’opposition a prévu de manifester à Dakar et dans plusieurs villes du pays.

« Nous demandons aux autorités sénégalaises de respecter la liberté de réunion pacifique dans tout le pays. Les forces de sécurité doivent faciliter l’exercice de cette liberté et non l’entraver, » a conclu Samira Daoud.

Complément d’information

Ousmane Sonko est député et président du parti d’opposition « Pastef-Les Patriotes ». Il a été accusé de viol et de menaces de mort par une femme qui a déposé une plainte contre lui le 3 février dernier. Son immunité parlementaire a été levée par l’Assemblée nationale le 26 février et une convocation lui a été servie pour répondre à un juge le 3 mars.

Plusieurs militants et sympathisants de son parti ont été arrêtés depuis le 8 février. Une manifestation de coalitions de la société civile et de partis politiques est prévue à Dakar ce 5 mars 2021 pour protester contre l’atteinte aux droits et libertés publiques.

Répression du pouvoir au Nigéria: au moins 18 morts et des centaines de blessés par la police qui tire à balles réelles

Au Nigéria un vaste mouvement de contestation traverse le pays depuis plusieurs semaines. La jeunesse (60% de la population) réclame la justice et la fin de la corruption et des violences policières. Un régime autoritaire a été mis en place depuis longtemps dans le cadre d’une politique néolibérale. La LDH dénonce la répression sanguinaire du pouvoir.

Publié sur lemonde.fr le 22 octobre 2020

Nigeria : une juste révolte contre l’impunité

Editorial. Des manifestations agitent le pays depuis deux semaines. Déclenché par des violences policières, ce mouvement est une devenu une contestation plus globale d’un pouvoir abusif et discrédité.

Editorial du « Monde ». 

Première puissance économique du continent africain, pays connu pour son dynamisme et sa créativité, mais aussi pour sa corruption et ses inégalités abyssales, le Nigeria est en proie à une révolte inédite de sa jeunesse. Depuis deux semaines, des manifestations secouent le pays non seulement à Lagos, mégalopole de vingt millions d’habitants et capitale économique du pays, mais dans plusieurs autres villes, dont Abuja, sa capitale fédérale. Déclenchée par une vidéo montrant des policiers abattant un homme de sang-froid, la révolte contre les violences policières s’est muée en une contestation globale du régime revendiquant la démission du président, Muhammadu Buhari. Le soulèvement de la jeunesse urbaine se nourrit aussi de l’exaspération après un confinement anti-Covid-19 levé cet été, mais qui a asphyxié l’économie.

Au moins dix-huit personnes sont mortes dans ces affrontements avec la police avant même le « mardi sanglant », ce 20 octobre, au cours duquel un millier de manifestants rassemblés à un péage de Lagos ont été dispersés par des tirs à balles réelles. La police et l’armée sont mises en cause, mais aussi des voyous stipendiés pour jeter le discrédit sur le mouvement. Depuis lors, des jeunes continuent de braver le couvre-feu instauré pour tenter de stopper leur révolte. La promesse du président de dissoudre la brigade spéciale de la police nigériane, accusée de tortures et d’exécutions sommaires par Amnesty international, convainc d’autant moins les manifestants qu’elle a déjà été formulée, en vain, par le passé.

Vieux militaires brutaux

La jeunesse du Nigeria – 60 % de ses 200 millions d’habitants ont moins de 24 ans – ne supporte plus d’être exclue par un système politique incapable de réduire l’extrême pauvreté et dont la violence est couverte par une totale impunité. Le président Buhari, 77 ans, ancien général putschiste finalement élu en 2015, focalise le mécontentement : taiseux, claquemuré à Abuja, impuissant à vaincre l’insurrection islamiste de Boko Haram au nord-est, tout comme le grand banditisme, qui met en coupe réglée la région pétrolière du delta du Niger, il personnifie un pouvoir de vieux militaires du Nord, brutaux et incapables d’écouter la population. Son armée se caractérise par sa propension à commettre des exactions sur des civils réduits au silence – y compris numérique – loin des grandes villes. En dépit de la manne pétrolière, le revenu moyen nigérien ne dépasse pas 5 dollars (4,20 €) par jour, et l’espérance de vie plafonne à 52 ans.

L’impunité qui protège les responsables des violences au Nigeria est inacceptable. L’Union européenne et l’ONU réclament, à juste titre, qu’ils soient « traduits en justice » et que les abus policiers cessent. Locomotive de l’Afrique de l’Ouest, ce pays qui fait rêver tant d’Africains devrait se montrer exemplaire. Cela passe en tout premier lieu par la nécessité d’écouter les revendications d’une jeunesse qui réclame la justice, la fin de l’arbitraire des forces armées et la redistribution des richesses. Un programme ambitieux, qui, soixante ans après les indépendances, pourrait être celui de bien des pays du continent.

Le Monde