Rencontre Sissi/Macron à Paris: les ventes d’armes passent avant les droits humains

Le bilan de la réception du dictateur Sissi par Macron est une insulte aux droits humains. La politique de la France continuera à privilégier le partenaire économique (l’Egypte du dictateur Sissi) pour lequel la France a le triste palmarès de premier exportateur d’armes. Macron a effectivement déroulé le tapis rouge à Al-Sissi pour le remercier d’avoir gracieusement libéré trois personnes qui n’auraient jamais dû passer une minute en détention et alors que plus de 60 000 autres continuent de croupir en prison…Les exécutions de masse, les disparitions forcées et la torture généralisée continuent. Rappelons que Marine Lepen qui a rencontré le général Sissi en Egypte en 2015 soutient activement le dictateur.

Publié sur fidh.org le 9/12/2020

Tribune : « Jamais dans l’histoire de l’Egypte moderne, il n’y a eu autant d’avocats, de militants des droits humains et de syndicalistes arrêtés »

L’Egypte d’Al-Sissi est un facteur régional de déstabilisation sécuritaire soulignent, dans une tribune au « Monde », Alice Mogwe, présidente de la Fédération internationale pour les droits humains, Malik Salemkour, président de la Ligue des droits de l’Homme et Bahey Eldin Hassan, directeur de l’Institut du Caire pour les études des droits de l’Homme.

La visite d’Al-Sissi à Paris intervient alors que la pire répression de l’histoire moderne de l’Egypte s’abat sur ses libertés. La récente arrestation de trois membres de l’Initiative égyptienne pour les droits personnels (Egyptian Initiative for Personal Rights, EIPR), organisation membre de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), et la décision d’inscrire deux défenseurs des droits humains de renom, Mohamed Baqer et Alaa Abdel Fattah, sur la liste des terroristes, ne sont que les derniers chapitres du plan de répression d’Al-Sissi contre son propre peuple.

L’indignation consécutive à l’arrestation des membres de l’EIPR s’est répandue dans le monde comme une traînée de poudre, du secrétaire général des Nations unies à l’actrice américaine Scarlett Johannson, en passant par les autorités françaises et l’administration américaine entrante. Le 3 décembre, nous apprenions que les trois membres de l’EIPR, nos camarades, étaient relâchés après trois semaines d’angoisse. Ils restent poursuivis pour « adhésion à un groupe terroriste », « utilisation d’un compte de réseau social pour diffuser de fausses nouvelles » et « diffusion de fausses nouvelles ».

Deux leçons peuvent être tirées de cette nouvelle : la première, que la pression internationale forte, coordonnée, unifiée, fonctionne. La deuxième, que nous sommes toujours à la merci du général Al-Sissi.

Tortures, exécutions, disparitions
Jamais dans l’histoire de l’Égypte moderne, il n’y a eu autant d’avocats, de militants des droits humains et de syndicalistes arrêtés pour avoir exercé leurs droits fondamentaux, que ce soit l’expression d’une opinion, la participation à une réunion, à une manifestation pacifique ou, tout simplement, l’exercice de leurs métiers d’avocat, de journaliste ou de médecin.

Derrière la destruction d’un tissu social essentiel se profile un État autoritaire, dirigé par une junte militaire qui n’est pas disposée à dialoguer avec ses citoyens. Les exécutions de masse, les disparitions forcées et la torture généralisée sont les seuls outils utilisés par le régime pour interagir avec les Égyptiens.

Le système judiciaire égyptien a été qualifié de « parodie de justice » par les Nations unies. Sans parler des attaques contre les droits des femmes, des personnes LGBTI + [les personnes homosexuelles, bisexuelles, transgenres ou intersexes et tous les autres], de la corruption généralisée et de la militarisation de l’économie. Autant d’entorses aux principes fondamentaux qui fragilisent la stabilité même du pays dans la région.

La répression orchestrée par le général Al-Sissi est largement documentée par les ONG, les journalistes et la société civile dans son ensemble. Tout comme la potentielle complicité des États occidentaux tels que la France, qui vend à l’Égypte du matériel de surveillance qui a pu servir à traquer les opposants, des blindés Sherpa et camions MIDS Renault vus dans les rues du Caire en 2013. Il y a deux ans, nos organisations ont documenté une éventuelle utilisation d’armes françaises dans des violations des droits humains.

Une armée équipée
Très récemment, un rapport parlementaire reconnaissait les risques posés par les contrats d’armements passés avec le régime égyptien, errements dénoncés depuis longtemps par les ONG. Des élus de la majorité se sont aussi émus du sort des prisonniers politiques en Égypte. Les pratiques des gouvernements français successifs face au général égyptien interrogent jusque dans les cercles les plus proches du pouvoir.

Aujourd’hui, la machine répressive du général Al-Sissi continue de fonctionner. Et elle continuera tant que son armée sera équipée. Tant que l’aide économique sera versée et que les « dangereux terroristes » (lire : les défenseurs des droits humains) resteront enfermés.

Si la réponse française s’en tenait à dérouler le tapis rouge à Al-Sissi pour le remercier d’avoir gracieusement libéré trois personnes qui n’auraient jamais dû passer une minute en détention et alors que plus de 60 000 autres continuent de croupir en prison, cela équivaudrait à un feu vert aux autorités égyptiennes qui croiraient que la répression n’a qu’un coût politique très faible.

La France doit se poser en championne des droits. Monsieur Macron, vous devez exiger d’Al-Sissi des gages en échange de cette visite à Paris et, avant tout, la libération des prisonniers de conscience. Vous devez suspendre la coopération économique et militaire tant que la situation des droits humains ne s’améliore pas. Dans le cas contraire, la France aura permis au général Al-Sissi de briller dans les rues de Paris, tandis que les droits humains plongent l’Égypte dans les ténèbres.LIRE LA SUITE

Les violations de l’embargo sur les armes s’amplifient en Libye, selon l’ONU

Publié le 3 septembre 2020 sur lemonde.fr avec AFP

Depuis début juillet, 70 avions-cargos ont atterri dans les aéroports de l’est libyen et une trentaine dans l’ouest.

L’émissaire par intérim de l’ONU en Libye, Stephanie Williams, a déploré, mercredi 2 septembre, devant le Conseil de sécurité la poursuite de violations de l’embargo sur les armes imposé en 2011 à ce pays, alors qu’un récent rapport onusien incrimine à nouveau la société militaire privée russe Wagner.

Depuis la dernière présentation de la situation le 8 juillet, « environ 70 avions ont atterri dans les aéroports de l’est en soutien » à l’armée du maréchal Khalifa Haftar, « pendant qu’une trentaine d’appareils ont été envoyés dans des aéroports de l’ouest de la Libye » en appui au gouvernement d’union GNA, a-t-elle déclaré. « Neuf cargos se sont amarrés dans des ports de l’ouest en soutien au GNA pendant que trois navires sont venus bénéficier » aux forces pro-Haftar, a ajouté la responsable, sans donner d’indications sur le contenu des cargaisons.

« Les soutiens étrangers renforcent leurs capacités dans les principales bases aériennes libyennes à l’est et à l’ouest », a résumé Stephanie Williams, en dénonçant une atteinte à la souveraineté de la Libye et « une violation flagrante » de l’embargo de l’ONU sur les armes. La mission de l’ONU en Libye, dont le mandat doit être renouvelé à la mi-septembre, « continue de recevoir des informations sur une présence à grande échelle de mercenaires et d’agents étrangers, ce qui complique (…) les chances d’un règlement futur » du conflit, a-t-elle précisé.

Le GNA, reconnu par l’ONU, est soutenu par la Turquie tandis que le camp Haftar est appuyé par les Emirats arabes unis, la Russie et l’Egypte. Dans un récent rapport intermédiaire des experts de l’ONU chargés du contrôle de l’embargo, le groupe russe Wagner est à nouveau dénoncé comme violant l’embargo sur les armes. « Les activités de mercenaires continuent et, dans le cas du groupe Wagner, augmentent », indique ce document, selon un diplomate s’exprimant sous couvert d’anonymat.

« Totalement inefficace »

Les forces rivales de Haftar et du GNA « reçoivent un soutien de plus en plus important d’acteurs étatiques et non étatiques, ce qui augmente le risque de transition vers un conflit armé international », souligne le préambule du rapport auquel l’AFP a eu accès. « L’embargo sur les armes reste totalement inefficace. Dans le cas des Etats membres soutenant directement les parties au conflit, les violations sont étendues, flagrantes et sans aucun égard pour d’éventuelles sanctions », insiste le document.

Le rapport confirme différentes violations de l’embargo sur les armes commises par « les Emirats, la Turquie, la Jordanie, l’Egypte, la Syrie et la Russie », a-t-on ajouté de source diplomatique.Lire aussi  A Tripoli, des centaines de manifestants dénoncent la corruption en Libye

Lors de la session publique du Conseil de sécurité, l’ambassadeur russe à l’ONU, Vassily Nebenzia, a rejeté les accusations d’interférences russes. « Il n’y a pas un seul Russe en uniforme en Libye », a-t-il assuré. Son homologue américaine, Kelly Craft, a au contraire évoqué la présence de mercenaires russes liés au gouvernement russe. « Il n’y a pas lieu d’avoir des mercenaires étrangers en Libye, dont le groupe Wagner affilié au ministère russe de la défense qui combat aux côtés des forces pro-Haftar », a-t-elle dit.

L’ambassadeur français, Nicolas de Rivière, a appelé à un renforcement de la mission de l’ONU à l’occasion de son renouvellement afin qu’elle puisse accompagner un possible cessez-le-feu et faire mieux respecter l’embargo sur les armes. Plusieurs membres du Conseil ont réclamé la nomination au plus vite d’un émissaire de l’ONU. En raison de divergences entre les Etats-Unis et leurs partenaires sur la définition du poste, aucun successeur n’a encore été nommé à Ghassan Salamé, démissionnaire en mars pour raisons de santé.

La Libye est en proie au chaos depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011.

Le Monde avec AFP

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Trois migrants soudanais tués par balles sur la côte libyenne

RAPPORT D’AMNESTY INTERNATIONAL SUR LA TERRIBLE REPRESSION EN EGYPTE

Dans l’Egypte du président-général al Sissi, l’état d’urgence devient permanent et élargit la notion de terrorisme à tous les défenseurs des droits humains. Le procureur général de la sûreté de l’État multiplie les détentions provisoires qui peuvent durer plusieurs années incluant tortures et disparitions,…En France le gouvernement Macron s’est montré complice de la répression en Egypte par sa livraison d’armes au régime militaire, en violation du droit international et des engagements européens.

Voici le tout récent rapport d’Amnesty International.

Publié sur le site amnesty.be

ÉGYPTE, UN SINISTRE OUTIL DE RÉPRESSION

Dans un nouveau rapport, Amnesty International met au jour le recours abusif à la législation antiterroriste dont se rend régulièrement coupable le bureau égyptien du procureur général de la sûreté de l’État à dessein de poursuivre en justice des milliers de voix critiques pacifiques et de suspendre les garanties d’équité des procès.

Ce rapport, intitulé Permanent State of Exception (synthèse disponible en français), révèle que le bureau du procureur général de la sûreté de l’État, service spécial du parquet en charge des enquêtes sur les menaces pour la sécurité nationale, se rend complice de disparitions forcées, de privation arbitraire de liberté, de torture et d’autres mauvais traitements. Il est à l’origine du placement prolongé en détention de plusieurs milliers de personnes pour des motifs fallacieux, bafouant sans vergogne les droits des détenu·e·s à un procès équitable.

« Dans l’Égypte actuelle, le bureau du procureur général de la sûreté de l’État a élargi la définition du “terrorisme” pour l’étendre aux manifestations pacifiques, à la publication de messages sur les réseaux sociaux et aux activités politiques légitimes, les détracteurs du gouvernement étant de fait traités comme des ennemis de l’État alors qu’ils n’ont pas recouru à la violence ni prôner son usage. C’est devenu un outil de répression majeur, qui semble avoir pour principal objectif d’arrêter arbitrairement et d’intimider les personnes critiques, cela au nom de la lutte contre le terrorisme, a déclaré Philip Luther, directeur de la recherche et du plaidoyer pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.

« Parmi les personnes poursuivies en justice par ce bureau, beaucoup ont été placées en détention parce qu’elles ont exprimé leurs opinions ou défendues les droits humains de façon pacifique – ces personnes n’auraient jamais dû être arrêtées. »

Le rapport d’Amnesty International présente les cas de dizaines de personnes qui ont été déférées à ce bureau, parce qu’elles défendent les droits humains ou désapprouvent le gouvernement de façon pacifique.

Sont notamment décrits les cas de Zyad el Elaimy, avocat spécialiste des droits humains et membre du Parti social-démocrate égyptien, qui a été arrêté pour avoir tenté de cofonder une coalition parlementaire, la « Coalition de l’espoir », en vue des élections législatives de 2020, et d’Abeer el Safty, journaliste qui a été placée en détention après avoir refusé d’être contrainte par la police à participer au référendum de 2019.

L’ESSOR DU BUREAU DU PROCUREUR GÉNÉRAL DE LA SÛRETÉ DE L’ÉTAT

Depuis l’accession à la présidence d’Abdel Fattah al Sissi en 2013, le nombre de poursuites engagées par le bureau a quasiment triplé, passant de 529 environ en 2013 à 1 739 en 2018.

Cette augmentation fulgurante du nombre de poursuites a permis aux autorités de placer des suspects en détention provisoire, dans l’attente des conclusions des enquêtes. En réalité, nombre de ces personnes sont détenues pendant des mois, voire des années, en l’absence d’éléments à charge, sur la base d’investigations secrètes de la police et sans possibilité de recours effectif. Les autorités ont ainsi pu reproduire la procédure de détention administrative de longue durée, autorisée au titre de la législation d’urgence et caractéristique de l’ère Moubarak dans le pays jusqu’à ce que, en 2013, la Cour suprême constitutionnelle juge inconstitutionnelle les dispositions relatives à cette procédure.

Depuis cette décision, le bureau du procureur général de la sûreté de l’État a systématiquement abusé de ses prérogatives pour cibler les opposants au gouvernement. Son ascension intervient dans un contexte de répression sans précédent des droits humains dans le pays ces six dernières années. L’état d’urgence y est renouvelé systématiquement par le président Abdel Fattah al Sissi depuis 2017.

« Le bureau du procureur général de la sûreté de l’État, l’Agence nationale de sécurité (unité spéciale de la police) et les tribunaux antiterroristes forment un système judiciaire parallèle, dans le cadre duquel les dissidents pacifiques sont arrêtés, interrogés et jugés. La normalisation du rôle de ce bureau fait apparaître un état d’urgence permanent, où sont suspendus les droits à la liberté, d’être jugées équitablement et de ne pas être torturées des personnes accusées de “terrorisme” », a déclaré Philip Luther.

Dans son rapport, Amnesty International recense les cas de 138 personnes détenues par le bureau du procureur général de la sûreté de l’État entre 2013 et 2019, s’appuyant pour cela sur plus d’une centaine d’entretiens et l’examen de documents officiels de police et de justice, de dossiers médicaux, de vidéos et de rapports préparés par des ONG et des organismes des Nations unies.

Cinquante-six d’entre elles ont été arrêtées pour avoir participé à des manifestations ou diffusé certains messages sur les réseaux sociaux, 76 en raison de leurs activités ou antécédents dans les domaines de la politique ou de la défense des droits humains, les six dernières étant accusées de participation à des violences.

Elles ont pour la plupart fait l’objet d’enquêtes pour appartenance ou assistance à un groupe terroriste ou autrement illégal dans le but de troubler l’ordre public ou de porter atteinte à la sécurité. En réalité, beaucoup n’ont été placées en détention que sur la base d’investigations secrètes de la police qui, en vertu d’un arrêt rendu en 2015 par la Cour de cassation, ne peuvent constituer des preuves à elles seules, ou bien sur la base de critiques des autorités égyptiennes formulées en ligne mais ne constituant pas un acte d’incitation.

DÉTENTION ARBITRAIRE PROLONGÉE

Le rapport révèle que le bureau du procureur général de la sûreté de l’État abuse régulièrement des pouvoirs spéciaux qui lui sont conférés par la législation égyptienne – pouvoirs habituellement réservés aux juges –, en vertu desquels il est autorisé à ordonner la détention provisoire de suspects pour une période pouvant aller jusqu’à 150 jours. Les personnes visées peuvent interjeter appel de la décision, mais le choix des recours qui seront examinés par un juge et non par un procureur est laissé à la discrétion du bureau.

À l’issue de la période initiale de 150 jours, le bureau demande aux « tribunaux itinérants en charge des affaires de terrorisme » de renouveler la détention des suspects tous les 45 jours. Là encore, c’est ce bureau qui décide qui peut ou non interjeter appel des décisions rendues par les juges. Même quand la justice a ordonné la remise en liberté des détenus, il a contourné les décisions en émettant de nouvelles ordonnances de mise en détention en lien avec de nouvelles charges.

Le bureau du procureur général de la sûreté de l’État a ainsi été en mesure de détenir arbitrairement plusieurs milliers de personnes pendant des mois, voire des années, en se fondant sur de vagues accusations de « terrorisme ». D’après les recherches menées par Amnesty International, les personnes arrêtées ont été maintenues en détention provisoire pendant 345 jours en moyenne, et 1 263 jours dans un cas, avant d’être relâchées sans être déférées à la justice. Pendant leur détention, elles ont rarement été interrogées plus d’une fois.

Le journaliste d’Al Jazira, Mahmoud Hussein, accusé d’avoir diffusé de fausses informations, est détenu depuis le 23 décembre 2016. Son ordonnance de mise en détention a été prorogée à plusieurs reprises, d’abord par le bureau du procureur général de la sûreté de l’État, puis par un juge. En mai 2019, sa libération assortie d’une mise à l’épreuve a été prononcée, mais le bureau a passé outre à cette décision, ordonnant à nouveau sa détention sur la base de nouvelles accusations.

COMPLICITÉ DE TORTURE ET DE DISPARITIONS FORCÉES

Le rapport d’Amnesty International montre également que le bureau du procureur général de la sûreté de l’État est complice de disparitions forcées et de torture. Il n’enquête jamais sur les allégations faisant état de ce type d’atteintes aux droits humains et, pendant les procès, il retient systématiquement des « aveux » arrachés sous la torture à titre d’évidence. Certain·e·s accusé·e·s ont d’ailleurs été condamné·e·s à mort et exécuté·e·s sur la base de ces aveux.

Le rapport fait état de 112 personnes soumises à une disparition forcée, qui a duré pour certaines jusqu’à 183 jours, par les forces de sécurité, principalement l’Agence nationale de sécurité.

L’avocate spécialiste des droits humains, Hoda Abdelmoniem, a été soumise à une disparition forcée pendant trois mois. Pendant cette période, elle a comparu devant des magistrats du bureau du procureur général de la sûreté de l’État et leur a indiqué qu’elle était détenue par la police dans un lieu inconnu, sans pouvoir contacter son avocat ni sa famille, mais ceux-ci n’ont pas mené d’enquête et n’ont ordonné son transfert dans un lieu de détention officiel que 90 jours après sa disparition.

On apprend également que le bureau n’a pas enquêté sur 46 cas de torture ou d’autres mauvais traitements exposés dans le rapport d’Amnesty International.

La militante des droits humains Esraa Abdelfattah a expliqué aux magistrats du bureau que des membres de l’Agence nationale de sécurité l’avaient enlevée, frappée et torturée, et qu’elle avait notamment subi une tentative d’étranglement. Ceux-ci n’ont pas ouvert d’enquête sur ces allégations.

Le bureau du procureur général de la sûreté de l’État manque également de façon systématique à son obligation d’information des accusés au sujet de leurs droits. Ces derniers ne sont pas autorisés à consulter un avocat, sont maintenus dans des conditions inhumaines et sont interrogés sous la contrainte, certains ayant notamment les yeux bandés et étant menacés de renvoi aux mains de l’Agence nationale de sécurité pour y être torturés et interrogés.

« Il est révoltant de constater qu’une institution dont la mission est d’entamer des procédures judiciaires afin de rendre justice bafoue de façon si flagrante l’obligation qui lui incombe de garantir le droit à un procès équitable et se rend complice de disparitions forcées et de torture, a déclaré Philip Luther.

« Les autorités égyptiennes doivent créer une commission d’enquête, dont les travaux seront rendus publics, sur le rôle joué par le bureau du procureur général de la sûreté de l’État dans les détentions arbitraires prolongées, sur les violations du droit à un procès équitable dont ce bureau se rend coupable et sur sa complicité dans les violences policières. »

Les avocats et avocates représentant des personnes faisant l’objet de poursuites engagées par le bureau du procureur général de la sûreté de l’État ont de leur côté indiqué avoir été menacés, harcelés, arrêtés et placés en détention en raison de leurs activités. Mahienour el Masry, avocate qui milite en faveur des droits fondamentaux, a été détenue alors qu’elle assistait à un interrogatoire d’un client dans les locaux du bureau. Mohamed el Baqer, lui aussi avocat et défenseur des droits humains, a subi le même sort.

TENTATIVE DE LÉGITIMATION DE LA RÉPRESSION

Généralement rares en Égypte, des manifestations ont pourtant eu lieu il y a de cela deux mois, suivies d’une vague d’arrestations de grande ampleur : plus de 4 000 personnes ont été interpellées par les autorités égyptiennes en l’espace de quelques semaines, beaucoup sans raison. Les enquêtes ouvertes par le bureau du procureur général de la sûreté de l’État reposaient dans la grande majorité des cas sur la participation présumée des personnes aux manifestations et sur des accusations liées au « terrorisme ».

« Les autorités égyptiennes ont tenté de légitimer leurs opérations de répression de la liberté d’expression sur la scène internationale, en prétendant qu’elles sévissent contre les “terroristes”. En réalité, elles considèrent l’opposition pacifique et l’expression de ses opinions sans recourir à la violence ni prôner son usage comme des “actes terroristes”. La communauté internationale ne doit pas se laisser berner, a déclaré Philip Luther.

« Il ne faut pas que les alliés internationaux de l’Égypte sacrifient les principes relatifs aux droits humains sur l’autel des intérêts commerciaux et en matière de sécurité. Ils doivent au contraire faire pression sur les autorités égyptiennes afin qu’elles réforment le bureau du procureur général de la sûreté de l’État et relâchent toutes les personnes détenues simplement pour avoir exprimé leurs opinions ou défendu les droits humains de façon pacifique. »